TRIBUNAL D’ARBITRAGE
C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC
N o DE DÉPÔT : 2014-1181
QUÉBEC, le 27 novembre 2013
AUDITION TENUE LE : 29 août 2013
DEVANT L’ARBITRE : M e JEAN-GUY MÉNARD
N° DU GRIEF : 658-98
DÉPÔT DU GRIEF : 29 août 2008
OBJET DU GRIEF : Contestation de congédiement
RÉCLAMANT : Monsieur Richard Craig
REPRÉSENTANT SYNDICAL : M e Richard Bertrand
REPRÉSENTANT PATRONAL : M e Rhéaume Perreault
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER, sections locales 137 et 250
ci-après appelé le «Syndicat»
ET
PAPIERS WHITE BIRCH, division Stadacona s.e.c.
ci-après appelée l’«Employeur»
S E N T E N C E A R B I T R A L E
I - LES PRÉALABLES
[1] Mandaté par les parties le 29 janvier 2009 pour décider du grief dont les coordonnées apparaissent en page de présentation, j’ai fixé trois (3) journées d’audition en octobre 2010. Le 13 juillet 2010, j’étais formellement informé " que l’ordonnance initialement rendue par l’Honorable Juge Robert Mongeon le 24 février dernier, ordonnant la suspension de tous les litiges concernant (l’Employeur), suite à la présentation d’une requête en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, a(vait) été renouvelée jusqu’au 15 octobre prochain "; d’où une demande de remise sine die des séances d’audition précitées et une acceptation de ma part.
[2] Le 11 juin 2013, on me faisait savoir ce qui suit :
"(…) dans le cadre du processus de négociation survenu sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, les parties ont réglé tous les dossiers à l’exception des congédiements. Pour ceux-ci, les parties ont convenu de procéder sur dossier selon les paramètres suivants :
· Chaque partie soumet en même temps des affidavits détaillés pour ce qui est du contexte factuel ;
· Chaque partie bénéficie d’un maximum d’une (1) heure pour faire ses représentations ;
· Une sentence arbitrale doit être rendue dans les trente (30) jours. "
[3] À cette fin, une séance d’audition a été fixée et tenue le 29 août 2013 dans le respect de ces paramètres.
[4] On comprendra que cette façon de procéder se voulait la plus efficace et expéditive possible. À travailler " ainsi sur dossier " et à ne bénéficier que d’une (1) heure pour entendre les représentations des parties, on conviendra que je n’ai pas pu profiter des moyens habituels découlant du processus régulier d’arbi-trage comme la possibilité d’entendre des interrogatoires et des contre-interroga-toires de témoins, de me faire une idée sur la crédibilité de ceux-ci à les écouter et peut-être même de disposer d’une preuve plus précise et plus détaillée.
II - LES PRINCIPALES COMPOSANTES DU LITIGE
[5] Essentiellement, le litige s’est cristallisé au terme d’une séquence d’événements comportant les éléments de faits qui suivent :
5.1. Monsieur Craig a été embauché en 1982. De 1992 jusqu’à son congédiement, le 20 août 2008, il a travaillé aux machines à papier.
5.2. Monsieur Craig possède depuis 1987 une entreprise de transport en vrac qui embauche trois (3) employés, ce qui ne l’a toutefois pas empêché d’exercer ses fonctions à temps plein chez l’Employeur.
5.3. Le 8 juillet 2008, monsieur Craig a consulté son médecin traitant, le docteur Gilles Berthelot, qui lui a prescrit un arrêt de travail jusqu’au 28 juillet 2008.
5.4. Le 15 juillet 2008, monsieur Craig a revu son médecin qui a alors produit une attestation faisant notamment mention de ce qui suit :
"- Diagnostic : Anxiété aigüe plus éléments dépressifs importants ;
- Symptômes actuels : anxiété (…) baisse de concentration asthénioplésie baisse d’appétit insomnie.
- Degré de gravité de l’ensemble des symptômes : intense."
5.5. À cette occasion, monsieur Craig a été médicamenté.
5.6. Le 29 juillet 2008, monsieur Craig a rencontré de nouveau le docteur Berthelot qui a alors posé le même diagnostic sur déclaration des mêmes symptômes, à la différence cependant qu’il a mentionné qu’il y avait réduction de la motivation et que la baisse de concentration n’était plus intense, mais moyenne. Il a par ailleurs rajouté qu’il prévoyait une reprise du travail le 1 er septembre avec retour progressif, mais " à réévaluer ".
5.7. Entre-temps, soit au début d’août 2008, l’Employeur a été informé par des salariés que monsieur Craig travaillait pour son entreprise de transport en vrac pendant son congé pour invalidité. Partant, il a décidé de recourir aux services d’une firme pour procéder à une filature qui s’est effectivement déroulée les 6, 7, 8 et 13 août 2008.
5.8. Suivant la surveillance exercée, il a été constaté que le 6 août 2008, monsieur Craig a opéré un camion 10 roues de 10h15 à 14h40, que le 7 août 2008, il a fait de même de 7h30 à 17h50 et que le 13 août 2008, il a conduit le même 10 roues du 9h08 à 12h33. En ce qui a trait au 8 août 2008, monsieur Craig a conduit le même camion quelques minutes seulement.
5.9. Le 12 août 2008, monsieur Craig a à nouveau rencontré le docteur Berthelot qui a posé le même diagnostic qu’auparavant en rajoutant un symptôme de baisse de motivation et en précisant que les symptômes étaient dans l’ensemble d’un degré de gravité moyen à intense. En ce qui a trait au retour au travail, il l’a refixé au 1 er septembre 2008 " selon l’évolution ", en soulignant toutefois qu’il faudrait " réévaluer " s’il serait à temps partiel, à temps plein ou progressif.
5.10. Le 14 août 2008, monsieur Craig a rencontré l’infirmière Lucie Huard désignée par l’Employeur qui a ainsi rapporté les éléments pertinents de leur discussion dans ses notes cliniques :
"(…) Dans la journée je prends des marches 2 à 3 milles et je taponne autour de la maison. Je ne suis pas capable de me concentrer plus d’une heure à deux heures à la fois (…) J’ai aucun goût de manger (…) Pas ben ben d’activités sociales (…) Dit ne pas avoir le cœur à faire grand-chose. N’a pas sorti sa moto du cabanon de l’été. J’évite d’aller sur la route conduire car je manque de concentration (…) Je suis fatigué et j’ai des picotements des bras plus jambes plus estomac. J’ai des poussées d’énergie qui durent 15 minutes après je ne pense qu’à me coucher. J’ai pas grand-chose qui m’intéresse (…)"
5.11. Ayant jugé utile d’avoir l’avis d’un médecin expert, l’Employeur a fait en l’occurrence appel au docteur André Blouin qui, après examen des billets médicaux au dossier, des notes de l’infirmière Huard et du rapport de filature auquel étaient joints les DVD, a conclu " que le Plaignant avait des activités clairement incompatibles avec sa prétendue invalidité ou avec les symptômes qu’il alléguait ".
