Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SFMM/SCFP) et Montréal (Ville de) — Bibliothèque interculturelle («BIC») — arrondissement Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce (grief syndical) |
2014 QCTA 63 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL |
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N o de dépôt : 2014-2793 |
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Dossier de l’arbitre : |
#DS-1361 |
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Date : |
Le 12 février 2014 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
M e Diane Sabourin , c.r.h.a. |
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Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SFMM/SCFP) |
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Ci-après appelé « le Syndicat » |
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Et |
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Ville de Montréal
- Bibliothèque interculturelle («BIC»)
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Ci-après appelé « l’Employeur » |
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Plaignant : |
Syndicat («Bloc protégé» d’heures de travail,
réclamés pour
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Nature du grief : |
· Non-respect de l’Entente EV-96-94 , signée le 3 septembre 1996, relative aux étapes d’assignation des employé(e)s auxiliaires - emplois spécialisés «bibliothèque», au Service de la culture, des sports et loisirs et du développement social · Critères pour l’évaluation de la crédibilité des témoins |
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N o de grief du Syndicat : |
#V-AP-2011-0387 |
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Convention collective : |
2007-2010, prolongée jusqu’au 31 décembre 2011 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Articles
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[1]
Je suis saisie d’
un
grief
syndical
(pièce
S-2
) que le Syndicat a déposé le 22 décembre 2011,
auprès de l’Employeur, sous la plume de Mme Francine Bouliane, alors
vice-présidente au SFMM, afin de contester le fait que l’Employeur
n’a pas
offert un «bloc protégé»
d’heures de travail à M. Laurent Frotey («le
plaignant»), alors aide-bibliothécaire auxiliaire, qui était disponible et qui
était le plus ancien,
à la Bibliothèque interculturelle (voir le site web du «BIC», comme pièce V-
3).
[2] Pour une meilleure compréhension du présent litige, je crois opportun de reproduire les extraits pertinents de cet avis de grief S-2 :
« Contrairement aux dispositions de la convention collective et de la lettre d’entente E.V. 96-94, le ou vers le 27 août 2011, l’Employeur n’a pas offert un bloc d’heures protégé, d’une journée , à monsieur Laurent Frotey (matricule 770784000), aide-bibliothécaire auxiliaire à la bibliothèque Côte-des-Neiges, arrondissement de Côte-des-Neiges - Notre-Dame-de-Grâce, alors qu’il était disponible pour l’effectuer.
Nous contestons cette situation et réclamons de l’Employeur, le respect et l’application de la lettre d’entente E.V. 96-94 , qu’il rémunère monsieur Frotey, comme s’il avait effectué ledit bloc d’heures protégé , et ce, rétroactivement à la date à laquelle le bloc d’heures débutait, le tout sans perte de traitement, droits, privilèges et avantages conformément à la convention collective. Nous réclamons également les intérêts et l’indemnité prévus au Code du travail du Québec, une compensation monétaire pour tout préjudice fiscal en découlant, et ce, sans préjudice aux autres recours pouvant être exercés.
Comme le prévoit l’alinéa 21.03 b) de notre convention collective, nous vous informons que nous sommes disponibles pour rencontrer le représentant désigné de l’employeur, dans les vingt (20) jours ouvrables du dépôt de ce grief, afin d’en discuter. Pour ce faire, veuillez communiquer avec la soussignée . »
(Soulignement et caractères gras ajoutés).
[3] La preuve offerte lors de l’unique journée d’audience dans la présente affaire, comprend notamment, outre les 40 pages de notes manuscrites prises lors de cet arbitrage, par l’arbitre soussignée :
3.1. les 14 pièces déposées au total, soit 4 par le Syndicat et 10 par l’Employeur ;
3.2. les 2 témoins ci-dessous énumérés :
· 1 pour la partie syndicale : Le plaignant , qui est à l’emploi de la Ville depuis octobre 2004 et qui, après plusieurs remplacements, dont un à la Bibliothèque interculturelle («BIC») présentement en cause, a finalement obtenu sa permanence en juin 2013, à la Bibliothèque Notre-Dame-de-Grâce ;
·
1
pour la partie
patronale
:
Mme
Valérie Comte
qui, depuis le début de son emploi pour la Ville, en janvier
2009, est chef de section
(voir l’organigramme V-2) à la présente Bibliothèque interculturelle («BIC»),
ainsi qu’à la Bibliothèque Benny, soit 2 des 4 bibliothèques de
l’arrondissement concerné.
