Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2014 QCTAQ 02441
Dossier : SAS-M-211798-1305
ANNE LEYDET
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Il s’agit d’un recours introduit le 24 mai 2013 par le requérant à l’encontre d’une décision du 6 avril 2013 du Service d’évaluation médicale et suivi du comportement de la Société de l’assurance automobile du Québec, la partie intimée. Par cette décision, l‘intimée fait suite à la réception du rapport d’évaluation sommaire de l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ci-après appelée l'ACRDQ).
[2] Ce rapport, en date du 2 avril 2013, recommande que le requérant se soumette à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ou de drogues ne soient plus incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. L’intimée informe donc le requérant dans sa décision du 6 avril 2013 que pour obtenir un nouveau permis de conduire, il doit se soumettre à un examen médical et se soumettre également à une évaluation complète auprès d'un Centre reconnu par l'ACRDQ.
[3] Le tout fait suite à la déclaration de culpabilité prononcée le 25 octobre 2012 pour une infraction commise à l’article 253 (1) (A) du Code criminel le 16 octobre 2011, entraînant la révocation du permis de conduire du requérant le 25 octobre 2012.
[4] L’intimée a produit à l’audience les documents qui ont servi à l’évaluation sommaire du requérant (Pièce cotée I-1, en liasse).
[5] L’intimée avait demandé préalablement au Tribunal d’émettre une ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion desdits documents.
[6] Compte tenu de la nature confidentielle des documents contenus à la pièce I-1, compte tenu de la nécessité de préserver l’ordre public, et dans le but d’assurer une bonne administration de la justice, le Tribunal a autorisé la production desdits documents, avec ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion émise le 5 décembre 2013 en vertu de l’article 131 de la Loi sur la justice administrative [1] .
[7] À l’audience, le Tribunal a entendu le témoignage du requérant. Il a également pris en considération la preuve documentaire, notamment I-1 en liasse, de même que les représentations de la procureure de l’intimée et celles du requérant.
[8] Après avoir délibéré sur le tout, le Tribunal conclut au rejet du recours, et ce, pour les motifs qui suivent.
[9] Le Code de la sécurité routière [2] énonce ce qui suit :
« 76. Sous réserve de l'article 76.1.1, aucun permis ne peut être délivré à une personne dont le permis a été révoqué ou dont le droit d'en obtenir un a été suspendu à la suite d'une déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), visée à l'article 180 du présent code , avant l'expiration d'une période d'une, de trois ou de cinq années consécutive à la date de la révocation ou de la suspension selon que, au cours des 10 années précédant cette révocation ou cette suspension, elle s'est vu imposer aucune, une seule ou plus d'une révocation ou suspension en vertu de cet article.
Si la
déclaration de culpabilité est suivie d'une ordonnance d'interdiction de
conduire prononcée en vertu des paragraphes 1, 2 et 3.1 à 3.4 de l'article
« 76.1.2. Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée.
La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa:
1° au moyen d'une évaluation sommaire , si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;
2° au moyen d'une évaluation complète, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle s'est vu imposer au moins une révocation ou suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool.
La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d'une évaluation complète.
La personne qui réussit l'évaluation sommaire doit, après avoir payé à la Société les droits afférents, suivre avec succès un programme d'éducation reconnu par le ministre des Transports et destiné à sensibiliser les conducteurs aux problèmes de la consommation d'alcool ou de drogue.»
(Notre emphase)
[10] Rappelons que l’évaluation sommaire est utilisée par l’ACRDQ et la partie intimée pour déterminer, non pas si une personne est alcoolique ou toxicomane, mais plutôt s’il existe des risques de récidive d’un comportement face à l’alcool ou aux drogues pouvant mettre en cause la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.
[11] Dans le respect d’un protocole universel (c’est-à-dire identique pour chaque personne devant s’y soumettre) établi par de l’ACRDQ, l’évaluateur qui agit pour l’ACRDQ communique avec la personne à évaluer pour convenir d’une date de rencontre. Lors de celle-ci, la signature de la personne à évaluer est obtenue sur les formulaires usuels de consentement à l’évaluation et d’autorisation de communiquer les renseignements contenus dans le dossier. De tels formulaires ont été signés par le requérant.
[12] Il est ensuite procédé à une entrevue structurée, lors de laquelle les réponses de la personne évaluée aux questions posées sont notées. Les points obtenus sont pondérés aux fins de coter ou non à divers facteurs.
[13] La personne évaluée doit ensuite se soumettre à divers tests standardisés. Les réponses aux questions font l’objet d’un pointage selon une grille de points prédéterminée.
[14] Il est également pris en note les informations relatives au dossier conducteur, lesquelles reçoivent également un pointage selon le protocole établi.
[15] Enfin, il est tenu compte des informations apparaissant au certificat du technicien qualifié et qui sont relatives aux taux d’alcool dans le sang lors de l’arrestation. Le pointage alloué varie selon la fourchette dans laquelle se situe le taux relevé au certificat.
