3990591 Canada inc. et CPQMC International |
2014 QCCLP 2180 |
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[1] Le 10 décembre 2013, la compagnie 3990591 Canada inc. (le maître d’oeuvre) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 4 décembre 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la dérogation numéro 5 émise contre le maître d’œuvre par un inspecteur dans le rapport d’intervention RAP0925275 du 30 septembre 2013 et qui se lit comme suit :
Présence de guêpes sur le chantier d’où le danger de piqûres pouvant causer des blessures graves aux travailleurs.
[3] Une audience est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Gatineau le 1 er avril 2014. Seul le maître d’oeuvre est présent et il est représenté par un avocat. Le dossier est mis en délibéré le 1 er avril 2014.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le maître d’oeuvre demande à la Commission des lésions professionnelles d’annuler la dérogation numéro 5 émise par l’inspecteur de la CSST.
LES FAITS
[5] Le maître d’œuvre est responsable de la rénovation d’un ancien bâtiment et de son agrandissement, situé à Ripon en milieu rural. Il est aussi un employeur, mais aucun de ses travailleurs ne travaille sur le chantier. L’ensemble des tâches est réalisé par des sous - traitants.
[6] Le 18 septembre 2013, un inspecteur de la CSST se présente sur le chantier de construction. Lors de la visite, l’inspecteur rencontre monsieur Marc Lemieux, surintendant pour le maître d’œuvre, ainsi qu’un sous-traitant et les travailleurs de ce dernier. Quelques sujets sont discutés et des conseils sont prodigués par l’inspecteur.
[7] Constatant la présence de guêpes sur le chantier de construction, l’inspecteur rapporte les informations suivantes :
Lors de l’intervention, je constate la présence de guêpes en nombre considérable (voir onglet dérogations). M. Lemieux s’engage à vaporiser de l’insecticide aux endroits critiques à la fin de la journée et à utiliser les services d’un exterminateur si le problème persiste par la suite. Il s’engage également à ajouter de l’Épipen dans la trousse de premiers soins.
[…]
Dérogation numéro 5 Article
Présence de guêpes sur le chantier de construction d’où le danger de piqûres pouvant causer des blessures graves aux travailleurs.
[8] Monsieur Lemieux témoigne à l’audience. Il nie s’être engagé à munir la trousse de premiers soins d’une Épipen. Au contraire, il mentionne qu’il ne sait pas si un tel dispositif peut être fourni au maître d’œuvre sans une prescription médicale. Il admet qu’il y avait des guêpes au premier étage de l’édifice en construction et à l’extérieur. Il explique que cela est normal à cette période de l’année. Il dit qu’à sa connaissance, aucun travailleur sur le chantier ne présente une allergie aux piqûres de guêpes. De plus, aucun travailleur n’a formulé de plainte sur le sujet. Aussi, il dit qu’aucun travailleur n’a été piqué.
[9] Monsieur Lemieux explique qu’il tient des rencontres de santé et de sécurité avec les sous-traitants. Aucun de ceux-ci n’a formulé de plainte sur la présence de guêpes. Il dit qu’avant la visite de l’inspecteur, il n’y avait aucun nid de guêpes. Il précise que lorsqu’il constate qu’un ni de guêpes est sur un chantier, il procède à sa destruction.
[10] Monsieur Lemieux mentionne qu’il a reçu la formation de secouriste et qu’une trousse de premiers soins est disponible sur le chantier. À la suite de la visite de l’inspecteur, il a vaporisé les lieux avec un insecticide.
[11] Dans un document provenant de la CSST et traitant des piqûres d’insectes, il n’y a aucune mention concernant l’obligation pour un employeur ou pour un maître d’œuvre de conserver, dans la trousse de premiers soins, un dispositif auto-injecteur d’épinéphrine. Les informations suivantes sont mentionnées au sujet des piqûres de guêpes :
[…]
Connaître le risque
De façon générale, une piqûre provoquera des rougeurs, une enflure locale et des démangeaisons au site même de la piqûre. Bien qu’elles causent de la douleur, ces réactions sont sans danger.
Par contre, une personne qui a fait une réaction allergique grave, c’est-à-dire qui a connu des difficultés respiratoires, ou chez qui des rougeurs sont apparues à l’extérieur du site de la piqûre, risque de faire une autre réaction semblable ou plus grave si elle est de nouveau piquée par la même espèce d’insectes.
Les travailleurs qui auraient déjà subi une réaction allergique grave dans le passé devraient donc consulter un médecin sans tarder pour savoir dans quelle mesure ils sont allergiques au venin. Le médecin leur prescrira de l’épinéphrine auto-injectable si l’intensité de la réaction allergique le justifie. Il pourra aussi leur offrir de suivre un traitement de désensibilisation.
Une fois que le médecin lui a prescrit de l’épinéphrine auto-injectable, le travailleur doit l’avoir sur lui en tout temps.
[…]
Éviter de se faire piquer.
Le meilleur moyen de prévention!
L’employeur
- informe les travailleurs des risques liés aux piqûres d’insectes;
- élabore des méthodes de travail sécuritaires pour éviter que les travailleurs soient en contact avec les insectes dont le venin déclenche des réactions allergiques;
- fournit des moyens de communication efficaces dans chaque lieu de travail;
- élabore des mesures d’urgence;
- fait détruire les nids repérés sur les lieux de travail.