[4] Les 6 admissions suivantes ont aussi été faites, oralement, lors du présent arbitrage :
4.1. La procédure de griefs et d’arbitrage , qui est prévue dans la Convention collective 2007-2011 (pièce S-1 en liasse), a dûment été suivie ;
4.2. L’arbitre soussignée a compétence pour entendre le grief S-2 précité ;
4.3. Advenant que le présent grief soit accueilli, l’arbitre soussignée conserve sa compétence pour fixer le quantum ;
4.4. La question en litige est la suivante : Est-ce que le «bloc protégé» du mardi, de 12h à 18h, qui était disponible à l’automne 2011, a ou non été offert au plaignant, conformément à la Lettre d’entente EV 96-94 (V-1 ) ?
4.5. La pièce S-3 f) constitue le formulaire de disponibilité que le plaignant a transmis par télécopieur, le 28 août 2011, à la Bibliothèque interculturelle, alors que la pièce V-9 représente le formulaire de disponibilités que le plaignant a signé le 25 août 2011 et remis dans le pigeonnier de Mme Valérie Comte susmentionnée.
N.B. : Même s’il s’agit
du même formulaire, voici que les informations complétées par le plaignant, de
façon manuscrite, sur S-3 f) et V-9
ne sont pas les mêmes, comme celui-ci a eu l’occasion de nous l’expliquer lors
de son témoignage ;
4.6. À l’automne 2011, le plaignant était alors l’aide-bibliothécaire auxiliaire ayant le plus d’ancienneté (pièce S-3 b)), pour les fins de l’offre en litige.
[5] Alors que le plaignant était encore en vacances à l’été 2011, la chef de section (Mme Valérie Comte) de la Bibliothèque interculturelle (où il était alors aide-bibliothécaire auxiliaire), lui a adressé un courriel (pièce V-5 a)) , le 18 août 2011 :
5.1.
D’une part, pour lui demander de
choisir un (des) bloc(s) d’heures
de travail
pour l’automne 2011, à partir de l’offre de blocs jointe en
fichier attaché et faite sous forme de tableau (pièce V-5 b)) ;
5.2. D’autre part, pour lui demander ses disponibilités de remplacement , étant entendu que le plaignant devait compléter le formulaire de disponibilités dès son retour de vacances.
[6] La réponse du plaignant figure dans son courriel du 19 août 2011 (pièce V-6 a)), réponse dans laquelle :
6.1.
Il lui indique d’abord qu’il va «
prendre
le bloc #7
»,
soit le vendredi
(de 10h à 18h), le samedi (de 10h à 17h15) et le dimanche (de 10h à 17h), ce
qui totalise 19,5 heures par semaine ;
6.2.
Cependant, il lui mentionne également qu’il
aimerait travailler 4
jours
par semaine, «
avec le lundi
»
, si cela était possible ;
6.3.
Il termine enfin son courriel V-6 a) en prévenant d’avance sa
gestionnaire qu’il
ne va pouvoir prendre beaucoup de remplacements
en
sus,
que ses disponibilités de remplacement seront pour tous les jours et ce, «
même
si je ne pense pas en prendre souvent
», à cause de ses études qu’il
poursuit en parallèle, d’ajouter le plaignant lors de son témoignage.
[7]
Le même jour, la gestionnaire
Mme Valérie Comte répond ceci
au
plaignant, toujours par courriel (cette fois-ci sous V-6 b)), réponse qui ne
comporte que les
2 courtes phrases suivantes :
7.1. « C’est bon, j’ai ajouté le lundi , de 12h à 17h, pour cette fois-ci » ;
7.2. « Les blocs débutent le 27 août » ;
7.3.
