Januzi c. Doan

2014 QCCQ 2115

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

LOCALITÉ DE

LAVAL

« Chambre civile »

N° :

540-32-024913-129

 

 

 

DATE :

18 MARS 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

 

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GAZMEND JANUZI

-et-

MUZEJENE ALIU

 

Demandeurs

c.

THI VAN THU DOAN

 

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Monsieur Gazmend Januzi et madame Muzejene Aliu («les acheteurs») réclament 6 900 $ à madame Thi Van Thu Doan en raison de vices cachés affectant l'immeuble qu'ils ont acheté d'elle en 2010.

[2]            La défenderesse refuse de prendre responsabilité du problème allégué par les acheteurs, lequel ne serait pas, selon elle, un vice caché.

[3]            Jugement fut rendu dans le présent dossier le 30 septembre 2013 par l'honorable Denis Lapierre, et ce, en l'absence de la partie défenderesse. Celle-ci a produit par la suite une requête en rétractation de jugement par laquelle elle allègue n'avoir jamais été au courant de la procédure judiciaire intentée contre elle. Cette requête a dûment été reçue.

[4]            Les motifs allégués par la défenderesse sont les suivants : la procédure a été reçue par sa fille qui ne lui a pas remis le document en question. Elle n'a donc jamais été informée de la procédure ainsi intentée contre elle.

[5]            Considérant ces éléments et la preuve entendue à ce sujet, le Tribunal en vient à la conclusion que la défenderesse a effectivement été empêchée de produire sa défense et de comparaître pour contester la demande logée contre elle.

[6]            Dans les circonstances, la requête sera accueillie et le jugement du 30 septembre 2013 rétracté.

Les faits pertinents à la solution du litige

En demande

[7]            Suite à une visite et à une inspection préachat, les acheteurs ont procédé à l'acquisition de l'immeuble appartenant à la défenderesse en 2010. Le prix d'achat initialement convenu a été renégocié à deux reprises notamment à cause de certaines fissures dans la brique sur un mur de l'immeuble.

[8]            Construit en 1964, l'immeuble visé est donc âgé de plus de 45 ans au moment de la transaction. Les acheteurs ont l'intention de le rénover. Lorsqu'ils enlèvent le tapis se trouvant dans le salon, ils se rendent compte que, sous le plancher à ossature de bois (2 par 4), la dalle de béton est fissurée à plusieurs endroits, comme en font foi les photos qu'ils produisent.

[9]            Dès lors, ils transmettent une mise en demeure à la défenderesse qui se présente sur les lieux, avec son agent d'immeuble, pour procéder à une inspection. Elle refuse cependant d'assumer la responsabilité du problème.

[10]         Des experts sont mandatés afin de procéder à des analyses, notamment pour savoir s'il y a de la pyrite. Les rapports d'expertises produits au dossier ne font voir aucun problème avec la dalle de béton.

[11]         Monsieur Januzi affirme d'ailleurs que les expertises ont été effectuées «to make sure it was normal». Ils obtiennent également une soumission de la firme Plancher béton A.C.F. inc. totalisant 6 795 $ (taxes incluses) pour procéder au remplacement de la dalle de béton sur une surface d'environ 270 pieds carrés. Les travaux sont effectués en octobre ou novembre 2013 mais aucune facture n'est présentée à l'audience par les acheteurs.

En défense

[12]         La défenderesse explique au Tribunal que l'immeuble est vieux, ayant été construit en 1964. Il y avait toute sorte de problèmes avec cet immeuble dont notamment des problèmes de fissures un peu partout.

[13]         Elle produit d'ailleurs un fax émanant de l'agent d'immeuble des acheteurs établissant que ces derniers sont au courant qu'il y a beaucoup de rénovations à faire vu l'état de «désuétude avancée» de l'immeuble.

[14]         Par ailleurs, même l'inspecteur pré-achat confirme dans son rapport qu'il pourrait y avoir lieu de consulter un ingénieur en ce qui a trait à la structure et à la dalle de béton.

[15]         Selon elle, il faut s'attendre à retrouver certains problèmes de la sorte lorsque l'on achète un immeuble construit il y a plus de 45 ans.

ANALYSE ET DÉCISION

Le fardeau de preuve

[16]         Afin de faciliter la compréhension du présent jugement par les parties, le Tribunal croit important de reproduire les articles du Code civil du Québec qui reçoivent ici application.

[17]         L'article 2803 C.c.Q énonce:

« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

[18]         Cet article impose au demandeur le fardeau de prouver les allégations contenues dans sa demande et ce, par prépondérance de preuve.

[19]         L'article 2804 C.c.Q. ajoute:

« La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[20]         Ce dernier article permet au Tribunal d'apprécier la preuve présentée de part et d'autre par les parties, afin de déterminer si, effectivement, l'existence d'un fait est plus probable que son inexistence.

 

Le droit applicable

[21]         Le Code civil du Québec prévoit un cadre juridique spécifique concernant la responsabilité du vendeur d'un bien, afin qu'il en assure à l'acheteur la jouissance paisible. Une de ces garanties du droit de propriété est la garantie de qualité, souvent appelée la garantie contre les vices cachés.

[22]         L'article 1726 du Code civil du Québec précise:

1726.  Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

[23]         Pour que la garantie de qualité d’un bien s’applique, il est maintenant bien établi que cinq grandes conditions doivent être démontrées par l’acheteur, c’est-à-dire :

1.     que le bien est affecté d’un vice ;

2.     que ce vice est grave ;

3.     qu’il est antérieur à la vente ;

4.     qu’il est inconnu de l’acheteur ;

5.     qu'il a été dénoncé dans un délai raisonnable au vendeur.

