Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale  299, SCEP et Industries de la Rive-Sud, usine de Coaticook (Claude Ménard)

2014 QCTA 280

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2014-4597

I-318-13

 

Date :

8 avril  2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

M e Richard Marcheterre

______________________________________________________________________

 

 

Syndicat Canadien des Communications, de l’Énergie et du Papier, SCEP, section locale 299

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

 

Les Industries de la Rive-Sud, Usine de Coaticook

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

 

Plaignant(e) :

Monsieur Claude Ménard

 

Grief(s) :

n o du syndicat

10238

 

Convention collective :

1 er mai 2011 au 30 avril 2014

 

______________________________________________________________________

 

SENTENCE ARBITRALE

______________________________________________________________________

 

[1]    Les parties ont été entendues le 19 mars 2014. Aucun moyen préliminaire de nature juridictionnel ou intra juridictionnel n’a été soulevé. Le grief de monsieur Ménard a été soumis le 28 mars 2013, contestant la décision de l’Employeur de le retirer de la fonction de «  leader de chaîné de valeur  » ( leader ), le 18 mars 2013. Le grief se lit comme suit (pièce S-2) :

Nature du grief :

Objet : Rétrogradation de M. Claude Ménard à partir du 18-03-13.

En vertu de la convention collective et la charte, nous contestons la décision de l’employeur de rétrograder monsieur Claude Ménard de (…) de chaîne de valeur sans cause juste et suffisante à son retour d’absence pour maladie.

Remède :

Nous réclamons que monsieur Claude Ménard soit réinstallé à son poste, le salaire et les primes perdues et tous les droits prévus à la convention collective et dédommagent pour les préjudices subis, incluant les dommages réels moraux et exemplaires, ainsi que le préjudice fiscal, le tout rétroactivement ave intérêts aux taux prévus au Code du travail et sans préjudices aux autres droits révolus (sic).

Fardeau de la preuve

[2]    L’Employeur reconnait devoir assumer le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante, que sa décision ne doit pas être revue par le Tribunal.

Le litige

[3]    Avant d’analyser la preuve et le droit afférent à la présente affaire, il faut déterminer le litige.

[4]    Le grief constitue la base du litige, lequel doit être résolu suivant la convention collective, les faits pertinents et le droit.

[5]    Il dénonce la rétrogradation de monsieur Ménard d’un poste de «  leader  » et réclame sa réintégration dans ce poste. La preuve montre que monsieur Ménard a auparavant occupé pendant une longue période la fonction de «  chef d’équipe  » et que vers le mois de juin 2012, il a débuté à occuper celle de «  leader chaîne de valeur  » dans lequel il a été confirmé le 11 octobre suivant (E-2). Il en a été officiellement retiré le 18 mars 2013.

Pouvoir du Tribunal

[6]    Le rôle du Tribunal découle généralement de la nature de la mesure contestée. Il faut donc déterminer si elle est administrative ou disciplinaire. En l’espèce, la preuve démontre largement qu’elle est administrative.

[7]    À moins d’une disposition de la convention déterminant expressément qu’il en est autrement, un Tribunal d’arbitrage n’interviendra en matière administrative que si la preuve démontre que la décision contestée est abusive, arbitraire, injustement discriminatoire ou de mauvaise foi, pour n’utiliser que ces qualificatifs, la jurisprudence en retenant également d’autres au même effet.

[8]    Le Syndicat soutient que la convention collective assimile la mesure administrative à la mesure disciplinaire et que, conséquemment, la première doit être traitée comme la deuxième, en vertu de l’article 1.02 c) de la convention collective qui se lit comme suit :

[1.02 c)] Mesures disciplinaires

Pour les fins de la présente convention collective, une mesure disciplinaire se définit comme étant une réprimande écrite, une suspension, un congédiement ou une mesure administrative . (Soulignement ajouté)

[9]    Pour cette raison, le procureur du Syndicat soutient que le rôle de l’arbitre en matière administrative est élargi à la même mesure que si la décision de l’Employeur était disciplinaire et que, conséquemment, les articles pertinents au traitement des mesures disciplinaires s’appliquent mutatis mutandis aux décisions administratives, dont celle contestée par le grief de monsieur Ménard.

[10]         L’attention du Tribunal est à cet égard particulièrement amenée vers les articles 7.01, 7.02 et 8.05 e) de la convention collective, qui se lisent comme suit :

[7.01]          La mesure disciplinaire, telle que définie à l’article 1.02 c), est soumise à la procédure des griefs et à l’arbitrage s’il y a lieu; dans ce cas, le fardeau de la preuve prépondérante incombe à l’Employeur.

[7.02]          a) Le salarié doit être informé par écrit du motif invoqué par l’Employeur pour la prise d’une mesure disciplinaire.

                  b) Un mesure disciplinaire doit être exercée dans les quinze (15) jours de la survenance des faits ou de leur connaissance par l’Employeur.

                  c) Le salarié convoqué pour une mesure disciplinaire doit être accompagné d’un délégué syndical.

[8.05 e)]      Dans le cas de mesures disciplinaires, l’arbitre peut confirmer, modifier ou casser la décision de l’Employeur; il peut, le cas échéant, y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

[…]            

[11]         L’Employeur soutient plutôt que la question de l’octroi du poste de «  leader  » et du retrait du salarié d’un tel poste, relève strictement de son droit de gérance et que, conséquemment, il s’agit d’une exception aux principes évoqués par le Syndicat, son obligation n’étant limitée que par celle de principe, soit de prendre une décision dénuée d’abus, de discrimination injuste, de mauvaise foi ou d’arbitraire.

[12]         Il n’appartient pas à un arbitre de grief de déterminer s’il était sage ou non d’assimiler la mesure administrative à la décision disciplinaire, comme les parties l’ont fait en l’espèce, en vertu de l’article 1.02 c) de la convention collective. Il lui faut plutôt déterminer si, en regard du poste de «  leader  », les parties ont convenu qu’il en serait autrement et que, conséquemment, la prétention de l’Employeur devrait être retenue.

[13]         Il est vrai que la fonction de «  leader  » a été créée au moment de l’adoption de la présente convention collective. Il est aussi vrai qu’il revient à l’Employeur seul de choisir le salarié qui occupera une telle fonction (art. 1.02 e) in fine ) et que pour cela aucun critère pour la prise de la décision n’a été déterminé, par exemple que l’ancienneté devrait primer. Il est donc vrai que l’Employeur n’est limité dans son choix que par les conditions de principe que sont celles énumérées au paragraphe précédent.

