Société de l'assurance automobile du Québec c. Tribunal administratif du Québec |
2014 QCCS 697 |
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JM 2158
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-075011-125 |
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DATE : |
Le 28 février 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL MASSE, J.C.S. |
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SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC |
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Demanderesse |
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c. |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC |
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Défendeur |
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et G... B... Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La Société de l'assurance automobile du Québec (« la SAAQ ») demande la révision judiciaire de deux décisions rendues par le Tribunal administratif du Québec (« le TAQ »). Elle considère que ces décisions, lesquelles ont pour effet d'accorder une indemnité de remplacement du revenu à Monsieur G... B... en fonction d'un décret plutôt que du calcul prévu au Règlement sur la détermination des revenus et des emplois et sur le versement de l'indemnité visée à l'article 83.30 de la Loi [1] (« le Règlement »), sont déraisonnable et doivent être révisées.
[2] Monsieur B... conteste vigoureusement la requête et plaide à l'audience que retenir la position de la SAAQ mènerait à un résultat absurde. Il soutient que les décisions du TAQ étaient raisonnables compte tenu de l'objet de la Loi sur l'assurance-automobile [2] (« la Loi »). Il plaide plus spécifiquement que le TAQ était bien fondé d'appliquer le décret adopté en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective [3] au lieu de procéder au calcul prévu au Règlement.
[3] La norme de contrôle applicable ne fait pas de doute; c'est celle de la décision raisonnable, tel que l'ont d'ailleurs plaidé les procureurs des deux parties, s'agissant de l'interprétation de dispositions que le TAQ avait pour mission d'appliquer. Cette norme permet de réviser une décision qui ne possède pas les attributs de la raisonnabilité, lesquels tiennent à la justification, la transparence et l'intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit [4] .
[4] La Cour suprême indique, dans l'affaire Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) [5] , que les motifs du juge administratif n'ont pas à tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale et qu'il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments. Les motifs répondent aux critères de transparence et d'intelligibilité s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si le résultat fait partie des issues possibles acceptables compte tenu des faits et du droit [6] :
«[11] Il convient de reprendre les passages clés de l’arrêt Dunsmuir qui établissent le cadre de cette analyse :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel , ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
…Que faut - il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » [. . .] Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [ traduction ] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [ traduction ] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » . . . [Je souligne; références omises; par. 47-48.]
[12] Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [ traduction] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :
[ traduction] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer . Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien-fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. [Je souligne.]
(David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)
Voir
aussi David Mullan, «
Dunsmuir v. New Brunswick
, Standard of Review
and Procedural Fairness for Public Servants : Let’s Try Again! »
[13]
C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut
interpréter ce que la Cour voulait dire dans
Dunsmuir
lorsqu’elle a
parlé de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence
et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ». À mon avis,
ces propos témoignent d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de
décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent
souvent contre-intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères
d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent
propres à leurs champs d’activité.
C’est sur ce
fondement que notre Cour a changé d’orientation dans
Syndicat canadien de la
Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick
,
[14] Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§ 12:5330 et 12:5510) . Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).
[15] La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » ( Dunsmuir , par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[16]
Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous
les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le
juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute
leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable
de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion
explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il,
qui a mené à sa conclusion finale (
Union internationale des employés des
services, local n
o
333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn.
,
(Les soulignements sont dans le texte et l'emphase en caractères foncés est de la soussignée.)
[5] Les faits ne font l'objet d'aucune contestation. Monsieur B..., sans emploi au moment d'une rechute en 2006, laquelle est survenue à la suite d'un accident d'automobile, avait travaillé comme ferblantier en 2002. La SAAQ reconnaît qu'il s'agit de l'emploi à considérer afin de déterminer l'indemnité de remplacement. Elle est cependant d'avis que cette indemnité doit être déterminée en appliquant au revenu réellement gagné en 2002 le calcul prévu au Règlement pour actualiser le montant en 2006, plutôt que le revenu fixé pour les ferblantiers en vertu du décret applicable en 2006.