À noter que
la version finale
des blocs d’heures de travail du
plaignant, pour l’automne 2011, figure à la pièce
V-7
, soit du vendredi
au lundi
(4 jours), pour un total de 24,25 heures par semaine.
[8] À son retour de vacances estivales 2011 , que le plaignant est incapable de situer avec une date précise, mais qui vraisemblablement a eu lieu à la fin août, voici la séquence des principaux éléments suivants :
8.1. Le 25 août 2011 , du moins selon la date qui est indiquée au bas du formulaire de disponibilités, le plaignant a inscrit, de façon manuscrite, ses disponibilités pour l’automne 2011 (du 28 août au 31 décembre 2011), formulaire (pièce V-9) qu’il a ensuite déposé dans le pigeonnier de sa supérieure Mme Comte ;
8.2. Le lendemain, soit le 26 août 2011 , selon la date qui est indiquée sur le bordereau de transmission par télécopieur, le plaignant a inscrit d’autres disponibilités et a ensuite faxé cet autre même formulaire (pièce S-3 f)) , au numéro de télécopieur de la Bibliothèque interculturelle ;
8.3. Le plaignant a expliqué les différences figurant sur ces 2 mêmes formulaires (V-9 et S-3 f)) du fait qu’il s’était trompé en recopiant ses nombreuses disponibilités (en termes de jours et d’heures) ;
8.4. Pour le reste, voir à ce sujet la 5 e admission précitée au dossier.
[9]
À l’automne 2011, le plaignant suivait
3 soirées de cours à
l’Université
(mardi, mercredi et jeudi), de 19h à 22h, en débutant avec les jeudi 1
er
septembre, mardi 6 septembre et mercredi 7 septembre 2011.
[10] Le fondement de sa réclamation (via le grief syndical S-2 précité) réside essentiellement dans les 2 affirmations suivantes :
10.1. On ne lui a pas offert le «bloc protégé» présentement en litige (soit celui du mardi, de 12h à 18h) et ce, ni par écrit, ni verbalement ;
10.2. C’est plutôt Mme Heide Kotzmuth qui l’a obtenu (pièce V-8) .
[11] Quant aux 2 principaux motifs de la réclamation du plaignant, il s’agit des suivants :
11.1. Le plaignant était alors disponible pour occuper la totalité de ce «bloc protégé» d’heures de travail, comme le requiert la Lettre d’entente EV 96-94 du 3 septembre 1996 (pièce V-1), notamment à son article 3 ;
11.2. Le plaignant était alors le fonctionnaire auxiliaire qui avait le cumul d’heures le plus élevé à la Bibliothèque interculturelle, comme le requiert cette fois-ci l’article 1 de cette même Lettre d’entente, et tel que cela appert de la 6 e admission précitée au dossier, ainsi que de la pièce S-3 b).
[12] Bien que le plaignant affirme n’avoir appris qu’à la mi-septembre 2011 que le «bloc protégé», qui avait initialement été offert à Mme Annelise Carle, avait finalement été offert à Heide Kotzmuth… pour débuter dès le mardi 6 septembre :
12.1. Voici que ce n’est qu’au cours du mois de novembre 2011 que le plaignant a entrepris des démarches auprès de son délégué syndical, soit M. Pierre Gélinas (pièce S-3 en liasse) ;
12.2. Voici aussi que ce n’est que le 22 décembre 2011 que le Syndicat a déposé, pour et au nom du plaignant, le grief S-2 précité, afin de se plaindre du fait que l’Employeur ne lui avait pas offert un «bloc protégé» protégé, « le ou vers le 27 août 2011 ».