[14]         Par contre, le débat devant le Tribunal ne concerne pas la nomination d’un salarié sur un tel poste mais son retrait. À ce sujet, aucune disposition de la convention collective n’encadre de manière particulière l’exercice du droit de gérance au moment du retrait, conséquemment, ce sont les règles en semblable matière déterminées par la convention collective qui sont appliquées et, considérant les articles 1.02 c), 7.01 et surtout 8.05 e), le rôle du Tribunal ne se limite donc pas uniquement à constater que la décision est ou non arbitraire, abusive, injustement discriminatoire ou de mauvaise foi, mais il peut aussi «  y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable…  ».

[15]         D’autre part, la rétrogradation, comme le syndicat qualifie la décision qu’il conteste, s’inscrit dans la disposition sur le droit de gérance aussi incluse dans la convention collective par les parties, à l’article 4.01, dont la partie pertinente au présent débat se lit comme suit :

Le Syndicat reconnaît qu’il est du ressort exclusif de l’Employeur de maintenir... rétrograder …, à la condition que l’exercice de tels droits n’aille pas à l’encontre d’une disposition expresse de la convention collective. (Soulignement ajouté)

[16]         Il m’apparait que cette disposition place au même niveau toute mesure administrative que l’Employeur peut prendre, soit qu’elle ne peut contrevenir à une disposition expresse de la convention collective, cela même s’il s’agit de l’exercice exclusif d’un droit de gérance. Conséquemment, si cet exercice devait contrevenir aux articles énumérés précédemment, la décision de l’Employeur, bien qu’elle puisse relever de son droit exclusif de gérance, le soussigné pourrait «  y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable…  »

[17]         La convention est en effet claire : l’article 1.02 c) inclut la mesure administrative dans la définition de la mesure disciplinaire et l’article 7.01 établit tout aussi clairement que la mesure administrative, considérant la définition retenue par les parties à l’article 1.02 c), doit être traitée comme une mesure disciplinaire suivant les dispositions pertinentes à cet égard, qui se retrouvent aux articles 7 et 8 de la convention collective, dont celle qui détermine le rôle d’un arbitre, notamment qu’il peut «  confirmer, modifier ou casser la décision de l’Employeur  » et même «  y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable…  », que la décision contestée soit disciplinaire ou administrative.

[18]         Mais avant de passer à l’étude des faits et du droit, il faut rappeler qu’en l’espèce, non seulement le grief ne réclame que la réinstallation dans le poste de «  leader chaîne de valeur  », mais lors de l’audition il n’a été réclamé aucune alternative à cette demande, par exemple que le Tribunal, en application de l’article 8.05 e), pourrait plutôt replacer le plaignant dans une position de chef d’équipe. Conséquemment, le Tribunal ne focalise que sur la demande de réinstallation dans la fonction de «  leader chaîne de valeur  ».

LA PREUVE

[19]         Les faits et le droit applicable à l’espèce favorisent la position de l’Employeur. Conséquemment, pour les motifs qui suivent, le grief #10238 est rejeté.

[20]         L’Employeur est en droit de s’attendre qu’un employé fournisse une prestation normale de travail suivant les caractéristiques de son emploi. En l’instance, monsieur Ménard n’a pu satisfaire aux attentes patronales, légitimes.

[21]         Monsieur Ménard a obtenu un poste de «  leader  ». Un tel poste suppose que son titulaire exercera des fonctions d’autorité, étant le bras droit du surintendant de son département. Conséquemment, il doit avoir une attitude au travail à l’enseigne de l’exemple pour les travailleurs dont il a charge.

[22]         En l’espèce, la preuve démontre que monsieur Ménard n’avait pas toujours la maturité nécessaire pour rencontrer une telle exigence de son emploi, malgré les représentations fréquentes qui lui furent faites à cet égard.

[23]         Succinctement, le travail d’un «  leader  », tel que monsieur Ménard l’explique, consiste aux tâches suivantes :

1-     à assister le contremaître, voire le remplacer lorsqu’il doit s’absenter;

2-     à gérer la production sur le plancher;

3-     à s’assurer que les employés travaillent en sécurité;

4-     s’assurer de la qualité de la production;

5-     affecter les tâches quotidiennes aux employés, planifier la cédule de production.

 

Monsieur Claude Ménard

[24]         Monsieur Ménard raconte qu’il y avait chaque matin une réunion qu’il qualifie d’informelle, réunissant tous les employés de son département ainsi que le contremaître, lui-même et le chef d’équipe. Il affirme que cette réunion était tenue de 7h00 à 7h15. Elle avait pour objectif de préparer la journée de travail et d’affecter les employés en conséquence, selon les commandes du jour.

[25]         Il faut parfois remplacer un employé absent à la dernière minute. Comme «  leader  », si c’était le cas, le plaignant devait s’assurer de la présence d’un remplaçant. Pour cela, il devait communiquer avec la personne devant remplacer le travailleur absent.

[26]         Monsieur Ménard estime qu’il accomplissait bien le travail de «  leader  » jusqu’à ce qu’il devienne malade au mois de décembre 2012. Il soumet qu’il avait alors des problèmes personnels importants et il affirme en avoir fait part au contremaître, monsieur Harel. Il s’est finalement dirigé au Centre hospitalier au mois de février 2013.

[27]         Il reconnaît qu’il avait un problème en regard du port des lunettes de protection, mais à compter du mois de décembre 2012 uniquement. Monsieur Ménard avait aussi des problèmes familiaux et il raconte qu’il cherchait à profiter du congé de Noël pour récupérer et pour régler le différend avec sa conjointe.

[28]         Il affirme en avoir également parlé à monsieur Harel, lui avoir dit qu’il n’était pas confiant, lui disant notamment qu’il n’arrivait pas à être psychologiquement présent, que sa production était inconstante. Il reconnaît que sa présence sur le plancher n’était pas au niveau requis par sa fonction et que ses tâches n’étaient pas accomplies à «  100%  ». Il explique qu’il avait plus de difficulté à accomplir son travail, qu’il ne le faisait pas bien, par exemple pour l’affectation des employés au travail. S’il dit avoir finalement été mis en arrêt de travail pour maladie au mois de février 2013, il n’est toutefois pas certain du moment.

