Syndicat de l'enseignement de la région de Québec et Commission scolaire des Premières-Seigneuries ( Sandra Blondeau) |
2014 QCTA 204 |
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC TRIBUNAL D’ARBITRAGE
(Secteur de l’Éducation)
Griefs : n° 2010-0004358-5110
N o de dépôt : 2014-2671
DEVANT :
M e JEAN-PIERRE VILLAGGI
ARBITRE
SYNDICAT DE L’ENSEIGNEMENT DE LA RÉGION DE QUÉBEC
Ci-après « le Syndicat »
et
COMMISSION SCOLAIRE DES PREMIÈRES-SEIGNEURIES
Ci-après « l’Employeur »
__________________________________
Procureure du Syndicat : M e Linda Lavoie
Procureur de l’Employeur : M e Jean-Hughes Fortier
Décision Interlocutoire
Objection à la contre-preuve
[1] Le Tribunal a été saisi à l’origine de trois griefs (griefs n° 2010-0001920-5110, n° 2010-0002746-5110 et n° 2010-0002782-5110) déposés par le Syndicat. Le 27 juin 2011, le Tribunal rendait trois décisions par lesquelles il accueillait les griefs et conservait compétence pour déterminer si des dommages étaient dus et, dans l’affirmative, pour en fixer le montant (décisions n° 5110 10 08472, n° 5110 10 08473 et n° 5110 10 08474). Les parties n’ont pu en venir à une entente. Le 5 novembre 2012, le Syndicat nous demandait de fixer des dates d’audience pour entendre les parties (pièce S-1.4).
[2] À la même époque, nous fumes saisi d’un quatrième grief daté du 16 août 2010 (pièce S-1.1, grief n° 2010-0004358-5110), et ce, à la demande des parties (pièce E-1.1 et pièce S-1.4). Ce grief contestait une mesure disciplinaire prise par l’Employeur (pièce S-1.2). On lit :
PERSONNEL ET CONFIDENTIEL
SANS PRÉJUDICE
Québec, le 29 juin 2010
Mme Sandra Blondeau
Enseignante
École Parc-Orléans
OBJET: Mesure disciplinaire
(Suspension de 10 jours sans traitement, en vertu de l'article 5-6.00)
Madame,
Considérant qu'il y a eu plusieurs rencontres de discussion entre vous, votre direction d'école et les représentants des ressources humaines au cours des dernières années scolaires, compte tenu des mesures disciplinaires à votre dossier et considérant les événements décrits ci-dessous, la présente a pour objet de vous remettre à nouveau une mesure disciplinaire faisant état des difficultés rencontrées avec vous.
Approches pédagogiques inadéquates et refus des conseils par les divers intervenants du milieu :
Jeudi le 6 mai 2010, l'un de vos élèves de 1 iére année vous a demandé d'avoir accès à la classe afin d'aller chercher dans son bureau une carte de motivation qu'il avait reçue en éducation physique. Vous étiez alors devant la porte de votre classe, vous avez refusé l'accès à cet élève et vous avez quitté les lieux sans aucune explication à l'élève. L'enfant ne comprenait pas votre refus, alors qu'il était si simple pour lui de récupérer cette carte. Quelques secondes après, il a été retrouvé seul et en pleurs dans le corridor. Ce geste nous démontre à nouveau votre façon non respectueuse d'intervenir auprès des enfants et votre incapacité à gérer des comportements plus particuliers et à comprendre les besoins de vos élèves.
L'orthophoniste, vous a demandé à quelques reprises de ne pas travailler les sons en classe avec un élève présentant des troubles de langage, et ce, considérant la spécificité du diagnostic et du plan de traitement. Au cours du mois de mai, l'élève a mentionné à l'orthophoniste qu'il travaillait les sons avec vous en classe. Cela a comme impact de mettre en contradiction le traitement dispensé par l'orthophoniste et votre façon d'intervenir auprès de l'élève. De plus, vous avez avoué à l'orthophoniste que vous imitiez l'élève en classe lorsque vous ne le comprenez pas, et ce, en présence des autres élèves, ce qui est tout à fait non approprié dans le cadre du traitement.
En début d'année scolaire, on vous a demandé de favoriser des travaux d'enrichissement pour une élève, et ce, de façon spécifique. Plusieurs demandes à cet égard vous ont été formulées par la direction et le parent concerné. Lors d'une rencontre à ce sujet, la direction vous a proposé de rencontrer la professionnelle à la pédagogie afin de vous aider à trouver des outils ou des stratégies d'enrichissement facilitant ainsi votre travail. La direction vous a même offert de vous libérer afin de rencontrer la professionnelle à la pédagogie dans le but de ne pas alourdir votre tâche. Malgré cela, la seule solution que vous avez proposée à la mère concernée était d'acheter elle-même des livres que l'élève pourrait apporter en classe.
Vous avez à nouveau refusé l'expertise des intervenants de l'école, expertise à laquelle vos élèves ont droit. Aucune différenciation n'a donc été faite pour cette enfant en cours d'année, malgré toutes les demandes. Nous avons reçu une plainte à cet égard. L'élève en question ne trouve aucun intérêt à se retrouver en classe. Elle mentionne ne rien apprendre et pleure pour ne pas aller à l'école. Déjà en première année, l'élève est démotivée.
Des élèves et un parent ont fait mention que vous criez régulièrement après les enfants en classe. Un enfant mentionne: « Elle crie fort et me fait mal aux oreilles» et il porte ses mains pour couvrir ses oreilles.
À la mi-mai, vous faisiez l'évaluation de la lecture à l'extérieur de l'école. Vous étiez de dos à l'ensemble de vos élèves qui jouaient. Vous n'étiez pas en mesure d'effectuer la surveillance et d'assurer la sécurité de vos élèves. De même, l'élève évalué n'avait pas un environnement propice à l'apprentissage.
Le 30 avril 2010, vous avez rédigé quatre (4) demandes de référence pour les services professionnels. Ces demandes ont été reçues le 11 mai 2010 par Madame Diane Boutet, secrétaire de l'école. Les éléments suivants vous sont reprochés.