[13]
Mme Valérie Comte, chef de section à la Bibliothèque interculturelle
(voir le site web du «BIC» sous V-3 et les plans de cette bibliothèque sous S-4
en liasse), nous a d’abord parlé en ces termes de la
Lettre d’entente EV
96-94 (pièce V-1)
que les 2 parties présentement en litige ont signée le 3
septembre 1996, en ayant soin d’attirer notre attention sur les extraits
pertinents de cette Lettre d’entente
EV 96-94, déposée comme première pièce patronale au dossier :
13.1. Selon la partie I, intitulée «Définitions», la notion de « bloc d’heures » est ainsi définie : « Désigne le nombre d’heures de travail offert à un fonctionnaire auxiliaire (bloc d’heures) selon les besoins de l’employeur » ;
13.2. Toujours dans cette même partie I, le « bloc protégé » s’y trouve défini : « Désigne le nombre d’heures de travail offert à un fonctionnaire auxiliaire (bloc protégé) appartenant à un autre fonctionnaire auxiliaire temporairement absent » ;
13.3. Dans la partie III, plutôt intitulée «Étapes de comblement», la toute première étape à suivre pour accorder un « bloc d’heures » est la suivante selon l’article 1 : «[Au] Fonctionnaire auxiliaire ayant le cumul d’heures le plus élevé dans le port d’attache et étant actif dans ce dernier, au moment de l’offre des blocs » ;
13.4. Quant au «bloc protégé», l’article 3 de cette même partie III prévoit plutôt que ce « bloc protégé » est d’abord accordé : «[Au] Fonctionnaire auxiliaire ayant le cumul d’heures le plus élevé du port d’attache, et ayant la disponibilité requise pour occuper la totalité de ce bloc ».
[14] Quant aux démarches que cette chef de section a suivies en vue d’offrir les « blocs d’heures» disponibles à l’automne 2011 , Mme Comte les a ainsi décrites :
14.1. Elle a débuté par le plaignant (via le courriel V-5 a) du 18 août 2011), parce qu’il était celui qui avait le cumul d’heures le plus élevé à la Bibliothèque interculturelle (selon la 6 e admission et selon la pièce S-3 b)) ;
14.2. Le plaignant avait le premier choix parmi les 16 blocs alors disponibles pour les aide-bibliothécaires auxiliaires (V-5 b), jointe au courriel V-5 a)) ;
14.3. Il a choisi le bloc #7 et elle a accepté sa demande d’ajout pour le lundi (pièce V-6 en liasse) ;
14.4. Le plaignant a donc obtenu ce qu’il voulait , soit du vendredi au dimanche , ainsi que le lundi, pour un total de 24,25 heures par semaine (pièce V-7) ;
14.5. C’est ainsi qu’ au 19 août 2011 , tous les «blocs d’heures» avaient déjà été distribués.
[15] Mais voici que ce même vendredi 19 août 2011, Mme Annelise Carle est venue voir la chef de section, Mme Valérie Comte, pour lui demander un congé d’études à temps partiel :
15.1. Elle avait choisi le bloc #8 , qui comportait des heures de travail pour les samedi et dimanche, ainsi que le mardi p.m. ;
15.2. Or, malheureusement pour elle, les heures du mardi (de 12h à 18h) entraient en conflit avec ses cours ;
15.3. Ce «bloc d’heures» devenait alors un «bloc protégé» , au sens de la Lettre d’entente EV 96-94 (pièce V-1), d’ajouter Mme Comte ;
15.4. Elle devait d’abord l’offrir au plaignant , étant donné qu’il était le fonctionnaire ayant le cumul d’heures le plus élevé au «BIC» ;
15.5. Mais comme ce dernier était toujours en vacances à l’extérieur du pays et qu’il ne revenait au travail que jeudi le 25 août 2011, Mme Comte « a pris de l’avance », comme elle l’a ainsi expliqué ;
15.6. «Conditionnel au refus du plaignant» , elle a offert le «bloc protégé» en suivant l’ordre indiqué sur la liste d’ancienneté (pièce S-3 b)) ;
15.7. C’est ainsi que le mardi 23 août 2011 , Mme Naima Kared a dit «non» ; le mercredi 24 août , Mme Nathalie Pelletier a aussi décliné cette offre ;
15.8.