[6] Les dispositions de la Loi sur l'assurance-automobile directement applicables au droit à une indemnité d'une victime sans emploi capable de travailler et qui a subi une rechute, comme Monsieur B..., sont les suivantes:
« 23 . La présente sous-section ne s'applique pas à une victime âgée de moins de 16 ans, ni à celle âgée de 16 ans et plus qui fréquente à temps plein un établissement d'enseignement de niveau secondaire ou post-secondaire.
24 . La victime qui, lors de l'accident, n'exerce aucun emploi tout en étant capable de travailler a droit à une indemnité de remplacement du revenu durant les premiers 180 jours qui suivent l'accident dans les cas suivants:
1° en raison de cet accident, elle est incapable d'exercer un emploi qu'elle aurait exercé durant cette période si l'accident n'avait pas eu lieu;
2° en raison de cet accident, elle est privée de prestations régulières ou de prestations d'emploi ayant pour objet d'aider à acquérir par un programme de formation des compétences liées à l'emploi, prévues à la Loi concernant l'assurance-emploi au Canada (Lois du Canada, 1996, chapitre 23) auxquelles elle avait droit au moment de l'accident.
La victime a droit, durant cette période, à cette indemnité, dans le cas prévu au paragraphe 1° du premier alinéa, tant que l'emploi aurait été disponible et qu'elle est incapable de l'exercer en raison de l'accident et, dans le cas prévu au paragraphe 2° du premier alinéa, tant qu'elle en est privée pour ce motif.
Toutefois, si la victime est à la fois visée aux paragraphes 1° et 2° du premier alinéa, elle ne peut cumuler les indemnités et, tant que cette situation demeure, elle reçoit la plus élevée.
25 . L'indemnité à laquelle a droit la victime visée au paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 24 est calculée à partir du revenu brut tiré de l'emploi qu'elle aurait exercé si l'accident n'avait pas eu lieu.
L'indemnité à laquelle a droit la victime visée au paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 24 est calculée à partir des prestations qui lui auraient été versées si l'accident n'avait pas eu lieu.
Pour l'application du présent article, les prestations auxquelles la victime aurait eu droit sont réputées être son revenu brut.
26 . À compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, la Société détermine à la victime un emploi conformément à l'article 45.
La victime a droit à une indemnité de remplacement du revenu si, en raison de cet accident, elle est incapable d'exercer l'emploi que la Société lui détermine.
Cette indemnité est calculée conformément au troisième alinéa de l'article 21.
Le premier alinéa ne s'applique pas à la victime qui a droit à une indemnité pour frais de garde conformément à l'article 80.
[…]
57 . Si la victime subit une rechute de son préjudice corporel dans les deux ans qui suivent la fin de la dernière période d'incapacité pour laquelle elle a eu droit à une indemnité de remplacement du revenu ou, si elle n'a pas eu droit à une telle indemnité, dans les deux ans de l'accident, elle est indemnisée, à compter de la date de la rechute, comme si son incapacité lui résultant de l'accident n'avait pas été interrompue.
Toutefois, si l'indemnité calculée à partir du revenu brut effectivement gagné par la victime au moment de la rechute est supérieure à l'indemnité à laquelle la victime aurait droit en vertu du premier alinéa, la victime reçoit la plus élevée.
Si la victime subit une rechute plus de deux ans après le moment indiqué au premier alinéa, elle est indemnisée comme si cette rechute était un nouvel accident. »
[7] Comme l'article 26 renvoie aux articles 21 et 45, il y a également lieu de reproduire ces dispositions:
« 21. À compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, la Société détermine à la victime un emploi conformément à l'article 45.
La victime a droit à une indemnité de remplacement du revenu si, en raison de cet accident, elle est incapable d'exercer l'emploi que la Société lui détermine.