[24]         Les conditions qui semblent vouloir causer problème en l'instance sont celles touchant à l'existence même d'un vice et au caractère caché de ce vice.

-           Le vice

[25]         Les acheteurs ont acquis un immeuble construit en 1964. Il est normal, voire probable, qu'une dalle de béton se fissure sur une période de 45 ans. Voilà ce qu'ils ont découvert. La preuve démontrant qu'il s'agit là d'un vice et que ce vice est grave est lacunaire et non prépondérante.

[26]         Les expertises effectuées l'ont été dans le but de découvrir s'il y avait de la pyrite. L'analyse de la dalle de béton ne montre aucun problème sérieux. Il n'y a aucune preuve technique et indépendante laissant croire que la dalle fissurée constitue un vice grave affectant cet immeuble âgé de 45 ans.

[27]         Alléguer un fait, par exemple que la présence de fissures équivaut à vice grave, n'équivaut pas à prouver ce fait. Accepter ce point de vue des acheteurs serait admettre qu'il suffirait d'affirmer une chose pour que cette dernière devienne vraie. Pour qu'elle soit probante, l'affirmation a besoin d'être soutenue, épaulée, contenancée par la production de pièces, une preuve de circonstances, etc., sans cela la preuve ne peut être concluante. [1] Les acheteurs se sont plutôt limités à la prétention.

-           Déficit d'usage du bien

[28]         Il n'y a pas de preuve que l'eau s'infiltrait à l'intérieur par les fissures ou d'un autre problème découlant de ces fissures. La simple existence de fissures, qui ne causent par ailleurs aucun dommage, peut-elle constituer un vice, en l'absence d'un quelconque déficit d'usage.

[29]         Le juge Jeffrey Edwards s'exprime ainsi à ce sujet [2] :

302 - Cette conception du vice s’est maintenue dans notre droit. L’article 1726 C.c.Q. énonce que le vendeur est tenu de garantir l’acheteur d’un vice rendant le bien « impropre à l’usage » ou diminuant « son utilité ». Le déficit d’usage, qu’il s’agisse d’une simple diminution ou d’une carence majeure, s’y présente comme une condition de la qualification du vice au sens de la garantie . Cette interprétation est encore retenue par la plupart des auteurs. La première conséquence juridique de cette conception, bien connue d’ailleurs, est que tout vice ne peut être un vice au sens de la garantie, à moins d’entraîner un déficit d’usage du bien.

(…)

305 -  … Certes, une dérogation aux normes établies demeure susceptible de constituer un vice, à condition d’entraver l’usage du bien . (…)

Références omises et soulignés ajoutés

[30]         Aucun déficit d'usage n'a été démontré en l'espèce, de sorte qu'il ne peut s'agir d'un vice donnant ouverture au mécanisme de la garantie de qualité.

-           Le caractère caché

[31]         Même si le tribunal avait conclu à l'existence d'un vice grave, ce vice était-il vraiment caché? Le caractère occulte ou caché d'un vice s'apprécie objectivement en examinant, entre autres, le degré d'inspection du bien fait par l'acheteur, suivant les critères d'un acheteur prudent et diligent [3] .

[32]         L'acheteur a une obligation de prudence et de diligence lors de l'acquisition du bien et doit l'inspecter raisonnablement. Il doit apporter une attention particulière à tout indice pouvant lui laisser présager un problème quelconque [4] .

[33]         Il ressort ici de la preuve que les acheteurs auraient dû faire preuve d'un plus grand niveau de prudence en acquérant un immeuble aussi âgé, surtout en étant bien au fait qu'il s'agissait d'un immeuble désuet, nécessitant plusieurs rénovations.

Conclusion

[34]         La preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités [5] .

[35]         La doctrine nous apprend que lorsque la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction du fardeau de preuve. Celui sur qui reposait l’obligation de convaincre perdra.

[36]         Comme le dit le professeur Royer [6] dans son traité sur la preuve civile :

La partie qui a le fardeau de persuasion perdra son procès si elle ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées.

[37]         Telle est la situation ici.

 

[38]         POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]         ACCUEILLE la requête en rétractation de jugement;

[40]         RÉTRACTE le jugement rendu le 30 septembre 2013;

 

[41]         REJETTE la demande;

[42]         CONSIDÉRANT les circonstances, SANS FRAIS.

 

 

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JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

10 MARS 2014

 



[1] Sol Teblum   c.  Minister of National Revenue , 63 DTC 453

[2]     LA GARANTIE DE QUALITÉ DU VENDEUR EN DROIT QUÉBÉCOIS, J effrey EDWARDS, 2 e édition,  éditions Wilson & Lafleur, 2008

[3]     ABB Inc. c. Domtar Inc. op.cit. note 1; Marcoux c. Picard, (C.A., 2008-02-05), 2008 QCCA 259 ; Verville c. 9146-7308 Québec inc., (C.A., 2008-09-02), 2008 QCCA 1593 .

[4]     Placement Jacpar Inc. c. Benzakour, (C.A. 1989-09-20), AZ-89011869 ; Vachon c. Routhier, (C.A., 2005-06-13), 2005 QCCA 631 ; Compagnie Trust Royal ltée c. Gestions Jean-Pierre Bertrand inc., (C.A., 1994-05-16), AZ-94011568 .

[5]     F.H. c. McDougall , [2008] 3 R.C.S. 41 , paragraphe 46

[6] Jean-Claude ROYER, La preuve civile , 2 e éd. Cowansville, éditions Yvon Blais Inc., p. 109 par. 190