Arrivé au tour de Mme Heide Kotzmuth, cette dernière
a accepté
conditionnellement l’offre de «bloc protégé»
faite par Mme Comte,
ce même mercredi 24 août, mais dans l’attente de la réponse du plaignant qui
revenait de vacances le lendemain et qui avait toujours priorité
;
15.9. Le jeudi 25 août 2011, vers 17 heures , Mme Comte s’en est donc allée trouver le plaignant, qui travaillait alors au comptoir des jeunes au 3 e étage de la Bibliothèque interculturelle (voir le plan sous V-4 d)) ;
15.10. Elle affirme lui avoir demandé verbalement s’il était intéressé par le «bloc protégé» qui était disponible à compter du 6 septembre 2011 ;
15.11. Le plaignant lui a alors refusé l’offre de «bloc protégé» et ce, à cause de ses cours ;
15.12. Du même coup, Mme Comte lui a aussi offert 3 remplacements dans les semaines suivantes, pour des mardi, mercredi et jeudi ;
15.13. La réponse du plaignant, à cette autre offre, fût aussi négative ;
15.14. C’est alors que cette même chef de section s’en est allée trouver Mme Heide Kotzmuth, qui travaillait au rez-de-chaussée et qui s’est empressée d’accepter l’offre du «bloc protégé» en litige (mardi p.m.).
[16] Essentiellement, il s’agit pour l’arbitre soussignée de décider si l’Employeur (Ville) a ou non contrevenu à la Lettre d’entente EV 96-94 (pièce V-1), en offrant ou non au plaignant le «bloc protégé» du mardi (de 12h à 18h), qui est devenu disponible, à l’automne 2011, suite à la demande de congé à temps partiel pour études de Mme Annelise Carle (bloc #8) :
16.1. Le plaignant alléguant qu’une telle offre de «bloc protégé» ne lui a pas été faite, ni par écrit, ni verbalement (tel que cela appert de son témoignage, résumé dans la section II de la présente sentence arbitrale) ;
16.2. Alors que la chef de section , Mme Valérie Comte, affirme le lui avoir offert et avoir obtenu un «non» comme réponse du plaignant (comme en fait foi son témoignage, cette fois-ci résumé dans la section III ci-haut).
[17]
Fondamentalement, la réponse à la
question en litige ci-haut formulée repose
sur
la crédibilité des témoignages
des 2 protagonistes susmentionnés, de sorte
que je crois utile de rappeler, d’entrée de jeu, les 8 critères que mon
collègue arbitre Richard Marcheterre a énumérés dans sa sentence du 26 juin
1986, souvent citée,
Syndicat des employé(e)s de Casavant frères ltée c.
Casavant frères ltée
(
1) « Il vaut mieux préférer un témoignage affirmatif que de pure négation » ;
2) La « vraisemblance, cohérence » des faits affirmés ;
3) La « constance dans les déclarations » d’un même témoin ;
4) L’intérêt : « Généralement, la version du plaignant face à une preuve contradictoire, risque de ne pas être retenue, parce qu’il a intérêt à gagner sa cause, surtout lorsqu’il s’agit d’un congédiement » ;
5) La manière de témoigner : « très souvent, celui qui témoignera clairement, sans nervosité ou insistance sera cru, plutôt que le témoin qui au contraire offre un témoignage ambigü » ;
6) La « réputation » ;
7) « Mobile, animosité, coup monté » ;
8) « Probabilité » d’une version par rapport à une autre.
[18]
Procédant maintenant à
appliquer
au
présent cas
les 8 critères jurisprudentiels
ci-haut énumérés, voici mon appréciation des 2 témoignages contradictoires que
j’ai entendus.
[19]
D’abord, je note que le témoignage du plaignant relève
de la négation
totale
(du style «on ne lui a jamais offert»), alors que celui de la chef de section
est
plutôt affirmatif
(avec en sus des détails quant au jour, à l’heure
et à l’endroit où elle lui a offert le «bloc protégé» en litige).
[20]
Malheureusement pour le plaignant, son témoignage ne rencontre pas vraiment
le
2
e
critère
ci-haut, qui requiert «vraisemblance et
cohérence». Je m’explique
:
20.1.