5.12. Sur ce, l’Employeur a résolu de procéder au congédiement de monsieur Craig le 20 août 2008. L’avis qui lui a été remis en mains propres était ainsi rédigé :
"(…)
Le 8 juillet 2008, vous avez fait une réclamation pour obtenir des prestations d'assurance salaire alléguant être victime d'une maladie psychologique. Dans le cadre de vos rencontres avec notre médecin et les responsables de notre département de santé et sécurité, vous avez allégué être incapable de faire toute activité. Vous affirmiez même avoir de la difficulté à conduire votre automobile.
Or, une enquête révèle que vous avez eu des activités totalement incompatibles avec votre prétendue incapacité. En effet, il s'avère notamment que vous conduisez allégrement des camions dans le cadre de l'exploitation de votre entreprise.
À quelques occasions, nous avons communiqué avec vous pour faire un suivi sur votre état de santé. À ce moment, vous avez adopté une attitude déplorable en réitérant que vous étiez incapable de faire quelque activité que ce soit. Selon vos dires, vous deviez demeurer à la maison «à rien faire». Bref, vous avez tenté de camoufler vos activités incompatibles en mentant sur la teneur de vos activités.
Vous avez donc obtenu des prestations d'assurance salaire et un congé sans droit et sur de fausses représentations. En d'autres termes, vous avez frauduleusement obtenu un congé et des prestations d'assurance salaire auxquelles vous n'aviez pas droit.
Compte tenu de la gravité de ce qui précède et du caractère prémédité de vos gestes, nous avons pris la décision de vous congédier en date de la présente. Le lien de confiance inhérent à toute relation employeur/employé est rompu définitivement.
(…)"
5.13. Le 29 août 2008, un grief était déposé au nom de monsieur Craig aux fins de contester cette mesure et de réclamer sa " réintégration avec plein redressement du salaire, des avantages sociaux et bénéfices marginaux à partir de la date de son congédiement, soit le 20 août 2008. "
III - LA PREUVE
[6] Outre les éléments de faits introductifs qui précèdent, l’Employeur et le Syndicat ont déposé des affidavits au soutien de leurs positions respectives.
A) LES AFFIDAVITS DÉPOSÉS PAR L’EMPLOYEUR
1. L’affidavit du 14 mai 2012 de monsieur Jean-Philippe Brière, ex-superviseur des ressources humaines
"(…)
1. Je suis le représentant autorisé de l'Employeur en la présente instance ;
2. J'ai travaillé au sein de l'Employeur du 28 février 2008 au 31 décembre 2009 à titre de Superviseur des ressources humaines;
3. Le 8 juillet 2008, le Plaignant a fait une réclamation d'assurance alléguant être invalide, tel qu'il appert dudit formulaire déposé en annexe sous la cote E-1;
4. Le Plaignant a bénéficié d'assurance-salaire à compter de cette date;
5. Vers la fin du mois de juillet 2008, l'Employeur a été informé que le Plaignant aurait des activités incompatibles avec sa prétendue invalidité;
6. Au début de mois d'août 2008, plusieurs rumeurs provenant de salariés circulaient à l'effet que l'Employeur devrait enquêter sur le Plaignant puisqu'il n'était pas malade et profitait de son congé de maladie pour travailler dans son entreprise de transport;
7. Ces rumeurs faisaient mention que le plaignant avait une entreprise de transport. Mes recherches m'ont permis de constater que le Plaignant était effectivement propriétaire d'une telle entreprise (pièce E-3);
8. Compte tenu de la multiplication des dénonciations et des résultats de ma recherche, nous avons alors pris la décision d'enquêter sur les agissements du Plaignant en retenant les services d'une firme d'enquête spécialisée;
9. L'Employeur a retenu les services d'une firme d'enquête pour entamer une filature sur les activités du Plaignant;
10. La filature a été limitée dans le temps et s'est déroulée dans des lieux où le Plaignant se trouvait observable de façon immédiate par le public;
11. Les 6, 7, 8 et 13 août 2008, un enquêteur a suivi le Plaignant dans le cadre de ses activités, tel qu'il appert des DVD et rapports de filature déposés en annexe sous la cote E-2;
12. Il est ressorti de la filature que le Plaignant avait des activités clairement incompatibles avec sa prétendue invalidé. En effet, il ressort de la filature que le Plaignant a travaillé à temps plein les 6, 7 et 13 août 2008 pour son propre bénéfice;
13. Le Plaignant est effectivement propriétaire d'une entreprise de transport de sable et de roches, tel qu'il appert du CIDREQ, déposé en annexe sous la cote E-3;
14. Il travaillait pour sa propre entreprise, alors qu'il recevait des prestations d'assurance et alléguait être incapable de faire quoi que ce soit;
15. Le 14 août 2008, le Plaignant a été examiné par l'infirmière désignée, madame Lucie Huard, pour le bénéfice de l'Employeur;
16. Le Plaignant a informé l'infirmière désignée que « dans la journée, je prends des marches et je taponne autour de la maison. Je ne suis pas capable de me concentrer (...) j'évite d'aller sur la route conduire car je manque de concentration », tel qu'il appert des notes de l'infirmière déposées en annexe sous la cote E-4;
17. Il est pour le moins paradoxal que le Plaignant affirme ne rien faire et être incapable de conduire alors que de façon concomitante à l'examen par l'infirmière désignée de l'Employeur il travaille à chaque jour sur la conduite de ses camions;
18. Confronté aux constats de l'infirmière désignée, Mme Lucie Huard, et aux résultats de la filature, l'Employeur a demandé l'avis du Dr. Blouin sur la légitimité de l'arrêt de travail du Plaignant;
19. Dr. Blouin a confirmé à l'Employeur que le Plaignant ne pouvait pas opérer son entreprise en travaillant alors qu'il alléguait être incapable de tout faire. Ses activités étaient clairement incompatibles;
20. Le 20 août 2008, l'Employeur a pris la décision de congédier le Plaignant en raison de ses activités incompatibles, tel qu'il appert de la lettre de congédiement déposée en annexe sous la cote E-5;
21. Le Plaignant recevait des prestations d'assurance-salaire parce qu'il affirmait être incapable de conduire alors qu'il avait clairement des activités manifestement incompatibles avec son état. De tels agissements entraînent un bris du lien de confiance ;
22. L'Employeur a congédié le Plaignant parce que ce dernier l'a induit en erreur en faisant de fausses déclarations sur son état de santé, lesquelles étaient incompatibles avec ses agissements et constituaient de la fraude;
23. Le Plaignant trompait son Employeur en obtenant des prestations d'assurance-salaire et se servait du temps où il s'était mis lui-même à l'écart du travail pour accomplir des travaux incompatibles avec son état et dont lui seul en retirait un bénéfice, c'est-à-dire pour son entreprise ;
24. Lors de la rencontre de congédiement, le Plaignant n’a rien dit. En aucun temps, l’Employeur a eu des nouvelles par la suite du Plaignant ;
