Provigo Québec inc. (entrepôt Laval-transport) et Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 (grief collectif) |
2014 QCTA 160 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2014-3296 |
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Date : |
Le 12 mars 2014 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
ANDRÉ DUBOIS, M.Sc., LL.M., cria |
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Provigo Québec Inc. (Entrepôt Laval-Transport) |
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Ci-après appelé « l’Employeur » |
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Et |
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Travailleurs et travailleuses Unis de l’Alimentation et du Commerce, section locale 501
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Ci-après appelés « le Syndicat » |
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N o du grief : 61635 (collectif) Nature du litige : Paiement des primes de soir et de nuit aux chauffeurs du secteur longue distance (Programme ABC)
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Convention collective : 2012-2020 |
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Représentant l’Employeur : M e Kevin Roger |
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Représentant le Syndicat : M e Richard A. Moss
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Audience : 21 janvier 2014 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code du Travail, art. 100 et suivants) |
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I- LE MANDAT
[1] Par lettre de M. Robert Sévigny, représentant syndical, du 6 juin 2013, les parties me désignaient en qualité d’arbitre pour entendre et décider du sort du grief collectif n o 61635, réclamant le paiement des primes de soir et de nuit pour les chauffeurs œuvrant dans le secteur longue distance (Programme ABC).
[2] Le 19 juin 2013, j’adressais une lettre aux procureurs et convoquais les parties à une audience fixée le 21 janvier 2014, laquelle eut lieu à Laval.
lI- LE GRIEF
[3] Après que le procureur syndical eut déposé la convention collective applicable (S-1), il a produit le grief n o 61635 (S-2), déposé le 8 mai 2013. Il se lit comme suit :
Nature du grief :
Violation et interprétation des articles .01, 2 (abus du droit de gérance), 14 et de tout autre article de la convention collective.
Réf. : Paiement des primes de soir et de nuit aux chauffeurs ABC.
Grief de nature continue de l’application de la nouvelle convention collective à son règlement.
Règlement requis :
Le respect et l’application des articles ci-haut mentionnés de la convention collective.
Que l'Employeur paie les primes prévues à la convention collective.
Que l’Employeur rembourse les montants auxquels les salariés auraient eu droit pour la période couverte par ce grief.
Le tout, sans perte de droits, salaires et privilèges.
III- LES ADMISSIONS DES PARTIES
[4] L’essentiel de la preuve versée au dossier a consisté dans les admissions convenues entre les parties. Il convient de les reproduire intégralement.
1. Les parties sont liées par une convention collective (2012-2020), signée le 8 mars 2013 (pièce S-1).
2. Le ou vers le 8 mai 2013, le syndicat a déposé le grief collectif 61635 (pièce S-2).
3. Les parties reconnaissent que la procédure de grief prévue par la convention collective fut respectée par le syndicat pour le dépôt du grief 61635.
4. Les parties reconnaissent que le Tribunal d’arbitrage de grief est compétent pour trancher le grief 61635.
5. Aucune objection préliminaire n’est soulevée par les parties à l’égard du grief 61635.
6. Les parties conviennent de demander à l'arbitre de réserver sa compétence sur la question du quantum.
7. L’établissement visé par la convention collective est situé au 2700, avenue Francis-Hughes, à Laval. L’employeur y exploite un centre de distribution où est entreposée de la marchandise d’épicerie sèche (produits alimentaires non-périssables - par exemple : conserves, boîtes de céréales, pâtes alimentaires, contenants de jus, bouteilles d’eau, etc.).
8. À l’intérieur de l’établissement, nous retrouvons deux départements assujettis à la convention collective :
a. Le département Production et Entretien ;
b. Le département Transport.
9. De manière générale, les tâches suivantes relèvent des salariés du département Production et Entretien : l’entretien du bâtiment, la réception de la marchandise, la gestion de l’inventaire et la préparation des commandes devant être expédiées.
10. Pour sa part, le département Transport effectue le transport par camion des commandes jusqu’aux supermarchés d’alimentation exploités par l’employeur.
11. À l’intérieur du département Transport, nous retrouvons deux classifications selon la convention collective :
a. Chauffeurs de ville ;
b. Chauffeurs longue distance (Programme ABC).
12. Les chauffeurs de ville effectuent le transport de commandes par camion à l’intérieur d’un périmètre géographique donné.
13. Les chauffeurs longue distance effectuent le transport de commandes par camion à l’extérieur d’un périmètre géographique donné.
14. Les salariés du département Production et Entretien, ainsi que les salariés de la classification des chauffeurs de ville sont rémunérés en fonction des heures travaillées : ils reçoivent le paiement d’un taux horaire fixe pour chacune des heures travaillées.
15. Les chauffeurs longue distance ne sont pas rémunérés en fonction des heures travaillées. Ils sont rémunérés selon l’atteinte d’objectifs : ils reçoivent le paiement d’un montant fixe prédéterminé pour chacun des actes qu’ils posent, sans égard au nombre d’heures travaillées.
16. Lorsque les conditions établies par l’article 14.01 de la convention collective sont rencontrées, l'employeur verse la prime de soir ou la prime de nuit aux salariés du département Production et Entretien, ainsi qu’aux salariés de la classification des chauffeurs de ville.
17. L’employeur ne verse pas la prime de soir ou la prime de nuit aux salariés de la classification des chauffeurs longue distance.