Dès le 18 août 2011, le
plaignant prévient d’avance sa gestionnaire,
par courriel (pièce V-6 a)), qu’il
ne va pas pouvoir prendre
beaucoup
de remplacements
à l’automne 2011 ;
20.2. De même, à son retour de vacances le 25 août 2011, non seulement refuse-t-il le «bloc protégé» que Mme Comte dit lui avoir alors offert, mais encore est-il qu’ il refuse aussi des remplacements pour 3 semaines à venir ;
20.3. Qui plus est, l’automne 2011 est ponctué de plusieurs autres refus d’offres de travail de la part du plaignant, comme en fait foi le tableau préparé par Mme Comte (pièce V-10) ;
20.4. Alors qu’il avait droit au tout premier choix et ce, tant au niveau des «blocs d’heures» que du «bloc protégé», voici que le plaignant a refusé de prendre l’un des 2 blocs de 5 jours / semaine (31,5 heures), et a limité son choix à 24,25 heures de travail, en raison de ses cours à l’Université ;
20.5. Le refus que Mme Comte dit avoir reçu de la part du plaignant, quant à son offre de «bloc protégé», est donc vraisemblable, voire cohérent , avec le choix limité de «blocs d’heures» et les refus subséquents de remplacements que le plaignant a faits tout au long de l’automne 2011.
[21] Le témoignage de Mme Comte répond assurément au 3 e critère de «constance» susmentionné, alors que le témoignage du plaignant est davantage «mélangé», voire «évolutif» dans le temps, pour paraphraser le procureur patronal. À preuve, notamment et non limitativement :
21.1.
Le plaignant a été
incapable d’établir
, clairement et
définitivement,
sa date de retour de ses vacances estivales en 2011. Pourtant, il lui aurait
été si facile de consulter à l’avance ses billets d’avion… ;
21.2. Le plaignant a complété 2 mêmes formulaires (pièces V-9 et S-3 f)), lesquels contiennent des disponibilités contradictoires , formulaires qu’il a par surcroit envoyés par 2 modes distincts de transmission, à 2 dates différentes ;
21.3. Au début de son témoignage, il dit ne pas avoir parlé à Mme Heide Kotzmuth (soit celle qui a finalement obtenu le «bloc protégé»), alors qu’en cours de témoignage, il a plutôt dit le contraire ;
21.4. Le plaignant allègue avoir été bien choqué lorsqu’il dit avoir appris, seulement à la mi-septembre 2011, que c’est Mme Heide Kotzmuth qui a obtenu à sa place le «bloc protégé». Pourquoi avoir alors attendu 2 mois pour se plaindre de cette situation auprès de son Syndicat ?!
21.5. Le plaignant allègue avoir demandé ses feuilles de temps à Mme Comte, à la mi-septembre 2011, sans pour autant lui dire pourquoi. Si l’on s’en tient à sa version, il aurait été si simple de demander à sa gestionnaire pourquoi c’est Mme Heide Kotzmuth qui avait obtenu le «bloc protégé» plutôt que lui !
21.6. Le plaignant a aussi été incapable de nous dire quand il avait résilié sa ligne téléphonique, pour demander à son Employeur de désormais communiquer avec lui par courriel (aucune telle exigence n’étant par ailleurs requise dans la Lettre d’entente EV 96-94 (pièce V-1), comme j’aurai l’occasion d’élaborer davantage ultérieurement à ce sujet).
[22] Quant au 4 e critère , il va sans dire que le plaignant a tout intérêt à alléguer qu’on ne lui a jamais offert le «bloc protégé» en litige (s’il veut avoir gain de cause dans son grief), alors qu’au contraire, il n’y a aucun avantage pour Mme Comte d’affirmer qu’elle a bel et bien fait une telle offre au plaignant le 25 août 2011.
[23] Ne serait-ce qu’en raison des contradictions relatées au paragraphe 21 ci-dessus, il va sans dire que le témoignage du plaignant apparait plus ambigu (5 e critère) que celui de sa chef de section qui, malgré les 2 ans écoulés, a été en mesure de donner des détails quant au processus alors suivi, avec documents à l’appui.
[24] Force m’est de dire que le 6 e critère , soit celui de « réputation » n’a aucune application en l’espèce, que ce soit au niveau du plaignant ou de Mme Comte.
[25] Il en va cependant différemment pour le 7 e critère ci-haut mentionné, soit celui de « mobile, animosité, coup monté », ce critère jouant à la défaveur du plaignant :
25.1.