Cette indemnité est calculée à partir du revenu brut que la victime aurait pu tirer de l'emploi que la Société lui a déterminé. Cette dernière fixe ce revenu brut de la manière prévue par règlement en tenant compte:
1° du fait que la victime aurait pu exercer cet emploi à temps plein ou à temps partiel;
2° de l'expérience de travail de la victime durant les cinq années qui ont précédé la date de l'accident et, notamment, des périodes pendant lesquelles elle était apte à exercer un emploi ou a été sans emploi ou n'a exercé qu'un emploi temporaire ou un emploi à temps partiel;
3° du revenu brut que la victime a tiré d'un emploi qu'elle a exercé avant l'accident.
Si, lors de l'accident, la victime exerçait plus d'un emploi temporaire ou à temps partiel, la Société lui détermine un seul emploi conformément à l'article 45.
Le premier alinéa ne s'applique pas à la victime qui a droit à une indemnité pour frais de garde conformément à l'article 80.
[…]
45 . Lorsque la Société est tenue de déterminer un emploi à une victime à compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, elle doit tenir compte, outre les normes et modalités prévues par règlement, de la formation, de l'expérience de travail et des capacités physiques et intellectuelles de la victime à la date de l'accident.
Il doit s'agir d'un emploi que la victime aurait pu exercer habituellement, à temps plein ou, à défaut, à temps partiel, lors de l'accident.»
[8]
En vertu de l'article 26, l'indemnité d'une victime doit en principe
être calculée conformément au troisième alinéa de l'article 21. Cette
disposition prévoit que l'
indemnité est calculée à
partir du revenu brut que la victime aurait pu tirer de l'emploi que la SAAQ
lui a déterminé
et que celle-ci fixe l'indemnité de la manière prévue au
Règlement en tenant compte de trois éléments qui n'ont pas d'incidence ici.
C'est l'article
« 5. Le revenu brut d'une victime qui, au moment de l'accident, n'exerce pas un emploi correspondant à l'emploi que lui a déterminé la Société mais qui a exercé un tel emploi au cours des 5 ans précédant le jour de l'accident est déterminé en utilisant le revenu brut le plus rémunérateur qu'a tiré la victime de cet emploi, calculé selon l'article 1 ou l'article 2 selon le cas, reporté sur une base annuelle, indexé selon la méthode indiquée à l'annexe II et réajusté selon le total des facteurs d'ajustement prévus à l'annexe 1. »
[9] Le revenu brut établi après indexation et ajustement en vertu du Règlement n'est qu'un revenu brut présumé [7] .
[10] Dans ce contexte, le TAQ pouvait-il raisonnablement entendre et tenir compte de la preuve du revenu brut réellement prévu par décret pour un ferblantier pour l'année pertinente? La SAAQ a plaidé à l'audience que non et a également soutenu que les décisions du 12 mai 2001 [8] et du 6 novembre 2012 [9] du TAQ, ci-après respectivement TAQ 1 et TAQ 2, n'étaient pas suffisamment motivées et étaient déraisonnables au motif qu'elles se sont refusées à appliquer le Règlement.
[11]
Même si la décision de TAQ 1 est laconique, elle décide que le salaire
du décret doit servir de base pour fixer l'indemnité
[10]
.
Tant l'article
[12]
Il semble toutefois que la SAAQ n'ait pas soumis d'argument au sujet de
l'application du décret. En effet, au résumé des arguments présentés par les
parties, il est simplement indiqué que la SAAQ admet que l'article
[13]
Lors de la révision devant TAQ 2, la SAAQ a clairement plaidé que le TAQ
ne pouvait appliquer l'article
« [14] Si on applique le décret en vigueur en 2002 et qu'on le revalorise jusqu'en 2006, le résultat est inférieur par rapport à l'application directe du décret de 2006. Le résultat par la décision n'est pas à ce point déraisonnable qu'elle constitue un vice de fond. Ce n'est pas la première fois qu'une formation du Tribunal favorise la solution la plus adéquate possible pour l'accidenté (6).
