Réalisation François Bédard inc. c. Immeubles LGI

2014 QCCQ 1353

 

  JT1474

 
COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

« Chambre civile »

N°:

200-22-064416-126

 

DATE :

11 février 2014

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE MONSIEUR LE JUGE JACQUES TREMBLAY, J.C.Q.

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RÉALISATION FRANÇOIS BÉDARD INC.

 

Représentée par :

M e Émilie Nadeau (casier 12)

BCF

Demanderesse

c.

LES IMMEUBLES LGI

STEVE GOULET IMMEUBLES INC.

STEVE GOULET

 

Représentés par :

M e Bruno Lévesque (casier 106)

Lévesque Lavoie

Défendeurs

et

L’OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE QUÉBEC , 787, boulevard Lebourgneuf, Québec (Québec)  G2J 1C3

Mis en cause

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]              La demanderesse, Réalisation François Bédard inc. (Bédard), réclame une hypothèque légale pour 9732,51 $ à la suite de la pose du revêtement de fibrociment sur les murs extérieurs d’un immeuble. À l’audience, la réclamation est réduite à 7566,80 $.

[2]              Les défendeurs, Les immeubles LGI (LGI), Steve Goulet Immeubles inc. (Goulet Immeubles) et Steve Goulet (Goulet), allèguent un contrat forfaitaire à l’égard duquel les paiements qu’ils ont faits n’ont pas tous été comptabilisés. La prestation de Bédard serait déficiente entraînant la reprise totale des travaux. Ils désirent être remboursés en totalité et être dédommagés pour les matériaux fournis. La demande reconventionnelle est finalement portée à 20 380,41 $. Les défendeurs considèrent la publication d’une hypothèque légale comme étant excessive et réclament leurs honoraires professionnels jusqu’à la hauteur d’une somme de 9000 $.

Les faits

[3]              Le 11 juin 2012, un contrat intervient entre Bédard et Goulet alors propriétaire d’un immeuble en rénovation. Le contenu du contrat est énoncé par un écrit (P-4). Le coût serait de 4975,39 $ avant taxes en excluant les travaux de mise à niveau des murs et la fourniture d’échafaudage. Un acompte de 1548,26 $ est donné.

[4]              Les travaux sont exécutés par intermittence pendant environ un mois par deux artisans. Le chantier n’est pas terminé au 5 juillet. Bédard fait état de factures pour travaux de 17 197,23 $. Des paiements par chèques sur présentation de factures ont été réalisés pour une somme de 9630,43 $ (D-1). Ces factures ne font pas la distinction entre la pose du revêtement et la mise à niveau des murs.

[5]              Une hypothèque légale est dénoncée à Goulet le 26 juillet pour une somme de 9732,57 $.

[6]              Goulet a offert des échafaudages à Bédard, mais elle ne les a pas toutes utilisées préférant en louer à un coût de 1102,73 $ (P-5).

[7]              Claude R. Bisson, architecte, a subséquemment examiné les travaux. Il dénonce plusieurs manquements par rapport aux normes du fabricant du revêtement (D-2). On affirme que le travail devra être refait et qu’il n’a pas entraîné de plus - value.

[8]              Le matériel fourni par Goulet représente une valeur de 5000 $.

Questions en litige

1 re question :                Quel montant Bédard peut-elle réclamer?

2 e question :                 L’hypothèque légale est-elle valide et pour quel montant?

3 e question :                 Les travaux doivent-ils être refaits ou leur coût réduit?

4 e question :                 Les honoraires de l’expert Bisson sont-ils recouvrables de Bédard?

5 e question :                 Les défendeurs ont-ils droit à une indemnité pour perte d’outils et troubles et ennuis divers?

6 e question :                 Les défendeurs ont-ils droit de recouvrer les honoraires professionnels parce que la publication de l’hypothèque légale serait abusive et faite sans droit?

ANALYSE ET DÉCISION

1 re question :                Quel montant Bédard peut-elle réclamer?

[9]              La pose du revêtement sur la surface envisagée a été estimée à 5700 $ par Bédard. La preuve prépondérante est que le marché exige 4 $ à 4,50 $ pour ce travail au pied carré. La surface est de 1425 pieds carrés. Le montant pour la pose est donc raisonnable. Il doit être accordé avec une réduction de 900 $ pour les travaux non réalisés avant son départ du chantier du côté droit du bâtiment. Le revêtement du cabanon aurait été fait à cette date si Goulet avait réalisé ses travaux de préparation avec diligence. Un premier montant de 4800 $ est reconnu à Bédard. Le temps requis pour la pose des lattes n’a pas été comptabilisé distinctement. Une somme forfaitaire de 2400 $ est ajoutée sur la base de 80 heures réalisées à un taux horaire moyen de 30 $.

[10]           La preuve est concluante que 18 carrés d’échafaudage sont nécessaires pour l’exécution. Trois carrés ont été empruntés en laissant 15 à louer. La facture produite représente le double de cette quantité. Elle est donc considérée à moitié pour une somme de 475 $.