Dans son courriel (S-3 c)) du 18 novembre 2011, qu’il a adressé à son
délégué syndical, le plaignant écrit ceci à propos de sa chef de section :
«
Mais
je sens l’entourloupe
de la part de Valérie suite à sa réponse.
Je me méfie d’elle
… elle est très fière
» ;
25.2. Lors de son témoignage à l’arbitrage, le plaignant va jusqu’à affirmer qu’il pense que Mme Comte «a des préjugés» et confesse même alors que ses rapports avec sa gestionnaire n’étaient «pas des plus cordiaux» ;
25.3.
Et pourtant,
rien dans la preuve offerte ne supporte
la mauvaise perception
que le plaignant a pu entretenir envers sa chef de section,
alors qu’il travaillait à la Bibliothèque interculturelle («BIC») ;
25.4. Au contraire, Mme Comte a accepté sa demande d’avoir 5 heures de plus de travail par semaine, en ajoutant le lundi à son choix du bloc #7 ;
25.5. De plus, elle lui a offert 3 semaines de remplacement , en sus de son offre de «bloc protégé», lorsqu’elle est venue trouver le plaignant au comptoir du 3 e étage, dès le 1 er jour de retour de vacances du plaignant ;
25.6. Malgré les refus du plaignant, tout au long de l’automne 2011, Mme Comte lui a offert plusieurs autres heures de travail , comme en atteste plus amplement le tableau V-10 ;
25.7.
Et, comme l’a fait remarquer à juste titre le procureur patronal,
Mme Comte est
très respectueuse dans ses courriels
au plaignant et
va même jusqu’à attendre son retour de
vacances pour lui offrir en personne
le «bloc protégé» en litige.
[26] On aura vite compris à la lecture de ce qui précède que le témoignage du plaignant ne rencontre pas le test de «probabilité» posé par le 8 e et dernier critère jurisprudentiel ci-haut :
26.1. Puisqu’en l’espèce il me faut nécessairement choisir entre les 2 versions contradictoires offertes à l’arbitrage, pour décider du sort du présent grief (S-2 précité), voici que le témoignage du plaignant m’apparait moins probable que celui de Mme Comte ;
26.2.
Or, c’est sur les épaules du
plaignant que
le fardeau de preuve
reposait dans la présente affaire,
puisque c’est lui qui est en demande (article
26.3. Malheureusement pour le plaignant, il n’a pas réussi à établir de façon convaincante que l’Employeur ne lui avait jamais offert le «bloc protégé» du mardi p.m., qui était disponible à l’automne 2011, à la Bibliothèque interculturelle.
[27]
Mais avant de conclure la présente sentence arbitrale, je m’en voudrais
de ne pas répondre à
2 bons arguments que la procureure syndicale
a fait
valoir,
en plaidoirie, en vue d’assurer au mieux la défense des intérêts du plaignant.
[28] Comme 1 er argument , la procureure syndicale a reproché à la chef de section de ne pas avoir envoyé un autre courriel au plaignant afin de lui offrir, le ou vers le 19 août 2011, le «bloc protégé» en litige :
28.1.
Alors que pourtant Mme Comte
venait tout juste d’apprendre
que
Mme Annelise Carle devait s’absenter tous
les mardis p.m. à l’automne 2011
, en raison de ses cours, d’où l’origine
du «bloc protégé» ;
28.2. Et alors qu’elle venait tout juste d’avoir un échange par courriels avec le plaignant au sujet de ses «blocs d’heures» pour l’automne 2011, vu que ce dernier était encore en vacances en Californie.
[29] Je suis d’accord pour dire qu’il aurait été beaucoup plus facile d’établir que l’offre de «bloc protégé» a bel et bien été faite au plaignant, si cette offre avait été faite par écrit (voire par courriel), plutôt que verbalement :
29.1. Selon le dicton populaire : « Les paroles s’envolent , mais les écrits demeurent» !
29.2. Si tel eut été le cas, les 2 parties n’auraient pas eu besoin de recourir à l’arbitre soussignée pour départager entre les 2 versions contradictoires !