IV- EXPOSÉ DE CAUSE DE L’EMPLOYEUR
[5] En guise de complément d’informations et de preuve et avec l’assentiment du procureur du Syndicat, le procureur de l'Employeur a déposé et brièvement commenté les pièces suivantes.
E-1 : Il s’agit d’un exemplaire d’une feuille de route qu’utilise quotidiennement chaque chauffeur effectuant la livraison longue distance.
E-2 : Il s’agit d’un exemplaire d’un tableau-formulaire intitulé « ABC COST », dont se sert quotidiennement l'Employeur pour déterminer la rémunération à laquelle a droit le chauffeur effectuant la livraison longue distance.
[6] Monsieur Stéphane Tremblay , directeur des opérations entrepôt, a également fourni les explications suivantes concernant la feuille de route (E-1), utilisée quotidiennement par chaque chauffeur effectuant la livraison longue distance ; on y retrouve le numéro de la remorque utilisée, les magasins ou endroits où ont été effectuées les livraisons, les heures de début et de fin de chaque livraison et des commentaires, s’il y a lieu.
[7] Relativement au tableau-formulaire (E-2), M. Tremblay a précisé qu’il s’agissait d’un document de gestion, lequel n’était pas destiné au service de la paie.
[8] Référant aux indications déjà contenues à la page 79 de la convention collective, M. Tremblay a fourni des explications sur la nature des informations qui sont contenues au document E-2.
[9] Ainsi, « avant départ », un montant de 9,50 $ est alloué au chauffeur ; cela comprend la prise de documents par le chauffeur et la vérification et l’inspection par ce dernier de son camion.
[10] Il y a, selon le nombre de livraisons effectuées, un montant qui est alloué au chauffeur. Ainsi, si le chauffeur effectue des livraisons multiples (plusieurs destinations), un montant de 14,25 $ sera alloué au chauffeur, pour chacune des livraisons.
[11] Pour reprendre l’exemple contenu dans le document E-2, trois livraisons font en sorte que le chauffeur se verra allouer 42,75 $ (14,25 $ x 3).
[12] Si la livraison ne vise qu’une seule destination, a poursuivi M. Tremblay, ou s’il s’agit d’une « cueillette » de marchandise, un montant de 19 $ sera alloué au chauffeur.
[13] Toujours en référant au document E-2, M. Tremblay a expliqué qu’un montant de 0,24 ¢ du kilomètre était également alloué, si bien que dans l’exemple produit, 411 km ont signifié la somme de 98,64 $ (411 km x 0,24 ¢).
[14] Enfin, le témoin a expliqué qu’une période de deux heures était prévue pour chaque livraison ou cueillette effectuée par un chauffeur. S’il y avait dépassement de la période de temps prévue, une « prime de retard » était alors allouée au chauffeur, laquelle variait en fonction du nombre de minutes de dépassement. Ainsi, dans l’exemple contenu au document E-2, comme il s’agissait d’une cueillette de marchandises effectuée à l’usine NAYA située à Mirabel et que le temps excédentaire s’est situé entre 1 et 48 minutes, un montant de 15,20 $ a été alloué au chauffeur.
[15] Reprenant le document E-2, et les exemples qu’il contient, M. Tremblay a conclu que dans un tel cas, le chauffeur a perçu, pour cette journée là, la somme de 194,56 $.
[16] Le procureur syndical n’estimant pas nécessaire d’ajouter à l’exposé de cause reçu, il s’est dit prêt à argumenter.
V- ARGUMENTATION DU SYNDICAT
[17] D’entrée de jeu, le procureur syndical a soumis que la question à laquelle devait répondre l'arbitre était la suivante : Les chauffeurs du programme ABC - effectuant la livraison longue distance - ont-ils le droit de recevoir la prime de soir ou de nuit ?
[18] Référant à l’article 24 intitulé « Dispositions relatives au département du transport », le procureur syndical a signalé qu’on ne retrouvait aucune disposition dans cet article mentionnant expressément que la prime de soir et de nuit, prévue à l’article 14, n’était pas applicable aux chauffeurs « longue distance ».
[19] Le procureur syndical a ensuite passé en revue la définition des termes pertinents prévus à l’article .03 du préambule de la convention collective.
[20] Ainsi, a-t-il noté, la clause A) détermine qu’il y a trois équipes de travail, de jour, de soir et de nuit.
[21] Il a attiré l’attention du Tribunal sur la notion « d’horaire » laquelle signifie « les jours de travail consécutifs ou non qui sont répartis à l’intérieur de la semaine normale de travail comprise du dimanche au samedi inclusivement, le tout en conformité avec les dispositions de l’article 10 ».
[22] Poursuivant sa revue de la définition des termes contenus à la convention collective, le procureur syndical a fait remarquer au Tribunal que la classification de « chauffeur longue distance (programme ABC) » était nouvelle et qu’elle a fait son apparition avec la conclusion de la présente convention collective.
[23] Le procureur syndical a rappelé le libellé de la clause 6.02 traitant de la période de probation, lequel lui apparaît pertinent.
[24] Essentiellement, cette clause prévoit que les 500 premières heures de travail de tout nouveau salarié constituent sa période de probation. Une fois la période de probation terminée, le salarié acquiert un droit d’ancienneté et la date correspond à celle de son embauche.
[25] Le procureur syndical a enfin rappelé à l'arbitre ses pouvoirs, soulignant que ce dernier n’avait pas le droit d’ajouter, retrancher ou changer quoi que ce soit, ni de rendre une décision contraire aux dispositions de la convention collective.
