Pilon c. Sears Canada

2014 QCCQ 830

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

STE-AGATHE-DES-MONTS

« Chambre civile »

N° :

715-32-000277-133

 

 

 

DATE :

23 JANVIER 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

 

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CLAUDE PILON

Demandeur

c.

SEARS CANADA

-et-

ROY LIVRAISON SPÉCIALISÉE INC.

Défenderesses

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Monsieur Claude Pilon réclame 2 239 $ à Sears Canada et Roy livraison spécialisée inc. («Roy») pour des dommages causés aux fils de son plancher chauffant lors de la livraison, le 4 septembre 2010, de deux réfrigérateurs achetés chez Sears Canada.

[2]            Roy est sous-traitant de Sears Canada et prend faits et cause pour elle, acceptant d'assumer toute condamnation à laquelle pourrait en arriver le Tribunal.

Les faits pertinents à la solution du litige

En demande

[3]            Le 4 septembre 2010, deux livreurs de Roy se présentent au domicile de monsieur Claude Pilon afin d'y livrer deux réfrigérateurs que celui-ci a achetés chez Sears.

[4]            Les livreurs décident de passer par la porte-patio. Monsieur Pilon leur mentionne à deux reprises qu'il a refait le plancher chauffant, que les fils sont encore visibles et que le plancher est fragile. Il ne faut pas y déposer un réfrigérateur sur un fil chauffant.

[5]            Les livreurs s'exécutent, entrent le premier réfrigérateur et le déposent sur le ciment devant l'endroit où il doit être installé avant de le brancher et de le pousser sur l'ardoise dans son emplacement final. Le deuxième réfrigérateur est également installé de la même façon.

[6]            Les livreurs lui demandent alors rapidement de signer une décharge de responsabilité dans laquelle il confirme l'absence de dommage à sa propriété en raison de la livraison. Monsieur s'exécute et signe le document mais affirme qu'on ne lui a pas laissé le temps de vraiment vérifier.

[7]            Après le départ des livreurs, il constate qu'un fil chauffant est écrasé et qu'il est endommagé. Il le fait vérifier et découvre que ce fil, comme les autres qui lui sont reliés, n'est plus fonctionnel.

[8]            Le 7 septembre, trois jours après la livraison, il contacte Sears Canada pour lui dénoncer le problème. Un représentant de Roy se présente ensuite chez lui afin de constater ce qui en est.

[9]            Roy refuse d'assumer la responsabilité des dommages allégués, de sorte que monsieur Pilon lui réclame, ainsi qu'à Sears Canada, 2 239 $ sur la base d'une soumission de l'entreprise Construction Inter inc. À l'audience, il précise qu'il s'agit de sa compagnie et que cette soumission a été signée par sa conjointe.

[10]         Il a obtenu d'autres soumissions, notamment verbales, qui étaient toutes plus élevées.

En défense

[11]         Roy est représentée par monsieur Gilles Pépin, son directeur des opérations. Il reçoit la demande de Sears le 8 septembre, soit le lendemain de la demande reçue par elle de monsieur Pilon.

[12]         Un représentant de Roy se rend sur les lieux et, suite à ses discussions avec monsieur Pilon ainsi qu'avec les livreurs ayant procédé à la livraison, il en vient à la conclusion que la responsabilité de Roy n'est pas engagée.

[13]         Monsieur Jean-François Ayotte est un des deux livreurs qui se rend chez monsieur Pilon le 4 septembre. Son collègue et lui amènent les réfrigérateurs à l'intérieur de l'immeuble à l'aide de sangles. Le premier est amené jusqu'à sa destination finale. Le second est déposé à l'endroit où le client lui demande de le faire, soit devant l'emplacement final, mais sur le plancher de ciment. Pour lui, le travail est alors terminé.

[14]         Monsieur Pilon lui demande ensuite de brancher et d'insérer le réfrigérateur à l'endroit désigné. Il lui répond qu'il ne peut procéder de la sorte vu le risque de dommages.

