Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Résidences funéraires Steve L. Elkas inc. |
2014 QCCQ 995 |
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JD 1184
« Chambre pénale » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE SHERBROOKE |
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N o : |
450-61-054653-125 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
MADAME LA JUGE |
SYLVIE DESMEULES, J.P.M. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Poursuivant |
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c. |
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RÉSIDENCES FUNÉRAIRES STEVE L. ELKAS INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La défenderesse fait l'objet d'un constat d'infraction pour avoir contrevenu à la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [1] .
[2] Le 11 février 2010, Linda DeBlois, superviseure aux enquêtes à l'Office de la protection du consommateur, se rend au bureau de la défenderesse pour procéder à des vérifications dans les dossiers de préarrangements funéraires.
[3] Prévenue de cette visite une semaine plus tôt, la directrice adjointe de la défenderesse, madame Renée Couture, lui remet les dossiers de préarrangements pour l'année précédente.
[4] L'enquêteur constate que, dans neuf dossiers, les dépôts en fidéicommis ont été faits en retard, soit après le délai de 45 jours prévu par la loi. Cependant, la défenderesse est poursuivie sous deux chefs d'accusation seulement.
[5] Dans le cas de madame G.S-C., le contrat a été signé le 1 er novembre 2009, une somme de 22 949,70$ a été payée par chèque et un reçu du même montant a été délivré le 1 er novembre 2009.
[6] Le délai de 45 jours pour déposer le paiement expirait le 16 décembre 2009, alors que le dépôt dans le compte en fidéicommis a été fait le 8 janvier 2010.
[7] Dans le cas de monsieur R. P., le contrat a été signé le 23 octobre 2009, une somme de 7 735,00$ a été payée par chèque et un reçu a été délivré le 23 octobre 2009.
[8] Le délai de 45 jours expirait le 7 décembre 2009 et le dépôt dans le compte en fidéicommis a été fait le 8 janvier 2010.
[9] En 2006, un nouveau produit d'assurance-décès offert par Assurant Vie du Canada arrive sur le marché. En vertu de ces contrats, le souscripteur dépose un montant d'argent auprès de l'assureur et l'entreprise funéraire est désignée bénéficiaire du produit de l'assurance. Celle-ci s'engage à fournir des services funéraires aux souscripteurs, au moment de leur décès.
[10] Il s'agit de préarrangements funéraires sous forme d'assurance. Ce type de contrat n'est pas soumis à la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépultures [2] et au contrôle de l'Office de la protection du consommateur.
[11] Lorsqu'elle vend ce produit, la défenderesse utilise un formulaire intitulé «Offre de services et de biens funéraires». La première page du contrat est la même pour le contrat d'assurance-décès ou le contrat d'arrangements préalables traditionnels.
[12] Le formulaire est signé par les deux parties, sans précision quant au type de préarrangements.
[13] Ce qui différencie les deux produits se retrouve à la deuxième partie du formulaire.
[14] Dans le cas d'assurance, les parties remplissent un formulaire intitulé «Proposition pour un régime d'épargne-décès ou d'assurance-décès», qui est transmis à la compagnie Assurant Vie du Canada, formulaire qui comporte quatre copies.
[15] Pour ce qui est des préarrangements traditionnels, les parties complètent une annexe comportant des mentions exigées par la Loi sur la protection du consommateur [3] et la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [4] . Celle-ci comporte un seul espace pour une signature facultative de l'acheteur.
[16] À compter de mai 2008, la défenderesse vend presque exclusivement des produits d'assurance-décès.
[17] À l'automne 2009, le président de la défenderesse, monsieur Steve Elkas, constate que les sommes transmises à Assurant Vie du Canada ne sont pas comptabilisées dans les actifs de l'entreprise.
[18] Il s'enquiert auprès de son comptable Pierre Bernard qui l'informe que l'entreprise n'étant pas bénéficiaire irrévocable du produit d'assurance, il ne peut inclure ces montants au bilan. À la demande de son client, monsieur Bernard fait des recherches plus approfondies sur le sujet, afin de s'assurer de la justesse de son interprétation.
[19] Monsieur Elkas donne la directive à madame Renée Couture de mettre les dossiers d'assurance-décès en attente, jusqu'à l'obtention de l'avis de l'expert-comptable de l'entreprise.
[20] Finalement, monsieur Bernard confirme que ces montants ne peuvent être comptabilisés au bilan, puisque la défenderesse n'est pas désignée bénéficiaire irrévocable des produits d'assurances. La nature de ces contrats fait donc en sorte que leur valeur ne peut se refléter dans les actifs des états financiers de l'entreprise.
[21] La défenderesse cesse de vendre des produits d'assurance-décès.
[22] En décembre 2009, monsieur Elkas demande à sa directrice adjointe, madame Couture, de convertir les propositions d'assurances en préarrangements traditionnels.
[23] Unilatéralement, sans demander le consentement des clients ou de leur famille, madame Couture déchire les copies des propositions d'assurances et elle les remplace par l'annexe des préarrangements funéraires traditionnels.
[24] Elle transmet un chèque le 4 janvier 2010 au Trust La Laurentienne, pour le dépôt des sommes en fidéicommis qui s'effectue le 8 janvier 2010.
[25] Selon madame Couture, les dossiers repérés par l'enquêteur sont tous des dossiers d'assurances convertis en préarrangements. Lors de cette visite, elle n'a pas signalé à l'enquêteur la manipulation des contrats.
[26] Avant l'audition, madame Couture n'a pas fait de démarches auprès des clients pour obtenir leur propre copie et ainsi reconstituer le dossier de chacun d'eux, expliquant que ces derniers n'ont pas d'instruction.
