Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2014 QCTAQ 011002
Dossier : SAS-Q-192489-1306
GISÈLE LACASSE
MICHÈLE RANDOIN
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le Tribunal est saisi d’un recours introduit par le requérant à l’encontre d’une décision rendue le 30 avril 2013, par le Service d’évaluation médiale et suivi du comportement de l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (ci-après « la Société »).
[2] Cette décision a été prise à la suite de la réception d’un rapport d’évaluation sommaire préparé par un évaluateur accrédité par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ci-après « l’ACRDQ »), concluant que le requérant a un comportement envers la consommation d’alcool ou de drogue demeurant à risque pour la sécurité routière. Considérant cette conclusion, la Société impose au requérant, pour obtenir un permis de conduire un véhicule routier, de se soumettre à un examen médical et à une évaluation complète.
[3] L’audience est tenue le 19 novembre 2013. Le requérant et la procureure de la Société sont présents.
[4] À l’audience, la procureure de la Société a demandé qu’une ordonnance de non-divulgation, de non-diffusion et de non-publication soit émise à l’égard des documents relatifs à l’évaluation sommaire de l’ACRDQ concernant le requérant. L’ordonnance a été émise, séance tenante, et notée au procès-verbal.
LES FAITS
[5] De l’ensemble de la preuve soumise, le Tribunal retient comme pertinents les faits suivants.
[6]
Le 9 avril 2011, le requérant est arrêté alors qu’il conduit un véhicule
automobile avec une capacité de conduite affaiblie. Une accusation de conduite
d’un véhicule automobile ou de garde ou contrôle d’un véhicule lorsqu’il a
consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépasse 80 milligrammes
d’alcool par 100 millilitres de sang (art.
[7] Le 28 juin 2012, le requérant plaide coupable à cette accusation. Son permis de conduire un véhicule automobile est révoqué jusqu’au 28 juin 2013.
[8] Le 16 juillet 2012, la Société transmet une correspondance au requérant lui indiquant que, puisqu’il s’agit d’une première sanction pour une infraction au Code criminel liée à l’alcool au cours des dix dernières années, pour être admissible à l’obtention d’un nouveau permis à la date d’échéance de sa sentence, il devra se soumettre à une évaluation sommaire.
[9] Le 18 avril 2013, le requérant se soumet à l’évaluation sommaire. Il a répondu à toutes les questions de l’évaluateur et aux divers questionnaires faisant partie du protocole d’évaluation.
[10] Du rapport d’évaluation sommaire, daté du 24 avril 2013, le Tribunal retient les extraits suivants :
« Le dossier de conduite de monsieur [le requérant] comporte deux infractions pour conduite d'un véhicule routier avec les facultés affaiblies. Par contre, la première infraction date de plus de 25 ans et était absente au dossier du conducteur. Quant à la plus récente infraction, elle est survenue le 9 avril 2011. Monsieur fut reconnu coupable le 28 juin 2012. L'arrestation a eu lieu vers 23h00 alors que monsieur aurait fait une sortie de route dans une courbe sans impliquer toutefois d'autres véhicules, monsieur était seul à bord. Cette infraction est survenue alors que monsieur aurait consommé chez son frère en compagnie d'autres membres de sa famille à quelques kilomètres de son domicile. Monsieur [le requérant] estime à 6 boissons alcoolisées le nombre de consommations qu'il aurait bu. Le dossier de conduite démontre deux points d'inaptitude pour une infraction au code de la sécurité routière commise le 10 juin 2012. Monsieur possède 384 mois d'expérience de conduite. Le taux d'alcoolémie le soir de son arrestation s'élevait à 146mg/100ml.
Selon les informations recueillies lors de l'évaluation initiale, le 18 avril dernier, monsieur [le requérant] consomme de l'alcool depuis l'âge de 17 ans. Monsieur consomme principalement de l'alcool les week-ends à raison d'une fois par semaine ou moins. Monsieur consomme en moyenne 2 boissons alcoolisées par occasion. Le bilan des 35 derniers jours démontre 4 jours de consommation d'alcool et de ce nombre, nous remarquons aucune consommation d'alcool à risque. Monsieur estime qu'il consomme à deux endroits distincts soit à son domicile ou encore chez son amie ce qui impliquerait la possibilité d'un déplacement.