• Dépôt tardif de demandes d'intervention dans quatre dossiers, soit en fin d'année scolaire alors qu'il est pratiquement impossible d'intervenir de façon efficace à cette période de l'année;
• Pression indue à l'égard d'une collègue de travail soit la psychologue de l'école et atteinte à sa crédibilité professionnelle selon les propos inscrits dans le formulaire de demande d'intervention.
• Utilisation de jugements plutôt que la description des comportements dans les documents complétés: l'enfant doit passer de deux ans à sept ans de maturité.
La direction doit être informée de ces situations et ces dossiers doivent faire l'objet de discussions pour mettre des mesures d'aide en place. Dans tous ces cas, des approches pédagogiques différenciées auraient pu être mises en place afin d'assurer les chances de réussite de ces élèves notamment la professionnelle en pédagogie aurait pu être consultée dans ces dossiers tout au cours de l'année.
Vous refusez toute ouverture pour permettre la différenciation pédagogique requise pour les difficultés de certains élèves. Vous refusez tout conseil pédagogique. Certains enseignants nous ont même demandé que leurs élèves présentant des difficultés ne soient pas dans votre classe.
Insubordination:
• Le 12 mars 2010, il vous a été demandé, pour des raisons de sécurité, de ne pas obstruer la fenêtre de votre local et par conséquent de retirer le carton dans la fenêtre de votre classe. Vous avez effectivement obtempéré et retiré le carton, toutefois, quelques jours après, vous avez remplacé ledit carton par une bande de carton fleurie obstruant à nouveau la vue sur votre classe.
Relations interpersonnelles difficiles avec les collègues de travail :
• Une enseignante en musique a tenté de vous expliquer son retard suite à une récréation. Vous n'avez pas voulu entendre ce que l'enseignante avait à vous dire. Vous vous êtes mise à crier dans le corridor, devant les élèves, en lui mentionnant qu'elle était responsable de votre groupe et qu'elle se devait d'être à l'heure.
Malgré le fait qu'elle vous ait fait mention que vous étiez en présence d'élèves, qu'elle vous ait invitée à discuter dans la classe et non pas devant les enfants, vous avez poursuivi sur le même ton. Considérant votre approche, l'enseignante en question a mis fin à la discussion. Le ton était inapproprié, hostile et vous avez à nouveau utilisé l'autorité sur une collègue de travail alors que vous n'en avez pas. Vous avez eu une attitude dénigrante à l'égard de votre collègue de travail. Elle peut être perçue comme abusive, humiliante en public et pourrait constituer encore une fois une conduite vexatoire.
• Lors d'une autre occasion, vous êtes entrée directement dans la classe de cette enseignante en musique qui n'avait pas complété son cours avec un autre groupe d'élèves. Dans le cadre d'une activité spéciale, ces élèves du cours précédant le vôtre présentaient un numéro à leur titulaire. Vous avez brusquement interrompu leur prestation en faisant entrer votre groupe d'élèves. Vous vous êtes empressée par la suite de déposer une photocopie de l'horaire des cours, vous avez placé en surbrillance l'horaire de votre groupe en exigeant le respect de l'horaire.
Suite à ces deux événements, vous n'avez pas interpellé la direction de l'école, qui est responsable de la gestion du personnel et de ces événements.
Aucune excuse ne fut formulée auprès de cette enseignante.
Approche non éthique et non professionnelle
Vous transmettez aux parents des mémos qui ne sont pas d'un niveau professionnel. Certains parents se sentent ridiculisés par les directives formulées. Nous retrouvons d'ailleurs plusieurs fautes d'orthographe dans ces documents.
Comme plan de travail, vous prévoyez pour vos suppléants des documents qui ne sont pas de niveau professionnel. Il est très difficile de comprendre le travail à effectuer. Les documents sont malpropres et ne correspondent pas aux compétences recherchées.
Nous considérons qu'il s'agit de manquements aux devoirs de l'enseignant et aux compétences professionnelles requises notamment en ce qui a trait:
• à la formation intellectuelle et au développement intégral de la personnalité de chaque élève qui vous est confié;
• au développement chez chaque élève qui vous est confié du goût d'apprendre;
• à l'obligation de prendre des mesures appropriées qui vous permettent d'atteindre et de conserver un haut degré de compétence professionnelle.
Attentes:
Nous vous avisons donc que les gestes posés ont un impact sérieux notamment sur la qualité des services dispensés auprès des élèves et sur la crédibilité des services professionnels rendus par l'établissement et par la Commission scolaire.
Nous vous demandons, dans ce contexte, de remédier à cette situation en :
• réglant de façon appropriée les problèmes de comportement de vos élèves;
• faisant appel à la professionnelle à la pédagogie afin de vous outiller de stratégies notamment en vue de régler les problèmes avec les élèves présentant des comportements inappropriés ou des difficultés d'apprentissage, et ce, dans les délais appropriés;
• utilisant le soutien du personnel des services complémentaires afin d'identifier des stratégies de gestion de classe;
• portant une attention particulière sur l'approche relationnelle auprès des divers élèves, parents, supérieur immédiat et collègues avec qui vous êtes appelée à travailler;
• adoptant une approche éthique et professionnelle;
• en retirant tout élément faisant obstruction sur la fenêtre de votre local;
• en rétablissant les communications avec votre supérieur immédiat pour l'informer de toute situation particulière, et ce, en présence de votre déléguée syndicale si souhaitée.
En conséquence des faits reprochés, nous vous suspendons donc sans traitement pour une période de 10 jours ouvrables soit, du 20 septembre 2010 au 1 er octobre 2010 inclusivement. La direction prendra les mesures appropriées pour votre retour au travaille 4 octobre 2010. Nous ne pouvons souscrire à un tel comportement en tant que milieu d'éducation responsable des élèves qui nous sont confiés. Nous espérons que ces situations ne se reproduiront plus, à défaut de quoi nous nous verrons dans l'obligation de vous imposer des mesures disciplinaires plus sévères incluant le congédiement.
[...]
(Reproduit tel quel)
[3] Le Syndicat par son grief (pièce S-1.1) contestait cette mesure disciplinaire et invoquait notamment l’abus de droit de l’Employeur. On lit:
[...]
