Union des employées et employés de service, section locale  800 et Services communautaires catholiques inc. (Aishah Muhammad)

2014 QCTA 212

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2014-2880

 

Date :

Le 24 février 2014

______________________________________________________________________

 

DEVANT L’ARBITRE :

   Me Joëlle L’Heureux

______________________________________________________________________

 

Union des employés et employées de service, section locale 800

Ci-après appelé « le syndicat »

Et

Les services communautaires catholiques inc.

Ci-après appelé « l’employeur »

 

 

Grief :

11-06-2013

 

 

 

Convention collective :

2007-2011

 

______________________________________________________________________

 

SENTENCE ARBITRALE

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 26 juillet 2013, le Ministère du travail me confiait le mandat d’arbitrer les griefs soumis au nom de madame Aishah Muhammad pour abolition de poste et congédiement de même que pour paye de vacances. Seul le grief 11-06-2013 pour abolition de poste et congédiement a procédé en date du 28 janvier 2014. Ce grief a été déposé le 11 juin 2013. Le syndicat reproche à l’employeur une abolition fictive de poste et un congédiement déguisé.

LA PREUVE

[2]            L’employeur est un organisme charitable à but non lucratif qui œuvre dans ce domaine depuis 82 ans. La plaignante était adjointe administrative pour l’employeur depuis novembre 2009. La qualité du travail de la plaignante n’est pas en cause dans le présent dossier. Le grief fait suite à l’abolition de son poste.

[3]            Monsieur Tom Boushel est président du conseil. Il explique que la majorité des revenus de l’organisme proviennent de subventions versées par Centraide. Il y a cinq ans, Centraide a entrepris une analyse en profondeur des services et des programmes de l’organisme. Le processus a duré plusieurs années. Aux fins du présent dossier, disons que les opérations de l’organisme étaient divisées en trois principaux programmes : les centres pour personnes âgées, les camps d’été et le développement communautaire. En mai 2012, l’employeur a été avisé que le budget pour les centres pour personnes âgées serait versé directement auxdits centres à compter du 1 er avril 2013. Environ 20% de la subvention transférée aux centres couvraient des besoins administratifs pris en charge par l’employeur.

[4]            Pendant la même période, Centraide a avisé l’employeur, dans le cadre de cette analyse, qu’il devait se recentrer sur le développement de programmes et diminuer ses frais d’administration. Monsieur Fred Jansen, directeur général de l’organisme, a amorcé les changements en 2011 en éliminant deux postes administratifs, celui d’une personne à la paye et le poste de la réceptionniste.

[5]            Monsieur Jansen dépose un organigramme de mai 2011, un organigramme de juillet 2013 et un organigramme de janvier 2014. En plus des deux postes abolis en 2011, on constate que le poste de la secrétaire du président a été aboli en juin 2013. La personne qui occupait ce poste avait 14 années d’ancienneté. Le poste du chauffeur d’autobus a été aboli à la même période, et 16 employés ont été transférés aux centres pour personnes âgées. Il restait alors trois personnes salariées dans la catégorie de groupe de soutien administratif, soit la plaignante, monsieur Michael Robinson, et monsieur Joseph Moraes.

[6]            Selon les témoignages de monsieur Boushel, de monsieur Jansen et de monsieur Roche, l’employeur a décidé d’abolir le poste de la plaignante, car c’est elle qui avait le moins d’ancienneté dans sa catégorie d’emploi de groupe de soutien administratif. Il subissait des restrictions budgétaires et il devait appliquer l’orientation demandée par Centraide qui était de diminuer les charges administratives. L’employeur reconnaît que le poste de la plaignante n’était pas relié à l’administration des centres pour personnes âgées, mais plutôt au soutien pour les programmes de camps d’été et le développement communautaire.