Monsieur Réjean Dupuis

[29]         Monsieur Réjean Dupuis travaille comme chef d’équipe depuis environ 10 ans. Il a été sous l’autorité du plaignant, du mois de juin 2012 au mois de mars 2013. Il affirme que les choses n’allaient pas bien avec monsieur Ménard. Il donne quelques exemples :

1-     Parce que le plaignant ne faisait pas ce qui lui était demandé par les employés, il fallait parfois s’adresser au supérieur de ce dernier, monsieur Harel, par exemple lorsqu’il manquait des pièces pour les assemblages, dont du carton.

2-     Il affirme que monsieur Ménard n’était «  jamais  » présent lorsqu’ils avaient besoin de lui et qu’il était difficile de le rejoindre car il ne gardait pas toujours le walkie-talkie avec lui, l’ayant même déjà ramassé par terre au milieu d’une allée.

3-     Il reproche de plus au plaignant d’avoir souvent porté ses lunettes de sécurité sur sa tête plutôt que devant ses yeux.

4-     Quant aux réunions du matin, monsieur Dupuis affirme que régulièrement monsieur Ménard ne s’y présentait qu’une fois terminées. Il affirme qu’elles débutaient à 6h58 bien que le quart de travail ne débutait qu’à 7h00. On y faisait un retour sur la veille, il était question de l’inventaire et des plaintes de clients.

5-     Il soutient que ces réunions étaient déjà tenues au mois de juin 2012. Selon monsieur Dupuis, le plaignant devait être présent à ces réunions puisqu’il occupait la position de «  leader  », puisqu’il devait affecter les employés aux tâches quotidiennes, ce qui prenait plus de temps que nécessaire car il manquait l’occasion de s’assurer rapidement que le personnel nécessaire un jour donné, était présent au travail, sans quoi il devait tout aussi rapidement décider s’il devait ou non remplacer un employé absent. Selon monsieur Dupuis, cela retardait le départ de la journée de travail puisqu’il s’agit d’une production en ligne.

[30]         Contre interrogé, monsieur Dupuis soumet qu’il est maintenant le chef d’équipe de monsieur Ménard.

[31]         Il affirme de nouveau que les rencontres du matin se font depuis au moins plus d’un an et, cette fois, il dit croire que c’était aussi le cas lorsque monsieur Ménard était «  leader  », mais qu’il n’en n’est «  pas sûr à 100%  ». Cela dit, il répète néanmoins que lorsqu’il tenait lesdites rencontres, le plaignant n’y arrivait qu’à la fin.

[32]         Il dit d’autre part savoir que monsieur Harel a souvent dit au plaignant qu’il se devait d’être présent auxdites rencontres matinales, bien qu’il admette que ce n’était pas toujours en sa présence. Pour lui, par contre, il sait que c’était le cas car il voyait que le plaignant n’était pas présent à ces réunions.

[33]         Quant au fait d’avoir ramassé le «  Walkie-talkie  » du plaignant, il dit cette fois ne pas avoir souvenir du moment où il a pu le faire; il ajoute même que cela peut s’être produit alors que le plaignant pouvait ne plus être «  leader  ».

[34]         Il reconnait par ailleurs qu’il a pu dire à monsieur Ménard qu’il était un meilleur «  leader  » qu’un autre employé ne l’était. Il dit aussi que monsieur Ménard a pu le rencontrer une fois au sujet de plaintes de travailleurs à son endroit.

Monsieur Bernard Harel

[35]         Monsieur Bernard Harel occupe la fonction de contremaître à l’emballage à l’usine de Coaticook. Monsieur Ménard a été son «  leader  » de juin 2012 à février 2013. Il insiste pour dire que cela a débuté au mois de juin 2012.

[36]         Il explique que le «  leader  » se devait d’être présent dès 6h58 afin d’assister à la réunion du chef d’équipe avec les employés. Il affirme qu’il en était déjà ainsi au mois de juin 2012.

[37]         Il soumet qu’il a dû aviser monsieur Ménard plusieurs fois d’être présent à cette réunion puisqu’il ne s’y présentait pas souvent ou pas assez tôt. Monsieur Ménard lui disait alors avoir des difficultés de gardiennage, ce à quoi il lui demandait de trouver une solution afin d’être présent auxdites réunions. Il ajoute qu’au début il arrivait que le plaignant se disait peu motivé car il n’avait pas encore «  signé la job  », indiquant ainsi qu’il n’avait pas encore été confirmé dans cet emploi.

[38]         Monsieur Harel ajoute que la situation se corrigeait lorsqu’il en discutait avec le plaignant mais que ça ne durait pas, cela même après que monsieur Ménard eut «  signé  » le 8 janvier 2013 pour confirmer qu’il acceptait la fonction de «  leader  » et ses caractéristiques.

[39]         Monsieur Harel décrit comme suit le travail du leader :

1-     Préparer la journée de production

2-     Placer les employés aux bons endroits pour la production;

3-     S’assurer que la production se faisait correctement;

4-     S’assurer que les employés portaient les équipements de sécurité requis pour leur travail;

5-     Remplacer au besoin des employés absents.

[40]         Monsieur Harel affirme qu’il croyait que monsieur Ménard avait les qualités requises pour être «  leader  », ce qui signifiait qu’il pourrait être appelé à devenir contremaitre.

[41]         Toutefois, monsieur Harel fait de nombreux reproches au plaignant :

1-     de ne pas donner le bon exemple aux employés en ne portant pas régulièrement ses lunettes de sécurité, disant oublier de les porter.

2-     monsieur Ménard s’est aussi présenté au travail sans avoir attaché ses lacets, donnant ainsi le mauvais exemple.

3-     que monsieur Ménard était souvent au téléphone avec sa conjointe durant les heures de travail, alors qu’il en avait la permission qu’en dehors du temps de travail.

4-     que monsieur Ménard refusait de remplacer un employé sur la chaîne de production pendant qu’il était aux toilettes, disant que ce n’était pas son travail de remplacer des employés.

5-     que le plaignant négligeait de recharger la batterie de son «  walkie-talkie  » ou qu’il négligeait de le porter sur lui.

6-     d’avoir passé sur des rouleaux malgré les avis à cet égard, puisqu’il y avait là un certain danger d’accident. Il affirme avoir dû l’aviser constamment.

7-     que monsieur Ménard ne se présentait pas aux réunions de 6h58 bien qu’il était important qu’il y soit puisqu’il était «  leader  ». Il ajoute que lorsqu’il lui en parlait, la situation se corrigeait durant 2 ou 3 jours mais par la suite il reprenait à arriver tardivement auxdites réunions, sinon à ne pas s’y présenter.

