Hasanbegovic c. Makaci |
2014 QCCQ 662 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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No : |
200-32-057693-128 |
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DATE : |
30 janvier 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PIERRE A. GAGNON, J.C.Q. [JG-2320] |
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MUNIBA HASANBEGOVIC […] Québec (Québec) […]
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Demandeur |
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c. |
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CHERIF MAKACI […] Québec (Québec) […]
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] À l'occasion d'une dispute avec M. Makaci, Mme Hasanbegovic reçoit un coup à la bouche.
[2] Mme Hasanbegovic réclame 5 000 $ en dommages-intérêts pour les dommages physiques, psychologiques et moraux découlant de ce coup à la bouche.
[3] M. Makaci prétend que c'est plutôt Mme Hasanbegovic qui est l'agresseur. Se portant demandeur-reconventionnel, il réclame 7 000 $ pour les fausses accusations, les mensonges et le harcèlement dont il est victime.
Questions en litige :
[4] Le coup à la bouche que Mme Hasanbegovic reçoit lors de sa dispute avec M. Makaci est-il de la faute de M. Makaci?
[5] La demande-reconventionnelle de M. Makaci est-elle bien fondée?
Le contexte :
[6] M. Makaci débute un emploi chez Avico en juin 2009. À cette époque, Mme Hasanbegovic y travaille. Au cours de l'automne 2009, ils développent une relation d'amitié. Cette relation d'amitié se transforme en relation amoureuse à compter de juin 2010.
[7] Alors qu'il débute comme ouvrier, M. Makaci devient chef d'équipe au sein d'Avico. L'un des membres de son équipe est Mme Jacqueline Forero. Mme Hasanbegovic et Mme Forero se connaissent bien puisqu'elles habitent le même immeuble à logements.
[8] Avec le temps, Mme Hasanbegovic soupçonne Mme Forero d'entretenir une relation amoureuse avec M. Makaci. Par contre, M. Makaci l'aurait toujours nié.
[9] Le 1 er juillet 2012, à 4h00 du matin, Mme Hasanbegovic n'arrive pas à dormir. Alors qu'elle grille une cigarette, elle constate que la voiture de sa voisine, Mme Forero, n'est pas là. Elle prend le volant et se dirige au logement de M. Makaci. Elle découvre ce qu'elle redoute : la voiture de Mme Forero est garée non loin de l'immeuble où habite M. Makaci.
[10] Il est 4h20 du matin. Mme Hasanbegovic emprunte l'escalier intérieur de l'immeuble et cogne à la porte de l'appartement de M. Makaci. Elle insiste. Mme Forero se réveille. Elle réveille à son tour M. Makaci qui se dirige à la porte. Mme Hasanbegovic se met à crier, sommant M. Makaci de lui ouvrir la porte. Elle veut savoir avec qui M. Makaci la trompe. Ses cris réveillent le concierge, M. Jean-Marc Savary qui lance : « Ça va faire le chialage ».
[11] Devant le refus de M. Makaci d'ouvrir la porte de l'appartement, Mme Hasanbegovic se dirige à l'arrière de l'immeuble. Elle se met à cogner sur la porte vitrée arrière de l'appartement de M. Makaci. Il lui propose alors de la rencontrer à l'extérieur et, à cette fin, passe par la porte avant.
[12] M. Makaci et Mme Hasanbegovic se rencontrent sur le côté de l'immeuble. Les événements se bousculent et les parties se contredisent. La suite sera donc analysée dans la section des témoignages sur l'événement.
[13] Chose certaine, Mme Hasanbegovic reçoit un coup sur la bouche qui lui cause un trauma aux incisives centrales supérieures et inférieures.
[14] À 4h36, les policiers sont appelés sur place. Ils recueillent la version des faits de chacun des témoins.
[15] Mme Hasanbegovic consulte à l'urgence. On diagnostique un trauma aux incisives centrales supérieures et inférieures. Le médecin la met en arrêt de travail pour une semaine et lui prescrit de voir un médecin pour un suivi.
[16] Le 3 juillet 2012, Mme Hasanbegovic consulte à nouveau le médecin qui diagnostique un trauma crânien mineur, une plaie à la lèvre supérieure et une contusion au visage. Il suggère à Mme Hasanbegovic de consulter un dentiste.
[17] Le 6 juillet 2012, Mme Hasanbegovic consulte le dentiste Pierre Martin. Il constate une sensibilité aux dents numéros 11-21 mais, suite à la prise d'un scanner et deux périapicales, ne constate pas de fracture ou mobilité de ces dents. Il prescrit des anti-inflammatoires.