Les allégations contenues à la mesure disciplinaire imposée, en plus d’être fausses et dommageables, sont le résultat d’une enquête incomplète et d’un acharnement à l’égard de Mme Blondeau de la part de la Commission scolaire. Ainsi, en plus de ne pas être fondée, cette mesure est constitutive de harcèlement psychologique et d’abus de droit à l’égard de Mme Blondeau.
De plus, cette suspension disciplinaire constitue une mesure de représailles prise par la Commission scolaire, notamment à la suite du dépôt de griefs par le Syndicat pour Mme Blondeau et des procédures d’arbitrage qui en ont découlé.
[...]
3. DE CONSTATER la violation de la convention collective, l’abus de droit de la Commission scolaire et le non-respect des dispositions des différentes lois relatives au travail notamment le Code civil du Québec, la Charte des droits et libertés de la personne et la Loi sur les normes du travail;
[...]
6. D’ORDONNER à la Commission scolaire DE VERSER à Mme Blondeau un montant significatif à titre de dommages et intérêts pour l’ensemble des préjudices matériels et moraux qui lui ont été occasionnés par le comportement de la Commission scolaire, notamment les préjudices matériels relatifs à la coupure de traitement imposée à Mme Blondeau et les préjudices moraux pour douleurs, souffrances et inconvénients, atteinte à sa dignité et à sa réputation, et ce, avec les intérêts et l’indemnité additionnelles prévue au Code du travail depuis le dépôt du grief;
7. D’ORDONNER à la Commission scolaire de VERSER à Mme Blondeau une somme à titre de dommages exemplaires vu la violation d’une disposition de la Charte des droits et libertés de la personne, et ce, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue au Code du travail depuis le dépôt du grief;
[...]
(Reproduit tel quel)
[4] À l’automne 2012, soit à l’époque concomitante où une date d’audience était communiquée aux parties par le greffe du secteur de l’éducation, l’Employeur a retiré sa mesure disciplinaire invoquant que les trois autres griefs impliquant les mêmes parties ayant été accueillis, « il n’y a plus de dossiers relations de travail» (pièce E- 1.12). L’Employeur a ainsi remboursé à la salariée la période sans traitement qui lui avait été imposée. Le Syndicat a pris acte de ce retrait mais a informé l’Employeur qu’il maintenait sa réclamation en dommages. La seule question devant nous à l’égard du présent grief est donc uniquement celle concernant la réclamation pour dommages (pièce S-1.1).
Mise en situation
[5] Le 6 mai 2013, une conférence préparatoire a été tenue. Il a notamment été convenu qu’une preuve commune serait présentée à l’égard des quatre griefs pour lesquels le Syndicat demande des dommages : les parties peuvant référer à la preuve présentée dans les trois dossiers déjà entendus par le Tribunal (griefs n° 2010-0001920-5110, n° 2010-0002746-5110 et n° 2010-0002782-5110).
[6] À cette occasion, les pièces suivantes ont été déposées :
- Pièce S-1 .1: Le grief du Syndicat daté du 16 août 2010 (grief n° 2010-0004358-5110);
- Pièce S-1.2 : La mesure disciplinaire datée du 29 juin 2010;
- Pièce S-1.3 : L’avis de convocation daté du 21 juin 2010;
- Pièce S-1.4 : La lettre du 5 novembre 2012 par laquelle les parties demandent à ce que le soussigné soit saisi du grief S-1.1.
[7] Le Tribunal a rappelé que le fardeau de preuve appartenait au Syndicat. Le Syndicat a déposé deux tableaux exposant sa réclamation pour dommages matériels (pièce S-1.10) et pour dommages moraux (pièce S-1.11).
[8] Des audiences ont été tenues. Au cours de ces audiences, le Syndicat a débuté sa preuve en faisant témoigner le chiropraticien, la physiothérapeute, la psychologue et la médecin de la salariée, ainsi que son père et son conjoint. Le Syndicat a aussi fait témoigner le conseiller syndical et la déléguée syndicale pour la période concernée. Enfin, la salariée a témoigné sur son état de santé. Cette preuve, sans entrer dans les détails, cherche à montrer les dommages qu’aurait subis la salariée et le contexte dans lequel la mesure disciplinaire qui nous concerne lui a été communiquée. En défense, l’Employeur a fait témoigner la directrice des Services des ressources humaines qui a fait état de l’information dont elle avait connaissance avant qu’elle décide d’imposer une mesure disciplinaire en juin 2010. Il a aussi fait témoigner le directeur des Services des ressources humaines en exercice pour une période antérieure au mandat de l’actuelle directrice.
[9] En contre-preuve, le Syndicat a fait témoigner la vice-présidente du Syndicat qui a notamment fait état de son expérience d’enseignante de niveau primaire, et ce, en lien avec certains reproches exprimés dans la mesure disciplinaire. La plaignante Sandra Blondeau a aussi témoigné de nouveau pour commenter chacun des reproches faits dans la mesure disciplinaire, et ce, à la lumière des informations sur lesquelles s’est appuyé l’Employeur pour justifier sa mesure. Il convient de préciser que le Syndicat a pris connaissance des sources de l’Employeur qu’au moment où la directrice des Services des ressources humaines a témoigné en défense. Cette preuve était donc nouvelle.
[10] À la lumière du témoignage de la plaignante, l’Employeur a avisé le Syndicat qu’il entendait faire entendre cinq (5) témoins pour contrer la contre-preuve du Syndicat. Dans une lettre qu’il nous faisait parvenir par courriel le 9 décembre 2013, il s’exprime ainsi:
[...]
En fait, nous avions déjà annoncé notre intention de faire entendre les témoins, afin de rétablir les faits entourant certains événements contenus dans les déclarations obtenus par le Service des ressources humaines, et ce, en réponse au témoignage de la plaignante. De même nous entendons contrer l’argument voulant que ces déclarations puissent avoir été sollicitées des signataires, et ainsi, rétablir leur caractère libre et volontaire.
En raison de l’importance que peut avoir chacune de ces déclarations sur le caractère raisonnable et justifié de la démarche de la Commission scolaire ayant conduit à l’imposition de la mesure pièce S-1.2, il nous importe de connaître l’avis de l’arbitre quant à la recevabilité de cette preuve.