8-     que si tous les employés devaient poinçonner, monsieur Ménard ne le faisait pas, prétextant avoir perdu sa carte et qu’il n’avait pas à poinçonner. Monsieur Harel ajoute que le plaignant aurait même dit à sa conjointe qui travaille aussi pour l’entreprise, qu’elle n’avait pas à poinçonner.

[42]         Monsieur Harel affirme avoir dit au plaignant qu’il recevrait un avis écrit s’il continuait à ne pas porter correctement ses lunettes de sécurité. Monsieur Harel précise que s’il n’a pas remis un tel avis c’est parce qu’il croyait toujours en la capacité du plaignant à occuper la fonction de «  leader  », ayant lui-même suggérer la nomination de ce dernier. Il protégeait en quelque sorte monsieur Ménard.

[43]         Monsieur Harel explique qu’en compagnie de monsieur Allen, le directeur des ressources humaines, il a rencontré monsieur Ménard le 8 janvier 2013. Il s’agissait de le confirmer dans le poste de «  leader  », mais en l’avisant d’abord qu’il devait corriger les lacunes dont il a parlé précédemment, sans quoi il ne pourrait conserver cette fonction. Monsieur Harel a affirmé qu’il fut alors parlé de tous les éléments dont on attendait une correction et qu’il a été dit à monsieur Ménard qu’il devait «  marcher droit  ». Il ajoute que s’il y a ensuite eu correction, il ne fut pas long avant que la situation ne reprenne, devant l’aviser de nouveau.

[44]         Monsieur Harel soumet qu’il a de nouveau rencontré le plaignant au sujet de ces éléments, le 5 février 2013, et que le lendemain monsieur Ménard a remis un billet médical à monsieur Allen, par lequel il était en arrêt de travail, ce que monsieur Harel a appris le 6 février 2013.

[45]         Il affirme par ailleurs que si monsieur Ménard lui avait parlé de ses difficultés avec sa conjointe, il ne lui avait toutefois pas dit qu’il était malade.

[46]         La décision fut donc prise par monsieur Allen, avec la collaboration de monsieur Harel, de retirer le plaignant de la fonction de «  leader  ». Cette décision fut annoncée au plaignant le 18 mars 2013, après son retour au travail.

[47]         Monsieur Harel affirme que monsieur Ménard a été rémunéré à titre de «  leader  » suivant la décision de messieurs Allen et Goyette. Si monsieur Harel ne peut préciser la date où le plaignant a débuté à recevoir la prime de «  leader  », de 1.60$ l’heure, il appert que c’est autour du mois de juin 2012 qu’il a débuté à recevoir ladite prime.

[48]         En ce qui a trait au problème relatif au « walkie-talkie », si monsieur Harel soumet qu’il n’en n’a pas entendu parler avant que monsieur Ménard ne soit affecté à un chariot élévateur, soit après son retour au travail à la fin du mois de mars 2013, donc à un moment où il n’effectuait pas les fonctions de «  leader  », il affirme ensuite que c’était le même problème lorsque le plaignant agissait comme «  leader  ».

[49]         Interrogé par le procureur du Syndicat, monsieur Harel réaffirme que le plaignant ne lui a pas parlé d’une maladie mais de ses difficultés dans sa relation avec sa conjointe, et qu’il ne savait pas qu’il pouvait être malade.

Monsieur Bruno Allen

[50]         Monsieur Bruno Allen est coordonnateur aux Ressources humaines. Il explique que le poste de «  leader  » que le plaignant a accompli, a été le dernier affiché, puisqu’il ne croyait pas qu’il était nécessaire d’en nommer un à l’assemblage. Ce n’est que sur l’insistance de monsieur Harel qu’il fut officiellement affiché en octobre 2012, poste que le plaignant a obtenu sur l’insistance de monsieur Harel. Puisque les pièces E-3- et E-4 montrent que monsieur Ménard avait débuté à recevoir la prime de «  leader  » dès le mois de juin 2012, il accomplissait des tâches de cette fonction dès juin 2012.

[51]         En ce qui a trait à la performance du plaignant à titre de «  leader  », monsieur Allen  soumet que si au début les choses semblaient bien se dérouler, des lacunes ont aussi débuté, faisant notamment allusion au port des lunettes de sécurité, sujet pour lequel de nombreux avis furent donnés au plaignant. Il affirme que plus le temps passait, plus ce problème grandissait, devant lui dire de les porter au moins une fois par semaine.

[52]         Monsieur Allen soutient aussi que le département n’était pas en ordre et que la direction s’en plaignait. La responsabilité de la propreté du département relevait du plaignant. Il affirme que surtout en hiver, le plaignant arrivait au travail après les employés du département et qu’il gardait son manteau sur lui au lieu de le ranger au vestiaire.

[53]         Monsieur Allen affirme que monsieur Ménard a été rencontré par lui et monsieur Harel, avant les fêtes 2012, pour lui expliquer de nouveau de ce qui était attendu d’un «  leader  ». Donnant pour exemple la situation des lunettes de sécurité, monsieur Allen affirme qu’il a de nouveau fallu expliquer à monsieur Ménard que comme «  leader  » il devait montrer l’exemple aux employés dont il avait la charge. Il fut aussi question de l’heure à laquelle il arrivait au travail et du fait qu’il parlait au téléphone beaucoup trop longtemps avec sa conjointe qui travaillait aussi à l’usine.

[54]         Monsieur Allen rapporte de plus que monsieur Ménard fut de nouveau rencontré le 8 janvier 2013, en compagnie de monsieur Harel et d’un représentant du Syndicat. Il lui a alors été demandé s’il voulait véritablement occuper la fonction de «  leader  ». Il affirme que monsieur Ménard lui a répondu affirmativement en ajoutant toutefois qu’il (M. Allen) ne voulait pas qu’il ait ce travail. Monsieur Allen affirme lui avoir répondu que c’était faux, que ce qu’il voulait était simplement qu’il fasse le travail requis, comme il doit l’être de la part d’un «  leader  ». Il a alors été dit à monsieur Ménard qu’il pouvait être retiré du poste en tout temps.

[55]         Monsieur Allen ajoute que la question de l’état de santé du plaignant n’a pas été abordée lors de cette rencontre, ni par l’Employeur, ni par le plaignant.

