Bédard c. Fontaine |
2014 QCCQ 373 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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No : |
200-32-057427-121 |
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DATE : |
16 janvier 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PIERRE A. GAGNON, J.C.Q. [JG-2320] |
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RÉMY BÉDARD […] Québec (Québec) […] et Anny Lafrance […] Québec (Québec) […] |
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Demandeurs |
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c. |
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HÉLÈNE FONTAINE […] Québec (Québec) […]
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Les demandeurs, Rémy Bédard et Anny Lafrance, achètent l'immeuble à revenus de Mme Hélène Fontaine. Au moment où ils signent l'acte de vente, une demande de fixation de loyer pour un des logements de l'immeuble est pendante.
[2] Les demandeurs prétendent que Mme Fontaine a laissé tomber cette demande sans les en aviser préalablement. La perte de revenu de 66 $ par mois qui en découle a un impact de 12 500 $ sur la valeur de l'immeuble. Ils réclament donc de Mme Fontaine la somme de 7 000 $.
Question en litige :
[3] Mme Fontaine a-t-elle manqué à son devoir d'honorer un engagement qu'elle a contracté en se désistant de sa demande de fixation de loyer? Si oui, quels sont les dommages-intérêts en lien avec ce manquement?
Les faits :
[4] Le 21 février 2011, Mme Fontaine, alors propriétaire de l'immeuble à revenus situé aux [1], rue A et [2] à [3] rue B à Québec (« l'Immeuble »), transmet à sa locataire du [3], rue B, Mme Fabienne Potvin, un avis d'augmentation du loyer de 66 $ par mois à compter du 1 er juillet 2011.
[5] Mme Potvin refuse cette augmentation.
[6] En conséquence, le 31 mars 2011, Mme Fontaine dépose une demande de modification du bail à la Régie du logement (« la Régie »). Elle demande à la Régie de « fixer le loyer mensuel, y compris les suppléments versés régulièrement par le locataire (par exemple pour un stationnement) selon les normes de la Régie à compter du 1 er juillet 2011 ».
[7] Mme Fontaine désire vendre l'Immeuble et les demandeurs sont intéressés à acheter. Le courtier immobilier des demandeurs les assiste pour déterminer le prix de vente de l'Immeuble. À cette fin, il dresse un portrait des revenus et dépenses de l'Immeuble et tient compte du fait que la Régie augmentera vraisemblablement le loyer de Mme Potvin de 66 $ par mois.
[8] Le 11 août 2011, les demandeurs signent une promesse d'achat de l'Immeuble pour un prix de 275 000 $. Mme Fontaine y déclare « avoir déposée(sic) une demande d'augmentation de loyer à la Régie le 31 mars 2011. En attente d'une audience. Document joint à la présente ».
[9] Le 16 septembre 2011, les parties signent l'acte de vente de l'Immeuble. Mme Fontaine y fait les déclarations suivantes et s'en porte garante :
10) Les loyers bruts des baux en vigueur s'élèvent à la somme de mille six cent quatre-vingt-dix dollars (1 690,00 $) par mois excluant le loyer du vendeur; un nouveau bail sera signé entre le vendeur et l'acheteur concernant le logement du [2], rue B, Québec, qui sera occupé par le vendeur. Aucun loyer n'a été perçu par anticipation, aucun avis susceptible de modifier ces baux n'a été envoyé par le vendeur ou ses locataires et aucune instance n'est en cours devant la Régie du logement, sauf une demande de fixation de loyer pour le logement du [3], rue B, Québec.
[10] Les parties se rencontrent régulièrement, Mme Fontaine habitant dans l'Immeuble. Elles discutent du rôle de chacun face à la demande de fixation de loyer.
[11] Mme Fontaine témoigne qu'elle a informé les demandeurs qu'ils doivent faire une demande auprès de la Régie du logement pour bénéficier de la décision et doivent également se présenter à l'audience.
[12] Mme Lafrance témoigne plutôt que Mme Fontaine hésite à se présenter à l'audience de la Régie, compte tenu du peu d'intérêt monétaire que représente la demande depuis la vente de l'Immeuble. Mme Lafrance a offert à Mme Fontaine de l'accompagner le jour de l'audience lui précisant qu'elle ne pouvait y aller à sa place. Mme Fontaine a demandé d'être payée pour sa journée de travail manquée, ce que les demandeurs ont refusé.
[13] À la fin décembre 2011, Mme Fontaine reçoit l'avis d'audition de la Régie du logement. L'audience est fixée le 24 janvier 2012.
