COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-1002-9919

Cas :

CM-2012-3165, CM-2013-0727 et CM-2013-4539

 

Référence :

2014 QCCRT 0065

 

Montréal, le

6 février 2014

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Jean Paquette, juge administratif

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Giuseppe Morelli

 

Plaignant

c.

 

Syndicat de l'enseignement de la région des Moulins (CSQ)

 

Intimé

et

 

Commission scolaire des Affluents

 

Mise en cause

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 21 juin 2012, Giuseppe Morelli (le requérant ) dépose une première plainte en vertu de l’article 47.3 du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ), (CM-2012-3165). Il allègue que le Syndicat de l'enseignement de la région des Moulins (CSQ) (le syndicat ) a contrevenu à son obligation de juste représentation.

[2]            Le 11 février 2013, le requérant dépose une deuxième plainte au même effet (CM-2013-0727). Le 17 septembre 2013, une troisième plainte est déposée par le requérant (CM-2013-4539).

[3]            Le 29 juin 2010, la Commission a rendu une décision rejetant une plainte du requérant déposée le 17 mars 2009 contre le syndicat. Considérant le délai de six mois pour porter plainte prévu à l’article 47.3 du Code, les périodes visées par les présentes plaintes vont du 21 décembre 2011 au 21 juin 2012, du 11 août 2012 au 11 février 2013 ainsi que du 17 mars au 17 septembre 2013. L’audience a lieu le 8 novembre 2013.

Les faits

[4]            Le requérant est en arrêt de travail pour accident de travail en 2009 et 2010. Il est alors consolidé et il recommence à travailler.

[5]            En septembre 2010, il s’absente du travail en raison d’une maladie personnelle, sans lien avec l’accident du travail.

[6]            Le syndicat représente 4 500 membres. Cinq personnes sont libérées à temps plein pour s’occuper des affaires syndicales. Il y a de plus 5 employés : 2 conseillers et 3 secrétaires.

Reproche 1 :

[7]            Début 2012, le médecin traitant du requérant le déclare apte à un retour progressif au travail. La Commission scolaire des Affluents (l’ employeur ) n’accepte pas ce plan et demande une expertise médicale en février 2012. Le requérant consulte le représentant syndical qui l’informe que le syndicat n’intervient pas dans une entente de retour progressif qui doit être convenue directement avec l’employeur. Finalement, le médecin de l’employeur accepte le plan de retour au travail et le requérant recommence à travailler progressivement.

[8]            Le requérant reproche au syndicat de ne pas avoir déposé de grief contre l’expertise médicale qu’il considère comme non justifiée, étant un abus de pouvoir et une atteinte à sa vie privée (reproche 1).

[9]            Selon le syndicat, le requérant n’a pas fait de demande pour déposer de grief au moment de l’expertise. De plus, celle-ci se justifie, car même lors du retour progressif, le salarié est en période d’invalidité qui ne se termine qu’au retour à temps plein. Selon le syndicat, la première demande du requérant pour déposer un grief est survenue le 21 juin 2012, soit bien au-delà des délais pour déposer un grief.

Reproche 2 :

[10]         Au mois de mars 2012, dès son premier cours à l’occasion de son retour au travail, il se passe des événements qui font en sorte que l’employeur transmet au requérant un avertissement écrit 20 jours plus tard. La présidente du syndicat assiste à la rencontre disciplinaire. Selon le requérant, il lui aurait alors demandé de déposer un grief, car il estime que la direction de l’école a amplifié et exagéré les événements.

[11]         Le requérant reproche au syndicat de ne pas avoir déposé de grief contre l’avis disciplinaire qu’il considère comme non justifié, étant un abus de pouvoir et du harcèlement de la part de l’employeur (reproche 2).

[12]         Selon la présidente du syndicat, elle a assisté à la rencontre disciplinaire et le requérant ne contestait pas les faits. De plus, il n’y a jamais eu de demande pour déposer un grief. Toutefois, le syndicat admet avoir perdu le dossier de cette mesure disciplinaire et que, généralement, le syndicat dépose un grief. Cependant, comme il ne s’agit que d’un avertissement écrit qui ne reste au dossier que cinq mois, le grief n’est jamais déféré à l’arbitrage, car il devient périmé avant que le dossier ne procède. De plus, selon le syndicat, la première demande du requérant pour déposer un grief est survenue le 21 juin 2012, soit bien au-delà des délais pour déposer un grief.