[56]         Selon monsieur Allen, il n’y a pas eu de changements chez le plaignant entre le 8 janvier et le 6 février 2013, ou très peu. Monsieur Ménard leur disait qu’il faisait des efforts et on lui disait qu’il se devait de donner l’exemple aux employés. Malgré cela il n’y avait pas d’amélioration.

[57]         Monsieur Allen explique ensuite que lors du départ du plaignant pour un congé maladie au début du mois de février, on voyait que ça n’allait pas, que son travail ne correspondait pas au rôle attendu d’un «  leader  ».

[58]         Brièvement, rappelons que monsieur Ménard a alors été remplacé par monsieur Patrick Boivin, avec succès. J’en fais brièvement mention car la question à laquelle le Tribunal doit répondre n’est pas de savoir si monsieur Boivin était ou non meilleur que monsieur Ménard, mais si ce dernier était capable d’effectuer le travail de «  leader  » de manière satisfaisante.

[59]         Cela dit, il me faut aussi souligner que selon monsieur Allen, le fait que le plaignant ait été malade n’a pas été un facteur considéré et de plus, puisqu’aux yeux de l’Employeur monsieur Boivin était nettement meilleur à cette fonction que ne l’était monsieur Ménard, on ne pouvait considérer y replacer ce dernier et en retirer monsieur Boivin.

[60]         En contre interrogatoire monsieur Allen précise que le billet médical plaçant monsieur Ménard en arrêt de travail ne précisait aucun diagnostic. Ce n’est que plus tard qu’il a été connu, par le biais de formulaires de l’assureur.

[61]         Monsieur Ménard a été affecté à temps partiel lors de son retour au travail. Une semaine environ plus tard il fut avisé qu’il n’allait pas être retourné à la fonction de «  leader  », jugeant qu’il n’était pas la bonne personne dans cette fonction, notamment parce qu’il avait une performance irrégulière et qu’il avait peu d’initiative. Bien qu’il ait auparavant occupé la fonction de chef d’équipe pendant quelques années, il n’a pas été replacé dans celle-ci, monsieur Allen expliquant qu’il n’y en avait aucune disponible.

[62]         Monsieur Allen explique d’autre part que si le plaignant n’a pas été référé au PAE, c’est qu’à ce moment on ne savait pas qu’il avait un problème de santé, ce qui n’a été connu que par la suite, le billet du médecin ne précisant toutefois pas le diagnostic.

Monsieur Claude Ménard

[63]         Rappelé dans la preuve syndicale, monsieur Ménard précise qu’il a remplacé monsieur Harel dans la fonction de «  leader  » lors de ses absences, depuis le mois de juin 2012. Il affirme ne pas avoir eu de reproche concernant l’exécution de son travail jusqu’au mois de décembre, sauf à une occasion relativement au port du « walkie-talkie». Il dira ensuite que c’était plutôt lorsqu’il est revenu au travail au mois de mars 2013, alors qu’il était affecté à un chariot élévateur.

[64]         Quant au fait d’avoir marché sur les rouleaux, il explique que l’Employeur a installé des éléments de protection rendant difficile de passer au-dessus des rouleaux plutôt que de les contourner. Mais il affirme que lorsqu’il était «  leader  », tout le monde passait par-dessus ceux-ci, qu’il n’a pas été rencontré par la direction à ce sujet pendant qu’il était «  leader  », et que tout le monde en avait le droit puisque personne n’était discipliné à cet égard. Il affirme qu’il en était ainsi également au sujet du port des lunettes de sécurité.

[65]         Le plaignant raconte que ça n’allait pas bien pour lui pendant les mois de décembre 2012 et janvier 2013, car il avait eu un différend important avec sa conjointe. Il affirme en avoir parlé à monsieur Harel, les larmes aux yeux. Il espérait que les vacances de la période des fêtes allaient l’aider à stabiliser ses émotions. Des gens lui ont suggéré de consulter car ils le croyaient dépressif, ce qui fut diagnostiqué par son médecin. Il a également été suivi par un psychologue.

[66]         En ce qui a trait à la rencontre du 8 janvier 2013, monsieur Ménard soumet que la description qui en a été faite par messieurs Harel et Allen correspond à la réalité. Il précise qu’on lui avait alors fait des reproches au sujet de son travail de «  leader  », en regard du port des lunettes de sécurité, qu’il admet ne pas avoir portées comme il aurait dû le faire, et qu’il a pu en être avisé au moins 10 fois par monsieur Harel. Il affirme qu’avant les fêtes 2012, ce n’est qu’à ce sujet qu’il a eu des reproches.

[67]         En ce qui concerne le reproche qui lui a été fait de ne pas être suffisamment tôt pour assister à la réunion de préparation de la journée, à 6h58, monsieur Ménard affirme qu’il n’y avait pas de telles réunions à cette heure-là et que ce ne serait que vers la fin qu’elles auraient eu lieu, sur une seule ligne de production. Selon lui, ceux qui ont affirmé qu’il y avait de telles réunions avant le mois de décembre 2012, se trompent.

[68]         Finalement il nie fermement avoir dit à sa conjointe qu’elle n’avait pas à poinçonner sa carte et que ce n’est qu’au moment de l’audition qu’il en a entendu parler pour la première fois.

DISCUSSION

[69]         L’Employeur soutient d’abord que cette affaire repose sur la crédibilité des témoins. Je partage son opinion.

[70]         La sentence rendue en 1986 dans une affaire Casavant et Frères ltée et Syndicat des employés de Casavant Frères ltée (C.S.D.) (86T-634) , rassemble plusieurs critères concernant l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, fruit d’une jurisprudence de plusieurs années, et repris constamment depuis par les tribunaux. Plusieurs de ces critères s’appliquent à l’espèce.

[71]         Il faut d’abord noter que monsieur Ménard se contredit à l’occasion, qu’il a de nombreux blancs de mémoire, de nombreuses incertitudes, qu’il est parfois contredit par d’autres témoins et qu’il a un intérêt important dans le sort du litige.

[72]         Bien que ces éléments d’appréciation de sa crédibilité ne favorisent pas de retenir son témoignage, il faut rappeler que c’est d’abord l’Employeur qui doit supporter le fardeau de la preuve. Cela découle de la combinaison des articles 1.02 c), lequel stipule que les mesures administratives sont des mesures disciplinaires et administrées comme si elles en étaient, et 7.01 de la convention collective, ce dernier stipulant que «  le fardeau de la preuve prépondérante incombe à l’employeur  ».