[...]
[11] Le Syndicat a informé le Tribunal qu’il s’opposait à cette demande de preuve additionnelle et demandait une décision écrite. Il considère que cette preuve est illégale.
Arguments des parties
Employeur
[12] L’Employeur plaide qu’il s’agit d’un dossier atypique et que les circonstances imposent qu’il puisse répliquer à la contre-preuve syndicale. En effet, dans les trois décisions déjà rendues, le Tribunal a entendu la preuve de l’Employeur, la défense du Syndicat puis la réplique de l’Employeur. Le Tribunal est ainsi en mesure d’apprécier l’entièreté de la démarche patronale et de porter un jugement sur la démarche suivie. Dans le cas du quatrième grief dont est saisi le Tribunal, l’Employeur a retiré sa mesure. Ainsi, le Tribunal a entendu le témoignage de la directrice des Services des ressources humaines sur les événements qui ont conduit l’Employeur à imposer une mesure disciplinaire, et ce, lors du témoignage de cette dernière en défense. Le Syndicat a fait valoir sa contre-preuve. Il importe donc que l’Employeur puisse répliquer comme cela s’est fait implicitement dans les autres dossiers. Il souligne que cette démarche est dans le meilleur intérêt du Tribunal qui sera en mesure de porter un jugement éclairé.
[13] Aux yeux de l’Employeur, c’est mal cerné le débat dans le présent contexte que de prétendre, comme le fait le Syndicat, que la preuve est close.
Syndicat
[14] D’emblée, le Syndicat plaide que la preuve que veut faire l’Employeur est irrecevable. En effet, l’Employeur veut faire une preuve sur le fond du litige alors qu’il a retiré sa mesure disciplinaire. L’Employeur est donc forclos de plaider sur le bien fondé de sa mesure. Le témoin principal de l’Employeur a déjà témoigné qu’il a cru les affirmations qui ont été mises à sa connaissance et qu’elle n’a pas fait de recherche particulière pour chercher à confronter les auteurs. Il ne peut donc ici chercher à compléter cette preuve et la faire bifurquer sur le fond du litige.
[15] À ce titre, le Syndicat plaide qu’en retirant sa mesure et en remboursant à la plaignante les dix (10) jours de suspension sans traitement qui lui avaient été imposés, l’Employeur admet qu’il a contrevenu à l’article 5-6.00 de la convention collective. Par analogie, on nous réfère à :
- Syndicat national des employés de la Commission scolaire des écoles catholiques de Montréal et Commission des écoles catholiques de Montréal , SAE 4224, 15 octobre 1986, Michael H. Cain, arbitre;
- Syndicat des professeurs du collège du Vieux-Montréal et Collège du Vieux-Montréal , SAE 3221, 15 février 1984, Jean Sexton, arbitre;
- Fernand MORIN, Rodrigue BLOUIN avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de griefs , 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, par. VII-22 et VII-71.
[16] Par ailleurs, la décision de l’Employeur de retirer sa mesure ne met pas fin au litige. Le Syndicat doit démontrer l’abus de droit de l’Employeur pour justifier la réclamation en dommages qui demeure pendante. La preuve de l’Employeur doit être pertinente et s’inscrire dans un cadre où l’on cherche à démontrer le caractère raisonnable de la décision prise à l’égard de la plaignante. En l’espèce, le Syndicat réitère que l’Employeur cherche à s’immiscer sur la question du bien fondé de sa mesure et ne tient pas compte de son « admission ». Sur la notion de faits pertinents :
- Fernand MORIN, Rodrigue BLOUIN avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de griefs , 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, par. VII-24 et VII-25;
- Louise VERSCHELDEN, La preuve et la procédure en arbitrage , Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 1994, p. 227;
Sur le fardeau de la preuve (caractère raisonnable du comportement) :
-
Houle
c.
Banque Canadienne Nationale
,
- Syndicat de l’enseignement des Deux-Rives et Commission scolaire des Découvreurs , SAE 7911, 29 mai 2006, Jean-Pierre Villaggi, arbitre, par. [88] et [96];
- Syndicat de l’enseignement de la région de Québec et Commission scolaire de la Capitale , SAE 8070, 4 juillet 2007, Jean-Guy Ménard, arbitre, par. [43], [45], [46], [49], [52] à [57].
Le Syndicat nous réfère aussi à :
- Syndicat des travailleuses et travailleurs de la commission scolaire Cœur-des-Vallées et Commission scolaire au Cœur-des-vallées , SAE 7801, 6 septembre 2005, Robert Choquette, arbitre, et Association de l’enseignement du Nouveau-Québec et Commission scolaire Kativik , SAE 7063, 22 août 2000, Robert Choquette.
Mentionnons que dans chacune de ces deux dernières décisions n’était pas en cause l’octroi de dommages en lien avec le comportement raisonnable ou non de l’employeur. La preuve des parties a donc porté sur la nature des sommes dues en application des dispositions de la convention collective. Ainsi, le lien avec notre situation quant à la nature de la preuve que doit faire le Syndicat est ténu.
[17] Le Syndicat plaide enfin qu’il est contraire aux règles fondamentales de la preuve que l’Employeur puisse scinder sa preuve. Il appartenait à l’Employeur de faire sa preuve au moment pertinent. La contre-preuve a pour objet de permettre à celui qui a le fardeau de la preuve de répondre aux faits nouveaux soulevés en défense. La «duplique» n’est permise que de façon exceptionnelle. Elle ne saurait permettre à une partie de scinder sa preuve en deux parties. Le Syndicat nous réfère aux autorités suivantes :
-
Québec
(Sous-ministre du Revenu)
c.
Meloche
,
-
Syndicat de l'enseignement de l'Outaouais
et
Commission scolaire
Coeur-des-Vallées (Michel Légaré)
,
-
Université Concordia
et
Association des professeurs de l’université
Concordia
,
-
Laboratoires Abbott , Limitée
et
Union des routiers, brasseries
liqueurs douces et ouvriers de diverses industries
,
- Syndicat des enseignants et enseignantes du collège de Drummondville et Collège de Drummondville , SAET 2993, 16 septembre 1983, Jean M. Morency, arbitre.
