COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-1002-9323

Cas :

CM-2013-5074

 

Référence :

2014 QCCRT 0164

 

Montréal, le

20 mars 2014

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

André Bussière, juge administratif

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Luc Giguère

 

Plaignant

 

c.

 

Syndicat des employés de l’Université

de Montréal, section locale 1244 - SCFP

 

Intimée

 

et

 

Université de Montréal

 

Mise en cause

 

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DÉCISION CORRIGÉE

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Le texte original a été corrigé le 7 avril 2014 et la description des correctifs est annexée à la présente version.

[1]            Le 25 octobre 2013, prenant appui sur les articles 47.2 et suivants du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ), le plaignant porte plainte contre l’intimé, syndicat accrédité pour représenter un groupe de salariés dont il fait partie, pour manquement à son devoir de représentation.

[2]            Essentiellement, le plaignant demande « l’annulation de l’entente signée le 26 avril 2013 », portant sur la rémunération et d’autres conditions de travail des professionnels de la Direction des bibliothèques, aux motifs que les balises fixées dans une entente antérieure relative à la comparaison des fonctions de bibliothécaire et de webmestre aux « autres fonctions professionnelles que l’on retrouve à l’Université de Montréal » n’auraient pas été respectées et que l’entente en question serait discriminatoire, parce que ne comportant aucune rétroactivité.

[3]            Le 16 janvier 2014, la Commission convoque les parties à une audience le 10 mars suivant. Comme prévu, une audience est tenue ce jour-là. À cette occasion, l’intimé soulève d’entrée de jeu que, contrairement à ce qu’il a écrit sur son formulaire de plainte, le plaignant a eu connaissance de la conclusion de l’entente dont il demande l’annulation avant le 26 avril 2013, en conséquence de quoi sa plainte serait prescrite.

[4]            Compte tenu de l’ampleur de la preuve à administrer relativement au contexte dans lequel fut conclue l’entente du 26 avril 2013, le premier fait pertinent remontant au 4 juin 2003, la Commission, à l’invitation de l’intimé et de la mise en cause, accepte de se prononcer d’abord sur ce moyen d’irrecevabilité soulevé par l’intimé. Lors de l’audience tenue le 10 mars 2014, les parties ont l’occasion d’administrer toute leur preuve et de faire valoir leurs arguments à ce sujet.

le contexte

[5]            L’entente antérieure à laquelle le plaignant fait référence a été conclue le 28 janvier 2005. Elle se lit comme suit :

OBJET :          Entente concernant la comparaison des fonctions de bibliothécaire et de webmestre

 

Les parties conviennent des principes suivants :

 

1.     Une fois le programme d’équité salariale distinct réalisé pour les membres du SEUM - SL 1244, un examen des fonctions de bibliothécaire et de webmestre sera complété pour déterminer si ces fonctions professionnelles se situent correctement par rapport aux autres fonctions professionnelles que l’on retrouve à l’Université de Montréal.

2.     Cet exercice sera réalisé à l’intérieur des balises suivantes :

-       utilisation du plan d’évaluation des cadres et des professionnels, outil qui sert à l’évaluation des fonctions professionnelles non syndiquées à l’université;

-       identification par les parties de 4 à 6 comparateurs (parmi les fonctions professionnelles) qui seront utilisés, ces comparateurs devront représenter différentes classes salariales présumées supérieures, inférieures et de même niveau que les fonctions de bibliothécaire et de webmestre;

-       Si, de cet exercice devaient découler des ajustements, les parties auraient à négocier les modalités d’implantation ;

-       Le forum approprié pour la négociation de cette problématique est le comité de négociation.

(Soulignement ajouté)

[6]            Le plaignant, en tant que représentant de l’intimé à l’époque, est l’un des cosignataires de cette entente.

[7]            Les travaux du comité d’équité salariale se poursuivent jusqu’au 31 décembre 2010, l’affichage des résultats de l’exercice, jusqu’au mois de mai 2011, ce qui retarde d’autant l’examen prévu à l’entente.

[8]            Dans un document explicatif préparé par le comité de négociation, qui avait pour mandat de donner suite à l’entente du 28 janvier 2005, on peut lire ce qui suit :

Lorsque les résultats ont été connus en équité, ils se sont avérés nettement défavorables. C’est ce qui explique qu’aucun correctif salarial n’ait été appliqué en 2011 pour la fonction de bibliothécaire. Cette avenue se refermait donc elle aussi avec la possibilité de rétroactivité qu’elle comportait.

(reproduit tel quel)

[9]            Comme prévu à l’entente, le comité entreprend alors une ronde de pourparlers avec la mise en cause, dans une position qui ne lui est cependant pas des plus favorables, vu le résultat du processus d’établissement de l’équité salariale. Il est confronté à la mise en cause, qui ne se dit pas fermée mais pose comme condition sine qua non à la révision à la hausse de la rémunération des bibliothécaires, un ajustement à la baisse de leurs autres conditions de travail.