[73]         L’Employeur soutient avec raison que les témoignages de ses témoins ont été concordants, clairs et sans ambigüité, qu’ils ont donné une version plus vraisemblable et probable, autant de critères favorisant la retenue de telles preuves. Si on ne peut ignorer que certains témoins de l’Employeur ont pu avoir une version variable, il demeure que cet aspect de la crédibilité est manifestement moins grand du côté patronal que de celui du plaignant, et que les hésitations de certains témoins du côté de l’Employeur n’affectent pas la valeur probante de sa preuve et ne lui fait pas perdre son caractère prépondérant.

[74]         La preuve soumise par l’Employeur démontre de manière prépondérante que monsieur Ménard n’a pu adéquatement exercer la fonction de «  leader  », plus particulièrement sous l’angle de l’exemplarité envers les employés sous sa direction.

[75]         Il occupait une fonction syndiquée mais dont la particularité était de diriger des employés en regard de leur travail et de leur attitude au travail. La preuve a surtout porté sur le second élément.

[76]         C’est ainsi que la preuve démontre que monsieur Ménard ne portait pas régulièrement ses lunettes de protection pendant qu’il était «  leader  ». Elle démontre également qu’il a été avisé de cela régulièrement, cela même avant le mois de décembre 2012.

[77]         La preuve démontre aussi de manière prépondérante que monsieur Ménard passait sur les rouleaux tout en sachant qu’il ne devait pas le faire pour des raisons de sécurité au travail. On peut certes dire qu’un employé dont une des responsabilités est la sécurité au travail, ne devrait pas agir ainsi, quoiqu’il puisse en penser.

[78]         Il a aussi été question des rencontres de direction à 6h58 le matin, soit 2 minutes avant que ne débute officiellement le quart de travail. On a reproché au plaignant de ne pas s’y être régulièrement présenté à l’heure prévue.

[79]         Il y a deux choses à ce sujet. La première concerne le statut du plaignant, celui de «  leader  », soit une personne exerçant une supervision sur les salariés et dont l’un des rôles est la préparation de la journée de travail, conjointement avec le chef d’équipe qui relève du «  leader  ». Or, il a été maintes fois dit au plaignant qu’il devait être présent dès le début de ces réunions pour des motifs liés à l’organisation du travail, par exemple les affectations de travail et le devoir de réagir rapidement aux situations imprévues qui pouvaient se présenter, afin de ne pas retarder le démarrage quotidien de la production, par exemple pour remplacer rapidement un employé absent sans avis, si cela était nécessaire, décision qui relevait du «  leader  ».

[80]         Parce que monsieur Ménard demeurait un employé syndiqué visé par la convention collective, on pourrait prétendre que monsieur Ménard n’avait pas à arriver avant 7h00 car le quart de travail débute à ce moment. Mais, encore une fois, l’acceptation de la fonction de «  leader  », fonction nouvelle chez l’Employeur, imposait et impose encore de faire des concessions afin de régulariser la production, ou participer à son amélioration, voire à donner un sens à cette fonction hybride, soit cadre et employé syndiqué.

[81]         Il n’y a toutefois pas lieu de faire un long débat sur le droit d’obliger un «  leader  » d’être présent à une réunion quotidienne, dès 6h58, soit 2 minutes avant que ne débute officiellement le quart de travail. En effet, que la réunion ait débuté à 6h58 ou 7h00, le fait central du reproche de l’Employeur est que monsieur Ménard ne s’y présentait que tardivement, même au-delà de 7h00, parfois il n’arrivait qu’une fois la réunion terminée.

[82]         Ce sont des obligations intimement liées à la fonction de «  leader  » et c’est pour cette raison qu’on ne peut lui réserver tous les avantages de la convention collective, car il y aurait une incohérence d’appréciation du rôle de «  leader  », alors que c’est d’un commun accord que cette fonction a été nouvellement introduite chez l’Employeur et insérée dans la convention collective.

[83]         Si monsieur Ménard avait des difficultés à arriver dès le début de ces réunions, pour des raisons reliées à sa vie personnelle, il se devait de trouver des moyens pour être présent dès le début de ces réunions. C’est ce qui lui avait été expliqué et demandé. Il ne le nie pas. Mais cela lui a été rappelé à plusieurs occasions sans qu’il y ait une réelle amélioration à cet égard, monsieur Ménard continuant à arriver en retard. Il ne revient pas à l’Employeur de supporter la contrainte personnelle d’un de ses employés et, dans les circonstances, l’Employeur a fait preuve d’une grande patience.

[84]         L’Employeur a aussi mis en preuve des faits qui concernaient d’autres lacunes, mais moins fréquentes, par exemple de se présenter au travail avec des bottes de sécurité sans qu’elles soient lacées, le non utilisation du « walkie-talkie » en le laissant traîner ou en ne s’assurant pas du chargement adéquat des batteries.

[85]         Le comportement de monsieur Ménard à ces égards n’était pas la hauteur de ses obligations de «  leader  », fonction pour laquelle il recevait une prime de 1.60$ l’heure.

[86]         À titre de «  leader  », une fonction créée avec l’adoption de la convention collective en vigueur au moment de la décision contestée, monsieur Ménard occupait un poste hybride, c’est-à-dire de syndiqué en autorité, devant, dans la dimension « autorité », agir comme un cadre, soit en donnant particulièrement une image d’exemplarité et en accordant à l’employeur une prestation qui concordait avec la nature administrative de sa fonction. Il ne peut donc réclamer des droits intimement liés au seul titre d’employé car il n’en n’est plus un dès qu’il devient «  leader  ».

[87]         Cela dit, il faut aussi rappeler que si le «  leader  » a pour rôle d’assister le contremaître du département, en l’occurrence monsieur Harel, il doit aussi remplacer ce dernier lors de ses absences, par exemple à l’occasion des vacances annuelles, ou d’une absence pour maladie.

[88]         À ces moments, le «  leader  » joue complétement le rôle d’une personne en autorité, non plus une sorte de fonction hybride. Dès lors, il doit maintenir une image exemplaire du comportement adéquat à l’usine et diriger les employés, cela est manifeste. Mais ça l’est tout autant lorsque monsieur Harel est au travail car le «  leader  » continue à jouer un rôle d’autorité et en ce sens, manifestement, cette fonction se distingue de celle du simple employé sur une ligne de production.

