Pantoc et Mont-Royal (Ville) |
2014 QCCSST 43 |
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COMMISSION DE LA SANTÉ
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Direction régionale de l’île-de-Montréal 3 |
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N o Dossier CSST : |
139928808 |
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N o Plainte : |
MTL12-425 |
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Décision rendue, le : |
27 février 2014 |
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CONCILIATEUR-DÉCIDEUR: |
Chantal Mercier |
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Travailleur : |
Valeriu Pantoc |
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Employeur : |
Ville Mont-Royal |
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DÉCISION |
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[1]
Le 7 décembre 2012, le travailleur dépose à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) une requête en annulation de désistement de sa plainte, prétendant n’avoir jamais donné son désistement.
Cette requête vise la réouverture de la plainte MTL12-425 déposée le 5 septembre
2012 en vertu de l’article
[2] Plus précisément dans sa plainte du 5 septembre 2012, le travailleur allègue avoir été l’objet d’une suspension, de harcèlement et de mesures discriminatoires à la suite de l’exercice d’un droit.
[3] L’audience s’est tenue le 17 décembre 2013. Le représentant du travailleur ainsi que la procureure de l’employeur étaient présents à l’audience. Le travailleur était présent seulement en début d’audience tandis que l’employeur était absent.
[4] Dès le début de l’audience, la Commission expose aux parties les demandes de la procureure de l’employeur quant au déroulement de l’audience puis elle demande à s’entretenir avec les représentants des deux parties.
[5] Lors de la reprise de l’audience, le représentant du travailleur informe la Commission que son client a quitté l’audience considérant qu’il s’agissait d’une mascarade. Les deux représentants soumettent à la Commission que l’audience doit se poursuivre afin de faire avancer la cause. Le représentant du travailleur ajoute que malgré l’absence du travailleur, il est en mesure de le représenter.
[6] Avec l’accord des deux représentants, la Commission convient que l’audience portera premièrement sur la requête en annulation du désistement du travailleur et deuxièmement sur l’objection préliminaire de l’employeur quant à la recevabilité de la présente plainte.
[7] Le représentant du travailleur ainsi que la procureure de l’employeur reconnaissent que :
7.1. Le 6 décembre 2010, le travailleur est embauché par l’employeur comme agent comptable analyste.
7.2. Le 10 août 2012, le travailleur est suspendu de ses fonctions.
7.3. Aucun grief n’a été déposé concernant la suspension du 10 août 2012.
7.4. Le 5 septembre 2012, le travailleur dépose une plainte en vertu de l’article 227.
7.5. Le 5 septembre 2012, l’employeur fait expertiser le travailleur par le Dr. Jean-Pierre Berthiaume, psychiatre.
7.6. Le 12 septembre 2012, la plainte en vertu de l’article 227 déposée par le travailleur est fermée par la conciliatrice.
7.7. Le 25 septembre 2012, le Dr. Jean-Pierre Berthiaume remet à l’employeur son rapport d’expertise psychiatrique.
7.8. Le 7 décembre 2012, le travailleur dépose à la Commission une requête en annulation de désistement.
[8] Pour débuter, le représentant du travailleur confirme que le travailleur a bien donné son désistement verbal à la conciliatrice lors de leur conversation téléphonique du 12 septembre 2012. Toutefois, il prétend qu’en raison de ses problèmes de santé mentale, le travailleur n’a pu donner un consentement libre et éclairé.
[9] À cet effet, le représentant du travailleur fait remarquer que dès le mois d’août 2012, l’employeur avait un doute raisonnable quant à la santé mentale du travailleur. Il rappelle que l’employeur décide alors de le suspendre avec solde et de le faire expertiser en psychiatrie. L’expertise effectuée le même jour que la discussion avec la conciliatrice a démontré que le travailleur avait des problèmes de santé mentale. Cette même expertise a aussi permis au travailleur de bénéficier de l’assurance invalidité jusqu’en mai 2013, ce qui n’est pas contredit par la procureure de l’employeur.
[10] Le représentant du travailleur conclut que de toute évidence, le consentement du travailleur était vicié lorsqu’il a donné son désistement verbal à la conciliatrice. Il demande ainsi à la Commission d’accueillir la requête en annulation de désistement du travailleur.