Analyse et Décision
[18] Il convient de rappeler brièvement les principes qui doivent nous guider. La jurisprudence produite par le Syndicat en fait la synthèse. Dans notre processus décisionnel, il est admis qu’il appartient à celui sur qui repose le fardeau de la preuve de procéder en premier. Dans l’affaire Syndicat des enseignants et enseignantes du collège de Drummondville et Collège de Drummondville [1] , l’arbitre Jean M. Morency expliquait bien les concepts applicables:
« [...] il est reconnu que c’est la partie qui a le fardeau de la preuve qui doit d’abord procéder. C’est à elle qu’il appartient, en premier lieu, de faire valoir ses moyens, par interrogatoire des témoins. La partie adverse pourra alors faire l’examen des moyens mis en preuve et, notamment, contre-interroger les témoins de la partie adverse. C’est alors que la partie sur laquelle repose le fardeau de la preuve peut réexaminer et contre-interroger ses témoins sur des éléments ou des faits nouveaux soulevés par le contre-interrogatoire. Lorsque la partie sur laquelle repose le fardeau a déclaré sa preuve close, la partie adverse procède à la présentation de sa preuve selon le même processus. Si cette preuve met en évidence de nouveaux faits, l’autre partie pourra alors présenter une contre-preuve sur ces nouvelles données.
C’est à ce niveau que se soulèvent bien des difficultés. En effet, très souvent la contre-preuve est utilisée pour tenter de bonifier une preuve défaillante ou pour tenter de faire pièce à un contre-interrogatoire de la partie adverse non favorable aux prétentions soutenues à l’origine.
En effet, le droit fondamental de se faire entendre a été assorti par nos Tribunaux de diverses règles en vue de permettre à chacune des parties de connaître en temps utiles, les prétentions de l’autre partie d’une part, et d’autre part, toutes les données et les éléments constitutifs du dossier sur lequel le Tribunal doit baser sa décision.
Il faut ainsi reconnaître que si une partie a le droit de se faire entendre, elle doit cependant le faire au temps opportun pour favoriser un juste équilibre des forces en présence et assurer la meilleure compréhension possible du problème par le Tribunal, sans pour autant déborder le champ de la preuve nécessaire au règlement du grief soumis.
C’est pourquoi les arbitres ont vite adopté les principes généraux gouvernant la preuve civile, convaincus sans doute que l’épreuve du temps en avait fait les meilleurs guides. La discrétion dont ils jouissent connaît ses limites dans une application judicieuse de celle-ci.
Les objections soulevées tendent à rappeler, non sans raison souvent, qu’une partie ne peut diviser sa preuve, la parfaire ou s’en servir pour confirmer ce qui a déjà été établi, ou encore pour contredire des témoins entendus sur des sujets déjà couverts.
[…]
Il en découle que la contre-preuve offerte à la discrétion de l’arbitre doit être de nature à l’éclairer sur un ou des aspects soulevés par la preuve apportée en défense, et non pas de nature à couvrir les éléments constitutifs de la preuve principale afin de la bonifier. »
(Références omises)
En l’espèce, l’arbitre Morency concluait [2] :
« Nous croyons qu’il était possible de connaître d’avance la preuve qu’entendait offrir le plaignant et qu’il y avait moyen de s’en prémunir en faisant une preuve satisfaisante à l’enquête principale; la version du plaignant ne constituait pas en soi un fait nouveau, mais une vision différente des mêmes faits. »
[19] Ainsi, le tribunal peut autoriser une preuve supplémentaire. Cette preuve supplémentaire ne saurait toutefois être permise qu’à des conditions largement décrites par la jurisprudence. La principale règle, déjà exprimée par l’arbitre Jean M. Morency dans l’extrait précédent, est bien circonscrite par l’arbitre Marc Gravel dans l’affaire Laboratoires Abbott, Limitée et Union des routiers, brasseries liqueurs douces et ouvriers de diverses industries [3] . On lit :
« Il est clair que la contre-preuve ne peut ni ne doit jamais être utilisée dans le but de faire une preuve qui aurait dû être faite d’abord et en premier lieu pendant la preuve, qu’elle soit en demande ou en défense, par la partie qui aurait dû à ce moment opportun présenter l’élément ou les éléments qu’elle juge alors nécessaires.
La contre-preuve n’existe pas non plus au plaideur qui veut corriger son tir et bonifier une preuve absente ou défectueuse.
[...]
Donc si l’on résume, la contre-preuve serait évidemment admissible si, dans la défense syndicale, on avait amené en preuve des faits nouveaux qui n’étaient pas connus de la partie patronale avant ou au moment du déroulement de sa preuve.
Comme nous l’écrivions plus haut, le fait qu’un tribunal d’arbitrage soit considéré comme un tribunal « domestique » n’en fait pas un forum où l’on peut agir à sa guise et mettre de côté les règles de déroulement ordonné des débats. Les débats doivent finir. » [4]
[20] Ainsi, la contre-preuve ne peut servir à scinder la preuve qui devait être faite à l’origine, «qu’elle soit en demande ou en défense», ni davantage être utilisée pour bonifier cette preuve. A priori, elle serait ouverte lorsque la partie adverse a présenté une preuve qui fait état de faits nouveaux et qu’en toute équité la partie visée par cette preuve doit avoir l’opportunité de contredire ces faits.
[21] L’arbitre Rodrigue Blouin [5] s’est exprimé plus largement sur la nature des motifs qui pourraient donner ouverture à une contre-preuve. Après avoir rappelé que la contre-preuve est permise lorsque la preuve adverse a fait valoir des faits nouveaux, il souligne qu’elle peut aussi être permise « si les faits de la preuve principale sont carrément contredits par la preuve de la partie adverse, il est possible de faire une contre-preuve de façon à élucider la contradiction ou la confusion. Enfin, le tribunal peut autoriser une preuve additionnelle compte tenu de ce qui est révélé par la contre-preuve.» [6] L’arbitre Blouin précisait cependant la portée de ces deux derniers points:
« [79] Peut-on par contre conclure en l’espèce à l’existence d’une situation donnant ouverture à la règle lorsque «les faits de la preuve principale sont carrément contredits par la preuve de la partie adverse, il est possible de faire une contre-preuve de façon à élucider la contradiction ou la confusion» (pt. 63).