[26] Le procureur a passé en revue les dispositions des articles 10 (Heures de travail), 14 (Primes) et 24 (Dispositions relatives au département du transport) sur lesquelles nous reviendrons ci-après.
[27] Selon le procureur syndical, les dispositions de ces articles s’appliquent aux chauffeurs.
[28] Le deuxième alinéa de la clause 24.01 prévoit « qu’en cas de contradiction entre les dispositions de la convention collective et celles de l’article 24, les dispositions de ce dernier ont préséance sur celles de la convention » ; cela signifie, de dire le procureur syndical, que l’article 24 devrait préciser expressément que l’article 14 (relatif aux primes) ne s’applique pas.
[29] Citant, en exemple, le contenu de la clause 24.03 applicable au secteur du transport longue distance (Programme ABC), le procureur syndical a fait valoir que lorsque les parties avaient voulu exclure l’application d’une disposition qui se retrouve dans le corps général de la convention collective, elles l’avaient stipulé expressément.
[30] Ainsi, la clause 24.03 précise clairement que dans le programme ABC, les chauffeurs n’ont pas droit au temps supplémentaire.
[31] Cette disposition se veut cohérente, de dire le procureur syndical, puisqu’on a introduit dans le secteur du programme ABC, une « prime de retard ». Une telle exclusion n’a pas été prévue en ce qui a trait aux primes de soir et de nuit.
[32] La seule condition qu’impose l’article 14 (Primes), a fait valoir le procureur syndical, c’est que les salariés travaillent sur une équipe régulière. Or, d’ajouter le procureur, le programme ABC constitue une équipe régulière.
[33] Le fait qu’il soit prévu, à la clause 24.03 c), traitant de la rémunération, que « les chauffeurs sont rémunérés selon l’atteinte d’objectifs préalablement fixés », ne change rien, a soumis le procureur syndical, à leur droit de recevoir la prime de soir ou de nuit.
[34] En d’autres termes, de dire le procureur syndical, quelque soit la façon de calculer leur rémunération, les primes de soir et de nuit s’appliquent aux chauffeurs.
[35] Les chauffeurs du programme ABC ont beau avoir un horaire établi par l'Employeur, il leur arrive de devoir empiéter sur les heures de soir et de nuit. La loi et la réglementation imposent même la tenue d’un log book (journal de bord) visant à enregistrer la totalité des heures de travail effectuées. Conséquemment, si un chauffeur doit travailler durant certaines heures du quart de soir ou du quart de nuit, il a droit de percevoir la prime applicable aux quarts de soir ou de nuit.
[36] Le procureur syndical demande à l'arbitre d’accueillir le présent grief.
VI- ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR
[37] Revenant à son tour sur les dispositions de l’article 24 traitant des dispositions relatives au département du Transport, le procureur patronal a fait valoir qu’à la section 24.03 applicable au secteur longue distance (Programme ABC), il n’est aucunement précisé que l’article 14 du corps général de la convention collective, relatif aux primes de soir et de nuit, doit s’appliquer aux chauffeurs longue distance (Programme ABC).
[38] De plus, a tenu à faire remarquer le procureur patronal, les dispositions contenues à la clause 14.01 sont incompatibles avec le régime applicable aux chauffeurs longue distance.
[39] Dans sa revue des termes contenus dans la convention collective, le procureur syndical a référé à la période de probation. Or, de dire le procureur patronal, cette clause ne vise qu’à cerner la durée de la période de probation et n’a aucune incidence sur la rémunération.
[40] Quant à l’article 10, d’ajouter le procureur patronal, il suffit de le lire pour se rendre compte qu’il ne vise que les horaires de travail des salariés des départements de Production et d’Entretien. Il n’y a rien sur le transport. Il faut s’en remettre à l’article 24.
[41] Quant à l’argument qu’a voulu tirer le procureur syndical de l’existence d’un log book , le procureur patronal a soumis que cet instrument, prévu dans la loi, était relié à la sécurité et ne s’appliquait qu’à ceux qui effectuent des déplacements dont la distance excède 160 kilomètres. À tout événement, a soumis le procureur patronal, cet instrument n’a rien à voir avec la rémunération.
[42] Le procureur patronal a repris, à son tour, certaines dispositions de la convention collective. Ainsi, il a souligné que la clause .03 D) prévoyait que pour l’application de la convention collective, il y avait deux départements : celui de la Production et de l’Entretien et celui du Transport.
[43] On retrouve à l’article 12 les salaires pour les salariés de la Production et de l’Entretien, dont les échelles apparaissent à l’annexe 1.
[44] À la clause .03 E), on retrouve les classifications, au nombre de 5, pour le département Production et Entretien et l’on retrouve, pour le département Transport, les classifications chauffeur de ville et chauffeur longue distance (Programme ABC).
[45] La disposition relative à la rémunération du chauffeur de ville, laquelle renvoie à l’échelle prévue à l’Annexe 1, se trouve à la clause 24.02. Il s’agit d’un taux horaire fixe qui évolue selon le nombre d’heures de travail cumulées.
[46] Il faut s’en rapporter à la clause 24.03, applicable au secteur longue distance (Programme ABC) pour retrouver aux paragraphes C) et D) la rémunération et les règles qui sont applicables aux chauffeurs « longue distance » (Programme ABC).
[47] Il est admis, de dire le procureur patronal (voir admission au point 16) que la prime de soir et de nuit s’applique aux chauffeurs de ville.