[18] Mme Hasanbegovic consulte à nouveau le 10 juillet 2012 pour une douleur aiguë aux dents et au niveau du bas du nez. Le dentiste lui prescrit antibiotique et anti-inflammatoire.
[19] Le 19 juillet 2012, Mme Hasanbegovic est revue en contrôle et n'aura plus de suivi par la suite.
[20] Mme Hasanbegovic doit porter un masque au travail pendant une période de deux semaines.
[21] Mme Hasanbegovic retrouve une vie normale à compter d'octobre 2012 bien qu'elle ressente encore aujourd'hui une certaine sensibilité au niveau de la lèvre lorsqu'il fait très froid.
[22] M. Makaci a porté plainte à la police contre Mme Hasanbegovic, en raison de l'événement du 1 er juillet 2012. Au cours de la première semaine de novembre 2012, Mme Hasanbegovic s'est engagée auprès des policiers à ne plus importuner M. Makaci ni à se rendre au domicile de M. Makaci.
Les témoignages contradictoires sur l'événement :
Témoignage de M. Makaci :
[23] M. Makaci affirme qu'en avril 2012, suite au mariage du fils de Mme Hasanbegovic, M. Makaci l'a informée de sa relation avec Mme Forero. Elle lui aurait répondu : « Tu peux sortir avec n'importe quelle québécoise, mais tu ne peux sortir avec cette prostituée ». Pour M. Makaci, Mme Hasanbegovic n'accepte pas la rupture du couple et encore moins que ce soit Mme Forero qui soit la nouvelle compagne de M. Makaci.
[24] Le 1 er juillet 2012, Mme Hasanbegovic se présente à 4h20 du matin, frappe à la porte et demande de l'ouvrir afin de : « Rentrer voir la prostituée qui est avec toi ». M. Makaci l'invite à retourner chez elle.
[25] À l'extérieur, M. Makaci lui explique que Mme Forero est sa « blonde » et lui demande si elle comprend. Mme Hasanbegovic devient hystérique :
Ø elle le pousse;
Ø elle lui crache au visage et,
Ø elle finit par lui donner une gifle avec sa main gauche sur sa joue droite.
[26] Voyant qu'elle s'apprête à le gifler à nouveau, M. Makaci lui prend les deux poignets pour la maîtriser. Alors qu'elle est hystérique et tente de se dégager, elle fait un mouvement de l'avant à l'arrière et se cogne la bouche sur la tête de M. Makaci. Elle est sur une marche à l'avant de l'immeuble et donc plus haute que M. Makaci. Il tente de la guider vers sa voiture pour qu'elle retourne chez elle, mais elle veut entrer dans l'immeuble. Il l'en empêche et sur l'entrefait, les policiers arrivent.
[27] M. Makaci est catégorique : Il n'a jamais levé la main sur Mme Hasanbegovic ni ne lui a asséné de coups de poing.
Témoignage de Mme Jacqueline Forero :
[28] En avril 2012, Mme Forero porte plainte à la police contre Mme Hasanbegovic pour harcèlement.
[29] Le 1 er juillet 2012, Mme Forero est dans l'appartement avec M. Makaci. C'est elle qui réveille M. Makaci puisqu'elle entend cogner à la porte. M. Makaci dit à Mme Hasanbegovic qu'elle n'a rien à faire ici et qu'elle doit retourner chez elle.
[30] Mme Forero observe par la fenêtre les événements qui se déroulent devant l'immeuble. Elle voit Mme Hasanbegovic frapper M. Makaci avec ses mains et M. Makaci lui prendre les deux mains pour se protéger. Elle entend à plusieurs reprises M. Makaci lui dire « Tu n'as rien à faire ici », mais Mme Hasanbegovic ne l'écoute pas.
[31] Mme Forero confirme que Mme Hasanbegovic n'est pas au courant de la liaison amoureuse qu'elle entretient avec M. Makaci. Mme Hasanbegovic l'apprend la nuit du 1 er juillet 2012.
Témoignage de M. Jean-Marc Savary :
[32] M. Savary est concierge et connaît M. Makaci depuis quelques années. Le 1 er juillet 2012, il entend cogner très fort dans l'immeuble et intervient en disant : « Cela va faire le cognage à la porte ».
[33] Par la suite, il observe par la fenêtre de son appartement Mme Hasanbegovic couchée sur le gazon qui gesticule sans arrêt et entend les voisins crier : « Vos gueules, on veut dormir ». Mme Hasanbegovic crie et M. Makaci tente de la calmer. Il entend, à plusieurs reprises, le mot « prostitute ».