[80] Cette règle d’introduction d’une contre-preuve doit être maniée avec précaution. Il faut en effet rappeler qu’il est malheureusement courant qu’un tribunal d’arbitrage de grief soit confronté à une preuve contradictoire mais il lui appartient alors de décider conformément à la règle de la prépondérance de preuve.
[81] Néanmoins, une contre-preuve peut effectivement s’autoriser de la nécessité d’éclaircir une contradiction apparente à sa face même. Pour fonder la recevabilité de la contre-preuve, il est nécessaire qu’un fait introduit par la partie qui a le fardeau de preuve et devenu contradictoire en raison de la preuve de la partie adverse, puisse être éventuellement élucidé en rappelant ou en appelant la personne impliquée dans ce fait et mis en cause par la partie adverse, ou en produisant simplement un document. Il s’agit alors de faire rapporter le témoin sur l’apparente contradiction.
[...]
[84] Reste finalement la règle «le tribunal peut autoriser une preuve additionnelle compte tenu de ce qui est révélé par la contre-preuve» (pt.63).
[85] Cette règle vise essentiellement à permettre à une partie de présenter une contre-preuve lorsque les règles d’usage en arbitrage de grief n’ont pas été suivies par la partie adverse. Le tribunal s’est ainsi exprimé dans une décision [7] rappelée à son attention par la partie syndicale :
En principe les règles régissant la contre-preuve ne permettent pas à un procureur de compléter ou de bonifier sa preuve. La contre-preuve n’est habituellement autorisée qu’au regard de faits nouveaux révélés par la preuve de la partie adverse. En l’espèce le procureur patronal a administré sa preuve sur le test et l’évaluation par voie de témoins ordinaires. La requête patronale pour faire entendre un expert […..] En somme la requête patronale n’est destinée qu’à renforcer sa preuve et il est par conséquent manifeste qu’en circonstances normales elle devrait être déclinée.
Nous disons en circonstances normales, car il est de pratique courante en arbitrage de grief que le procureur qui présente une preuve d’expert en avise la partie adverse de façon à ce que celle-ci puisse décider si elle doit pareillement procéder. Or, en l’espèce rien ne nous permet de savoir si le procureur patronal a été avisé, avant le début de sa preuve, de l’intention de la partie syndicale de produire un expert. Selon la preuve à faire sur ce point, la requête patronale pourra être agréée ou rejetée.
[86] En notre affaire, le procureur patronal ne peut aucunement prétendre être pris par surprise. Il fut avisé en temps utile qu’un expert témoignerait le 22 juin. Il lui était loisible de se faire accompagner alors par un expert de son choix. D’autant plus que la partie patronale pouvait opter, dès sa preuve principale, pour faire entendre un expert sur la démarche pédagogique du plaignant, sur la réaction des parents. Après tout, c’est là le cœur du litige. » [8]
[22] À titre d’exemple, s’autorisant de ces principes, des arbitres ont permis une contre-preuve lorsque des faits se rapportent à un point de droit exclusif à une partie et que ce point de droit est soulevé par l’autre partie [9] ou lorsqu’est démontré l’impossibilité de présenter une preuve lors de la preuve principale et que cette preuve pourrait s’avérer un élément important de la prise de décision de l’arbitre [10] .
[23] Qu’en est-il dans notre situation ? Quels sont les aspects de la preuve qui permettent de dégager les conclusions qui s’imposent ? Le Tribunal ne porte aucun jugement sur la valeur probante des témoignages dont il est fait mention ci-après. Il ne s’agit que de constats objectifs.
[24] Le Syndicat a assumé le fardeau de la preuve. À la première étape, il a notamment fait témoigner la déléguée syndicale, Hélène Laflamme, qui a fait état de la situation vécue à ses yeux par la salariée. La plaignante a aussi témoigné. Elle a décrit les circonstances entourant l’avis de convocation reçue en juin 2010 (pièce S-1.3) et le déroulement de la rencontre qui s’en est suivie le 29 juin 2010. L’employeur a contre-interrogé la déléguée syndicale et la salariée sur tous les aspects de leur témoignage. Il en fut de même à l’égard de Antoni Dessurault, conseiller syndical, qui fut présent lors de la remise de la mesure disciplinaire en juin 2010.
[25] En défense, l’Employeur a fait entendre Martine Chouinard, actuelle directrice des Services des ressources humaines. Cette dernière a été directement impliquée dans le processus qui a conduit à la prise de la mesure disciplinaire. Elle est la responsable de la décision d’imposer cette mesure. Elle a décrit le climat de l’école. Elle a mentionné avoir été contacté au cours de l’automne 2009 par la direction de l’école au sujet de plaintes visant Sandra Blondeau (communiqué transmis aux parents, plainte d’un suppléant). À cette époque, elle a demandé à la direction d’intervenir. Au cours du mois d’avril 2010, elle a de nouveau été interpelée par la direction de l’école. Elle a alors demandé de documenter les plaintes de façon à s’assurer de leurs sérieux. Le ou vers le 21 mai 2010, la direction lui fait parvenir plusieurs documents écrits au soutien de ces plaintes. C’est notamment sur la foi de ces documents (pièce E-1.1 à E-1.10) et du contexte général (trois mesures disciplinaires pendantes) qu’elle décide en juin 2010 de prendre une nouvelle mesure disciplinaire. Elle n’a pas rencontré les auteurs des documents. Ces documents et le nom des personnes impliquées n’ont pas été communiqués à la plaignante lors de la rencontre du 29 juin 2010. Elle justifie notamment cette décision par le fait que la situation était tendue et qu’elle voulait sauvegarder le climat de l’école. Le Syndicat a contre-interrogé Martine Chouinard.
[26] L’information précise dont disposait l’Employeur a été mise à la connaissance du Syndicat et de la plaignante lors des audiences. En contre-preuve, le Syndicat a fait entendre la vice-présidente du Syndicat et Sandra Blondeau. La plaignante a fait part de sa version des faits. Ces témoins ont été contre-interrogés.