25. Tous les faits allégués dans le présent affidavit sont vrais à ma connaissance."
2. L’affidavit de madame Lucie Huard, infirmière, daté du 13 juin 2012 :
"(…)
1. Je suis l'infirmière désignée de l'Employeur depuis février 1980;
2. Dans le cadre de la gestion usuelle des dossiers d'invalidité, j'ai communiqué avec le Plaignant pour lui poser différentes questions concernant son absence ;
3. Le 14 août 2008, j'ai donc discuté avec le Plaignant de son état de santé;
4. Le Plaignant m'a notamment informé qu'il était incapable de faire toute activité incluant la conduite d'un véhicule;
5. J'ai d'ailleurs pris des notes concomitantes résumant ma conversation avec le Plaignant sur lesquelles on peut y lire : « dans la journée, je prends des marches et je taponne autour de la maison. Je ne suis pas capable de me concentrer (...) j'évite d'aller sur la route conduire car je manque de concentration », tel qu'il appert de mes notes déposées en annexe sous la cote E-1;
6. Le Plaignant m'informait qu'il ne faisait rien de ses journées et qu'il était incapable de se concentrer à la moindre tâche;
7. Il est pour le moins paradoxal que le Plaignant affirmait ne rien faire et être incapable de se concentrer ou de conduire alors que de façon concomitante à mon suivi téléphonique, il travaille à chaque jour sur la conduite de ses camions lourds;
8. J'ai avisé les ressources humaines et le docteur Blouin de la présente situation;
9. Tous les faits allégués dans le présent affidavit sont vrais à ma connaissance."
3. L’affidavit du docteur André Blouin, médecin expert, daté du 20 juin 2012 :
"(…)
1. Je suis le médecin désigné de l'Employeur depuis octobre 2004 ;
2. Je suis un médecin expert dans le monde du travail depuis plusieurs années, tel qu'il appert de mon curriculum vitae déposé en annexe sous la cote E-1;
3. En août 2008, j'ai été informé par l'infirmière désignée que le Plaignant tenait des propos contradictoires avec ses activités réelles et véritables ;
4. L'Employeur m'a également avisé que le Plaignant avait fait l'objet d'une filature les 6, 7, 8 et 13 août 2008. Il m'a remis les DVD et rapports de filature pour obtenir mon opinion sur la compatibilité de ces activités versus le dossier médical du Plaignant et les constatations de l'infirmière désignée;
5. Il ressort de la filature que le Plaignant avait des activités clairement incompatibles avec sa prétendue invalidé ou avec les symptômes qu'il alléguait;
6. Il est pour le moins paradoxal que le Plaignant affirmait ne rien faire et être incapable de se concentrer ou de conduire alors que de façon concomitante à ces présumés symptômes, il travaille à chaque jour sur la conduite de ses camions lourds ;
7. J'ai avisé l'Employeur que le Plaignant ne pouvait pas opérer son entreprise en travaillant alors qu'il alléguait être incapable de tout faire. Ses activités étaient clairement incompatibles et il avait clairement menti à l'infirmière désignée;
8. Qui plus est, ses activités sont clairement incompatibles avec le diagnostic retenu par le médecin traitant. Le Plaignant ne peut opérer un équipement lourd sur une base régulière comme il le fait sur les DVD alors qu’il aurait un problème de santé mentale ;
9. Tous les faits allégués dans le présent affidavit sont vrais à ma connaissance."
B) LES AFFIDAVITS DÉPOSÉS PAR LE SYNDICAT
1. L’affidavit de monsieur Richard Craig daté du 16 avril 2013 :
"(…)
1- Je suis entré à l'emploi de White Birch Inc. (usine Stadacona), à l'époque Papeterie Reed, en 1982 à titre d'équipier de rappel.
2 - J'ai été transféré aux machines à papier vers 1992, où j'ai travaillé jusqu'en date de mon congédiement, le 20 août 2008.
3 - Je me suis absenté du travail à compter du 8 juillet 2008, en raison d'un trouble d'adaptation résultant d'une situation difficile et génératrice de beaucoup de stress :
- J'avais appris quelques semaines auparavant que ma fille souffrait de troubles d'apprentissage qui allaient nécessiter un encadrement et une éducation spécialisés pour le reste de ses jours.
- Ma femme venait de m'annoncer qu'elle avait l'intention de me quitter.
- J'étais en même temps épuisé professionnellement.
4- J'exploite en effet une petite entreprise de transport en vrac qui utilise les services de trois employés depuis 1987 et en même temps j'exerce mes fonctions au bénéfice de mon employeur.
5- En raison de mon trouble d'adaptation, j'ai consulté le Dr Gilles Berthelot qui m'a fourni un certificat médical que j'ai remis à l'employeur et que je produis en pièce S-3. J'ai expliqué à l'infirmière du service de santé, Mme Lucie Huard, la nature de mon problème puisque le médecin de l'usine était absent.
6- C'était la décision du Dr Berthelot de me placer en arrêt de travail et cette décision ne résulte pas d'une demande de ma part.
7- La semaine suivante j'ai consulté à nouveau le Dr Berthelot et j'ai à nouveau produit, aux fins d'assurances, un certificat médical que je produis en S-4. Le Dr Berthelot m'a alors prescrit des anti-dépresseurs.
8- Quelques semaines plus tard, je me suis à nouveau présenté au service médical pour rencontrer le médecin de l'usine qui a accepté le diagnostic de mon médecin traitant.
9- J'ai à nouveau rencontré mon médecin traitant le 29 juillet 2008 qui a maintenu son diagnostic.
10- J'ai encore rencontré le Dr Berthelot le 12 août 2008, qui a prolongé mon arrêt de travail jusqu'au 1 er septembre 2008 et je produis son rapport en pièce S-5.
11- Dans l'intervalle, j'avais discuté avec mon médecin traitant de la possibilité d'un retour partiel au travail, dans le but de faciliter ma guérison.
12- En allant au service médical de la compagnie, j'ai fait part à Mme Huard de mon intention de rentrer au travail à temps partiel avec possibilité de quitter le travail si je n'étais plus en mesure de travailler. Elle m'a répondu que ça ne se faisait pas.
13- J'ai demandé à mon médecin traitant, le Dr Berthelot, si je pouvais à l'occasion conduire, pour quelques heures, un camion de mon entreprise dans le but de me changer les idées. Il m'a répondu qu'il était d'accord dans le mesure où ça m'apportait une distraction.
14- J'ai donc conduit un camion de mon entreprise à quelques reprises pendant la durée de mon absence du travail à raison de quelques fois par semaine jusqu'à concurrence de 1, 2 ou 3 heures à la fois.
15- Ces activités ont été effectuées avec l'accord complet de mon médecin traitant et je ne m'en suis jamais caché.