[16] Selon le protocole utilisé par l’ACRDQ, lorsque la personne évaluée cote à 3 de la dizaine de facteurs retenus par ledit protocole, l’évaluation sommaire est défavorable et la recommandation sera automatiquement celle de soumettre la personne à une évaluation complète .
[17] En l’espèce, la preuve révèle que le requérant a coté à plusieurs facteurs du protocole.
[18] Au Facteur A, relatif aux données générales et démographiques, il a été noté lors de l’entrevue structurée que l’état civil du requérant était celui de célibataire ([…]), et qu’il avait moins de 36 ans ([…]), pour un total de […]. À 2 points et plus, la personne évaluée cote au Facteur A. C’est le cas du requérant.
[19] Le requérant a coté au Facteur B, relatif aux problèmes liés à l’alcool, et ce, en raison premièrement du résultat qu’il a obtenu au sous-test MAST, et deuxièmement du résultat obtenu au test RIASI-T.
[20] En effet, au sous-test MAST, à la question de savoir si le requérant avait déjà assisté à une réunion des Alcooliques Anonymes (AA), il a répondu par l’affirmative, ce qui donne […] au décompte. D’autre part, à la question de savoir s’il avait déjà été arrêté pour conduite en état d’ivresse, le requérant a répondu également par l’affirmative, compte tenu de son arrestation du 16 octobre 2011. Cette réponse donne […].
[21] Un résultat de 7 points ou plus au sous-test MAST donne un pointage pondéré de 2. Or, dès que le pointage pondéré est de 1 point et plus, cela entraîne la cotation au Facteur B selon le protocole établi.
[22] Au Facteur D, relatif aux habitudes de consommation d’alcool, il a été noté que le requérant avait eu une occasion de consommations à risque d’alcool dans les 35 jours précédant l’évaluation. En effet, le requérant a indiqué au questionnaire avoir pris quatre (4) consommations le 23 février 2013. Cela correspond à […] selon la grille de pointage, ce qui entraîne la cotation au Facteur D.
[23] Le requérant n’a pas coté au Facteur H, relatif aux infractions au Code de la sécurité routière , n’ayant commis qu’une infraction au cours des deux dernières années (conduite/usage d’un téléphone en main).
[24] Le Facteur I est relatif aux risques liés aux attitudes, intentions, comportements et cognition. Dans ses réponses au test standardisé, le requérant a obtenu un résultat pondéré de […] - risque faible - au sous-test de l’échelle LA (attitudes laxistes envers la conduite avec alcool).
[25] Il a obtenu un résultat pondéré de […] - risque faible - à l’échelle LD (nombre de fois dans le mois précédant l’évaluation à avoir conduit après avoir bu).
[26] Le requérant a obtenu un résultat de […] - risque élevé - à l’échelle DB (nombre de fois qu’il a conduit après avoir bu, au cours du dernier mois ou dans le mois précédant l’arrestation).
[27] Il a obtenu un résultat pondéré de […] - risque modéré - à l’échelle RB (nombre de fois, au cours du dernier mois ou dans le dernier mois précédant l’arrestation qu’il a été passager d’un conducteur qui a consommé de l’alcool).
[28] Enfin, le requérant a un résultat pondéré de […] à l’échelle de récidive RIASI-R, ayant obtenu […] à cette échelle.
[29] Lorsqu’une personne obtient […] et plus à l’ensemble des sous-échelles mentionnées ci-haut, il cote au Facteur I.
[30] Le Facteur J s’intéresse aux habitudes de conduite. Dans ses réponses aux ques-tions posées, le requérant a indiqué qu’il consommait habituellement dans les maisons d’amis ou de parents, ou encore à domicile sans déplacement. Le requérant indique à l’audience qu’il lui apparaît impensable de boire tout seul chez lui. Mieux vaut, selon lui, encourager des déplacements responsables. De toute façon, le Tribunal note qu’il n’a pas coté à ce facteur.
[31] Enfin, le requérant a coté au Facteur K, relatif à l’alcoolémie à l’arrestation. Le requérant a refusé de se soumettre à l’alcootest lors de son arrestation. Un tel refus emporte un résultat de […], ce qui fait en sorte que selon le protocole, le requérant cote au Facteur K.
[32] Bref, le requérant a coté aux Facteurs A, B, D, I et K.
[33] Le requérant soumet, quant au Facteur A, que même s’il fait partie de la catégorie des célibataires et des hommes âgés de moins de 36 ans, l’on devrait tenir compte de sa situation individuelle.
[34] Le Tribunal constate pour sa part qu’aucune erreur n’a été commise dans l’administration du protocole à cet égard. Le requérant fait bel et bien partie des catégories mentionnées ci-haut, et cote à celles-ci comme tout autre homme de son âge et de son état civil. Le Tribunal n’a pas à évaluer la valeur et pertinence de tels critères, qui sont le fruit d’un protocole bien établi.