[27] C’est à cette étape qu’intervient la demande de l’Employeur. Comme il l’indiquait dans la lettre qu’il nous faisait parvenir le 9 décembre 2013, l’Employeur manifeste formellement son « [...] intention de faire entendre les témoins, afin de rétablir les faits entourant certains événements contenus dans les déclarations obtenus par le Service des ressources humaines, et ce, en réponse au témoignage de la plaignante. De même nous entendons contrer l’argument voulant que ces déclarations puissent avoir été sollicitées des signataires, et ainsi, rétablir leur caractère libre et volontaire. En raison de l’importance que peut avoir chacune de ces déclarations sur le caractère raisonnable et justifié de la démarche de la Commission scolaire ayant conduit à l’imposition de la mesure pièce S-1.2, il nous importe de connaître l’avis de l’arbitre quant à la recevabilité de cette preuve. » (notre soulignement)
[28] Dans son argumentation verbale, l’Employeur ajoutait, comme nous l’avons précisé, qu’il serait utile pour le Tribunal de composer avec une preuve semblable à celle dont il dispose dans les trois autres mesures disciplinaires qui elles ont fait l’objet d’une audience sur le fond.
[29] Le «caractère raisonnable et justifié de la démarche de la Commission scolaire» réfère à la notion d’abus de droit que la Cour suprême nous invite à cerner à la lumière de la conduite d’un individu prudent et diligent [11] . Comme on le sait, l’Employeur est le responsable de la discipline. Il lui appartient d’agir de façon «raisonnable». Il va de soi qu’un employeur peut voir un grief contestant sa mesure disciplinaire être accueilli sans que sa conduite puisse être qualifiée de «déraisonnable». L’Employeur n’a pas une obligation de résultat. Dans les autres dossiers dont nous sommes saisi et auxquels réfèrent l’Employeur dans sa plaidoirie, il est exact que le Tribunal a entendu la preuve tant sur la façon dont l’Employeur s’est conduit que sur le bien fondé de ses motifs. Toutefois, dans tous ces dossiers la même règle s’appliquera : le Tribunal devra apprécier si la conduite de l’Employeur était «raisonnable» dans les circonstances de chaque situation.
[30] En l’espèce, l’Employeur a retiré sa mesure et de ce fait elle n’existe plus. Il en a expliqué ses motifs. Le fait que la mesure n’existe plus ne rend pas en soi la conduite de l’employeur «déraisonnable» : ce retrait n’est pas un aveu que sa conduite était «déraisonnable». Toutefois, le Tribunal ne peut modifier les règles applicables au présent dossier en considérant qu’il aurait pu se présenter sous une autre forme si l’Employeur avait pris une décision différente. Ce qui importe, c’est que nous ayons connaissance de la conduite de l’Employeur. C’est cette conduite que nous devrons apprécier.
[31] Ainsi, y a-t-il un motif à la lumière de la preuve que nous avons entendue qui conduirait à permettre une preuve supplémentaire? De prime abord, la preuve que veut présenter l’Employeur aurait pu être faite en défense. Elle nous apparaît essentiellement comme une preuve supplémentaire sur des mêmes faits. La contre-preuve du Syndicat n’a pas révélé de faits nouveaux ou extérieurs aux éléments soulevés en défense. La preuve présentée par le Syndicat ne peut être qualifiée de faits nouveaux. Il s’agit d’une preuve qui portait essentiellement sur les éléments de faits soulevés par l’Employeur. Cette preuve «ne constituait pas en soi un fait nouveau, mais une vision différente des mêmes faits.» [12] Cette «vision différente» devra être appréciée en fonction des critères de pertinence qui doivent guider le Tribunal et en regard du débat dont il est saisi. Toutefois, rien dans cette preuve soumise par le Syndicat ne se situe dans une perspective que l’Employeur ne pouvait anticiper.
[32] Par ailleurs, p eut-on conclure que les faits soulevés par le Syndicat sont de nature à susciter une contradiction ou une confusion qui requerrait que le Tribunal permette une contre-preuve? Rappelons ce que disait l’arbitre Blouin [13] sur cette question :
[80] Cette règle d’introduction d’une contre-preuve doit être maniée avec précaution. Il faut en effet rappeler qu’il est malheureusement courant qu’un tribunal d’arbitrage de grief soit confronté à une preuve contradictoire mais il lui appartient alors de décider conformément à la règle de la prépondérance de preuve.
[81] Néanmoins, une contre-preuve peut effectivement s’autoriser de la nécessité d’éclaircir une contradiction apparente à sa face même. Pour fonder la recevabilité de la contre-preuve, il est nécessaire qu’un fait introduit par la partie qui a le fardeau de preuve et devenu contradictoire en raison de la preuve de la partie adverse, puisse être éventuellement élucidé en rappelant ou en appelant la personne impliquée dans ce fait et mis en cause par la partie adverse, ou en produisant simplement un document. Il s’agit alors de faire rapporter le témoin sur l’apparente contradiction.
[33] Nous ne pouvons identifier une telle situation. D’une part, la directrice des Services des ressources humaines a témoigné qu’elle avait fondé sa décision sur les pièces et déclarations écrites qui lui avaient été remises à sa demande par la direction de l’école. Elle n’a donc jamais rencontré les auteurs des déclarations. Les témoins du Syndicat remettent en question le fondement de certaines prises de position. Cela est prévisible et fait partie du débat. Cette contradiction fait partie du débat. Elle devra être appréciée uniquement dans un contexte où nous devrons évaluer le caractère «raisonnable» de la conduite de l’Employeur. D’autre part, nous n’avons pas entendu de témoignages ou de preuve directe laissant entendre que les déclarations produites ont été sollicitées, si ce n’est que la directrice des Services des ressources humaines a demandé à obtenir de telles déclarations pour s’assurer du fondement des plaintes dont on lui faisait part. Les parties auront peut-être des arguments à faire valoir sur cette question comme semble l’anticiper l’Employeur. Nous apprécierons. Toutefois, nous sommes toujours dans le cadre d’un débat prévisible.