[30] Mais voici que plutôt que de ce faire, la chef de section a préféré attendre :
30.1. Parce que le retour de vacances du plaignant était imminent (soit jeudi le 25 août 2011), donc un court lapse de temps entre le vendredi 19 août (date de la demande de congé de Mme Annelise Carle) et ce jeudi 25 aoû t ;
30.2. Parce qu’il n’y avait « pas d’urgence », le 1 er jour du début du «bloc protégé» en litige n’étant que le mardi 6 septembre 2011 ;
30.3. Parce qu’elle n’avait pas l’obligation de communiquer par écrit (plutôt que de vive voix, sur le lieu de travail et pendant les heures de travail du plaignant ).
[31] Si le verbal de l’offre et son momentum peuvent être remis en question, voici que, chose certaine, la Lettre d’entente EV 96-94 (pièce V-1) ne requiert aucunement que l’offre de «bloc protégé» se fasse par écrit, ni ne stipule de délai pour ce faire.
[32]
En ma qualité d’arbitre de griefs,
je ne peux certainement pas
ajouter au texte
de cette Lettre d’entente, qui a été négociée par les 2
parties en cause et
qui fait partie intégrante de la Convention collective, sous peine d’enfreindre
la clause 22.03 a)
qui interdit formellement à l’arbitre d’ajouter, de
soustraire ou de modifier quoi que ce soit dans cette Convention de travail.
[33] Comme 2 e argument fort valable, qui mérite assurément examen plus approfondi, la procureure syndicale a fait valoir que si vraiment Mme Comte avait fait verbalement l’offre qu’elle dit avoir fait au plaignant le 25 août 2011, le plaignant l’aurait acceptée :
33.1. D’une part, parce que l’offre de «bloc protégé» répondait à ses besoins de faire plus d’heures de travail (voir notamment son courriel V-6 a)) ;
33.2. D’autre part, parce que les heures de ce bloc concordaient avec ses disponibilités (via les formulaires V-9 et S-3 f)).
[34] Mais voici où le bât blesse : Selon la preuve offerte, le plaignant a fait des choix, à l’automne 2011, qui ne coïncidaient pas toujours avec ses besoins exprimés et ses disponibilités offertes !
[35] Alors qu’il se plaint que « 19 heures, c’est pas beaucoup pour vivre », voici que dans ce même courriel du 19 août 2011 (V-6 a)), il avise ainsi d’avance sa gestionnaire : «(…) je vais pas pouvoir prendre beaucoup de remplacements durant ce bloc (…) pour mes disponibilités de remplacements, ce sera tous les jours, même si je ne pense pas en prendre souvent ».
[36]
De fait, le plaignant
a refusé plusieurs des offres de remplacement
qui lui ont été faites tout au long de l’automne 2011, comme en atteste le
tableau V-10, notamment pour les 3 semaines qu’elle lui a offertes en même
temps que le
«bloc protégé», dès son 1
er
jour de retour de vacances (jeudi le 25
août 2011).
[37] Et même en supposant un seul instant qu’il en soit autrement, comment expliquer que le plaignant ait longtemps attendu avant de se plaindre auprès de son Syndicat de la présente situation ? Voire même, pourquoi n’est-il pas tout de suite allé voir sa gestionnaire pour réclamer le fameux «bloc protégé» ?!
[38] Pour tous les motifs énoncés précédemment, JE REJETTE le grief syndical (pièce S-2 précitée) que le Syndicat a déposé le 22 décembre 2011, pour et au nom de M. Laurent Frotey, sous le numéro V-AP-2011-0387.
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__________________________________ __ M e DIANE SABOURIN, CRHA Arbitre, médiatrice et formatrice (depuis 1984) Avocate et membre du Barreau du Québec (depuis 1977) Service d’arbitrage Diane Sabourin inc. |
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Procureure syndicale : |
Mme Sylvie Turcot , du SFMM/SCFP |
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Procureur patronal : |
M e Michel Maranda , aux Relations de travail de la Ville de Montréal |
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Représentante du Syndicat : |
Mme Suzanne Coudé |
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Représentantes de l’Employeur : |
Mmes Marion Angely et Valérie Comte |
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DS/agr
12/02/2014