Monsieur n'a jamais suivi de traitement spécialisé dans le traitement d'une dépendance tant au niveau de l'alcool que pour des stupéfiants. D'ailleurs monsieur n'a pas consommé de stupéfiant ou de médicaments pouvant altérer les facultés de conduite d'un véhicule depuis au moins douze mois. Certaines informations concernant les habitudes de consommation d'alcool correspondent peu avec les événements survenu le soir de son arrestation car monsieur avait consommé au moins 6 boissons alcoolisées durant le même épisode et il consommait non pas à domicile mais plutôt chez un membre de sa famille. Monsieur explique cette situation par des impacts négatifs en lien avec une relation tumultueuse à cette époque avec sa conjointe et que celle-ci devait conduire le véhicule le soir de son arrestation mais suite à une dispute monsieur [le requérant] fut contraint selon lui d'utiliser son véhicule.
L'analyse des résultats obtenus lors de l'entrevue d'évaluation auprès de monsieur [le requérant] nous indique donc que les habitudes de consommation d'alcool dans son ensemble, apparaissent incompatibles avec la conduite de son véhicule routier et que celles-ci représentent un risque réel en lien avec la conduite automobile.
Les résultats obtenus indiquent la présence de certains facteurs de risque confirmant la probabilité d'un risque de récidive. Premièrement certaines réponses fournies par monsieur [le requérant] aux questions d'échelles spécifiques du risque de récidive chez les contrevenants mènent à détecter qu'un tel risque est probable. Un autre facteur de risque significatif est le fait que monsieur présente une infraction pour le même motif antérieure à celle commise en avril 2011 et ce malgré le nombre d'années qui les séparent.
De plus certaines caractéristiques dans les habitudes de consommation d'alcool décrites par monsieur [le requérant] lors de la rencontre d'évaluation indiquent un risque de récidive. Ce risque est associé à la probabilité de déplacements lorsqu'il y a consommation d'alcool. De plus nous devons souligner finalement le taux d'alcoolémie élevé le soir de son arrestation.
Par conséquent, tous ces facteurs augmentent le risque d'une récidive et lorsque que mis en interaction expliquent cette recommandation de mettre en place des mesures complémentaires afin de fournir à monsieur [le requérant] tout le support nécessaire afin d'atténuer ce niveau de risque d'une récidive. Cette recommandation permettra donc de cibler les facteurs de risque déterminés lors de l'évaluation et d'élaborer des stratégies efficaces dans le but de développer de saines habitudes de consommation éthylique et un comportement responsable en lien avec la conduite d'un véhicule routier. Cette recommandation n'a qu'un seul but celui d'éviter le risque d'une récidive. Nous tenons à souligner l'excellente collaboration de monsieur [le requérant] lors de la rencontre d'évaluation. »
(Transcription conforme et caviardée par les soussignées)
[11] L’évaluateur conclut son rapport avec une recommandation non favorable en raison de la présence de trois facteurs de risque reconnus en matière de récidive, soit le minimum requis pour arriver à une recommandation défavorable. Le requérant a coté au facteur H (infractions au code de la sécurité routière), au facteur I (risques liés aux attitudes, intentions, comportements, cognition) et au facteur J (habitudes de conduite).
[12] Suite à la réception du rapport, la Société rend la décision du 30 avril 2013 qui fait l’objet du présent litige.
[13] Un rapport d’examen médical est également déposé au dossier. Ce rapport a été complété le 29 mai 2013 par un médecin remplaçant le médecin traitant du requérant qui était, à ce moment, en congé. Il est noté un diagnostic d’abus chronique à une substance, soit le cannabis, en rémission depuis le mois de mai 2012. Il est aussi indiqué que le requérant aurait consommé d’autres drogues auparavant.
[14] Le requérant conteste le résultat de l’évaluation sommaire alléguant qu’elle contient des faits faux et des affirmations contradictoires de la part de l’évaluateur. Il nie être récidiviste et demande à récupérer son permis.
[15] À l’audience, l’évaluateur témoigne. Il est accrédité par l’ACRDQ depuis 1999. Il a effectué tant des évaluations sommaires, des évaluations du risque que des évaluations complètes. Il explique le protocole à respecter pour procéder à une évaluation sommaire et son but. Le requérant n’a eu aucune interrogation pendant qu’il répondait aux questionnaires. Selon lui, le requérant a bien compris les questions.
[16] Quant au requérant, il soumet que, le soir de son arrestation, il était chez un ami, et non chez son frère. Il est un bon travaillant. Il ne sort pas dans les bars. Il n’est pas une personne alcoolique.