[11]           Le coût des travaux est de 7675$ auquel on doit ajouter les taxes pour un total de 8824,33 $. Bédard a reçu 9630 $ au fil des travaux sans considérer l’échafaudage. Compte tenu de la marge d’erreur dans l’appréciation, on note que la somme de 17 197,23 $ réclamée comporte un dédoublement au chapitre de la pose du revêtement pour environ 6500 $, celle-ci doit est réduite. L’échafaudage y est prévu pour une somme de 1102,73 $.

[12]           Considérant ces montants, le Tribunal juge donc raisonnable le montant déjà versé de 9630 $ comme étant un juste paiement des travaux qu’elle a réalisés pour Goulet.


2 e question :                 L’hypothèque légale est-elle valide et pour quel montant?

[13]           L’hypothèque légale est dénoncée à Goulet qui est la personne avec laquelle on contracte et qui est présente lors de l’exécution des travaux [1] . La remise des chèques avec d’autres appellations crée de la confusion. La vente à Goulet Immeubles est subséquente à l’exécution des travaux et faite à une personne liée (P-3). L’hypothèque légale devient donc inutile vu la conclusion précédente et devra donc être radiée.

3 e question :               Les travaux doivent-ils être refaits ou leur coût réduit?

[14]           L’expertise de Bisson est sévère pour Bédard. Certains manquements qui lui sont reprochés sont de la responsabilité de Goulet qui a tenté de les corriger après coup sans le dévoiler à son expert. Plusieurs reproches sont de nature esthétique pour des travaux réalisés sur une surface qui nécessitait beaucoup d’ajustements.

[15]           Finalement, la pose du revêtement n’a pas été suivie avec rigueur en fonction des exigences du manufacturier. Goulet a exécuté lui-même les travaux de calfeutrage.

[16]           L’expertise ne démontre pas que la durabilité du revêtement soit en péril. Goulet en s’immisçant dans la terminaison des travaux a accepté la partie réalisée par Bédard. En conséquence, la demande pour la reprise des travaux ou la réduction du prix est rejetée.

4 e question :               Les honoraires de l’expert Bisson sont-ils recouvrables de Bédard?

[17]           Claude Bisson réclame 1930,14 $ pour la préparation de son rapport d’expertise. La préparation et sa présence à l’audition ajoutent des honoraires pour un total de 2849,56 $. Malgré que la réclamation de Goulet contre Bédard pour malfaçon ne soit pas retenue, l’expertise Bisson a été utile pour permettre au Tribunal d’apprécier la qualité et l’étendue des travaux et de les visualiser. Bédard doit en supporter le coût en partie à la hauteur d’une somme de 850 $.

5 e question :               Les défendeurs ont-ils droit à une indemnité pour perte d’outils et troubles et ennuis divers?

[18]           Bédard est partie avec certains outils. Une somme de 350 $ peut être accordée compte tenu de la preuve contradictoire qui a été administrée et l’offre refusée d’en remettre un certain nombre.


[19]           Quant aux troubles et ennuis, la façon de recruter Bédard, la faiblesse des exigences énoncées lors de la conclusion du contrat, l’absence de surveillance serrée des travaux tant sur la quantité des heures travaillées que sur la qualité des ouvrages sont les raisons qui ont créé le litige en début de juillet 2012. À la suite de la rupture des relations avant même que les travaux soient complétés, le litige a requis des procédures judiciaires pour les mêmes motifs. Aucune indemnité n’est accordée pour des troubles et ennuis divers à l’occasion du litige.

6 e question :               Les défendeurs ont-ils droit de recouvrer les honoraires professionnels parce que la publication de l’hypothèque légale serait abusive et faite sans droit?

[20]           Les défendeurs réclament 9000 $ pour les motifs énoncés au paragraphe 36 de leur demande reconventionnelle qui se lit comme suit :

36. Par ailleurs, les défendeurs réclament à la demanderesse le remboursement des honoraires extrajudiciaires déboursés par ces derniers pour les frais relatifs à la présente instance, et ce, puisque l’Avis d’hypothèque légale a été inscrite de façon abusive, illégale et sans droit, somme actuellement estimée à 9 000 $, sauf à parfaire;

[21]           Les pièces D-12 à D-14 donnent le détail des honoraires professionnels encourus dans le dossier. La somme de 5135,93 $ correspond essentiellement à la préparation et à la tenue de l’audition.

[22]           À compter de la production du plaidoyer de défense survenu le 13 mars 2013, Bédard connaît les motifs de contestation et notamment qu’elle avait contracté une obligation forfaitaire pour l’exécution d’une partie des travaux.

[23]           À l’audience, elle réduit sa réclamation monétaire de 9732,57 $ à 7566,80 $. Cette démarche suppose qu’un réexamen a été fait et que l’on décide malgré tout de tenir une audition pour une valeur d’un peu plus de 16 000 $ en tenant compte des sommes déjà versées.

[24]           La pose du revêtement avait été estimée au départ à 5700 $. Même en ajoutant la préparation de la surface et l’échafaudage, il apparaît déraisonnable d’envisager tripler le coût des travaux qu’on réalise. Bédard ne fait pas la preuve d’un souci de comptabiliser précisément ses heures de travail et la nature des activités alors réalisées en les distinguant.