[11]
Pour sa part, la procureure de l’employeur soutient que le
travailleur n’a pas respecté le délai lors du dépôt de sa requête en annulation
de désistement et qu’il n’a pas donné de motif raisonnable pour le justifier.
Elle explique qu’afin d’assurer la stabilité des décisions, la jurisprudence a
déjà établi par analogie que le délai à considérer lors d’une requête en
annulation de désistement est le même que le délai d’appel prévu à l’article
[12] La procureure de l’employeur souligne également que la lettre de fermeture du dossier de plainte émise par la conciliatrice démontre l’existence d’un désistement valide. Elle soutient que la conciliatrice n’aurait pas pris acte du désistement si elle avait perçu une quelconque incompréhension de la part du travailleur.
[13] En conclusion, la procureure de l’employeur demande de rejeter la requête en annulation de désistement du travailleur.
[14] Pour débuter son analyse, la Commission doit déterminer si le travailleur a bien donné un désistement à la conciliatrice ayant mené à la fermeture de son dossier.
[15] À cet effet, la Commission désire revoir la lettre du 12 septembre 2012 émise par la conciliatrice :
« Objet : Désistement d’une plainte
en vertu de l’article
No. de la plainte : MTL12-425
Monsieur,
Le 12 septembre 2012, vous nous avez informés, au cours d’une conversation téléphonique, que vous retirez la plainte que vous aviez déposée le 5 septembre 2012.
Nous prenons acte de ce désistement et nous fermons votre dossier de plainte MTL12-425.
Nous espérons que le tout sera à votre entière satisfaction et nous vous prions d’agréer, Monsieur, nos salutations les meilleures.
Christyne St-Laurent
Conciliateur-décideur. »
[16] En contrepartie, dans sa requête en annulation de désistement du 7 décembre 2012, le travailleur écrit qu’il n’a jamais donné de désistement lors de cette conversation :
« … Vous m’avez dit que vous devez fermer mon dossier à cause que vous ne me trouvez pas dans le système de CSST et par écrit vous avez envoyé seulement à mon employeur la lettre du 12 septembre 2012 en écrivant que vous avez fermé le dossier à ma demande…
… je vous prie de déclarer la lettre du 12 septembre 2012 nulle et non avenue et tenant compte que moi Valeriu Pantoc je n’ai jamais demandé la fermeture de ma plainte MTL12-425 [2] je désire qu’elle soit traitée favorablement.»
[17] Or, la Commission n’a pu bénéficier du témoignage du travailleur pour venir contredire la lettre du 12 septembre 2012, car il a choisi de quitter l’audience.
[18] De plus, la Commission souligne que malgré les écrits du travailleur dans sa requête en annulation de désistement, le représentant du travailleur n’invalide pas le fait que le travailleur puisse avoir donné à la conciliatrice un désistement verbal.
[19] Devant ces faits, la Commission confirme la présence d’un désistement tel que précisé dans la lettre du 12 septembre 2012.
[20] Maintenant, la Commission doit décider si la requête en annulation de désistement du travailleur du 7 décembre 2012 est recevable.
[21]
La Commission constate le vide juridique de la présente loi concernant
le dépôt d’une requête en annulation d’un désistement faite dans le cadre d’une
plainte en vertu de l’article
[22] Toutefois, malgré ce vide, la Commission n’adhère pas au courant jurisprudentiel dont la procureure de l’employeur fait mention, car ce courant réfère à un droit d’appel devant la Commission des lésions professionnelles, à savoir un tribunal administratif différent de la présente instance.
[23] Dans les circonstances, la Commission préfère déterminer si le travailleur a déposé sa requête en annulation de désistement à l’intérieur d’un délai raisonnable.
[24] Ainsi, à partir des informations inscrites par le travailleur dans sa requête, la Commission constate que le 9 octobre 2012, celui-ci se présente à nos bureaux. Il s’entretient avec la chef d’équipe du service de la conciliation et demande que son dossier de plainte soit rouvert.