[35] Quant au Facteur B, le requérant a expliqué à l’audience que c’est la Cour, lors de l’enregistrement de sa déclaration de culpabilité, qui lui a imposé l’obligation de s’inscrire au programme A, requérant sa participation à une rencontre hebdomadaire des AA pendant treize semaines.
[36] Le requérant déclare que ce programme lui a permis de mieux se connaître et qu’il a pu témoigner lors de ses rencontres aux AA du dommage que peut causer la consommation d’alcool. Cela lui a permis d’évoluer. Il ne comprend pas cependant pourquoi il aurait à pâtir de cet exercice par l’accumulation de […] au protocole.
[37] Le requérant mérite certes de se voir reconnaître le mérite d’avoir cheminé dans son attitude envers l’alcool grâce à ces séances.
[38] Cependant, le fait demeure que le requérant a participé à ces rencontres et que sa réponse affirmative à la question posée au protocole est valide, pour 5 points.
[39] Quant à la question relative à toute arrestation en état d’ivresse, le requérant se devait, comme tous ceux qui se soumettent au test et qui ont fait l’objet d’une arrestation en état d’ivresse, de répondre par l’affirmative à cette question, pour […].
[40] Au risque de se répéter, le principe est qu’il n’appartient pas au Tribunal de s’immiscer dans le choix des critères d’évaluation retenus par le protocole de l’ACRDQ ni à leur pointage.
[41] Le requérant doit donc coter au Facteur B. Ayant un résultat supérieur à 7 au MAST, cela donne […] au résultat pondéré, et le fait donc coter selon le protocole établi.
[42] Le requérant n’a pas fait de représentations particulières quant au Facteur D concernant sa consommation à risque de quatre consommations en une seule occasion le 23 février 2013.
[43] Relativement au Facteur I, le requérant a obtenu […] en tout aux diverses sous-échelles de ce facteur. Or, dès que le résultat total est égal à 1 point, la personne qui se soumet à l’évaluation cote à ce facteur.
[44] Aussi, et bien qu’il se soit porté en faux contre certains des points obtenus à diverses échelles, le requérant reconnaît à l’audience qu’il ne pourrait, malgré tous ses arguments, faire réviser le pointage suffisamment à la baisse pour obtenir une cote de 0 à ce facteur.
[45] Reste le Facteur K relatif à l’alcoolémie lors de l’arrestation. Le requérant ayant refusé de se soumettre à l’alcootest, il a obtenu […] ce qui le fait coter à ce facteur.
[46] Le requérant demande au Tribunal de lui retirer cette cote. Bien qu’il admette avoir opposé ce refus aux policiers, il croit que son cheminement depuis son arrestation justifie qu’il n’en soit pas tenu compte.
[47] Il invoque le fait que depuis son accident, il a fait une introspection sur sa conduite. Il dit avoir pris conscience de la gravité de sa conduite et a évolué positivement. Il a pris de bonnes habitudes de covoiturage, il prend aussi le taxi, a recours a un chauffeur désigné, et s’il le faut reste à coucher. Il éprouve une profonde honte mais trouve un certain réconfort dans le fait que son expérience a été susceptible de servir aux autres, notamment lors des rencontres aux AA. Tout cela devrait lui permettre de se faire pardonner son refus de se soumettre à l’alcootest.
[48] Le Tribunal ne saurait se rendre à cette demande. Il ne lui appartient pas de remettre en question l’application du Facteur K et la prise en compte du refus du requérant de se soumettre à l’alcootest lors de l’arrestation dans un cas où, comme celui en l’espèce, le requérant admet avoir opposé un tel refus aux policiers.
[49] La preuve n’a pas été faite que l’évaluation sommaire à laquelle s’est soumis le requérant comportait des erreurs déterminantes, ou encore que le protocole établi par l’ACRDQ avait été mal appliqué.
[50] Le requérant a coté à plus de trois facteurs, requérant qu’il se soumette à une évaluation complète selon le protocole établi.
[51] Le Code de la sécurité routière est d’ordre public.
[52] L’article 76.1.2 est clair : pour obtenir à nouveau son permis, une personne qui n’a pas vu son permis révoqué dans les 10 années précédentes pour une infraction reliée à l’alcool ou au refus de se soumettre à un échantillon d’haleine, doit se soumettre à une évaluation sommaire. Et si la personne échoue l’évaluation sommaire, elle doit se soumettre à une évaluation complète.
[53] Le Tribunal ne peut qu’applaudir le cheminement du requérant, ses efforts d’in-trospection, et son changement d’attitude face à l’alcool. L’évaluation complète permettra de valider le sentiment qu’a le requérant que son comportement envers l’alcool a changé pour le mieux, et qu’il ne présente plus de risque pour la conduite sécuritaire d’un véhicule.
[54] PAR CES MOTIFS , LE TRIBUNAL,
REJETTE le recours.
Raiche, Pineault, Touchette, avocats
Me Elena Iliescu
Procureure de la partie intimée
/cf