Le travailleur
- porte des gants de travail;
- se couvre la peau au maximum (manches longues et pantalon) et porte de préférence des vêtements de couleur claire;
- porte les cheveux courts ou noués, pour éviter que les insectes ne s’y empêtrent;
- s’abstient d’employer des produits parfumés qui attirent les insectes (savon, crème, lotion);
- ne s’approche jamais d’un nid et, s’il en repère un, informe son supérieur pour qu’il le fasse détruire.
[…]
S’injecter de l’épinéphrine au besoin.
Le travailleur à qui un médecin a prescrit de l’épinéphrine doit se l’injecter dès l’apparition des premiers signes ou symptômes de réaction allergique. Ensuite, il doit appeler les services préhospitaliers d’urgence.
Les techniciens ambulanciers et les premiers répondants sont formés pour répondre à ces situations d’urgence et injecter de l’épinéphrine au besoin. Maintenant, « en l’absence d’un premier répondant ou d’un technicien ambulancier, toute personne peut administrer de l’épinéphrine lors d’une réaction allergique sévère de type anaphylactique à l’aide d’un dispositif auto-injecteur. ». Les secouristes en milieu de travail reçoivent tous une formation sur l’administration de l’épinéphrine pour les personnes connues allergiques du MSSS, même si cette formation n’est pas obligatoire. Ainsi, les secouristes seront plus outillés s’ils sont exposés à une situation de ce genre.
[12] Monsieur Lemieux termine son témoignage en mentionnant qu’il est présent régulièrement sur le chantier, et ce, à tous les jours. La municipalité de Ripon est située à moins de 30 minutes d’un CLSC ou d’un centre hospitalier.
L’AVIS DES MEMBRES
[13] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête du maître d’œuvre puisqu’ils considèrent que le maître d’œuvre n’a pas failli à ses obligations concernant la protection des travailleurs face à la présence de guêpes sur le chantier de construction. De plus, ils sont d’avis qu’il n’a pas d’obligation de conserver dans la trousse de premiers soins un dispositif auto-injecteur d’épinéphrine.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la dérogation numéro 5 émise par l’inspecteur dans son rapport d’inspection doit être maintenue ou non.
[15] Sur un chantier de construction, les mesures générales de sécurité sont sous la responsabilité du maître d’œuvre selon l’article 2.4.4 du Code de sécurité pour les travaux de construction [1] (le code) qui se lit comme suit :
2.4.4. Sur un chantier de construction, le contrôle de la circulation, l'utilisation des voies publiques, l'installation électrique temporaire, la tenue des lieux, la sécurité du public, l'accès au chantier, la protection contre l'incendie, les rampes et les garde-corps permanents, le chauffage temporaire et les autres mesures générales de sécurité sont sous la responsabilité du maître d'oeuvre.
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R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 2.4.4; D. 1959-86, a. 7.
[16] Aucune disposition spécifique n’est prévue dans le code au sujet de la présence de guêpes sur un chantier de construction. D’ailleurs, l’inspecteur invoque le premier alinéa de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [2] (la loi) pour émettre un avis de correction au maître d’œuvre, alors qu’il spécifie des articles précis du code pour signaler d’autres problématiques constatées sur le chantier de construction.
[17]
C’est par l’intermédiaire de l’article
196. Le maître d'oeuvre doit respecter au même titre que l'employeur les obligations imposées à l'employeur par la présente loi et les règlements notamment prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur de la construction.
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1979, c. 63, a. 196.
[18] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas nécessaire de distinguer l’ampleur des responsabilités dévolues à un maître d’œuvre par rapport à celles de l’employeur compte tenu des conclusions auxquelles elle en arrive.
[19] Dans un premier temps, la preuve révèle par le témoignage crédible et fiable du surintendant que la situation ne s’avère pas d’une ampleur nécessitant une action particulière. De plus, à sa connaissance, aucun des travailleurs présents sur le chantier de construction ne présente une condition médicale nécessitant la présence d’un auto-injecteur d’épinéphrine.
[20] Au surplus, selon le document d’information émanant de la CSST, généralement une piqûre est sans danger. Toutefois, la situation peut être différente pour une personne ayant déjà présenté une réaction allergique grave. Il est aussi précisé qu’une personne qui s’est vu prescrire un auto-injecteur d’épinéphrine doit la conserver sur elle en tout temps.
[21] Ajoutons que le Règlement sur les normes minimales de premiers secours et de premiers soins [3] prévoit le contenu minimum d’une trousse de premiers soins. Or, celui-ci ne précise aucune exigence en ce qui concerne l’auto-injecteur d’épinéphrine. D’ailleurs, la preuve ne révèle pas qu’un maître d’œuvre puisse se le procurer sans une prescription médicale ni pour un travailleur en particulier. De toute façon, le tribunal constate que l’inspecteur n’a pas formulé une telle exigence à l’égard du maître d’oeuvre.
[22] En dernier lieu, signalons que le lieu du chantier de construction n’est pas situé en milieu isolé. De plus, un CLSC et un centre hospitalier sont situés à moins de 30 minutes du chantier de construction.
[23] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles détermine que la dérogation numéro 5 émise par l’inspecteur de la CSST à l’encontre du maître d’œuvre doit être annulée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 10 décembre 2013 par la compagnie 3990591 Canada inc., le maître d’œuvre;
INFIRME la décision rendue le 4 décembre 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la dérogation numéro 5 émise à l’encontre du maître d’œuvre par l’inspecteur de la CSST le 30 septembre 2013 dans le rapport RAP0925275 doit être annulée.
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Michèle Gagnon Grégoire |
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M e Kim Sreng Oum |
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Leblanc Lamontagne et Associés |
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Représentant de la partie requérante |
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