[7]            La plaignante explique qu’effectivement elle séparait son temps de travail entre les programmes de camps d’été et le développement communautaire. Elle s’occupait de tâches administratives, elle faisait les dépôts pour les revenus provenant des camps et des programmes, des donations, elle faisait les relevés de taxes et la réconciliation des comptes. La plaignante a reçu trois certificats pour des formations sur un logiciel qui devait servir à l’enregistrement des dépôts pour les camps et les donations.

[8]            En mai 2013, elle a été avisée que son poste était aboli. Cependant, comme il s’agissait de la période des inscriptions aux camps et qu’elle était la seule ou pratiquement la seule à connaître ce processus, les parties se sont entendues pour qu’elle demeure en poste jusqu’au 12 juillet pour aider à cette tâche. Traditionnellement, l’employeur engageait chaque année, avant la période des inscriptions aux camps, un employé via Emploi Québec. C’est la plaignante qui formait cet employé temporaire pour faire les inscriptions aux camps. En 2013, il n’y a pas eu embauche d’un employé temporaire. Avant l’abolition de son poste, la plaignante avait demandé un dédommagement prévu à la convention pour ajouter ce travail d’enregistrement aux camps à ces tâches habituelles.

[9]            La plaignante dit qu’elle sentait que son poste était en jeu. Le 27 mai 2013, lors d’une réunion, on lui a dit que son poste était aboli parce que l’employeur avait besoin de personnel avec de l’expérience comme coordonnateur et qu’Alley avait plus d’expérience avec le logiciel. La plaignante ajoute que monsieur Roche lui a affirmé que ce n’était pas une question d’argent. En fait, la plaignante invoque que l’employeur lui a fourni divers motifs, incluant qu’elle avait moins d’ancienneté. L’employeur n’a pas invoqué qu’il devait couper des charges administratives. La plaignante ajoute que monsieur Jansen a demandé de recevoir la formation sur le logiciel et pour l’enregistrement aux camps. Elle s’est demandé comment son poste pouvait être aboli. Elle confirme avoir rencontré un consultant qui s’est informé de sa description de poste, et ce dans le cadre de l’analyse faite par Centraide.

[10]         La preuve révèle aussi que la coordonnatrice des programmes rattachés aux camps, madame Asley Allen, et la coordonnatrice du développement communautaire pour les jeunes, madame Alley Monk, sont à l’emploi de l’employeur depuis seulement 2012. Il ne s’agit pas de nouveaux postes. Ces deux personnes ont témoigné pour indiquer que la plaignante les aidait dans les tâches administratives et qu’elles font maintenant une partie des tâches que la plaignante faisait lorsqu’elle était en poste, principalement eu égard aux inscriptions. Madame Allen ajoute qu’elle ne savait pas comment faire les inscriptions pour les camps pour l’été 2013. Elle a donc appris pendant la prolongation d’emploi de la plaignante et a fait les autres inscriptions seule. L’employeur veut implanter pour l’été prochain un système d’inscription en ligne.

[11]         Monsieur Michael Robinson est assistant comptable. Il travaille pour l’employeur depuis 29 ans. Il est aussi président du syndicat. Monsieur Robinson est bien au courant des questions budgétaires. Il confirme que les revenus ont diminué, en raison de la diminution de la subvention versée par Centraide, et aussi parce que l’employeur a cessé de fournir des services administratifs pour lesquels il facturait. Monsieur Robinson confirme aussi que les tâches administratives ont diminué depuis le 1 er avril 2013. Le personnel fournissait auparavant des services administratifs pour la communauté, ce qu’il ne fait plus. Le salaire de la plaignante était prélevé à même la subvention de Centraide pour les activités de camps et de développement communautaire, selon la proportion de tâches reliée à chaque programme. En plus de cette baisse nette des revenus, le témoin explique que les subventions de Centraide ne sont pas ajustées au coût de la vie, tandis que les salaires le sont. Les charges salariales deviennent donc de plus en plus importantes dans le budget de l’organisme. En 2012, l’organisme a fait un déficit important. L’année 2013 s’annonce équilibrée.