[48] Il suffit de relire les clauses 24.03 C) et D) a soumis le procureur patronal, pour se rendre compte que les chauffeurs longue distance sont rémunérés en fonction de leur atteinte des objectifs fixés.
[49] À aucun endroit, de poursuivre le procureur patronal, ne fait-on référence à une équipe de jour, de soir ou de nuit, comme c’est le cas pour les chauffeurs de ville à la clause 24.02 C) et D).
[50] De façon analogue, il n’y a qu’à la clause 10.03 B) où l’on traite d’équipes de jour, de soir ou de nuit ; de plus, de faire valoir le procureur patronal, il n’était pas dans l’intention des parties d’accorder les primes de soir et de nuit aux chauffeurs longue distance.
[51] Le procureur patronal invite l'arbitre à relire les clauses 24.03 D) où les parties ont convenu en détails, des conditions de travail applicables aux chauffeurs longue distance (Programme ABC).
[52] Il a été tenu compte de la situation particulière des chauffeurs longue distance pour déterminer à partir de quelle rémunération de base ou taux de salaire de base seraient versés les différents avantages sociaux.
[53] En tout état de cause, le procureur patronal a soumis que les parties n’avaient prévu aucune disposition, à l’article 14 (Primes), qui rendrait les primes de soir et de nuit, applicables aux chauffeurs longue distance. Il faut donc s’en remettre à l’article 24 (Dispositions relatives au département du transport).
[54] En terminant, le procureur patronal s’est demandé si les parties étaient véritablement en présence d’une « contradiction », d’une « incompatibilité » entre les articles 14 et 24.
[55] Référant à différents dictionnaires [1] , le procureur patronal a fait valoir que le terme «contradictions» pouvait être assimilé aux termes « antinomie », « incompatibilité » ou « inconséquence ».
[56] Si la « contradiction » peut être la « relation entre deux termes, deux propositions qui affirment et nient le même élément de connaissance », « l’incompatibilité » peut se définir « de ce qui ne peut s’accorder avec une autre chose ».
[57] Si la réponse est affirmative, le grief doit être rejeté, de conclure le procureur patronal.
[58] Selon le procureur patronal, on ne peut demander à l'Employeur d’appliquer l’article 14 en faisant abstraction de l’article 24. Une prime, a-t-il dit, fait partie de la rémunération.
[59] En somme, de conclure le procureur patronal, la partie syndicale demande à l'Employeur d’introduire une disposition qui s’applique aux salariés payés à taux horaire pour la rendre applicable aux salariés rémunérés selon les objectifs.
[60] Le procureur patronal demande à l'arbitre de rejeter le grief.
VII- RÉPLIQUE DU SYNDICAT
[61] Le procureur syndical a brièvement répliqué en disant que l’argumentation du procureur patronal a démontré ce que le Syndicat entendait prouver.
[62] Lorsqu’on a voulu exclure une chose, on l’a précisé explicitement. À aucun endroit a-t-on prévu l’exclusion de l’application de l’article 14. C’est comme, a-t-il ajouté, les dispositions relatives à la fourniture des uniformes et des bottes.
[63] Une prime de soir ou de nuit, ça vient compenser pour le fait d’avoir à travailler à des périodes « moins courues ».
[64] À défaut de stipulation contraire, le grief doit être accueilli.
[65] Le procureur patronal a de nouveau répliqué en disant que les dispositions prévues à la clause 10.09 c) où il est fait mention d’équipe de jour, de soir et de nuit, ne visaient qu’à encadrer une « procédure de rappel au travail ».
VIII- DÉCISION ET MOTIFS
[66] Avant même d’aborder l’interprétation des textes pertinents de la convention collective en vue d’y déceler la volonté, l’intention commune des parties et d’en dégager l’interprétation qui doit prévaloir, soulignons au départ qu’il ne m’apparaitrait pas déraisonnable, à première vue du moins, d’affirmer que les primes de soir et de nuit sont applicables aux chauffeurs longue distance (Programme ABC).
[67] Il ne m’apparaitrait pas déraisonnable non plus, à première vue, d’affirmer que les primes de soir et de nuit ne sont pas applicables aux chauffeurs longue distance (Programme ABC).
[68] Quelle interprétation doit-on privilégier et retenir en pareilles circonstances ?
[69] Dans leur ouvrage « Droit de l'arbitrage de grief », les auteurs Morin et Blouin [2] identifient 11 règles d’interprétation qui sont susceptibles d’aider l'arbitre dans sa fonction interprétative de la convention collective.
[70] Ces règles visent à assister l'arbitre qui doit s’assurer du respect de la nature et de la portée de la convention collective, laquelle revêt à la fois un caractère contractuel, par la négociation collective, et un caractère réglementaire, par la détermination des conditions de travail qui doivent trouver application.
[71] Sans qu’il me soit nécessaire de référer à chacune de ces règles, il convient néanmoins de les énumérer :
Règle 1 : Les dispositions de la convention collective claires et précises ne souffrent pas d’interprétation.
Règle 2 : Les dispositions de la convention collective sont interdépendantes et s’expliquent dans leur ensemble.
Règle 3 : Les textes introductifs et les annexes sont parties intégrantes de l’acte et contribuent à expliquer le sens et la portée de la convention collective et vice-versa.
Règle 4 : La convention collective reçoit une interprétation libérale et positive permettant la réalisation de son objet et le respect de ses dispositions selon leurs véritables fins et portée.