16- Je n'ai jamais menti sur la nature de ma maladie et sur mon état de santé et à compter du moment où j'ai offert à l'employeur de rentrer au travail et que j'ai recommencé à conduire mon camion, je n'ai jamais mentionné à mon employeur que j'étais incapable de quelque activité que ce soit et je n'ai jamais camouflé mes activités.
17- Tout ce qui précède est vrai."
2. L’affidavit du docteur Gilles Berthelot, médecin traitant, daté du 21 août 2013 :
" (…)
1. Je suis médecin, membre du Collège des médecins et je suis dûment autorisé à pratiquer la médecine au Québec (permis no 180-340).
2. Je connais monsieur Richard Craig, dont je suis le médecin, depuis plusieurs années.
3. Monsieur Craig m'a déjà consulté pour des problèmes de nature psychiatrique (dépression majeure) à quelques reprises dans le passé, plus particulièrement en 1999/2000 et 2003, nécessitant des arrêts de travail et la prescription d'antidépresseurs.
4. Monsieur Craig m'a consulté à mon cabinet le 8 juillet 2008, souffrant d'anxiété aigüe, en pleurs, et se plaignant également de perte de concentration.
5. Monsieur Craig a fait état de divers stresseurs essentiellement de nature familiale. Monsieur Craig faisait face à une séparation possible.
6. J'ai alors prescrit un arrêt de travail qui m'apparaissait approprié compte tenu de l'histoire médicale de monsieur Craig et qui devait se prolonger jusqu'au 28 juillet 2008. Ce certificat est déjà produit en S-3.
7. C'est moi qui ai pris la décision de placer monsieur Craig en arrêt de travail et ce n'est pas lui qui l'a sollicité.
8. Je considérais alors et je considère toujours qu'il n'était pas en mesure de fournir sa prestation de travail.
9. Monsieur Craig m'a consulté à nouveau le 15 juillet 2008. Il était toujours très anxieux, se plaignant de perte de concentration, de perte d'intérêt et de motivation. Il était porté à pleurer et se plaignait également de symptômes physiques (douleurs musculaires, nausées, etc.).
10. J'ai alors émis le diagnostic d'anxiété aigüe avec éléments dépressifs importants, j'ai maintenu son arrêt de travail, d'une durée prévisible de 4 à 8 semaines et lui ai prescrit un antidépresseur, le Celexa, et je l'ai référé en psychologie. J'ai signé un formulaire destiné à la compagnie d'assurances SSQ qui est d'ailleurs produit en S-4.
11. J'ai revu monsieur Craig le 29 juillet 2008 et je n'ai constaté aucune amélioration de son état. J'ai noté au formulaire produit à la compagnie d'assurances un diagnostic d'anxiété aigüe et éléments dépressifs secondaires à un trouble d'adaptation. J'ai renouvelé sa prescription de Celexa et prolongé son arrêt de travail pour 4 semaines. Je produis ce formulaire en S-6.
12. Le 12 août 2008, monsieur Craig est venu à nouveau me consulter. Il présentait encore des problèmes de perte de concentration et de mémoire. Il présentait des signes d'anxiété et d'agitation nocturne.
13. J'ai à nouveau signé une autorisation d'absence jusqu'au 1 er septembre 2008 qui est déjà produite en S-5.
14. J'ai également signé un nouveau formulaire destiné à la compagnie d'assurances que je produis en S-7 dans lequel je maintiens un diagnostic d'anxiété aigüe, avec éléments dépressifs secondaires à un trouble d'adaptation. Je lui ai prescrit un renouvellement de son antidépresseur, le Celexa, et j'ai prescrit également un anxiolytique, le Rivotril. Je prévoyais alors que son arrêt de travail se prolongerait vraisemblablement jusqu'au 1 er septembre suivant, tout dépendant de son évolution.
15. Je considérais et je considère toujours que monsieur Craig était alors incapable de reprendre son travail à temps plein.
16. Il était toutefois en mesure de reprendre graduellement certaines activités.
17. Monsieur Craig aurait pu travailler quelques heures par jour, s'il avait eu le loisir de s'arrêter de travailler quand il ne s'en sentait plus capable mais cette solution, selon ses dires, n'était pas disponible à l'usine Stadacona.
18. Je sais que monsieur Craig avait repris, avec mon consentement, certaines activités dans son entreprise de transport.
19. Selon ce qu'il m'en a dit, ces activités se limitaient à conduire un camion à raison de quelques heures par jour, quelques jours par semaine «pour se changer les idées ».
20. Ces activités, dans sa propre entreprise, sont beaucoup moins génératrices de stress que son travail régulier et le fait que monsieur Craig ait réussi à les accomplir ne signifie pas qu'il était guéri ou qu'il était en mesure de reprendre son travail régulier à temps plein.
21. J'ai revu monsieur Craig, les 27 août et 22 septembre 2008 et je demeure d'avis que monsieur Craig est demeuré inapte à exercer son travail régulier à l'usine Stadacona jusqu'au 1 er septembre 2008, date à laquelle j'avais d'ailleurs prévu la fin de son arrêt de travail.
22. Tout ce qui précède est vrai."
IV - LA POSITION DES PARTIES
A) LA POSITION DE L’EMPLOYEUR
[7] Suivant l’Employeur, il est clair que monsieur Craig s’est délibérément permis de fausses représentations aux fins de percevoir indûment des prestations d’assurance-salaire. Pour s’en convaincre, il suffit de combiner les dénonciations de ses collègues de travail quant au fait qu’il s’occupait de son entreprise pendant son congé de maladie, les résultats de la filature complétée à sa demande, les affirmations contradictoires émises par monsieur Craig à l’infirmière Huard et à son médecin traitant à deux (2) jours d’intervalle seulement, avec l’opinion catégorique du médecin expert consulté et le défaut du médecin traitant de situer dans le temps l’autorisation qu’il aurait donnée à monsieur Craig de conduire un camion lourd.
[8] Aux dires de l’Employeur, il y a là des considérations convergentes qui laissent indéniablement croire à un comportement volontairement frauduleux ayant pour effet de le tromper et de permettre à son auteur de profiter illégalement d’avantages sociaux tout en opérant son entreprise personnelle. À lui seul ce comportement provoque nécessairement une atteinte du lien de confiance qui justifie, comme le confirme la jurisprudence à cet égard, une fin d’emploi immédiate, d’autant qu’en pareille matière d’exécution d’activités incompatibles avec un état allégué, il est généralement reconnu qu’on n’a pas à prendre en compte de facteurs atténuants comme on le fait dans d’autres circonstances.
B) LA POSITION DU SYNDICAT
[9] D’entrée de jeu, le Syndicat soumet qu’il revenait en l’occurrence à l’Employeur de démontrer avec prépondérance que monsieur Craig avait touché des prestations d’assurance-salaire sous de fausses représentations et au moyen d’une simulation, donnant ainsi à penser qu’il aurait plutôt été en état de reprendre son travail. À l’analyse de la preuve, il estime que ce fardeau n’a d’aucune façon été rencontré.