[15]         En aucun temps, monsieur Pilon n'est intervenu pour leur dire de ne pas faire la livraison de telle ou telle façon ou de ne pas déposer le réfrigérateur à tel ou tel endroit.

ANALYSE ET DÉCISION

Le fardeau de preuve

[16]         Afin de faciliter la compréhension du présent jugement par les parties, le Tribunal croit important de reproduire les articles du Code civil du Québec qui reçoivent ici application.

[17]         L'article 2803 C.c.Q énonce:

« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

[18]         Cet article impose au demandeur le fardeau de prouver les allégations contenues dans sa demande et ce, par prépondérance de preuve.

[19]         L'article 2804 C.c.Q. ajoute:

« La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[20]         Ce dernier article permet au Tribunal d'apprécier la preuve présentée de part et d'autre par les parties, afin de déterminer si, effectivement, l'existence d'un fait est plus probable que son inexistence.

Application

[21]         Le recours intenté par monsieur Pilon est basé sur une faute contractuelle qu'aurait commise Sears, ou son sous-traitant Roy. L'article 1458 du Code civil du Québec s'applique dans les circonstances. Il se lit ainsi :

1458.  Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

 

Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.

[22]         Par ailleurs, en ce qui a trait plus particulièrement à la responsabilité du commettant pour les actes fautifs posés par ses préposés, l'article 1463 du Code civil du Québec nous dit que le commettant ou l'employeur est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l'exécution de leurs fonctions.

[23]         En l'espèce, monsieur Pilon devait prouver la faute ou la négligence des préposés de Roy, les dommages qui en ont suivi et le lien entre les deux. De la preuve, le Tribunal retient ce qui suit.

[24]         Tout d'abord, si le plancher non fini est si fragile, il faut conclure que monsieur Pilon a agi avec une certaine imprudence en recevant livraison de deux réfrigérateurs d'un certain poids alors qu'un système de câbles chauffants a été installé mais que le plancher n'a pas été terminé. Sur les photos produites, les câbles apparaissent exposés, ou « à nu », et relativement vulnérables.

[25]         Il va de soi que deux livreurs devront passer sur ces fils, tout en transportant un réfrigérateur, ce qui fait augmenter considérablement le poids que doit supporter ces fils. Or, la preuve ne démontre pas le poids maximum, par exemple au pouce carré, que pouvaient accepter ces fils.

[26]         La preuve ne démontre pas non plus comment, et exactement à quel moment le fil en question a été brisé. Elle ne démontre pas non plus qu'il a été brisé par les représentants de Roy.

[27]         Monsieur Pilon surveillait en tout temps l'exécution des travaux et ne s'est pas objecté à ce que le réfrigérateur soit déposé sur le sol devant l'endroit où il devait être installé. D'ailleurs, les livreurs avaient-ils vraiment le choix ?

[28]         En ce qui a trait aux dommages, le Tribunal retient de la preuve que seule une soumission de la compagnie appartenant à monsieur Pilon et sa conjointe a été produite en preuve. Or, il n'y a aucune preuve indépendante en ce qui a trait au bris, à sa cause ou au fait que l'ensemble des câbles chauffants doit être remplacé.

[29]         Monsieur Pilon ne s'est pas déchargé de son fardeau de prouver, par prépondérance, la faute de Sears ou de Roy.

[30]         La doctrine nous apprend que lorsque la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction du fardeau de preuve. Celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdra.

[31]         Comme le dit le professeur Royer [1] dans son traité sur la preuve civile :

La partie qui a le fardeau de persuasion perdra son procès si elle ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées.

[32]         Tel est le cas ici.

[33]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[34]         REJETTE la demande;

[35]         CONSIDÉRANT les circonstances, SANS FRAIS.

 

 

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JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

16 JANVIER 2014

 



[1] Jean-Claude ROYER, La preuve civile , 2 e éd. Cowansville, éditions Yvon Blais Inc., p. 109 par. 190