Règle 5 : Une convention collective s’interprète en favorisant la réalisation de ses effets ordinaires et généraux et, à ces fins, en limitant ses effets d’exception.
Règle 6 : Quelque généraux ou restrictifs que soient les termes utilisés, la convention collective ne comprend d’autres prescriptions que celles qui en découlent, mais les comprend et les vise en totalité.
Règle 7 : À moins d’indication contraire et valablement arrêtée, la convention collective énonce ses prescriptions dans le respect des règles générales du droit.
Règle 8 : À défaut d’intention contraire exprimée à la convention collective, ses dispositions demeurent en vigueur et s’imposent intégralement pour toute sa durée.
Règle 9 : Les termes imprécis, ambigus ou douteux d’une disposition de la convention collective sont interprétés dans les sens qui convient le mieux à son objet.
Règle 10 : Les faits, circonstances et documents composants du contexte historique de la convention collective servent à établir la commune intention des parties non autrement expressément déclarée.
Règle 11 : Si on ne peut par ailleurs préciser l’intention commune des parties, la disposition de la convention collective s’interprète en faveur de celle qui ne pourrait autrement bénéficier de la pleine réalisation de cette disposition suivant ses véritables sens, esprit et fin.
[72] Bien que la convention collective ne soit pas une loi, qu’elle ne soit pas un contrat et malgré son caractère hybride, il arrive que l'arbitre doive également recourir aux règles du Code civil du Québec [3] en matière d’interprétation des contrats, contenus aux articles 1425 à 1432, pour l’aider à dégager l’interprétation d’une clause de la convention collective qui doit prévaloir.
[73] Les plus fréquemment cités sont les suivants :
1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.
1427. Les clauses s'interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble du contrat.
1428. Une clause s'entend dans le sens qui lui confère quelque effet plutôt que dans celui qui n'en produit aucun.
1431. Les clauses d'un contrat, même si elles sont énoncées en termes généraux, comprennent seulement ce sur quoi il paraît que les parties se sont proposé de contracter.
1432. Dans le doute, le contrat s'interprète en faveur de celui qui a contracté l'obligation et contre celui qui l'a stipulée. Dans tous les cas, il s'interprète en faveur de l'adhérent ou du consommateur.
[74] Les dispositions pertinentes de la convention collective utiles à la solution du présent litige sont les suivantes :
.03 INTERPRÉTATION DES TERMES
A) Équipe
Aux fins d’application de la convention collective, il y trois (3) équipes de travail :
-jour
-soir
-nuit
B) Horaire
Signifie les jours de travail consécutifs ou non qui sont répartis à l’intérieur de la semaine normale de travail comprise du dimanche au samedi inclusivement, le tout en conformité avec les dispositions de l’article 10.
C) Plage horaire
Signifie les heures de départ à l’intérieur d’un horaire, le tout en conformité avec les dispositions de l’article 10.03 c).
D) Département
Pour l’application de la présente convention, les départements sont au nombre de deux (2) soit :
-le département Production et Entretien
-le département Transport
E) Classification
Pour l’application de la présente convention, les classifications sont les suivantes :
Département Production et Entretien :
1. Préposé client ;
2. Préposé chariot-élévateur ;
3. Préposé quai ;
4. Préposé sanitation ;
5. Préposé entretien.
Département Transport :
1. Chauffeur de ville
-homme de cours (shunter)
2. Chauffeur longue distance (Programme ABC).
Article 6 Ancienneté et mouvement de main-d’œuvre
[…]
6.02 Les cinq cents (500) premières heures régulières travaillées de tout nouveau salarié doivent être considérées comme une période de probation et durant cette période, l'Employeur peut renvoyer ledit salarié sans avis ni recours au grief. Une fois la période de probation terminée, le salarié acquiert un droit d’ancienneté et la date correspond à celle de son embauche.
[…]
Article 9 Arbitrage
9.02 L'arbitre nommé se conforme aux dispositions de la présente convention. Il n’a pas le droit d’y ajouter, retrancher ou changer quoi que ce soit, ni de rendre une décision contraire aux dispositions de la présente convention.
Article 10 Heures de travail
10.01 Les horaires de travail sont établis par l'Employeur selon les besoins de l’opération et des règles stipulées dans cette convention.
10.02 En aucun cas, un salarié n’est tenu de travailler à plus d’une équipe de travail au cours d’une même semaine à l’exception d’un salarié à temps partiel qui peut être tenu de travailler un maximum de deux (2) équipes au cours de la même semaine.
[…]
10.03 La semaine normale de travail du salarié permanent des départements de Production et Entretien est répartie selon les règles qui suivent :
[…]
Article 14 Prime
14.01 Les salariés travaillant sur les équipes régulières de soir ou de nuit reçoivent , pour toutes les heures travaillées, une prime de quatre-vingts cents (0,80¢) l’heure entre 15h00 et 24h00 (minuit) et une prime de quatre-vingt-dix cents (0,90¢) l’heure entre 23h30 et 0h500.
[…]
( Mes soulignements )
Article 24 Dispositions relatives au département du Transport
24.01 Préambule
A) Les dispositions contenues à l’article 24 et dans la convention collective s’appliquent globalement pour les chauffeurs du département du Transport.