«Le 09 octobre 2012, je suis allé à la CSST en demandant de parler avec un superviseur. J’ai rencontré pendant quelques minutes Madame Sophie Boudreault chef d’équipe en lui expliquant la situation décrite ci-haute, je lui ai demandé d’ouvrir le dossier de ma plainte MTL12-425, elle m’a dit qu’elle ne peut pas le faire…»
[25] La Commission reconnait que le travailleur a tenté de faire valoir ses droits dès le 9 octobre 2012 auprès de la chef d’équipe en lui manifestant une forme d’opposition à la fermeture de sa plainte. Puis, le 7 décembre 2012, il officialise ses démarches en déposant devant la Commission une requête en annulation de désistement afin de procéder à la réouverture de son dossier de plainte.
[26] Par ailleurs, la Commission tient à souligner qu’elle ne peut ignorer les démarches du travailleur initiées le 9 octobre 2012 sous prétexte d’irrégularité tel que précisé à l’article 353.
353. Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.
[27] En l’occurrence, la Commission considère que le travailleur a débuté ses démarches afin de faire changer le statut de son dossier à l’intérieur d’un délai raisonnable, à savoir 28 jours après la fermeture de sa plainte. Ainsi, compte tenu de la situation particulière du présent dossier, la Commission conclut que la requête en annulation de désistement du travailleur du 7 décembre 2012 a été déposée à l’intérieur d’un délai raisonnable. Par conséquent, la requête du travailleur est recevable.
[28] Pour terminer l’analyse de la requête en annulation de désistement, la Commission doit déterminer si le désistement du travailleur du 12 septembre 2012 est valide et décider s’il doit ou non être annulé.
[29] La Commission rappelle qu’un désistement est un acte juridique qui revêt un caractère définitif s’il a été fait de façon libre, éclairée et volontaire. Toutefois, pour que la Commission considère nul le désistement du travailleur, celui-ci doit démontrer avoir donné un consentement vicié. À cet effet, la Commissaire Montplaisir [3] a déjà précisé les motifs pouvant mener à l’annulation d’un désistement.
«Lorsque le désistement est produit à l’insu d’une partie;
Lorsque le désistement résulte d’une erreur de fait;
Lorsque le désistement est obtenu à la suite de menaces ou sous l’effet de la contrainte;
Lorsque le désistement est donné par une personne qui est dans un état dépressif ou sous l’effet d’une médication qui altère son jugement au point où celle-ci n’a pas la capacité de comprendre la portée de son acte.»
[30] À la lecture du rapport d’expertise psychiatrique du 25 septembre 2012, la Commission constate que le travailleur souffre d’un désordre délirant de type persécutoire.
[31] La Commission convient qu’elle n’a pas la compétence pour déterminer les sphères cognitives affectées ou non par un tel diagnostic. Toutefois, elle est en mesure de constater que lorsque le travailleur donne son désistement à la conciliatrice, il était déjà porteur de ce désordre psychologique ayant mené à une invalidité.
[32] Devant ce constat, la Commission estime qu’en raison de son désordre psychologique, le jugement du travailleur était altéré lors de son désistement et qu’il n’a pu produire un consentement libre et éclairé.
[33] Conséquemment, la Commission accueille la requête en annulation du désistement du travailleur, annule le désistement du 12 septembre 2012 et procède à la réouverture de sa plainte.
[34] Comme déjà mentionné dans la présente décision, la Commission doit maintenant procéder à l’analyse de l’objection préliminaire portant sur la recevabilité de la plainte.
[35] La procureure de l’employeur allègue que le travailleur n’a pas exercé de droit tel que requis pour le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 227. Selon elle, le fait de se plaindre d’harcèlement psychologique relève plutôt de la Commission des normes du travail.
[36]
En poursuivant, la procureure de l’employeur souligne que le
simple fait de se plaindre d’harcèlement psychologique n’est pas suffisant en
soi pour prétendre avoir exercer un droit tel que le prévoit l’article 9. Selon
la procureure de l’employeur, un travailleur doit concrétiser ses démarches en
exerçant un droit de refus de travail tel que le prévoit les articles
[37] Pour conclure, la procureure de l’employeur mentionne qu’en l’absence de l’exercice d’un droit, les critères de recevabilité d’une plainte sont incomplets. Elle demande à la Commission de déclarer irrecevable la plainte déposée par le travailleur.
[38] Pour sa part, le représentant du travailleur plaide qu’environ une semaine avant la suspension du 10 août 2012, le travailleur rencontre le représentant syndical pour se plaindre. Or, comme le démontre les documents déposés avec la présente plainte, les employés et l’employeur connaissent les démarches ainsi que les doléances du travailleur.