[15] De toute évidence, la
première formation n'a eu aucune hésitation à appliquer le revenu prévu au
décret de 2006 et si la présente formation faisait une lecture différente de
l'article
6
J.D. c. S.A.A.Q.
,
[14] Dans l'affaire J.D. c. S.A.A.Q [13] . , à laquelle TAQ 2 réfère, on peut lire ce qui suit:
« [30] Au risque de se répéter, le Tribunal considère que le but premier de la Loi sur l'assurance automobile est d'indemniser le plus adéquatement possible une victime . Le fait de refuser de revoir une décision alors qu'il est évident que la perte réelle de revenus n'est pas tenue en compte et considérant que ce refus peut influer sur les indemnités futures de la requérante représente pour le Tribunal une injustice flagrante. » (Le soulignement est de la soussignée.)
[15] Le Tribunal comprend le fondement des décisions TAQ 1 et TAQ 2. Conformément aux enseignements de la Cour suprême ci-haut cités, il y a lieu de déterminer si le résultat fait partie des issues possibles acceptables compte tenu des faits et du droit, tout en portant une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui de ce résultat et en cherchant à compléter ces motifs, même si la SAAQ les considère insuffisants, avant de les contrecarrer.
[16] D'entrée de jeu, il faut souligner que le décret appliqué par TAQ 1 est publié à la Gazette officielle du Québec, tel que le prévoit la Loi sur les décrets de convention collective , et que le TAQ doit en prendre connaissance d'office tel que le stipule la Loi sur la justice administrative [14] à l'article 140:
« 140. Outre les faits dont la notoriété rend l'existence raisonnablement incontestable, le Tribunal doit, dans les domaines relevant de sa compétence, prendre connaissance d'office du droit en vigueur au Québec. Sauf dispositions contraires de la loi, doivent cependant être allégués les textes d'application d'une loi qui ne sont pas publiés à la Gazette officielle du Québec ou d'une autre manière prévue par la loi. »
[17] Dans ce contexte particulier, les décisions du TAQ ne sont pas déraisonnables.
[18] C'est ici l'interprétation préconisée par la SAAQ qui donnerait lieu à un résultat absurde et déraisonnable, soit l'application stricte d'un calcul qui vise à actualiser un revenu dans le but d'indemniser adéquatement une victime alors qu'un décret adopté en vertu d'une loi d'ordre public détermine déjà ce revenu pour la période pertinente, et ce, de façon plus avantageuse pour cette victime. Un tel résultat serait contraire au sens commun et à l'objet de la Loi, dont celui de l'article 21 de la Loi qui vise à ce que l' indemnité soit calculée à partir du revenu brut que la victime aurait pu tirer de l'emploi que la SAAQ lui a déterminé .
[19] Il est bien évident que le calcul prévu au Règlement vise à éviter les litiges quant à la détermination d'un revenu actualisé. Autrement, cette question serait potentiellement susceptible d'une longue preuve contradictoire de part et d'autre. Ces préoccupations sont cependant sans pertinence lorsque les revenus sont fixés par décret et ne sont donc pas susceptibles de donner lieu à un litige. De tels revenus n'ont pas à être déterminés par le TAQ en utilisant tout le processus prévu au Règlement car ils sont déjà déterminés dans un décret dont il doit prendre connaissance d'office. L'article 5 s'applique néanmoins pour qu'ils soient reportés sur une base annuelle, ce qui fait que l'indemnité est effectivement déterminée de la manière prévue par le Règlement.
[20] Le Tribunal reprend ici à son compte les propos éloquents de la juge Bich dans l'affaire 4053532 Canada inc. c. Longueuil (Ville de) [15] :
« [56] Peut-on pour autant donner raison à l'intimée en appliquant mécaniquement l'article 1.1 L.d.m.i. à la situation?