Cependant, en cas de contradiction entre les dispositions de la convention et celles de l’article 24, les dispositions de ce dernier ont préséance sur celles de la convention . ( Mes soulignements )
B) Dans le cadre des activités de transport de l'Employeur, les chauffeurs évoluent exclusivement au sein de l’un des deux (2) secteurs définis comme suit :
-Secteur de ville
-Secteur longue distance (Programme ABC)
Il ne peut y avoir de mouvement de chauffeurs entre ces deux (2) secteurs, à moins de l’obtention d’un poste par suite d’un affichage dans l’un ou l’autre des secteurs.
24.02 Secteur de ville
A) Périmètre
a) L’Employeur détermine un périmètre dans lequel s’effectue le transport de ville.
Il est loisible à l'Employeur de modifier ce périmètre selon ses besoins opérationnels. Ce périmètre ne peut toutefois être totalement éliminé.
b) L’Employeur détermine le nombre de chauffeurs dont il a besoin dans ce secteur.
c) Malgré le paragraphe b) précédent, les chauffeurs à l’emploi au 10 septembre 2012 conservent le droit d’évoluer dans ce secteur, sans possibilité pour l'Employeur de les muter au sein du secteur longue distance.
d) Afin de supporter tous les chauffeurs à l’emploi au 10 septembre 2012 dans ce secteur, il est loisible à l'Employeur d’élargir le périmètre pour y inclure ponctuellement des territoires couverts par le secteur longue distance.
B) Rémunération
Les chauffeurs sont rémunérés selon l’échelle prévue à l’Annexe 1.
C) Planification des routes
a) L'Employeur planifie les routes de voyages selon les besoins opérationnels
b) L’Employeur affiche, selon ses besoins, les différents horaires de travail, selon le point D) du présent article.
c) Le chauffeur choisit par ancienneté son horaire de travail lequel définit son heure de départ.
[…]
D) Semaine de travail
a) La semaine normale de travail du chauffeur permanent est répartie selon les règles qui suivent :
1. Quarante (40) heures par semaine ;
2. Cinq (5) jours consécutifs ou non;
3. Quatre (4) jours consécutifs ou non;
4. Huit (8) heures consécutives maximum par jour pour le salarié qui travaille sur un horaire de cinq (5) jours semaine ;
5. Dix (10) heures consécutives maximum par jour pour le salarié qui travaille sur un horaire de quatre (4) jours semaine ;
6. Deux (2) jours de congés consécutifs.
b) Horaire de travail
Jour, soir nuit :
1. Lundi au vendredi
2. Dimanche au jeudi
3. Mardi au samedi
4. Quatre (4) jours consécutifs ou non.
c) Heures de départ
Jour : entre 4h et 11h59 ;
Soir : entre 12h et 19h59 ;
Nuit : entre 20h et 3h59.
L’Employeur doit établir des horaires comportant des périodes de départ aux trente (30) minutes comme suit :
-Sur un horaire de huit (8) heures, à la quinzième (15 e ) et quarante-cinquième (45 e ) minute de l’heure;
-Sur un horaire de dix (10) heures, à l’heure et à la demi-heure.
[…]
H) Homme de cour
Un poste d’homme de cour (shunter) est créé sur chaque relève.
Ce poste fait partie de la sous-classification chauffeurs de ville.
[…]
24.03 Secteur longue distance (Programme ABC)
A) Territoire
a) Tout ce qui n’est pas inclus dans le périmètre déterminé par l'Employeur à l’article 24.02 A) est compris dans le secteur longue distance.
b) L’Employeur détermine le nombre de chauffeurs dont il a besoin dans ce secteur.
B) […]
C) Rémunération
a) Les chauffeurs sont rémunérés selon l’atteinte d’objectifs préalablement fixés .
b) Le chauffeur qui atteint les objectifs qui lui ont été assignés et qui a travaillé tous les quarts de travail programmés au cours d’une semaine de quatre (4) jours ou plus reçoit au minimum un montant de sept cent soixante dollars (760 $).
( Mes soulignements )
c) Le chauffeur qui atteint les objectifs qui lui ont été assignés et qui a travaillé tous les quarts de travail programmés au cours d’une semaine de trois (3) jours ou moins, reçoit au minimum un montant de cent cinquante-deux dollars (152 $) par jour.
d) Afin de définir la rémunération, un programme intitulé « Activités basées sur la compensation » (Programme ABC) est convenu entre les parties.
D) Programme ABC
a) Ce programme est basé sur l’atteinte d’objectifs précis et non sur la réalisation d’un nombre d’heures spécifique .
Chaque objectif atteint accorde au chauffeur une rémunération définie.
b) Une semaine de travail est complétée lorsque le chauffeur a travaillé tous les quarts de travail programmés au cours d’une même semaine.
c) La rémunération pour l’atteinte des objectifs est versée au chauffeur peu importe le nombre d’heures effectuées .
d) Il ne peut y avoir de temps supplémentaire dans ce secteur .
( Mes soulignements )
1. Atteinte des objectifs
a) Le chauffeur reçoit la rémunération mentionnée au tableau suivant lorsqu’il rencontre les objectifs qui y sont mentionnés :
Taux de kilométrage : Taux kilométrage pour train-routier : |
0,24¢ par km 0,275¢ par km |
Notre : Le kilométrage sera calculé selon «PC Miler» ou l’équivalent.