[27] Monsieur Elkas reconnaît que madame Couture a fait des erreurs lors de la conversion des contrats. À son avis, ce qui importe, c'est que les sommes soient toujours là et qu'elles aient été déposées après la conversion.
LES REPRÉSENTATIONS DE LA DÉFENDERESSE
[28] Lorsque les parties ont donné leur consentement, il s'agissait de propositions d'assurances acceptées, régies par le droit des assurances.
[29] La décision de les convertir en préarrangements funéraires traditionnels a été prise uniquement pour des raisons comptables, suite à l'opinion émise par l'expert-comptable de l'entreprise.
[30] Jusqu'à la mise en application de la directive de monsieur Elkas, le 4 janvier 2010, ces contrats étaient régis par le décret 208-2006, adopté en vertu de l'article 428 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers [5] .
[31] La Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [6] ne s'appliquait pas avant que la conversion ne soit faite. Le délai de 45 jours pour déposer les sommes en fidéicommis a commencé à courir seulement le 4 janvier 2010.
LES REPRÉSENTATIONS DE LA POURSUIVANTE
[32] La thèse de la défenderesse n'est pas crédible. Il n'y a aucun indice qui permet de croire qu'il s'agissait de produit d'assurances au départ. Aucune démarche n'a été faite auprès des clients pour retrouver les copies. Lors de sa visite, l'inspectrice a été induite en erreur, puisqu'elle n'a jamais été mise au courant de cette prétendue conversion.
[33] La Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [7] s'applique dès le dépôt des sommes. L'objectif de l'article 21 est de mettre l'argent en sécurité. Le respect du délai de 45 jours prévu à cet article est obligatoire.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[34] Les contrats à l'origine des constats d'infraction sont-ils soumis à la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [8] ?
[35] Dans l'affirmative, à quelle date le délai de 45 jours pour déposer les sommes en fidéicommis a-t-il commencé à courir?
L'ANALYSE
[36] Le Tribunal ne met pas en doute le témoignage rendu par les témoins de la défenderesse.
[37] La défenderesse, ses témoins et son procureur ont parlé tout au long de l'audition de «conversion».
[38] Cette modification unilatérale des contrats n'a aucun fondement légal et va à l'encontre des principes généraux de la formation des contrats qui exigent le consentement des parties.
[39] La présente décision ne porte pas sur la validité de ce qui a été fait par la défenderesse.
[40] Le Tribunal tient à rappeler qu'il siège en matière pénale et qu'il doit se limiter à décider si la défenderesse a commis les infractions reprochées.
[41] La Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [9] régit les contrats de préarrangements funéraires entre les entreprises funéraires et leurs clients. C'est l'Office de la protection du consommateur qui est responsable de l'application de cette loi.
[42] Par ailleurs, le décret 208-2006, adopté en vertu de l'article 428 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers [10] , prévoit que les résidences funéraires peuvent offrir les produits «Régime d'épargne décès» et «Régime d'assurance-décès» de la compagnie Assurant Vie du Canada. C'est l'Autorité des marchés financiers qui voit au respect de cette loi.
[43] Les propositions d'assurances signées par les clients de la défenderesse et les montants rattachés n'ont jamais été transmis à la compagnie Assurant Vie du Canada. Elles ont été détruites. Aucune police d'assurance n'a donc été émise à la suite de ces propositions.
[44] Plutôt que de recevoir une copie de police de leur compagnie d'assurance, les clients ont reçu en janvier 2010 une lettre du Trust La Laurentienne, confirmant le dépôt d'une somme en fidéicommis pour des arrangements préalables.
[45] L'article 21 de la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [11] prévoit un délai pour le dépôt des sommes reçues en paiement d'un contrat d'arrangements préalables:
« 21. Le vendeur doit, dans les 45 jours de la perception, déposer en fidéicommis au Québec auprès du dépositaire toute somme qu'il perçoit en paiement partiel ou total d'un contrat d'arrangements préalables de services funéraires.
Le vendeur n'est cependant pas tenu de déposer en fidéicommis:
1° une somme représentant au plus 10% du prix des biens et des services prévus au contrat qui n'ont pas été fournis;
2° la somme représentant le prix des biens et des services déjà fournis et tous droits exigibles en vertu d'une loi fédérale ou provinciale.»
[46] Dans les deux cas à l'étude, les sommes ont été déposées en fidéicommis après ce délai de 45 jours.
[47] Cependant, les conventions intervenues entre la défenderesse et ses clients ne constituent pas des contrats assujettis à la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture [12] .
[48] Les parties ont convenu d'une autre forme juridique de préarrangements funéraires qui est l'assurance-décès.
[49] Elles demeurent régies par la Loi sur la distribution de produits et services financiers [13] , tant et aussi longtemps que les nouveaux contrats n'ont pas fait l'objet d'un consentement des deux parties.
[50] La défenderesse n'avait donc pas à déposer en fidéicommis les sommes perçues des acheteurs.
[51] Malgré sa conduite, la défenderesse ne peut être déclarée coupable des infractions reprochées.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
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__________________________________ SYLVIE DESMEULES Juge de paix magistrat |
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Date d’audience : |
14 novembre 2013 |
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[1] Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture , chapitre A-23.001.
[2] Id .
[3] Loi sur la protection du consommateur , chapitre P-40.1.
[4] Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture , préc. note 1.
[5] Loi sur la distribution de produits et services financiers , chapitre D-9.2., art. 428.
[6] Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture , préc. note 1.
[7] Id .
[8] Id .
[9] Id .
[10] Loi sur la distribution de produits et services financiers , préc. note 5.
[11] Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture , préc. note 1, art. 21.
[12] Id ., art. 1.
[13] Loi sur la distribution de produits et services financiers , préc. note 5.