[89]         Cela est aussi intimement lié au fait que lorsque monsieur Harel est au travail, le «  leader  » doit agir d’une façon exemplaire car il remplacera bientôt et inévitablement son contremaître, devant alors exercer la même autorité et le même leadership. La crédibilité de direction n’est pas qu’une question de chapeau mais d’image auprès des employés qui doivent savoir et comprendre que leur supérieur est en autorité. C’est donc un travail de crédibilité qui ne cesse pas dès que le contremaître est au travail, il est le fait de chaque jour de travail. L’autorité de direction doit être bâtie chaque jour et maintenue chaque jour.

[90]         Je me dois d’ajouter que si monsieur Harel ou un autre «  leader  » avait eu un comportement semblable à celui de monsieur Ménard, notamment en regard des règles de sécurité, l’Employeur aurait été justifié d’intervenir et de prendre la décision de maintenir ou non l’un ou l’autre dans sa fonction de contremaître ou de «  leader  », sous conditions ou non. Cela découle directement du rôle que doivent jouer un contremaître et un «  leader  », dans ce dernier cas parce qu’il a pour rôle d’assister et parfois de remplacer le contremaître. Il a donc une figure d’autorité. Même si elle peut être moindre que celle du contremaître, elle demeure réelle et intimement liée à la fonction de «  leader  ».

[91]         Monsieur Ménard a soulevé l’existence d’un certain laxisme de l’Employeur à ces égards. Soit, mais monsieur Ménard n’a probablement pas compris qu’au moment où les faits se sont déroulés, entre les mois de juin 2012 et février 203, il n’était plus un simple employé sur une ligne de production, mais une personne en autorité intermédiaire, certes une personne dont le comportement devait s’élever au-dessus de celui des employés sous sa supervision. Or, un employé en autorité ne peut alléguer qu’il peut lui-même poursuivre un comportement que son Employeur cherche à régulariser, surtout lorsque la Direction lui demande de participer à ladite régularisation par le biais d’un comportement exemplaire.

[92]         Le Syndicat a soulevé que le plaignant était malade. Bien qu’il l’ait fait, il n’a toutefois pas prétendu que le retrait du plaignant de la fonction de «  leader  » avait un rapport avec sa maladie. Il n’a donc pas soutenu que monsieur Ménard aurait dû bénéficier des règles propres aux employés malades en cours de travail. Mais s’il l’avait fait, cette défense aurait été rejetée.

[93]         En effet, la preuve prépondérante démontre que si monsieur Ménard a fait part à monsieur Harel, son supérieur, qu’il connaissait des problèmes avec sa conjointe, il n’a toutefois pas fait état d’une quelconque maladie affectant son comportement. L’Employeur ne l’a su qu’une fois que la demande d’indemnisation du plaignant fut soumise à l’assureur collectif. Jusque-là l’Employeur savait qu’il était en arrêt de travail mais il n’en connaissait pas la raison.

[94]         Par ailleurs, ce débat serait vain car monsieur Ménard n’accomplissait pas correctement sa fonction de «  leader  » depuis le mois de juin 2012, soit avant même qu’il ne fasse état de ses problèmes avec sa conjointe ou que la question médicale ne soit soulevée et qu’il soit mis en arrêt de travail le 6 février 2013. La preuve démontre de manière prépondérante que le comportement du  plaignant existait déjà avant même qu’il ne puisse prétendre être malade. Il n’y a donc pas de lien entre les deux.

[95]         La discussion qui précède est, il faut l’admettre, aux confins du différend. S’il faut le reconnaître, il faut aussi admettre que le traitement d’un «  leader  » en vertu de la convention collective qui concerne d’abord les simples employés, soit ceux qui ne  jouent pas un rôle d’autorité, quel que soit son niveau, doit être apprécié selon la réalité de la fonction en cause, sans quoi celle-ci perd ses caractéristiques fondamentales que sont l’autorité et le comportement exemplaire, ce qui est au-delà du concept du simple employé de production. Cela demeure donc une question d’application de la convention collective au «  leader  ».

[96]         D’autre part, le procureur de l’Employeur a raison de dire que la convention collective n’établit aucun critère encadrant la nomination d’un «  leader  », par exemple qu’elle devrait prendre en compte l’ancienneté des candidats. Ici, il n’y a rien de tel et le choix de l’employeur est purement discrétionnaire et il s’inscrit dans son droit de gérance, limité uniquement par les critères développés depuis de nombreuses années, soit que la décision ne doit pas être arbitraire, injustement discriminatoire, abusive ou de mauvaise foi.

[97]         Sous ces réserves, l’Employeur a ici le droit de nommer qui il veut à la fonction de «  leader  » et de démettre le salarié qu’il a choisi, ce qui, normalement, vise le salarié qui n’accomplit pas correctement ses tâches ou n’assume pas correctement certaines de ses obligations à la hauteur du niveau de responsabilité d’une personne ayant la fonction de «  leader  », comme il en a été largement question précédemment.

[98]         En l’espèce, bien que monsieur Ménard ait été officiellement nommé malgré les nombreuses failles dans son travail, il demeure qu’il n’a pas par la suite agi de manière différente, malgré les nombreuses fois où il fut confronté à ses problèmes. Un employeur qui nomme un salarié n’est pas forcé de le garder dans la fonction où il l’a nommé dès lors que cet employé n’accomplit pas le travail comme on lui a demandé de le faire. C’était le cas du plaignant en l’espèce.

[99]         Il a aussi été suggéré que l’Employeur aurait profité de l’absence en maladie du  plaignant pour monter son dossier, sachant pertinemment qu’il n’allait pas le reprendre comme «  leader  » dès son retour au travail.

[100]      Il faut dire que si cet aspect a poussé le soussigné à une certaine réflexion, il faut toutefois, pour déterminer le droit de chacun, remettre les choses dans leur contexte.

[101]      S’il est vrai qu’aux yeux de l’Employeur monsieur Patrick Boivin est un bien meilleur «  leader  » que ne l’était monsieur Ménard, ce qui amenait à se demander si dans les faits on avait tassé le plaignant au seul motif que l’autre est meilleur, il demeure que monsieur Ménard, sans égard au travail de monsieur Boivin, ne rencontrait pas les caractéristiques principales de la fonction de «  leader  ». Cela suffisait pour l’en écarter, quel que soit le niveau de performance de la personne qui allait ensuite occuper la fonction de «  leader  » au département du plaignant.