[25]           L’article 54.1 du Code de procédure civile (C.p.c.) permet au Tribunal, à tout moment, de déclarer qu’une procédure est abusive si son utilisation est faite de manière déraisonnable ou excessive.

[26]           Le premier alinéa de l’article 54.4 C.p.c. accorde au Tribunal la possibilité de condamner à des dommages-intérêts et à des dommages punitifs au moment où il constate un usage abusif de la procédure judiciaire.

[27]           Ce premier alinéa se lit comme suit :

      54.4. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

[28]           La Cour supérieure s’est déjà exprimée (cf. paragr. 27 et 28) sur des demandes similaires et on y retrouve les énoncés suivants dans deux jugements distincts :

[113]  L'article 54.4 C.p.c. prévoit que le tribunal peut attribuer des dommages-intérêts punitifs. Le Tribunal n'a aucune obligation de le faire, mais doit le faire en exerçant sa discrétion judiciaire si les circonstances le justifient. De plus, l'application des articles 54.1 et suivants C.p.c. peut être soulevée à tout moment, et même d'office par le juge du procès.

 

[114]  Les dommages-intérêts punitifs visent à empêcher le comportement fautif de se reproduire et non à compenser la victime du préjudice subi. Tenant compte des dispositions de l'article 1621 C.c.Q., de la conduite de la Capitale, du caractère abusif des procédures intentées contre Beldor et de la capacité financière de celle-ci, il y a lieu d'accorder des dommages punitifs de l'ordre de 15,000 $. [2]

[59]     Punitive damages must not usually exceed what is necessary to fulfill their objective, i.e. t prevent the repetition of the impeached acts. They are assessed after consideration of all the circumstances, including the degree of seriousness of the fault alleged, the financial situation of the perpetrator, the extent of the reparation to which the debtor is liable to the creditor of the obligation. There are aggravating factors such as the lien between the parties, the vulnerability of the victim, the degree of harassment, the seriousness of the acts, repetition of the acts and the utilization of the judicial system as a form of harassment or retribution. There are mitigating factors such as repentance, regrets, attempts to make restitution. These factors are not limited. [3]

[29]           Les honoraires réclamés visent aussi à exercer la demande reconventionnelle qui est rejetée et la préparation du témoignage de l’expert Bisson qui n’est utile que partiellement.

[30]           Pour ces raisons, le montant de 3500 $ apparaît approprié pour compenser la perte et dissuader Bédard, comme entrepreneur en construction, de continuer à agir comme il l’a fait pour sa présente réclamation.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

              REJETTE l’action de Réalisation François Bédard inc.;

DÉCLARE sans objet et ORDONNE la radiation de l’hypothèque légale publiée par Réalisation François Bédard inc. au bureau de la Publicité des droits de la circonscription foncière de Québec, le 25 juillet 2012 sous le numéro 19 293 240 contre l’immeuble suivant :

          DÉSIGNATION

Un immeuble connu et désigné comme étant le lot UN MILLION DEUX CENT VINGT-HUIT MILLE SEPT CENT CINQUANTE-NEUF (1 228 759) du cadastre du Québec, circonscription foncière de Québec.

Avec bâtisse dessus érigée, portant l’adresse civique 3385, boulevard Neuvialle, Québec (Québec)  G1P 3A7.

ORDONNE à l’officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Québec, mis en cause, de procéder à la radiation de ladite inscription, et ce, sur présentation d’une réquisition conforme aux prescriptions de la Loi et paiement des droits prescrits;

CONDAMNE Réalisation François Bédard inc. à payer les frais d’expert de Claude Bisson pour une somme de 850 $ dans les trente jours du présent jugement laquelle somme portera intérêt au taux de 5 % l’an à compter de cette échéance ainsi que les dépens sur l’action principale à l’égard d’un seul défendeur;

REJETTE la demande reconventionnelle de Les Immeubles LGI, Steve Goulet immeubles inc. et Steve Goulet de 20 380,41 $ avec frais;

CONDAMNE Réalisation François Bédard inc. à payer à Steve Goulet immeubles inc. la somme de 3500 $, laquelle somme porte intérêt au taux légal de 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du présent jugement.

 

 

JACQUES TREMBLAY, J.C.Q.

 


M e Émilie Nadeau (casier 12)

BCF

Procureurs de la demanderesse

 

Me Bruno Lévesque (casier 106)

Lévesque Lavoie

Procureurs des défendeurs

 

L’officier de la publicité des droits de la

circonscription foncière de Québec

787, boulevard Lebourgneuf

Québec (Québec)  G2J 1C3

 

Date d'audition : 5 septembre 2013



[1]     Vincent KARIM. Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), contrat de prestation de services et l’hypothèque légale , Wilson & Lafleur, 2 e édition 2011, paragr. 1870.

[2]       La Capitale services conseils inc . c. Beldor , 2012 QCCS 4387 , paragr. 113 et 114;

        Au même effet : Delacretaz c. Triple AAA Architecture and Construction Inc. , 2013 QCCA 2089 .

[3]       Chavaroly c. Costellese , 2012 QCCS 5327 , paragr. 59 et 61.