[10] De façon plus précise, le Syndicat suggère d’abord qu’on ne devrait pas tenir compte, d’une part, de l’affidavit de monsieur Brière parce qu’il rapporte des faits dont il n’a pas été témoin et parce qu’il y fait des commentaires non supportés et, d’autre part, de celui du docteur Blouin parce qu’il n’est pas indépendant et parce qu’il n’a pas examiné monsieur Craig; d’où l’impossibilité pour lui de justifier l’incompatibilité d’activités à laquelle il conclut. Quant à l’affidavit de l’infirmière Huard, il précise qu’on ne peut en comprendre que monsieur Craig ne faisait rien de ses journées, ainsi que le laisse entendre l’Employeur.
[11] Cela dit, le Syndicat plaide qu’on ne peut dans les circonstances confondre omission et mensonge. Même si on considérait que monsieur Craig a négligé de déclarer ses activités, on devrait néanmoins respecter le fait qu’il n’a pas été congédié pour avoir omis de le faire, mais bien pour avoir procédé par simulation ou par subterfuge pour percevoir des prestations d’assurance-salaire.
[12] Suivant le Syndicat, il est par ailleurs clair que la preuve ne permet pas de conclure à un tel subterfuge ou à une telle simulation puisqu’il est un fait indéniable que monsieur Craig était médicalement déclaré invalide et qu’il était presque en état de reprendre le travail sur une base progressive, ce qui n’est pas sans lien avec l’autorisation que lui aurait donnée son médecin de conduire un camion lourd sporadiquement.
[13] En conclusion, le Syndicat insiste sur cette dernière donnée qu’on peut peut-être questionner, selon lui, mais qui empêche indiscutablement de croire à une fraude. Rajoutant que monsieur Craig disposait d’une ancienneté importante et qu’il avait un dossier disciplinaire sans taches, le Syndicat m’incite à intervenir et à annuler à tous égards la mesure de congédiement qu’on lui a imposée.
V - ANALYSE ET DÉCISION
[14] Monsieur Craig a été congédié le 20 août 2008 pour avoir " obtenu des prestations d'assurance-salaire et un congé sans droit et sur de fausses représentations " ou pour avoir " frauduleusement obtenu un congé et des prestations d'assurance-salaire auxquelles (il) n’a(vait) pas droit ". Ainsi que le précise son avis de congédiement, l'Employeur a vu dans cette conduite alléguée un degré de gravité et un caractère de préméditation suffisamment importants pour atteindre irrémédiablement le lien de confiance qui l'unissait à monsieur Craig.
[15] À l'évidence, on se retrouve ici en matière disciplinaire puisque la nature même du comportement reproché tient de la volonté du salarié concerné. Il s'agit donc de vérifier d'abord si les faits qui supportent ce blâme ont par prépondérance été démontrés par l'Employeur qui a en l'occurrence le fardeau de la preuve, ensuite de décider, le cas échéant, s'il y a là une ou des fautes, et enfin, de déterminer si la sévérité de la sanction est ici en harmonie avec la gravité du ou des actes tenus pour fautifs.
[16] Dans le cadre de ces observations préliminaires, il y a lieu d'ajouter que le comportement jugé fautif par l'Employeur repose sur le fait que monsieur Craig aurait, pendant son congé pour invalidité qui a commencé le 8 juillet 2008, exercé des activités qui étaient incompatibles avec la condition de santé qu'avait diagnostiquée son médecin traitant.
[17] On sait qu'il est différentes situations qui peuvent mettre en cause des activités dites incompatibles avec une invalidité médicalement reconnue.
[18] Plus souvent, il a eu, et il y a encore, des cas où, à associer des actes ou des conduites observées ou révélées par la preuve, on croit pouvoir en induire que le salarié était capable d'accomplir son travail habituel, ce qui signifie nécessairement que l'invalidité alléguée était inexistante.
[19] Il y a par ailleurs ces espèces où des actes et conduites dites incompatibles auraient prétendument mis à risque la guérison du salarié, si bien que de ce fait sa période d'invalidité a été indûment prolongée.
[20] L'arbitre Jean-Pierre Lussier a tenu les propos suivants quant à l'une et l'autre de ces situations :
"Il va sans dire que la preuve revêt beaucoup d'importance, car suivant celle-ci, la ou les fautes du salarié peuvent avoir plus ou moins de gravité. Ainsi un employé en arrêt de travail pour cause de maladie commet une faute majeure, assimilable à de la fraude, s'il n'est pas malade. Il commet un abus de confiance si, bien que malade, il est en mesure de travailler. Par ailleurs, un employé malade posant un ou des gestes contrevenant à sa guérison, commet aussi une faute quoiqu'on puisse plus difficilement l'assimiler à une fraude ou à une tromperie. La sanction rattachée à ces fautes pourra donc varier selon le degré de gravité." [1]
[21] Dans ce cas précis, M e Lussier a conclu ainsi après avoir établi qu'il ne croyait pas qu'il y avait eu fraude :
"J'en conclus que le plaignant a contrevenu à son obligation de veiller à l'amélioration de son état de santé pour pouvoir reprendre son travail régulier le plus tôt possible. Quoique cette faute ne soit pas équivalente à une fraude, je n'ai aucune sympathie à l'égard du plaignant qui a agi en sorte d'induire son employeur à douter de son incapacité de travailler voire de l'existence même d'une maladie. Mais vu l'absence de preuve d'un dossier disciplinaire antérieur, j'estime que le congédiement est, en l'espèce, une sanction trop forte. Je crois donc qu'une réintégration à son emploi s'impose, mais par ailleurs il me paraîtrait tout à fait inéquitable d'accorder au plaignant quelque indemnité que ce soit. Il peut aussi s'estimer chanceux que, malgré son témoignage mensonger, la preuve médicale m'ait néanmoins incitée à croire en l'existence d'une maladie pour laquelle il devait s'abstenir de conduire son camion chez Shell. [2]
[22] Comme mon collègue Lussier, j'estime qu'on ne peut traiter également ces situations quand vient le temps de déterminer une sanction sur la base du degré de gravité de l'acte fautif. À mon sens, il n'en reste pas moins qu'elles mettent toutes les deux en cause les principes de loyauté et d'honnêteté sur lesquels repose notamment tout lien d'emploi ou de subordination. À cet égard, je m'en tiendrai à rapporter ce qu'expriment, sans faire de nuances ou de distinction, les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin au sujet des " fausses déclarations d'invalidité ".