ANALYSE ET MOTIFS
[17] Le Tribunal est appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision de la Société d’exiger du requérant de se soumettre, notamment, à une évaluation complète. Le requérant soumet que son permis devrait lui être remis puisqu’il n’a pas un comportement à risque pour la conduite d’un véhicule automobile.
[18] Le présent litige soulève l’application des articles 180, 76.1.2, 76.1.9 et 81 du Code de la sécurité routière [2] (ci-après le Code ) lesquels se lisent comme suit :
« 180. Entraîne de plein droit la révocation de tout permis autorisant la conduite d'un véhicule routier ou la suspension du droit d'en obtenir un, la déclaration de culpabilité d'une personne à une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), commise avec un véhicule routier ou avec un véhicule hors route et prévue aux articles suivants de ce code:
[…]
2° l'article 253, le paragraphe 5 de l'article 254 ou les paragraphes 2, 2.1, 2.2, 3, 3.1 ou 3.2 de l'article 255.
[…] »
« 76.1.2. Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée.
La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa:
1° au moyen d'une évaluation sommaire, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;
2° au moyen d'une évaluation complète, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle s'est vu imposer au moins une révocation ou suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool.
La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d'une évaluation complète.
La personne qui réussit l'évaluation sommaire doit, après avoir payé à la Société les droits afférents, suivre avec succès un programme d'éducation reconnu par le ministre des Transports et destiné à sensibiliser les conducteurs aux problèmes de la consommation d'alcool ou de drogue. »
« 76.1.9. Les évaluations visées aux articles 64, 76.1.2, 76.1.4 et 76.1.4.1 relèvent des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes et des centres hospitaliers offrant un service de réadaptation pour de telles personnes. Elles sont faites par des personnes autorisées par ces centres et suivant les règles établies par entente entre la Société et ces centres et entre la Société et l'Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec. »
« 81. La Société peut refuser de délivrer un permis, d’en changer la classe ou de lui en ajouter une autre, si la personne qui en fait la demande :
[…]
3° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d’une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;
[…] »
[19] Après avoir pris connaissance de la preuve documentaire, des témoignages, des argumentations du requérant et de la procureure de la Société, ainsi que de leurs autorités, et sur le tout dûment délibéré, le Tribunal conclut que le recours du requérant doit être rejeté, et ce, pour les motifs suivants.
[20] L’évaluation sommaire a pour but d’évaluer la compatibilité du comportement d’une personne relativement à la consommation d’alcool ou de drogue avec la conduite sécuritaire d’un véhicule automobile. Elle sert à déterminer si les comportements passés et présents d’une personne en lien avec l’alcool ou la drogue constituent des facteurs de risque de récidive.
[21] Cette évaluation se fait par l’administration de divers questionnaires standardisés, à une personne, par des évaluateurs autorisés par l’ACRDQ et suivant les règles établies par entente entre la Société et l’ACRDQ. Les réponses obtenues sont compilées et permettent, par la suite, à l’évaluateur d’émettre une recommandation.
[22] Les dispositions du Code de la sécurité routière sont d’ordre public. Elles doivent donc être respectées.
[23] En l’espèce, la preuve soumise ne révèle pas d’irrégularités dans le déroulement de l’évaluation. Le requérant relève certaines erreurs dans les réponses écrites, mais elles n’ont malheureusement aucune incidence sur les résultats obtenus aux divers questionnaires.
[24] Les résultats obtenus, lors de l’évaluation sommaire, démontrent que le requérant présente plusieurs indicateurs de risque quant à la conduite sécuritaire d’un véhicule automobile, justifiant la recommandation non favorable. Le témoignage du requérant à l’audience n’a pas été de nature à contrer l’évaluation objective réalisée à partir des réponses données spontanément lors de l’évaluation. Le Tribunal n’a donc aucune raison d’intervenir.
[25] Par conséquent, le Tribunal conclut que la décision rendue par la Société le 30 avril 2013 est bien fondée en fait et en droit. Le Tribunal rejette donc la contestation du requérant. Le requérant devra donc se soumettre à une évaluation complète.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
REJETTE le recours du requérant;
CONFIRME la décision rendue par l’intimée le 30 avril 2013;
ORDONNE aux parties ainsi qu’à toute autre personne de ne pas publier, divulguer ou diffuser les renseignements contenus dans les documents relatifs à l’évaluation sommaire de l’ACRDQ concernant le requérant, sauf entre les parties dans le cadre du présent litige.
Dussault, Mayrand
Me Karine Giroux
Procureure de la partie intimée