[57] L'argument de l'intimée résulte d'une lecture assez littérale des dispositions en jeu, mais il n'en est pas moins sérieux. S'il est vrai que tout exercice d'interprétation de la loi est centré sur la recherche de l'intention du législateur, et donc de ses objectifs, il va sans dire que le premier indice de cette intention et de ces objectifs réside dans les mots employés pour les exprimer .
[58] L'on ne peut pas, cependant, s'en remettre uniquement à la lettre de la loi, notamment parce que « si l'interprétation strictement littérale présume beaucoup des possibilités du langage humain, elle surestime aussi la clairvoyance et l'habilité des rédacteurs de textes législatifs », sans parler des occasionnelles maladresses rédactionnelles. Il faut tenir compte également de l'objet de la loi, de son contexte, de sa logique et de son esprit. Il faut tenir compte aussi des effets ou conséquences de telle ou telle interprétation, le législateur étant présumé ne pas avoir voulu légiférer de manière déraisonnable ou inique :
1612. On représente Thémis, déesse de la Justice, portant à la main une balance et, sur les yeux, un bandeau, symbole de l'indifférence à toute considération autre que légale. La justice devrait être insensible en particulier aux conséquences qui découlent de l'application impartiale de la loi : dura lex, sed lex . Heureusement que les juges sont humains, comme Lord Reid l'a fait remarquer, et qu'ils montrent une grande réticence à donner à la loi un sens qui mènerait à des résultats concrets manifestement déraisonnables ou inéquitables. Cette réticence se traduit, au moment de la justification de la décision, en présomption d'intention du législateur : on présume qu'il n'entend pas faire des lois dont l'application conduirait à des conséquences contraires à la raison ou à la justice.
[…]
1645. Le texte, qu'il soit clair ou obscur, ne saurait jamais être que le point de départ du processus d'interprétation : seule l'intention ou la norme peuvent en constituer l'aboutissement. D'ailleurs, une règle qui paraît conduire à une conséquence absurde ne saurait être jugée claire, car il y a certainement lieu de douter qu'elle puisse constituer le juste reflet de la pensée du législateur.
[59] Cette présomption, bien sûr, n'est pas sans limites, mais elle ne doit pas être ignorée et peut se révéler déterminante.
[60] C'est le cas ici, à mon avis. »
(Les références sont omises.)
[21] L ' indemnité a été fixée de la manière prévue au Règlement, tout en tenant compte qu'un décret adopté en vertu d'une loi prévoit de façon précise le revenu brut que la victime aurait pu tirer de l'emploi déterminé par la SAAQ pour l'année pertinente. C'est le résultat des décisions TAQ 1 et 2 et ce résultat est raisonnable.
[22] La requête en révision judiciaire doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[23] REJETTE la requête en révision judicaire;
[24] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ CHANTAL MASSE, J.C.S. |
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Me Julien Gaudet-Lachapelle |
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Raîche Pineault Touchette, avocats |
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Procureur de la demanderesse |
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Aucun représentant pour le défendeur |
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Me Anne Laverdure et Me François Miller Laverdure & Miller Procureurs de G... B... le mis en cause |
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Date d’audience : |
Le 13 novembre 2013 |
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[1] L.R.Q. c. A-25, r.7.
[2] L.R.Q. c. A-25.
[3] L.R.Q. c. D-2.
[4]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[5]
[6] Id., paragr. 11 à 16.
[7]
Voir à cet effet, l'annexe 1
in
fine
du Règlement: «
6
º
Toutefois, malgré le résultat de l'application des facteurs d'ajustement selon
la méthode indiquée dans la présente annexe,
le revenu brut présumé
ne
doit jamais être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du
salaire minimum prévu à l'article
[8] Pièce P-2.
[9] Pièce P-4.
[10] Pièce P-2, paragr.11.
[11] Id., paragr.5.
[12] Id.
[13]
[14] L.R.Q. c. J-3.
[15]