"La falsification de certificats médicaux, les fausses déclarations d'invalidité et l'exercice d'activités incompatibles avec l'incapacité alléguée constituent des fautes qui atteignent le lien de confiance puisque le salarié enfreint son obligation de loyauté en tentant de percevoir, par le subterfuge de fausses déclarations, des avantages auxquels son état de santé ne lui donne pas droit. Ces manquements sont associés à de la fraude et sont jugés très sévèrement. (…) Faire de fausses déclarations afin de percevoir illégalement des prestations d'assurance-salaire ou une indemnité de remplacement du revenu de la CSST constitue un manquement grave qui affecte le lien de confiance essentiel à la relation d'emploi. Le congédiement est la mesure fréquemment imposée pour sanctionner le salarié qui a laissé croire à une inaptitude au travail pour cause de maladie." [3]
[23] Et, quant à savoir si un comportement déloyal ou malhonnête peut résulter en une fraude ou être qualifié d'acte frauduleux, il m'apparaît approprié de faire application de la démarche suivante fournie par la Cour suprême dans l'arrêt McKinley c. BC Tel :
"Bien qu'une jurisprudence abondante étaye ce point de vue, comme je l'ai mentionné plus haut, un second courant jurisprudentiel semble le contredire en laissant entendre qu'un comportement malhonnête constitue toujours un motif de congédiement, peu importe les circonstances qui l'ont entouré. Cependant, si on examine de plus près cette jurisprudence, on constate qu'elle favorise en réalité une approche contextuelle. Comme nous l'avons vu, il y était question de malhonnêteté symptomatique d'une conduite générale très grave. Dans la plupart des cas, les tribunaux étaient saisis d'allégations que l'employé avait projeté intentionnellement de tirer un profit ou gain pécuniaire auquel il n'avait pas droit, et ce, au détriment de son employeur. Un tel comportement s'apparentait souvent à un type de fraude grave et les tribunaux l'ont explicitement qualifié ainsi .
Cela étant, je suis d'avis qu'il ressort de la jurisprudence pertinente qu'il faut recourir à une approche contextuelle pour déterminer si la malhonnêteté d'un employé constitue un motif valable de congédiement. Dans certains cas, le recours à cette approche peut entrainer d'âpres résultats. D'après la jurisprudence examinée en l'espèce, il y a motif de congédiement lorsqu'on conclut qu'il y a eu vol, malversation ou fraude grave . Cela est compatible avec le raisonnement adopté dans l'arrêt Laque Ontario Portland Cement Corporation c. Groner, (1961) R.C.S. 553 , ou notre Cour a jugé qu'il y a matière à congédiement pour cause de malhonnêteté lorsqu'un employé agit frauduleusement à l'égard de son employeur. Ce principe repose nécessairement sur un examen de la nature de l'inconduite et des circonstances l'ayant entourée. Le tribunal qui ne procèderait pas à cet examen, ne pourrait pas conclure que la malhonnêteté dont on a fait preuve était de nature profondément frauduleuse et qu'elle était donc suffisante pour justifier un congédiement sans préavis .
(…)
Pour les motifs qui précèdent, je préconise un cadre analytique qui traite chaque cas comme un cas d'espèce et qui tient compte de la nature et de la gravité de la malhonnêteté pour déterminer si elle est conciliable avec la relation employeur/employé. Une telle approche réduit le risque qu'un employé soit pénalisé indûment par l'application stricte d'une règle catégorique qui assimile toutes les formes de malhonnêteté à un motif valable de congédiement. En même temps, cette approche soulignerait à juste titre que la malhonnêteté qui touche au cœur même de la relation employeur/employé peut constituer un motif valable de congédiement." [4]
[24] Bien qu'elle fasse aussi appel à ces mêmes concepts d'activités incompatibles avec une condition de santé alléguée, de loyauté, d'honnêteté et de fausses déclarations, l'espèce se distingue des deux genres de situations précédemment évoquées en ce que les blâmes adressés à monsieur Craig réfèrent à l'exécution d'activités incompatibles non déclarées de manière à tromper l'Employeur et à abuser du régime d'assurance-salaire. Autrement dit, l'Employeur lui reproche d'avoir menti au sujet de son état de santé et de s'être prêté à des activités incompatibles avec l'invalidité alléguée, ce qui ne signifie pas tant qu'il remettait en question le diagnostic posé par le médecin traitant, mais ce qui laisse plutôt voir clairement qu'il doutait de l'exactitude des déclarations que lui a faites son patient Craig, si bien que son diagnostic aurait pu en être faussé.
[25] L'arbitre Serge Brault a été saisi d'une affaire qui n'est pas sans similarité avec notre cas, à la différence toutefois que les affirmations de la personne salariée alors en cause à un médecin n'étaient pas mises en doute. Il a ainsi déterminé l'objet de son intervention :
"Cela dit, il nous faut examiner le bien-fondé des motifs de congédiement invoqués par l'Employeur. Ceux-ci étant identifiés, la première question est de savoir si les reproches effectivement faits à la plaignante sont bien fondés. La lettre de congédiement en comporte deux: premièrement, avoir contrevenu à l'obligation d'honnêteté en mentant sur la nature des activités exercées au sein de Mary Kay; deuxièmement, avoir contrevenu à l'obligation de loyauté en ayant un comportement incompatible avec son certificat médical, i.e. avoir travaillé pour/avec Mary Kay alors que son médecin l'avait déclarée totalement invalide." [5]
[26] Associant donc ces deux manquements identifiés à l'obligation de loyauté qui revenait à cette personne salariée, l’arbitre Brault a d'abord conclu qu'il n'y avait effectivement pas eu d’activités incompatibles, pour ensuite constater qu'il y avait eu mensonge et que, dans les circonstances , il n'y avait pas là matière à congédiement, mais à une suspension de deux (2) mois.
[27] Tenant compte de ces divers enseignements, il ne faudrait pas oublier qu’au fond il me revient de déterminer si la décision prise ici était supportée par une cause juste et suffisante, sachant qu'il ne s'agit pas pour moi de chercher à substituer capricieusement mon jugement à celui de l'Employeur, mais strictement de vérifier si elle n'est pas abusive ou déraisonnable.
[28] À cette fin, il me semble opportun de rappeler ce que j'estime être les éléments de faits déterminants permettant de dégager des constats susceptibles de mener à des conclusions.