[102]      Cela dit, il devient clair que nous ne sommes pas en présence d’un cas où un employeur écarte un salarié qui occupe correctement sa fonction, afin d’y placer un autre employé au motif qu’il le ferait mieux. Ici, la preuve prépondérante démontre que dès le mois de juin 2012, monsieur Ménard connaissait des lacunes dans son travail et qu’au fil des mois il n’y pas eu une amélioration suffisamment significative pour considérer qu’il avait atteint un niveau de performance acceptable et raisonnable dans la fonction de «  leader  ».

[103]      Il me faut ajouter que n’eut été l’insistance de monsieur Harel auprès de la direction pour nommer le plaignant dans la fonction de «  leader  » et de l’y maintenir, monsieur Ménard n’aurait probablement pas été nommé et surtout, il n’y aurait pas été maintenu aussi longtemps. L’Employeur avait en effet plusieurs raisons de l’en retirer, cela même avant le mois de décembre 2012.

CONCLUSION

[104]      L’Employeur a donc relevé avec succès son fardeau de preuve et, conséquemment, le Tribunal ne peut conclure que sa décision de retirer le plaignant de la fonction de «  leader  » était abusive, injustement discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi.

[105]      Ajoutons que le Syndicat a soutenu que monsieur Ménard avait le droit de recevoir des avis formels avant qu’une décision ne soit prise. Cela ne lui est pas strictement accordé par la convention collective en matière administrative. La preuve démontre plutôt qu’il a été maintes fois avisé de ses problèmes et requis de les corriger, cela en lui indiquant clairement que s’il ne le faisait pas, il risquait d’être retiré de la fonction de «  leader  ». Conséquemment, le devoir d’aviser, le cas échéant, a été respecté.

[106]      Le Syndicat a aussi fait appel aux dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité au travail , alléguant que l’Employeur ne pouvait traiter le plaignant comme il l’a fait car il était absent pour maladie et qu’il revenait au travail. Cela dit, un fait déterminant demeure, il n’a pas été retiré du poste de «  leader  » parce qu’il était malade, à cause des suites d’une maladie ou parce qu’il avait un comportement inacceptable au sens disciplinaire en raison de la maladie, mais simplement parce que depuis le début il n’accomplissait pas ses obligations principales de «  leader  » de manière acceptable, malgré les nombreux avis et occasions qui lui furent donnés de s’améliorer. Il n’a pas été retiré de la fonction de «  leader  » parce qu’il était malade, mais parce que depuis le début il démontrait son incapacité à l’accomplir correctement et avec diligence, faute d’une réelle motivation et d’une réelle volonté de le faire adéquatement, les faits démontrant l’absence de l’une et l’autre bien que le plaignant ait plusieurs fois prétendu le contraire à ses supérieurs.

[107]      Le Syndicat a aussi plaidé que le Tribunal avait le pouvoir de modifier la décision de l’Employeur en lui en substituant une autre. Or, parce que les faits de l’affaire ne démontrent pas que la décision administrative de l’Employeur était viciée et surtout parce que la preuve démontre plutôt que le plaignant n’était pas capable de faire correctement le travail de «  leader  », le Tribunal ne saurait annuler la décision de l’Employeur.

[108]      D’autre part, comme je l’ai souligné; au début, le Syndicat n’a pas réclamé un traitement alternatif qui aurait pu faire l’objet d’une décision autre du Tribunal, et il n’y avait aucun poste de « chef d’équipe » disponible où le plaignant aurait pu être replacé, sans compter que le Syndicat n’a soumis aucune preuve au contraire.

[109]      Conséquemment, le Tribunal ne saurait substituer une ordonnance de réintégration dans un poste de «  chef d’équipe  », si tant est qu’il en ait le pouvoir, ce que j’estime ne pas avoir à discuter en l’espèce considérant l’absence de preuve soutenant une autre décision que celle de l’Employeur.

[110]      Finalement, invité par le Tribunal à soumettre ses prétentions et même à faire valoir des preuves pertinentes, monsieur Boivin n’en a soumis aucune et il a déclaré en fin d’audition ne pas avoir l’intention d’ajouter aux prétentions de l’Employeur, les faisant siennes.

DÉCISION

[111]      Pour tous ces motifs, le grief #B-10238 est rejeté.

Fait à Sherbrooke, ce 8 avril 2014

 

 

Richard Marcheterre, arbitre

 

Pour le syndicat :

Monsieur Louis Jean Chevry

 

Pour l’employeur :

Maître Richard Gauthier

 

Dates d’audition:

19 mars 2014

 

Date de délibéré :

28 mars, 4, 7 et 8 avril 2014

 

AUTORITÉS SOUMISES PAR LES PARTIES

 

 

Par l’Employeur

 

 

Syndicat des professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec et Investissement Québec , AZ-50378866 , sentence rendue par un conseil arbitrale présidé par l’arbitre Fernand Morin, le 20 juin 1006

 

Lavo Limitée et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Lavo Limitée et Lavo Distribution Inc. (C.S.N.) , AZ-94141052 , sentence rendue le 13 décembre 1993 par l’arbitré Guy Fortier

 

Spar Aérospatiale Limitée et Le Syndicat Canadien des Communications, de l’Énergie et du Papier, local 508 , AZ-99141149 , sentence rendue par l’arbitre Georges E. Laurin, le 19 mars 1999

 

Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, TUAC, 500 et Marché Dubreuil Veillette Inc. , AZ-50448387 , sentence rendue le 14 août 2007 par l’arbitre Louise Viau

 

Syndicat de professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec et Ministère du Revenu , sentence non publiée, rendue le 28 septembre 2007 par un conseil arbitral présidé par l’arbitre Serge Lalande

 

Métallurgistes Unis d’Amérique, local 9414 et terminal & Cable TC inc. , AZ-50965441 , sentence rendue par l’arbitre Diane Fortier le 29 avril 2013

 

Centre de santé et des services sociaux de Laval et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de santé et des services sociaux de Laval (FSSS-CSN) , AZ-51045646 , 2014 QCTA 71, sentence rendue par l’arbitre René Beaupré le 3 février 2014

 

 

Par le Syndicat

 

 

Syndicat des employées et employé de l’UQAM et Université du Québec à Montréal , AZ-50548547 , sentence rendue le 27 mars 2009 par l’arbitre Diane Veilleux

 

Placages St-Raymond et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 135 , AZ-5626727, sentence rendue par l’arbitre Gilles Desnoyers le 26 mars 2010

 

Section locale 6586 du Syndicat des métallos et ArcelorMittal Montréal inc. (Contrecoeur) , AZ50993948 , sentence rendue par l’arbitre Nicolas Cliche le 23 mars 2013