[39] Le représentant du travailleur rappelle aussi qu’à cette période, le travailleur se sent persécuté dans son milieu de travail tel que le démontrent les documents joints à la plainte, à savoir les courriels envoyés à sa supérieure. De plus, en décembre 2011 et durant les mois suivants, le travailleur dénonce auprès de son employeur subir du harcèlement. Puis, en juillet 2012, il se plaint du bruit à proximité de son bureau et demande d’être relocalisé dans un bureau fermé.
[40] En poursuivant, le représentant du travailleur expose que le travailleur désire un milieu de travail sain et qu’il est préoccupé par sa santé. De ce fait, le représentant considère que les actions entreprises par le travailleur auprès du syndicat et de son employeur constituent l’exercice d’un droit.
[41] Par ailleurs, le représentant du travailleur soutient que l’employeur a commis une erreur lorsqu’il a convoqué le travailleur à l’expertise du 12 septembre 2012. Il démontre que l’employeur s’est prévalu de l’article 209 la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles (LATMP) lors de la convocation alors qu’aucune attestation médicale n’a été remise par le travailleur à l’employeur. En soulevant cette erreur, il se questionne si cela a pu occasionner un doute dans l’esprit du travailleur quant à ses droits et ainsi justifier le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 32.
[42] En terminant, le représentant du travailleur demande à la Commission de déclarer recevable la plainte déposée par le travailleur en lui reconnaissant avoir exercé un droit que lui confère la loi.
[43] La Commission doit déterminer si le travailleur a exercé ou non un droit prévu à la LSST, et conséquemment, établir si ce critère de recevabilité au dépôt d’une plainte en vertu de l’article 227 est rencontré.
227. Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'un congédiement, d'une suspension, d'un déplacement, de mesures discriminatoires ou de représailles ou de toute autre sanction à cause de l'exercice d'un droit ou d'une fonction qui lui résulte de la présente loi ou des règlements, peut recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou, à son choix, soumettre une plainte par écrit à la Commission dans les 30 jours de la sanction ou de la mesure dont il se plaint.
[44] La Commission reconnaît que tous les travailleurs ont droit à des conditions de travail qui respectent leur santé, leur sécurité et leur intégrité physique. La Commission reconnaît également que tous les travailleurs peuvent exercer un droit de refus de travail s’ils considèrent raisonnablement que l’exécution de leur travail les expose à un danger pour leur santé, leur sécurité et leur intégrité physique.
9. Le travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.
12. Un travailleur a le droit de refuser d'exécuter un travail s'il a des motifs raisonnables de croire que l'exécution de ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l'effet d'exposer une autre personne à un semblable danger.
[45] Dans la présente affaire, la Commission retient que le travailleur se plaint, entre autres, à l’employeur et au syndicat de conflits avec des collègues de travail et que son espace de travail est trop bruyant. En l’absence du témoignage du travailleur, la Commission doit tenir compte de la preuve soumise par le représentant du travailleur. Or, cette preuve n’a pu mettre en évidence à la satisfaction de la Commission que les doléances du travailleur correspondent à un exercice de droit tel que défini à l’article 9, ni que le travailleur a exercé un droit de refus de travail comme le prévoit l’article 12.
[46] Également, en réponse au questionnement soulevé par le représentant du travailleur, la Commission spécifie qu’une erreur administrative commise par l’employeur ne crée pas de droit au travailleur pour le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 32. À cet effet, l’article 32 est clair, le travailleur doit avoir subi une lésion professionnelle ou avoir exercé un droit que lui confère la loi.
[47] En terminant, la Commission conclut que le travailleur n’a pas exercé de droit prévu à la LSST avant le dépôt de sa plainte en vertu de l’article 227 rendant ainsi incomplets les critères de recevabilité d’une plainte.
ACCUEILLE la requête en annulation de désistement du 7 décembre 2012.
ANNULE le désistement du 12 septembre 2012.
DÉCLARE IRRECEVABLE la plainte déposée par le travailleur le 5 septembre 2012.
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__________________________________ Chantal Mercier Conciliateur-décideur |
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Représentant du travailleur |
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Monsieur Daniel Morin |
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Représentante de l’employeur |
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Maître Audrey Dauphinais |
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Date d’audience : |
17 décembre 2013 |
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