[29] Je retiens donc essentiellement de la preuve :
29.1. qu'après avoir consulté son médecin le 8 juillet 2008, monsieur Craig l'a revu les 15 et 29 juillet suivants pour, à toutes fins utiles, se faire confirmer un diagnostic d'anxiété aigüe et d'éléments dépressifs secondaires à un trouble d'adaptation avec diminution de concentration et de motivation, qui lui a valu au 29 juillet 2008 un congé pour invalidité de quatre (4) semaines qui l'amenait au 1 er septembre 2008 et à un retour progressif qui était " à réévaluer ";
29.2. qu'au début d'août 2008, l'Employeur a appris de collègues de monsieur Craig qu'il profitait de son congé de maladie pour travailler pour son entreprise de transport en vrac;
29.3. qu'une filature exécutée les 6, 7 et 13 août 2008 a permis de constater que monsieur Craig avait opéré un camion 10 roues pendant 4 heures 24 minutes, 10 heures 20 minutes et 3 heures 25 minutes respectivement;
29.4. que le 12 août 2008, le médecin traitant confirmait que monsieur Craig serait en arrêt de travail jusqu'au 1 er septembre 2008 dépendant de son évaluation et dans une forme qui restait " à réévaluer ";
29.5. que monsieur Craig dit que, " dans l'intervalle (il) a(vait) discuté avec (son) médecin traitant d'un retour partiel au travail " avec possibilité de quitter le travail s'il était indisposé, ce qui aurait par la suite été déclaré irréalisable par l'infirmière Huard;
29.6. que, sans préciser de moment, le médecin traitant dit qu'il considérait monsieur Craig " en mesure de reprendre graduellement certaines activités ";
29.7. que, sans encore préciser de moment, monsieur Craig dit avoir demandé à son médecin traitant s'il pouvait " à l'occasion conduire, pour quelques heures, un camion de (son) entreprise, dans le but de (se) changer les idées " et encore là sans préciser de moment, que le médecin traitant confirme qu'il savait que " monsieur Craig avait repris certaines activités dans son entreprise de transport " et qu'il lui avait dit qu'elles " se limitaient à conduire un camion à raison de quelques heures par jour, quelques jours par semaine "pour se changer les idées" ";
29.8. que monsieur Craig dit qu'il n'a jamais menti sur son état de santé, mais le 14 août 2008, l'infirmière a pris en note qu'il lui aurait déclaré : " Dans la journée je prends des marches de 2 à 3 milles et je taponne autour de la maison. Je ne suis pas capable de me concentrer plus d'une heure à deux heures à la fois… Dit ne pas avoir le cœur à faire grand-chose. N'a pas sorti sa moto du cabanon de l'été. J'évite d'aller sur la route conduire (…) car je manque de concentration (…) J'ai des poussées d'énergie qui durent 15 minutes après je ne pense qu'à me coucher (…) ";
29.9. Le médecin traitant dit que les activités qu'il avait autorisées étaient " beaucoup moins génératrices de stress que (le) travail régulier " de monsieur Craig et que leur accomplissement ne signifiait pas qu'il était apte à reprendre son travail à temps complet.
[30] Je dirai d'abord au sujet de ces derniers propos qu'il s'agit là d'affirmations qui ne m'apparaissent pas pertinentes puisque la recherche de compatibilité n'est pas ici fonction du travail régulier de monsieur Craig chez l'Employeur, mais plutôt en regard de la condition de santé qu'il présentait au moment où il les a exécutées.
[31] Cela dit, il y a lieu d'ajouter qu'en matière de trouble d'adaptation générateur d'anxiété et d'éléments dépressifs comme c'est le cas en l'espèce, les symptômes déclarés par le patient, qui sont par définition subjectifs et qui sont au surplus difficilement objectivables, jouent un rôle déterminant dans l'établissement du diagnostic. À mon sens, ces situations s'apparentent à cet égard aux cas où des maux de dos sont en cause, si bien qu'en faisant les adaptations qui s'imposent les propos suivants s'appliquent ici :
"Les maux de dos constituent une affection particulière en ce que la symptomatologie n'est pas toujours facilement objectivable. En l'absence de fracture ou d'inflammation, la douleur en est souvent la seule manifestation. Or non seulement la douleur est-elle variable suivant les individus, mais encore on doit presque toujours s'en remettre au patient pour apprécier son intensité et son effet invalidant. Il va sans dire qu'ici, la simulation est plus à craindre que pour d'autres affections." [6]
[32] Dans cet ordre d'éléments qui caractérisent l'espèce, il y a aussi le fait que ce sont des collègues de travail de monsieur Craig qui ont informé l'Employeur de ses activités. Ces dénonciations s'avèrent intéressantes non pas pour ce qu'elles sont, mais bien pour ce qu'elles signifient. De toute évidence, elles expriment que ces travailleurs se préoccupent de la loyauté et de l'honnêteté qui devraient normalement apparaître des comportements de tout salarié. C'est dire qu'au stade de la détermination d'une sanction, le cas échéant, je devrai en tenir compte et faire en sorte qu'elle s'inscrive en harmonie avec cette considération, sous peine d'envoyer un signal malsain de banalisation de ces principes fondamentaux dans le milieu de travail.
[33] Considérant ces dernières observations et au terme de la minutieuse analyse que j'ai faite de la preuve, il m'apparaît plus vraisemblable que monsieur Craig s'est prêté à des activités incompatibles avec son état de santé et qu'il s'est par ailleurs permis des fausses représentations ou des mensonges, si bien qu'il a manifestement abusé du régime d'assurance-salaire, et par le fait même de la confiance de l'Employeur.
[34] Si je me fie à ce que l'Employeur disposait comme informations à la veille du congédiement de monsieur Craig - les attestations médicales qui confirmaient toutes un diagnostic d'invalidité suspendant l'exercice du travail régulier, les résultats de la filature et les notes de l'infirmière -, il est clair qu'il y avait une importante discordance entre ce que l'invalidité diagnostiquée signifiait, ce que le salarié exprimait être son quotidien et ce qu'il en était en réalité.
[35] Il relève du simple bon sens de penser qu'on ne peut, d'une part, se dire incapable de se concentrer une heure ou deux, de conduire une moto en raison de ce manque de concentration et avoir des poussées d'énergie durant une quinzaine de minutes seulement et, d'autre part, opérer entretemps un camion 10 roues pendant trois (3) heures vingt-cinq (25) minutes au minimum et dix (10) heures vingt (20) minutes au maximum au cours d'une journée! Et, cette proposition s'avère d'autant plus signifiante dans les circonstances, qu'il est manifeste que monsieur Craig agissait ainsi avant le début de la filature, le 6 août 2008, puisqu'il a été dénoncé au commencement du mois d'août.
[36] À sa défense, monsieur Craig invoque qu'il s'est montré disposé à revenir au travail après en avoir parlé à son médecin " dans l'intervalle ", a-t-il dit, ce qui nous ramènerait logiquement entre le 29 juillet et le 12 août 2008. Il ajoute que le docteur Berthelot l'a autorisé à conduire un camion " à l'occasion (…), pour quelques heures ", sans pour autant situer cette permission dans le temps.
[37] Étant donné que ce dernier est tout aussi évasif quant au moment où il a fourni cet endossement, il est dans l'ordre des choses de s'en remettre à ses propres écrits. On y constate qu'ils n'évoquent d'aucune façon cette autorisation, d'une part, et qu'ils fixaient, d'autre part, le retour au travail au 1 er septembre 2008, en prévoyant à une seule occasion (l'attestation du 29 juillet 2008) l'éventualité d'un " retour progressif ", mais en lien avec la date de retour établie au 1 er septembre 2008 et sujet à réévaluation.