[14] Mme Fontaine témoigne qu'elle communique avec les demandeurs une semaine avant le 24 janvier 2012 pour leur rappeler la date d'audience du 24 janvier 2012 et pour leur demander s'ils entendent s'y présenter.
[15] Faute d'une réponse des demandeurs, Mme Fontaine se désiste de la demande le 23 janvier au matin.
[16] Le 23 janvier au soir, Mme Lafrance communique avec Mme Fontaine qui l'informe s'être désistée le matin même.
[17] Le 16 mai 2012, les avocats des demandeurs mettent en demeure Mme Fontaine de payer une somme de 12 500 $ en raison de la perte des augmentations de loyer de 66 $ mensuellement résultant de son désistement de la demande de fixation de loyer.
[18] Le 30 mai 2012, les avocats de Mme Fontaine répondent à la mise en demeure. Ils expliquent que « Mme Fontaine a demandé à plusieurs reprises à Mme Lafrance quelles étaient ses intentions mais que Mme Lafrance n'avait que pour seule réponse qu'elle verrait ou qu'elle donnerait des nouvelles la semaine d'ensuite ».
Analyse et motifs :
[19]
Les parties à un contrat sont soumises aux obligations de l'article
1458. Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.
Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.
[20] Pour réussir dans leur demande, les demandeurs doivent prouver, par prépondérance de preuve [1] , que Mme Fontaine a manqué à son devoir d'honorer un engagement qu'elle a contracté. En plus, ils doivent prouver que ce manquement leur a causé un préjudice matériel qui est une suite immédiate et directe [2] de la faute contractuelle de Mme Fontaine :
1607. Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.
[21]
L'article
1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé.
On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu'il est certain et qu'il est susceptible d'être évalué.
[22]
L'article
1613. En matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir au moment où l'obligation a été contractée, lorsque ce n'est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu'elle n'est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
[23] Le Tribunal conclut que les demandeurs n'ont pas rencontré leur fardeau de preuve. Ils n'ont pas prouvé que Mme Fontaine a manqué à un engagement qu'elle a contracté.
[24] D'abord, Mme Fontaine n'a jamais représenté aux demandeurs que la Régie accorderait l'augmentation de loyer qu'elle demandait. Ses représentations au paragraphe 10 de l'acte de vente ne vise que le montant des loyers bruts des baux en vigueur excluant le loyer du vendeur.
[25] Ensuite, Mme Fontaine ne s'est pas engagée à présenter sa demande à la Régie. Mme Fontaine a raison lorsqu'elle explique que les demandeurs devaient faire une demande à la Régie pour bénéficier de sa demande et de la décision qui en découlerait. En effet, l'article 23 du Règlement sur la procédure devant la Régie du logement [3] prévoit spécifiquement ce qui suit :
23. La personne qui a un intérêt légal pour intervenir dans une demande ou une requête à laquelle elle n'est pas partie ou pour reprendre l'instance peut le faire en produisant à la Régie une requête en reprise d'instance ou en intervention. Cette requête doit être signifiée à toutes les parties avant l'audience.
Le régisseur peut, lors de l'audience, autoriser une intervention ou une reprise d'instance sur simple requête verbale notée au procès-verbal. Il peut alors imposer les conditions qu'il estime nécessaires à la protection des droits des parties.
[26] Les demandeurs avaient l'intérêt légal pour intervenir à la demande de fixation de loyer et même reprendre l'instance si Mme Fontaine n'entendait plus agir. Les parties ont eu de nombreuses discussions au sujet de l'audience à venir devant la Régie. Les demandeurs devaient s'attendre à ce que Mme Fontaine ne se présente pas à l'audience puisqu'ils ont refusé sa demande d'être indemnisée pour la perte de sa journée de travail. Malgré cela, les demandeurs ne font rien pour protéger leurs droits alors qu'ils ont la possibilité de le faire en utilisant une reprise d'instance ou une intervention devant la Régie. Ils ont été eux-mêmes négligents.
[27] Enfin, la Régie pouvait refuser une augmentation de loyer ou encore n'en accorder qu'une partie. Même si le Tribunal avait conclu à une faute contractuelle de Mme Fontaine, les dommages-intérêts que réclament les demandeurs apparaissent donc loin d'être certains. Ils sont hypothétiques.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la demande.
CONDAMNE M. Rémy Bédard et Mme Anny Lafrance à payer à Mme Hélène Fontaine les frais judiciaires de la contestation, soit 152 $.
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__________________________________ PIERRE A. GAGNON, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
18 novembre 2013 |
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