Témoignage de Mme Hasanbegovic :
[34] Mme Hasanbegovic affirme que M. Makaci a toujours nié entretenir une relation amoureuse avec Mme Forero. Elle l'a questionné à plusieurs reprises à ce sujet avant l'événement du 1 er juillet 2012.
[35] Mme Hasanbegovic explique qu'elle a utilisé le mot prostitute parce qu'elle voulait expliquer à M. Makaci qu'elle n'était pas une prostituée. Elle admet qu'elle était très fâchée et en pleurs.
[36] Mme Hasanbegovic nie avoir craché sur M. Makaci ou l'avoir giflé. Après l'incident, M. Makaci s'est mis à fumer une cigarette. Elle a alors tenté de retourner dans l'immeuble et M. Makaci lui a tiré les cheveux pour l'en empêcher.
[37] Mme Hasanbegovic ne peut confirmer d'où origine exactement le coup qu'elle reçoit : de la tête ou du poing de M. Makaci.
Analyse et motifs :
[38]
Les deux parties invoquent l'article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[39] Pour réussir dans leur demande, chacune d'elles doit prouver, par prépondérance de preuve [1] , que l'autre partie a commis une faute qui lui a causé un dommage.
- la faute de M. Makaci
[40] Mme Hasanbegovic doit prouver que le coup qu'elle a reçu découle de la volonté de M. Makaci de lui administrer ce coup et non d'un malheureux accident.
[41] À l'audience, tant Mme Hasanbegovic que M. Makaci affirme que Mme Hasanbegovic n'a reçu qu'un seul coup au visage. M. Makaci affirme que, par accident, le bas du visage de Mme Hasanbegovic s'est heurté à sa tête. Mme Hasanbegovic pense plutôt qu'il lui a asséné un coup de poing quoiqu'elle n'exclue pas le coup de tête.
[42] Tant dans sa mise en demeure que dans sa demande, Mme Hasanbegovic affirme que M. Makaci lui a « assailli un coup de tête et des coups de poings au visage suite à une dispute ». Une telle affirmation implique nécessairement la volonté de M. Makaci de la blesser. Or, à l'audience, Mme Hasanbegovic reconnaît qu'il n'y a eu qu'un seul coup.
[43] De plus, dans sa mise en demeure, Mme Hasanbegovic reproche à M. Makaci « de m'avoir propulsé violemment sur le sol en tirant sur mes cheveux » alors qu'à l'audience elle dit qu'elle n'est pas tombée.
[44] Face à ces contradictions, et compte tenu des témoignages à l'audience, le Tribunal préfère la thèse du coup de tête accidentel.
[45] En effet, les circonstances de l'événement permettent de conclure à l'accident. Mme Hasanbegovic est hystérique puisqu'elle se sent trahie par M. Makaci. Il est probable que certaines portions des événements du 1 er juillet 2012 lui échappent.
[46] Ainsi, le Tribunal conclut que Mme Hasanbegovic a été victime d'un malheureux accident qui découle d'une dispute qu'elle a elle-même initiée. Le coup qu'a reçu Mme Hasanbegovic ne découle pas de la faute de M. Makaci.
- La faute de Mme Hasanbegovic
[47] L'événement du 1 er juillet 2012 découle en grande partie du fait que M. Makaci n'a pas révélé franchement à Mme Hasanbegovic le fait qu'il mettait fin à leur relation amoureuse. À tout le moins, la preuve révèle clairement que Mme Hasanbegovic n'a pas compris cela.
[48] M. Makaci ne peut reprocher à Mme Hasanbegovic sa réaction du premier juillet 2012 à la découverte de la réalité. Mme Hasanbegovic ne se rend pas au domicile de M. Makaci pour l'agresser, mais pour confirmer ou non son impression. La colère qu'elle manifeste s'explique par les circonstances et le sentiment de trahison qu'elle vit alors.
[49] Depuis, Mme Hasanbegovic s'est engagée auprès des policiers à ne plus importuner M. Makaci ni à se rendre au domicile de M. Makaci. Ce faisant, elle a confirmé sa volonté de ne plus récidiver.
[50] Dans les circonstances, le Tribunal rejette la demande reconventionnelle.
[51] Le Tribunal souhaite aux deux parties de se réconcilier, compte tenu de leurs relations toujours existantes au travail. À cette fin, chaque partie devra assumer ses frais [2] .
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la demande principale;
REJETTE la demande reconventionnelle;
LE TOUT , chaque partie payant ses frais.
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__________________________________ PIERRE A. GAGNON, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
16 décembre 2013 |
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