[38] À conjuguer tous ces éléments, on peut difficilement faire autrement que d'en déduire que la demande alléguée de revenir partiellement au travail et l'autorisation de conduire occasionnellement n'ont pas été adressée et fournie avant que monsieur Craig ne commence à conduire un camion 10 roues. D'où l'inévitable conclusion qu'il aurait eu des activités incompatibles avec sa condition de santé hors même la connaissance de son médecin, ce qui est de nature à faire sérieusement douter à une simulation.
[39] On aura compris de ce qui précède qu'il était nécessaire que monsieur Craig place précisément dans le temps ces deux principales composantes de sa défense, sans quoi elles ne pouvaient efficacement contrer les effets de la preuve patronale.
[40] Ignorerais-je néanmoins cette suggestion que j'estime quand même ne pas pouvoir en arriver à un résultat qui serait de nature à disculper monsieur Craig.
[41] Si on prend pour acquis que monsieur Craig a manifesté son intérêt de revenir à temps partiel " dans l'intervalle " qui se situe entre le 29 juillet et le 12 août 2008 et qu'au mieux son médecin traitant l'aurait autorisé à conduire occasionnellement un camion 10 roues dans le même " intervalle ", il aurait certainement été de bon aloi qu'il profite de la rencontre qu'il a eue avec l'infirmière Huard, présumément dans le même " intervalle ", ou de celle qui a eu lieu le 14 août 2008, pour lui confirmer que le docteur Berthelot cautionnait l'une et l'autre de ces possibilités.
[42] Non seulement ne l'a-t-il pas fait, mais il a carrément agi au contraire en lui disant qu'il était incapable de se concentrer plus d'une heure ou deux, qu'il évitait de conduire sa moto en raison de ce déficit de concentration, qu'il avait des poussées d'énergie qui duraient une quinzaine de minutes, etc., alors qu'il savait pertinemment que sept (7) jours avant il avait été au volant d'un camion 10 roues de 7 h 30 à 17 h 00. Comment prétendre devant de pareilles considérations qu'il n'y a pas eu fausses représentations à l'adresse de l'Employeur et comment ne pas présumer que même le médecin traitant a été trompé?
[43] En ce qui a trait à ce dernier point, mon attention a été particulièrement attirée par la façon avec laquelle le docteur Berthelot exprime l'idée qu'il avait autorisé monsieur Craig à conduire un camion. Il dit d'abord: " Je sais que monsieur Craig avait repris, avec mon consentement " cette activité. Il ajoute aussitôt : " Selon ce qu'il m'en a dit " il s'en tenait " à conduire un camion à raison de quelques heures par jour, quelques jours par semaine ".
[44] Disons d'abord qu'il y a là une formulation qui donne à penser que l'autorisation en cause a été donnée a posteriori, c'est-à-dire une fois que monsieur Craig eut placé le docteur Berthelot devant le fait acquis qu'il lui arrivait de " conduire un camion à raison de quelques heures par jour, quelques jours par semaine, "pour se changer les idées" ", ce qui à première vue soulève un doute dans mon esprit.
[45] Mais il y a encore plus embarrassant pour monsieur Craig en ce que, pour sa part, il affirme avoir " conduit un camion à quelques reprises (…) à raison de quelques fois par semaine jusqu'à concurrence de 1, 2 ou 3 heures à la fois " alors qu'il a dit ce qu'on sait à l'infirmière Huard et qu'il a conduit un camion 10 roues les 5, 7 et 13 août 2008 le nombre d'heures qu'on sait aussi.
[46] De toute évidence, ce que monsieur Craig a déclaré à son médecin traitant au sujet de ses activités de conduite d’un camion était inexact, comme ce qu'il a dit de son quotidien à l'infirmière Huard. Il est donc permis de se demander si le docteur Berthelot aurait donné son consentement dans l'hypothèse où il aurait su qu'il dépassait ou encore qu'il avait déjà dépassé les " quelques heures par jour, quelques jours par semaine "pour se changer les idées" " allégués par monsieur Craig. Sachant cela et conscient que son diagnostic était étroitement lié aux déclarations de son patient, il est même sérieusement à se demander s'il l'aurait maintenu.
[47] Le moins que l'on puisse dire en pareilles circonstances est, qu'au pire, monsieur Craig a trompé son médecin traitant et a simulé son état, pour un temps minimalement, et, qu'au mieux, il n'a pas respecté sa consigne relative à la conduite d'un camion et s'est trouvé ainsi à tromper l'Employeur.
[48] Me fiant donc à la preuve dont je dispose et respectant la façon singulière avec laquelle elle a été administrée bien qu'elle ait été contraignante également pour ceux qui ont dû s'y ajuster, j'en viens à la conclusion que l'Employeur a satisfait à son fardeau de prouver l'existence d'une faute grave de déloyauté et de malhonnêteté. On m'a ainsi convaincu que monsieur Craig a abusé de la confiance que l'Employeur mettait en lui au point qu'il puisse à juste titre penser qu'il ne la méritait plus.
[49] Sanctionner le comportement en cause par un congédiement est certainement sévère; mais quand on prend en compte la nature frauduleuse de la faute commise, la réprobation qui y est associée de part et d'autre dans le milieu de travail et les conséquences néfastes qui pouvaient potentiellement en découler à plus d'un égard, je ne vois pas de raison de croire que cette décision serait d'une quelconque façon abusive ou déraisonnable. La clémence n'étant pas par surcroît de mon ressort, j'estime ne pas avoir d'autre choix que de surseoir à mon intervention.
VI - DISPOSITIF
[50] Pour tous ces motifs,
50.1. JE REJETTE à toutes fins que de droit le grief déposé au nom de monsieur Richard Craig, le 28 août 2008, lequel grief porte le numéro 658-98.
________________________________________________________________
EN FOI DE QUOI , j’ai signé à Québec, le ième jour de novembre 2013.
M e Jean-Guy Ménard, arbitre
[1] Produits Shell Canada Limitée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, local 2, arbitre : M e Jean-Pierre Lussier, 20 septembre 1988, p. 10
[2] Produits Shell Canada Limitée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, local 2, arbitre : M e Jean-Pierre Lussier, 20 septembre 1988, p. 15
[3] Les mesures disciplinaires et non-disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, L. Bernier, G. Blanchet, L. Granosik et E. Séguin, 2 e édition, Les Éditions Yvon Blais, paragraphes 13.450 et 13.495
Voir aussi:
L'obligation de loyauté du salarié, F. Hébert, Édition Wilson & Lafleur, 1995, p. 81 et suivantes
[4]
McKinley c. BC Tel,
[5] Caisse populaire Desjardins D'Aylmer et Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section local 57, arbitre : M e Serge Brault, 26 janvier 2000, p. 36
[6] Produits Shell Canada Limitée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, local 2, arbitre : M e Jean-Pierre Lussier, 20 septembre 1988, p. 10