Reproches 3 et 4 :

[13]         Un vendredi d’avril 2012, il se produit un autre événement en classe. La direction demande alors au requérant de quitter l’école vers 14 h 30. Le requérant communique avec le syndicat pour raconter la situation et s’informer s’il doit entrer au travail le lundi suivant. Le syndicat lui demande d’appeler l’école pour s’en informer. Lors du premier appel, la direction de l’école l’informe qu’il doit se présenter au travail. Cependant, 30 minutes plus tard, le requérant reçoit un appel du service du personnel de l’employeur qui lui indique de ne pas entrer au travail le lundi et qu’il doit se présenter pour une expertise médicale quelques jours plus tard.

[14]         Le requérant blâme le syndicat pour ne pas avoir déposé de grief contre cette deuxième expertise médicale qu’il considère comme non justifiée, étant un abus de pouvoir et du harcèlement (reproche 3). De plus, il se plaint aussi que le syndicat n’ait pas déposé de grief pour contester les critiques qui lui sont faits par l’employeur dans sa lettre transmise au médecin pour l’expertise (reproche 4).

[15]         Encore une fois, selon le syndicat, le requérant n’a pas fait de demande pour déposer de grief. Par ailleurs, le syndicat ne reçoit pas les informations transmises par l’employeur au médecin ni les expertises médicales, sauf si le salarié les lui remet ou s’il autorise sa transmission par l’employeur. Néanmoins, vu les circonstances, le syndicat s’est assuré auprès de l’employeur de préserver son droit de déposer des griefs, en attendant de savoir comment la situation évoluerait.

[16]         Par ailleurs, lors de ces échanges, l’employeur informe le syndicat que si le requérant est déclaré apte au travail, il est susceptible de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement pour les événements survenus durant le retour progressif. Ceux-ci sont relatés dans la lettre transmise au médecin.

Reproche 5 :

[17]         L’expert de l’employeur conclut qu’il aimerait échanger avec le médecin traitant du requérant avant de pouvoir préciser son diagnostic. Le requérant se laisse convaincre par le syndicat de donner son consentement à la consultation. Après l’échange entre les deux médecins, celui de l’employeur conclut à un diagnostic qui rend le requérant invalide à exercer son emploi. Le médecin traitant du requérant est du même avis.

[18]         Le requérant reproche au syndicat de ne pas avoir déposé de grief contre l’expertise médicale complémentaire. Il estime que le syndicat a fait preuve de discrimination, de négligence grave et de collusion (reproche 5).

[19]         Le syndicat décide de ne pas déposer de grief, car les deux médecins sont d’accord à l’effet que le requérant est inapte au travail. Par ailleurs, son régime d’assurance lui permet de bénéficier d’une rente jusqu’à sa retraite, tant qu’il ne lui est pas possible d’assumer sa fonction d’enseignant à temps plein. De plus, il n’a pas d’obligation de se chercher un autre travail qui pourrait être approprié à sa condition médicale. Cela lui a été expliqué par le syndicat.

Reproches 6 et 7 :

[20]         Le requérant ajoute deux autres motifs contre le syndicat pour collusion avec l’employeur. Le premier événement est que le syndicat a «  milité en faveur  » de la consultation entre les deux médecins. Le deuxième événement est pour lui avoir fait croire que le syndicat avait l’intention de déposer un grief, qu’il allait procéder à sa propre expertise et lui avoir dit qu’il recevrait un avis disciplinaire à son retour au travail (reproche 6). Enfin, il critique le syndicat pour ne pas avoir déposé de grief pour contester la décision de l’employeur de lui couper l’accès à ses courriels et de pouvoir communiquer avec ses collègues membres du syndicat (reproche 7).

[21]         Pour le reproche 6, le syndicat a informé le plaignant des divers scénarios s’offrant à lui selon qu’il soit déclaré apte ou non au travail. Le requérant a eu le temps d’y réfléchir. Il a donné son accord écrit. Ce faisant, le dépôt des griefs a été reporté avec le consentement de l’employeur de ne pas invoquer les délais. Par ailleurs, le syndicat a incité le requérant à remplir les documents pour obtenir l’assurance invalidité à long terme, le cas échéant.

[22]         Pour le reproche 7, l’accès aux courriels relève de l’employeur et ce n’est pas matière à grief. Il s’agit du courriel octroyé par l’employeur à ses salariés. De plus, le requérant diffusait ses courriels à un large auditoire, sans que ce ne soit pertinent. Le syndicat admet que la décision de l’employeur faisait son affaire, car plusieurs membres étaient indisposés à recevoir les courriels. Enfin, ceux-ci ne doivent pas servir à la communication entre membres pour des affaires syndicales, même si cela a été fait lors d’une élection.