Avant départ Dételage/Attelage pour train-routier Attelage/Dételage pour train-routier Essence Tracteur (en route) Essence remorque (en route) Livraison LTL Livraison (TL)/cueillette Fin de livraison/ a rrivée Fin de livraison/Arrivée avec cueillette |
9,50 $ 2,50 $ 2,50 $ 3,75 $ 2,50 $ 14,25 $ 19,00 $ 6,35 $ 9,50 $
|
b) Les livraisons ou les cueillettes qui excèdent deux (2) heures doivent être signalées par le chauffeur au répartiteur. Le répartiteur examine par la suite le retard et autorise, le cas échéant, une prime de retard sur les heures qui excèdent ce deux (2) heures.
c) La prime de retard est établie selon le tableau suivant :
DURÉE TAUX FIXES |
|
De 1 à 48 minutes De 49 à 96 minutes De 97 à 144 minutes De 145 à 192 minutes De 193 à 240 minutes De 241 à 288 minutes De 289 à 336 minutes De 337 à 384 minutes De 385 à 432 minutes De 433 à 480 minutes |
15,20 $ 30,40 $ 45,60 $ 60,80 $ 76,00 $ 91,20 $ 106,40 $ 121,60 $ 136,80 $ 152,00 $ |
d) En cas de panne ou d’accident, le chauffeur bénéficie d’une prime de retard calculée selon le tableau défini au paragraphe c) et ce, à compter de la panne ou de l’accident jusqu’à ce que l’activité du chauffeur reprenne.
e) Dans l’éventualité d’une intempérie en cours d’assignation de travail, le chauffeur est indemnisé pour le retard selon le tableau défini au paragraphe c) pour autant qu’il ait avisé le répartiteur une fois son travail terminé.
( Mes soulignements )
Une telle indemnité ne peut cependant pas être accordée plus de quinze (15) fois par année.
E) Planification et attribution des routes
L'Employeur planifie et attribue les routes aux chauffeurs selon ses besoins opérationnels.
a) Semaine de travail
i) Le chauffeur est appelé à effectuer différents quarts de travail au cours d’une semaine s’établissant du dimanche au samedi.
ii) Le chauffeur choisit par ancienneté son horaire de travail, lequel définit son heure de départ.
iii) Un quart de travail doit comprendre la réalisation des objectifs demandés, le tout en conformité de la loi .
iv) Les pauses et les repas ne sont pas préalablement établis par l'Employeur, le tout étant laissé à la discrétion du chauffeur pour autant que cela ne nuise pas aux plages de livraison.
b) Avantages sociaux
Aux fins du paiement des différents avantages sociaux prévus à la convention collective, les parties conviennent d’une rémunération quotidienne de cent cinquante-deux dollars (152 $).
Toutefois, pour ce qui est des vacances, le chauffeur permanent reçoit une rémunération de sept cent soixante dollars (760 $) hebdomadaire ou le pourcentage qui lui est applicable selon la convention collective, soit le plus avantageux des deux.
Pour ce qui est du chauffeur à temps partiel, celui-ci reçoit le pourcentage qui lui est applicable selon la convention collective.
c) Nuitée
[…]
( Mes soulignements )
[75] C’est à dessein que j’ai reproduit bon nombre de clauses de la convention collective susceptibles de nous éclairer dans la solution du présent litige.
[76] Après les avoir révisées à plusieurs reprises et mûre réflexion, j’en arrive à la conclusion que les primes de soir et de nuit prévues à la clause 14.01 ne sont pas applicables aux chauffeurs qui sont assignés au secteur longue distance (Programme ABC).
[77] Plusieurs motifs et également de nombreux indices militent en faveur de cette conclusion.
[78] Au départ, soulignons que l’article 10 concernant les « heures de travail » vise essentiellement les salariés des départements de Production et Entretien.
[79] Mentionnons ensuite, malgré la mention à la clause 10.09 relative aux salariés à temps partiel des heures d’appel des salariés du département de Transport pour l’équipe de soir ou de nuit, que cela ne change rien au fait que si l’on veut connaître les dispositions relatives à la planification du travail, à l’attribution des horaires et à la rémunération des salariés affectés au département du transport, c’est à l’article 24 « Dispositions relatives au département de Transport » qu’il faut référer.
[80] En guise de troisième motif, il importe de rappeler que les parties ont pris la peine de préciser, à la clause 24.01 (Préambule) de cet article 24, « qu’en cas de contradiction entre les dispositions de la convention collective et celles se retrouvant à l’article 24, ce sont les dispositions de ce dernier article qui devaient avoir préséance sur celles de la convention collective ».
[81] L’article 24, contenant les dispositions relatives au département du Transport, établit une nette distinction entre les chauffeurs assignés au « secteur de ville » et ceux assignés au « secteur longue distance (Programme ABC) ».
[82] Il appert que les chauffeurs du « secteur de ville » se voient attribuer des horaires de travail plus stables, qu’il s’agisse de l’horaire de « 10 heures » ou de l’horaire de « 8 heures », puisque la clause 24.02 c) prévoit, au paragraphe d), que la programmation de travail ne comporte aucune fluctuation des heures de début de la journée à l’intérieur d’une même semaine de travail. De plus, seuls les chauffeurs du « secteur de ville » se voient octroyer une rémunération établie en fonction d’un taux horaire déterminé à l’Annexe 1, lequel évolue en fonction de la progression du nombre d’heures travaillées (tranches de 520 heures).
[83] Par ailleurs, l’article 24 détermine, à la clause 24.03, un système tout à fait différent pour les chauffeurs assignés au « secteur longue distance (Programme ABC) ». La planification du travail, l’attribution des horaires et la rémunération ainsi que tous les paramètres auxquels les parties réfèrent sont complètement différents de ceux utilisés pour les chauffeurs du « secteur de ville ».