[34] On ne peut davantage prétendre que les règles usuelles en matière d’arbitrage n’ont pas été suivies. L’arbitre Rodrigue Blouin disait, rappelons-le [14] :
[85] Cette règle vise essentiellement à permettre à une partie de présenter une contre-preuve lorsque les règles d’usage en arbitrage de grief n’ont pas été suivies par la partie adverse. Le tribunal s’est ainsi exprimé dans une décision rappelée à son attention par la partie syndicale :
«En principe les règles régissant la contre-preuve ne permettent pas à un procureur de compléter ou de bonifier sa preuve. La contre-preuve n’est habituellement autorisée qu’au regard de faits nouveaux révélés par la preuve de la partie adverse. En l’espèce le procureur patronal a administré sa preuve sur le test et l’évaluation par voie de témoins ordinaires. La requête patronale pour faire entendre un expert […..] En somme la requête patronale n’est destinée qu’à renforcer sa preuve et il est par conséquent manifeste qu’en circonstances normales elle devrait être déclinée.
Nous disons en circonstances normales, car il est de pratique courante en arbitrage de grief que le procureur qui présente une preuve d’expert en avise la partie adverse de façon à ce que celle-ci puisse décider si elle doit pareillement procéder. Or, en l’espèce rien ne nous permet de savoir si le procureur patronal a été avisé, avant le début de sa preuve, de l’intention de la partie syndicale de produire un expert. Selon la preuve à faire sur ce point, la requête patronale pourra être agréée ou rejetée. [15] »
[35] Malgré ce qui précède, peut-on prétendre que le Tribunal peut s’autoriser d’un «principe de précaution» qui le conduirait à permettre une contre-preuve ? En d’autres termes, est-ce que le Tribunal est dans une situation qui pourrait le conduire à rendre une décision en l’absence d’une preuve pertinente et justifiée ? En effet, certains ont évoqué un principe de «précaution» qui veut que :
« Par delà les règles générales qui régissent les cas habituels, il existe en effet en milieu de la preuve arbitrale, comme en contexte de la preuve civile, des circonstances particulières qui exigent une approche prudente imposée par le devoir de rendre justice en toute connaissance de cause. Dès lors, il peut être occasionnellement préférable pour le Tribunal de prendre une contre-preuve sous réserve plutôt que de constater, au moment des plaidoiries, que celle-ci apparaîtrait pertinente et justifiée. » [16]
[36] Pour l’essentiel, nous devrons décider, rappelons-le, si l’Employeur, à la lumière de «toutes les circonstances» dont fait état la preuve et du rôle qu’il doit jouer, a été prudent et diligent. Au risque de nous répéter, nous avons entendu la responsable de la décision expliquer sur quels motifs elle s’est fondée. Nous savons de quelle information elle disposait et comment elle l’a obtenue au moment où elle a décidé de prendre sa mesure disciplinaire. La preuve pertinente à la prise de décision de l’Employeur a été produite. À cette étape, aller au-delà serait rouvrir un débat qui est bien cerné.
PAR CONSÉQUENT , le Tribunal :
[37] ACCUEILLE l’objection formulée par le Syndicat;
[38] DÉCLARE la preuve close;
[39] CONVOQUE les parties pour entendre leur plaidoirie.
Longueuil, le 3 février 2014
________________________
Jean-Pierre Villaggi
[1] SAET 2993, 16 septembre 1983, aux pages 3 et 4.
[2] Ibid , p. 4.
[3] SOQUIJ AZ-90141064 (T.A.), aux pages 15 et 19.
[4]
Ces
propos sont repris par l’arbitre Marc Boisvert dans
Université Concordia
et
Association des professeurs de l’université Concordia
,
[5]
Syndicat
de l'enseignement de l'Outaouais
et
Commission scolaire
Coeur-des-Vallées (Michel Légaré)
,
[6] Ibid , par. [63].
[7] L’arbitre Blouin réfère à la décision Collège de Chicoutimi et Syndicat des professeures et professeurs de la région de Chicoutimi , SAE 4812, p. 2 et 3.
[8] Syndicat de l'enseignement de l'Outaouais et Commission scolaire Coeur-des-Vallées (Michel Légaré) , précité, note 5.
[9]
Fraternité
des policières et policiers de Gatineau inc.
et
Gatineau (Ville de)
,
« [35] S’il est vrai qu’une partie ne peut, en contre-preuve, présenter des faits dont elle connaissait l’existence, cette prohibition ne vaut, à mon avis, que pour les faits constitutifs de son propre fardeau de preuve.
[36] En l’espèce, l’employeur a le fardeau de démontrer que la sanction disciplinaire qu’il a imposé au plaignant était juste et raisonnable, et il a présenté des témoins à cet effet dans le cadre de sa preuve principale.
[37] La partie syndicale, qui invoque en défense la discrimination dans la sanction, a le fardeau d’en faire la démonstration. C’est précisément ce qu’elle a fait dans le cadre de sa preuve principale.[...]
[39] Il doit être permis à une partie de répliquer, en contre-preuve, à des éléments étrangers à son fardeau initial de preuve.»
Voir aussi : Syndicat des postiers du Canada et Société canadienne des postes , précité, note 8, p.8.
[10]
Glassine
Canada inc.
et
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du
papier, section locale 641 (CTC)
,
[11]
Houle
c.
Banque canadienne nationale
,
[12] Syndicat des enseignants et enseignantes du collège de Drummondville et Collège de Drummondville , précité, note1, p. 4.
[13]
Syndicat de
l'enseignement de l'Outaouais
et
Commission scolaire Coeur-des-Vallées (Michel Légaré)
,
[14]
Syndicat
de l'enseignement de l'Outaouais
et
Commission scolaire
Coeur-des-Vallées (Michel Légaré)
,
[15] L’arbitre réfère à la décision Collège de Chicoutimi et Syndicat des professeures et professeurs de la région de Chicoutimi , SAE 4812, p. 2 et 3.
[16] Voir : Syndicat des postiers du Canada et Société canadienne des postes , 20 juin 1986, Rodrigue Blouin, arbitre, p. 9.