Autres éléments :

[23]         Au mois de novembre 2012, la présidente écrit au requérant pour rappeler son historique et afin de limiter ses communications incessantes. Elle souligne l’opinion de son médecin traitant qui le déclare inapte à occuper son emploi d’enseignant. Elle précise que son régime d’assurance, négocié par son syndicat, lui assure des revenus d’assurance invalidité jusqu’à sa retraite, sans avoir à chercher un emploi, le cas échéant. Cependant, elle ajoute qu’il manque depuis quelque temps des documents pour faire le transfert entre l’assurance à courte durée assumée par l’employeur et celle à longue durée qui relève d’une compagnie d’assurance. Si ces documents ne sont pas transmis, le requérant ne pourra pas recevoir de prestations.

[24]         Lors de l’administration de la preuve, le syndicat ajoute qu’environ 10 % des griefs sont déférés à l’arbitrage, car il doit prioriser ceux qui perdent leur assurance salaire ou leur emploi, par exemple. Par ailleurs, le syndicat doit assumer les frais si les griefs sont perdus.

Les motifs

[25]         Les articles 47.2 , 47.3 et 116 du Code se lisent comme suit :

47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.

47.3. Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique, selon les articles 81.18 à 81.20 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), croit que l'association accréditée contrevient à cette occasion à l'article 47.2, il doit, dans les six mois s'il désire se prévaloir de cet article, porter plainte et demander par écrit à la Commission d'ordonner que sa réclamation soit déférée à l'arbitrage.

116. […]

Le délai prévu à l'article 47.3 s'applique à une plainte à la Commission reliée à l'application de l'article 47.2, même lorsque la plainte ne porte pas sur un renvoi ou une sanction disciplinaire.

[26]         Selon la jurisprudence, le requérant détient le fardeau d’établir par prépondérance des probabilités que le syndicat a agi de mauvaise foi, de façon arbitraire ou discriminatoire ou, encore, a fait preuve de négligence grave à son égard. Le rôle de la Commission n’est pas de substituer son opinion à celle du syndicat, ni d’agir en appel de ses décisions. Le syndicat jouit d’une discrétion appréciable dans l’exercice de son devoir de juste représentation. Ce devoir lui impose cependant de procéder à un examen sérieux des circonstances de l’affaire avant de prendre une décision.

[27]         En l’espèce, le requérant ne démontre aucune négligence grave de la part du syndicat. La preuve ne permet pas davantage d’inférer que le syndicat a commis de l’arbitraire, de la discrimination ou a agi de mauvaise foi. De plus, la preuve ne permet pas de conclure à quelque collusion que ce soit entre le syndicat et l’employeur.

[28]         En fait, le syndicat agit dans le meilleur intérêt du requérant, et ce, malgré lui. Les médecins le déclarent inapte à exercer la fonction d’enseignant. Manifestement, le requérant ne semble pas accepter sa condition médicale. Il désire reprendre le travail, ce qui est louable. Toutefois, dans son rapport complémentaire du 9 juillet 2012, le médecin de l’employeur s’exprime comme suit :

En conséquence, après discussion avec le docteur [médecin du requérant], nous avons convenu qu’il était impossible de réintégrer monsieur et qu’il s’agissait d’une condition invalidante […]

Nous avons convenu également qu’il pourrait s’agir d’une condition permanente […]

C’est pourquoi nous croyons, le docteur [médecin du requérant] et moi-même, que monsieur devrait profiter de ses prestations d’assurance salaire et ce, à long terme. Il est plus que probable qu’il ne pourra reprendre le même genre de travail , […]

(soulignement ajouté)

[29]         Le 12 août 2012, le médecin traitant confirme que le requérant ne peut occuper son emploi pour des raisons médicales pour une durée indéterminée et que «  le traitement sera optimisé au mieux au cours des prochains mois  ».

[30]         Ainsi, la décision du syndicat de ne pas déposer de grief se fonde sur l’opinion de deux médecins, dont celui qui traite le requérant. Ce faisait, le syndicat ne contrevient pas à son obligation de juste représentation.

[31]         Puisque la preuve ne permet pas de conclure que le syndicat a contrevenu à son obligation de juste représentation prévue à l’article 47.2 du Code, il y a lieu de rejeter les trois plaintes du requérant.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                       les plaintes.

 

 

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Jean Paquette

 

M e Gaétan Lévesque

Rivest Schmidt

Représentant de l’intimé

 

M es Dominic Fiset et René Paquette

Langlois Kronström Desjardins S.E.N.C.R.L., Avocats

Représentants de la mise en cause

 

Date de la dernière audience :

11 novembre 2013

/jt