[12]         Monsieur Robinson, à titre de président du syndicat, était présent à la rencontre lorsque la plaignante a été avisée de l’abolition de son poste. Il n’avait pas été informé à l’avance comme cela aurait dû être fait. Selon lui, cette rencontre était prévue pour commencer à utiliser le nouveau logiciel de façon parallèle à l’ancien système.

[13]         Monsieur Robinson est questionné sur ses tâches actuelles. Il fait maintenant les tâches de monsieur Joseph Moraes, qui a quitté volontairement. Il ne fait pas vraiment les tâches de la plaignante sauf les relevés 24, la réconciliation des livres, les lettres de remerciement qu’il qualifie de tâches accessoires. Mais surtout, le témoin dit qu’il n’a pas le temps de tout faire. Selon son témoignage, il fait face à une surcharge de travail significative et l’employeur devrait engager une autre personne pour l’aider.

L’ARGUMENTATION

Argumentation de l’employeur

[14]         Pour l’employeur, l’abolition du poste de la plaignante fait suite à des contraintes économiques. Il a dû réduire ses coûts d’opération par le biais de plusieurs mises à pied. L’abolition du poste de la plaignante est une décision administrative. La convention ne limite d’ailleurs pas les droits de gérance de l’employeur qui peut décider de réduire ses opérations. Dans ce contexte le fardeau de preuve appartient au syndicat.

[15]         L’article 12 de la convention prévoit une procédure de mise à pied que l’employeur a respectée. La plaignante était la moins ancienne dans son groupe de soutien administratif. Elle n’avait pas de droit pour supplanter une personne salariée moins ancienne dans un autre groupe. La convention collective est aussi silencieuse sur les changements technologiques. L’employeur peut décider de l’équipe de travail dont il doit disposer pour effectuer le travail, et rien ne l’empêche de réduire ses opérations.

Argumentation du syndicat

[16]         La représentante du syndicat confirme que la plaignante était assistante administrative au moment où son poste a été aboli, et qu’elle ne réclame pas le droit de supplanter une personne salariée moins ancienne d’un autre groupe. Le syndicat souligne cependant que la plaignante avait 4 ans d’ancienneté et que d’autres employés moins anciens demeurent en poste.

[17]         Le syndicat se dit non convaincu qu’il y avait suffisamment d’éléments économiques pour abolir le poste de la plaignante, et souligne que différents motifs ont été donnés à cette dernière. Les montants affectés aux tâches de la plaignante et qui découlent des subventions accordées pour les camps d’été et pour le développement communautaire existent encore. Le travail de plaignante continue d’ailleurs à se faire par les personnes salariées demeurées en poste. La diminution des tâches administratives en général ne touche pas le travail de la plaignante.

[18]         Pour le syndicat, l’abolition de poste n’est pas justifiée. Les personnes salariées qui restent sont présentement surchargées et n’ont pas les qualifications pour faire le travail de la plaignante. L’employeur n’a pas rencontré la plaignante pour tenter de s’entendre sur une diminution des heures de travail, si c’était nécessaire.

LES MOTIFS

[19]         Ce grief conteste l’abolition d’un poste par l’employeur.

[20]         La convention ne limite aucunement les motifs pour lesquels l’employeur peut procéder à une abolition de poste. Dans ce contexte, l’employeur peut exercer ses droits de gérance dans la mesure où il n’agit pas de façon discriminatoire, abusive, arbitraire ou à l’encontre de la bonne foi.

[21]         La preuve démontre que la situation économique de l’employeur était fragile. Une part de ses subventions ne lui était plus versée, ce qui diminuait en proportion les sommes dont il disposait pour les charges administratives. Dans cette foulée, l’employeur a cessé de fournir des services administratifs à d’autres organismes, ce qui l’a privé de certains revenus. La preuve démontre aussi que son principal bailleur de fonds, Centraide, lui demandait de diminuer ses charges administratives. C’est dans ce contexte qu’il a décidé d’abolir un poste de soutien administratif et que le poste de la plaignante a été aboli.