[84] À sa face même, les parties ont voulu, par l’introduction d’un nouveau système applicable aux chauffeurs du « secteur longue distance », établir un système distinct, complet en lui-même, qui répond davantage aux préoccupations des parties et à la réalité vécue par les chauffeurs « longue distance » dans l’exécution de leur travail.
[85] Ce nouveau système axé essentiellement sur la réalisation d’objectifs à atteindre et à compléter peut donner lieu à l’exécution du travail sur plusieurs quarts de travail (24.03 E), a) [contrairement aux chauffeurs du « secteur ville »]). À aucun moment, la détermination de la rémunération - établie en fonction d’une série d’actes posés ou d’objectifs complétés - n’est associée à l’enregistrement du temps et au paiement d’un quelconque taux horaire.
[86] Or voilà, à mon avis, comme autre motif, une distinction fondamentale entre les chauffeurs du « secteur de ville » et ceux du « secteur longue distance » qui est déterminante dans l’application ou non de l’article 14.
[87] La clause 14.01, faut-il le rappeler, s’applique aux « salariés travaillant sur les équipes régulières de soir ou de nuit ».
[88] Il n’est pas assuré, du moins selon la preuve, que les chauffeurs « longue distance » puissent témoigner d’une telle stabilité.
[89] Au surplus, l’enregistrement du temps de travail des chauffeurs du « secteur de ville » (rémunérés selon un taux horaire) fait en sorte que le système qui leur est applicable n’est pas incompatible avec le paiement d’une prime de soir ou de nuit résultant de l’exécution d’un certain nombre d’heures de travail à l’intérieur d’une plage horaire donnée (soir : 15h00 à minuit - nuit : 23h30 à 5h00).
[90] Mais les particularités mises de l’avant par le programme ABC [voir 24.03 D), a) : où il est prévu que le programme est basé sur l’atteinte d’objectifs précis et non sur la réalisation d’un nombre d’heures spécifiques ] [voir 24.03 D) c) : où il est prévu que la rémunération pour l’atteinte des objectifs est versée au chauffeur peu importe le nombre d’heures effectuées ], rendent, à mon avis, l’application de la clause 14.01 nettement incompatible avec les dispositions de l’article 24.
[91] La mention voulant que les « chauffeurs longue distance soient rémunérés selon l’atteinte d’objectifs préalablement fixés » prévue à la clause 24.03 C), a), l’acceptation voulant « qu’un quart de travail comprenne la réalisation d’objectifs demandés » (24.03 E), a) ii)) et les garanties (24.03 C), b) et e)) associées aux modalités de rémunération du programme ABC, renforcent, à mon avis, cette interprétation.
[92] Dans son argumentation, le procureur syndical a fait valoir que lorsque les parties ont voulu qu’une disposition du corps général de la convention collective ne s’applique pas aux chauffeurs « longue distance », elles l’ont indiqué expressément. C’est ce que les parties ont stipulé à la clause 24.03 D), d) où il est prévu « qu’il ne peut y avoir de temps supplémentaire dans ce secteur ».
[93] Avec respect pour l’opinion du procureur syndical, j’estime que cette exclusion est davantage tributaire du mode de rémunération qui a été établi pour les chauffeurs longue distance (Programme ABC). Celui-ci est essentiellement axé sur la réalisation de tâches ou l’atteinte d’objectifs, il consacre une certaine discrétion et autonomie au chauffeur et il écarte toute notion de comptabilisation du temps travaillé.
[94] Par ailleurs, il importe de noter que les parties ont prévu une « prime de retard » [24.03 D), atteinte des objectifs b) et c)] advenant le cas où le chauffeur doit compléter des heures excédentaires imprévues ou occasionnées en raison de panne ou d’accidents hors de son contrôle. Cette exclusion de l’application de la clause relative au temps supplémentaire m’apparaît logique et cohérente dans le cadre du programme ABC mis de l’avant. L’omission de préciser pareille exclusion pour ce qui est de la prime de «s oir ou de nuit » me paraît sans conséquence, dans la mesure où j’estime que son application est incompatible avec l’article 24.
[95] On ne saurait, par une approche essentiellement littérale et sous prétexte que le texte de l’article 24 est muet quant à l’exclusion ou quant à la non application de la clause relative aux primes de soir et de nuit (14.01) aux chauffeurs « longue distance », prétendre, a contrario , que cette clause doit leur être applicable, alors que toute l’économie qui se dégage des textes de la convention collective et les incompatibilités qu’on y décèle nous convainquent que tel n’est pas le cas.
[96] Après avoir étudié la preuve, analysé les dispositions de la convention collective, soupesé les arguments des procureurs et mûrement délibéré :
Je rejette à toutes fins que de droit le grief collectif portant le numéro 61635.
À Montréal, le 12 mars 2014,
_______________________
André Dubois, cria , arbitre
[1] REY, A lain et J. REY-DEBOVE. Le Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française , Paris, Le Robert, 1988, pp. 380 et 980.
VILLERS, Marie-Éva de. Multi-dictionnaire de la langue française , 3 e édition, Québec-Amérique, 1997, pp. 340 et 769.
[2] MORIN, Fernand et Rodrigue BLOUIN, avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGI. « Droit de l'arbitrage de grief », Éditions Yvon Blais, 6 e édition, 2012, voir pages 497 et suivantes.
[3] LQ 1994 c. 64