[10]         Le 13 février 2013, après pas moins de 13 rencontres, l’intimé et la mise en cause en viennent à une entente et prennent l’engagement d’en recommander l’acceptation « à leurs instances respectives ». En cas d’approbation, il va sans dire que les parties à l’entente s’engagent à la signer.

[11]         Par courriel daté du 12 mars 2013, l’intimé convoque les seules personnes directement concernées par l’entente de principe à un vote qui sera tenu le 17 mars suivant. Il faut préciser que l’unité de négociation pour laquelle l’intimé est accrédité regroupe quelque 1 700 salariés, dont environ 65 professionnels, des bibliothécaires et webmestres essentiellement. La plupart des autres professionnels au service de la mise en cause ne sont pas syndiqués.

[12]         Le plaignant reconnaît d’emblée que le vote en faveur de l’entente a été « assez élevé » lors de cette assemblée. En fait, tel qu’il ressort du document explicatif auquel nous avons déjà fait référence, 52 des personnes concernées ont voté pour, 7 contre, 6 se sont abstenues et 1 bulletin de vote a été annulé.

[13]         Vu le caractère indicatif de ce vote, tenu pour prendre le pouls des personnes concernées, l’intimé convoque l’ensemble de ses membres à une assemblée générale spéciale le 4 avril 2013, en vue de soumettre l’entente de principe à leur approbation, qui était requise, étant donné que l’entente modifiait la convention collective à certains égards.

[14]         Dans les jours qui précèdent la tenue de ce vote, le plaignant et deux de ses collègues y vont de courriels adressés aux bibliothécaires actifs et retraités, pour expliquer leur compréhension de l’entente du 28 janvier 2005 et les inciter à voter contre celle du 13 février 2013, décriant l’absence de rétroactivité et les concessions faites sur les autres conditions de travail.

[15]         Malgré ces exhortations du plaignant et de ses deux collègues, comme on pouvait s’y attendre, l’entente de principe du 13 février est adoptée lors de l’assemblée spéciale tenue le 4 avril 2013. Sa signature n’est donc plus qu’une simple formalité.

[16]         Le plaignant n’a pas assisté à cette assemblée générale spéciale. Il déclare avoir dû s’absenter du travail pour cause de maladie du 4 avril au 7 mai 2013. Il reconnaît que sa maladie ne l’aurait cependant pas empêché de s’informer du résultat du vote. C’est par choix qu’il a décidé de « couper les ponts » temporairement avec son milieu de travail, le débat entourant l’entente de principe lui ayant causé du stress, précise-t-il. Il déclare avoir eu la confirmation que l’entente avait été adoptée seulement à son retour au travail, le 7 ou le 9 mai. Sur son formulaire de plainte, il a simplement inscrit la date de signature officielle de l’entente.

les motifs et le dispositif

[17]         Il est de jurisprudence constante que le délai de six mois prévu aux articles 47.3 et 116 du Code en est un de rigueur, dont le non-respect entraîne la déchéance du droit de recours. Pour situer le point de départ de la computation de ce délai, il faut se demander à quelle date le plaignant a compris ou aurait dû comprendre que son syndicat avait manqué à ses obligations.

[18]         Dans le cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute que le plaignant a réalisé dès le 14 mars, après que le résultat du vote indicatif eût été connu, que le sort en était jeté. Ses exhortations à s’opposer à l’adoption de l’entente de principe ne constituaient en quelque sorte qu’un baroud d’honneur.

[19]         Quoi qu’il en soit, même en retenant la date de l’assemblée générale spéciale où l’entente fut officiellement adoptée, le 25 octobre suivant, son droit de recours était clairement prescrit. Et le fait qu’il ait choisi de ne pas s’informer du résultat du vote dans les jours suivants n’y change rien.

[20]         Pour la gouverne du plaignant et de ses collègues toujours opposés à l’entente de principe, ajoutons que, contrairement à leurs prétentions, l’entente du 28 janvier 2005 ne comportait aucun engagement ferme, susceptible d’exécution forcée par sentence arbitrale, si ce n’est de se livrer à un examen comparatif, donc aucune obligation de réajuster les salaires rétroactivement, si cet exercice devait s’avérer concluant.

[21]         En outre, comme l’a écrit la Cour suprême dans Tremblay c. Syndicat des employés professionnels et de bureau, section locale 57, 2002 CSC44, les personnes ayant quitté leur emploi avant la conclusion d’une entente n’ont « aucun droit acquis à l’égard de la rétroactivité  », s’il en est, et le fait pour un syndicat de conclure une entente qui n’en comporte aucune n’engage pas sa responsabilité.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                       la plainte.

 

 

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André Bussière

 

M e Danielle Lamy

Représentante de l’intimé

 

 

 

 

 

 

 

 

M e Nakin Plaski

Représentante de la mise en cause

 

Date de l’audience :

10 mars 2014

 

/ga

 

Correction apportée le 7 avril 2014 :

 

Dans l’entête, le numéro de référence neutre suivant a été ajouté sur toutes les pages : 2014 QCCRT 0164.