[22]         La plaignante n’avait pas de droit de supplantation, ce qui n’est pas contesté. C’est aussi elle qui avait le moins d’ancienneté dans son groupe d’emploi. Le fait que d’autres personnes salariées, dans un autre groupe, aient moins d’ancienneté que la plaignante n’influence pas le sort du litige ici.

[23]         Le syndicat se dit non convaincu qu’il y a eu suffisamment d’éléments économiques pour abolir le poste de la plaignante, et souligne que différents motifs ont été donnés à la plaignante. Il note que les tâches de la plaignante existent toujours et sont réalisées par d’autres.

[24]         Le tribunal n’a pas à se substituer aux gestionnaires de l’entreprise. Il n’a pas à déterminer si l’employeur aurait pu prendre une autre décision pour équilibrer son budget et sauver le poste de la plaignante. La convention ne limite pas les motifs pour lesquels l’employeur peut procéder à une abolition de poste.

[25]         On ne peut parler ici d’une abolition de poste fictive. L’employeur n’a pas créé un nouveau poste à la suite de l’abolition du poste de la plaignante pour qu’une autre personne salariée exécute substantiellement les tâches qui incombaient à la plaignante. L’employeur a réparti autrement les tâches de la plaignante, ce qu’il était en droit de faire. Même la direction contribue aux tâches administratives quotidiennes. En fait, tout le monde semble contribuer comme il le peut, dans un contexte où les employés se disent surchargés. Cela ne fait que confirmer la situation difficile qui existe actuellement chez l’employeur, et non l’inverse. D’ailleurs, si on regarde l’organigramme de 2011 versus celui de 2014, on ne peut que voir une attrition significative du nombre de postes et surtout du nombre de postes dans le groupe de soutien administratif. Au moment de l’audience, il ne reste qu’un seul employé dans le groupe de soutien administratif.

[26]         Il est par ailleurs exact que les subventions reçues par l’employeur pour les programmes des camps d’été et du développement communautaire n’ont pas été réduites dans la foulée de la coupure de la subvention pour les centres pour personnes âgées. Il est aussi exact que le travail de la plaignante était relié aux programmes des camps et au développement communautaire, et non aux centres pour personnes âgées. Cependant, l’employeur peut décider de dépenser les sommes qu’il reçoit de la façon qu’il juge nécessaire. Il a choisi de redistribuer certaines des tâches, et d’implanter une technologie pour alléger la réalisation d’autres tâches. Il s’agit là de choix de gestion. Les circonstances mises en preuve ne permettent pas de conclure que l’employeur a agi d’une façon arbitraire ou de mauvaise foi.

[27]         Par ailleurs, le témoignage de la plaignante sur les motifs d’abolition de son poste qui lui ont été donnés par l’employeur est surprenant, car tous les témoins confirment les problèmes économiques qui prévalent en ce moment.

[28]         Après analyse de l’ensemble de la preuve, le tribunal arrive à la conclusion que l’employeur a aboli le poste de plaignante pour diminuer ses charges administratives. Il a choisi ce poste parce que la plaignante avait le moins d’ancienneté. Le tribunal ne peut intervenir dans cette décision qui relève du droit de gérance de l’employeur. Il ne peut davantage ordonner à l’employeur de combler un poste parce que le personnel est débordé.

POUR CES MOTIFS, le tribunal :

REJETTE le grief.

 

 

 

______________________

Joëlle L’Heureux, arbitre

 

 

 

 

Pour le syndicat :

 

 

 

Madame Sophie Bourgeois

 

Pour l’employeur :

Monsieur Robert Guinta

 

Date d’audience :

28 janvier 2014