Terrebonne (Ville de) c. SCFP, section locale 1009

2014 QCCS 1400

 

JP 1975

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

N° :

700-17-009385-120

 

 

DATE :

 28 mars 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIEL W. PAYETTE, J.C.S.

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VILLE DE TERREBONNE

            Demanderesse

c.

SCFP-SECTION LOCALE 1009

-et-

DENIS RENAUD

-ET-

DAVID SINCLAIR

-ET-

ANDRÉ LAJOIE

-ET-

DANY LACASSE

-ET-

LOUISE SIMARD

-ET-

ANDRÉ MORENCY

            Défendeurs

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TRANSCRIPTION DES MOTIFS RÉVISÉS D'UN JUGEMENT

RENDU SÉANCE TENANTE LE 7 MARS 2014 [1]

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L’introduction

[1]          Les défendeurs, hormis la défenderesse SCFP-Section locale 1009, demandent le rejet de la requête introductive d’instance en injonction permanente amendée déposée par la Ville de Terrebonne au motif que celle-ci est mal fondée en droit et vouée à l’échec. Plus particulièrement, ils plaident que le fait qu’aucun geste disgracieux comme ceux énoncés dans la requête en injonction n’a été posé depuis septembre 2012 rend celle-ci caduque.

Les faits

[2]          Comme la requête en irrecevabilité est fondée sur l’article 165 (4) du Code de procédure civile, le Tribunal doit prendre les faits de la requête en injonction pour avérés et tenir compte des admissions des parties. Ainsi, les faits se résument comme suit.

[3]          À l’automne 2012, la Ville et ses cols bleus sont en conflit de travail. À l’occasion de ce conflit, le Syndicat, ses officiers, à savoir les défendeurs, et ses membres, posent des affiches disgracieuses dans les locaux de la Ville. Les propos qui y sont inscrits sont « offensants, dégradants, diffamatoires », etc.

[4]          Le 11 octobre 2012, la Ville dépose sa requête en injonction initiale. Elle ne demande pas d’injonction provisoire ni d’injonction interlocutoire.

[5]          Le dossier est maintenant complet, sauf pour la déclaration d’avis de dossier complet des défendeurs. Cela dit, il est admis qu’aucun nouveau geste disgracieux n’a été posé par les défendeurs depuis septembre 2012 malgré que le conflit de travail perdure.

La position des parties

[6]          Les défendeurs plaident que le fait qu’aucun gestes répréhensif n’ait été posé depuis septembre 2012 entraîne la caducité du recours de la Ville et, par conséquent, que celui-ci est voué à l’échec.

[7]          La Ville réplique :

·         Premièrement, que son droit à l’injonction se fonde sur les faits qui existaient au moment où sa requête a été signifiée. Ainsi, le fait qu’il ne s’est rien produit depuis près de dix-huit (18 mois), n’est pas pertinent;

·         Deuxièmement, qu’elle a droit à un jugement qui établisse que les actes disgracieux dont elle a été victime sont illégaux; et

·         Troisièmement, que l’absence de gestes disgracieux depuis près de dix-huit (18 mois) ne signifie pas que les défendeurs ne poseront pas de tels gestes à l’avenir.


Le droit

[8]          Il est de jurisprudence constante que le Tribunal saisi d’une requête en irrecevabilité doit faire preuve de prudence et que, dans l’incertitude, il doit éviter de mettre fin prématurément à un procès.

[9]          Cela dit, saisi d’une requête en droit, le Tribunal ne peut se défiler. Il doit examiner le lien de droit entre les faits avérés et les remèdes recherchés, quelles que puissent être la difficulté ou la complexité de la question [2] .

[10]       La requête en injonction est une requête de nature discrétionnaire et exceptionnelle [3] . Ainsi :

  « Le Tribunal ne décernera pas une injonction (...) simplement parce que le demandeur y a droit en principe. Celui-ci doit en outre démontrer que les circonstances justifient l’octroi d’une telle réparation potentiellement contraignante et qu’il mérite pareille réparation » [4] .

[11]       Dans l’exercice de sa discrétion, le Tribunal doit aussi tenir compte de la règle de la proportionnalité prévue à l’article 4.2 du Code de procédure civile.

[12]       Par ailleurs, il est possible d’obtenir l’annulation d’une injonction permanente déjà rendue lorsque les motifs qui l’ont justifiée cessent d’exister [5] .

L’analyse

[13]       En l’espèce, les motifs au soutien de la requête de la Ville n’existent plus depuis près de dix-huit (18) mois. Si la Ville avait alors obtenu une injonction permanente pour les faire cesser, les défendeurs pourraient en demander l’annulation pour cette raison. A fortiori ,  ils peuvent l’invoquer avant que cette injonction ne soit émise, pour éviter qu’elle ne le soit.

[14]        De l’avis du Tribunal, l’absence de gestes disgracieux depuis près de dix-huit (18) mois, sans injonction ni ordre du Tribunal, constitue un fait crucial qui voue la requête de la Ville à l’échec.

[15]       Le Tribunal est ici placé dans les mêmes conditions que le serait le juge saisi du fond du dossier. Aucun nouveau fait ne pourrait lui être soumis.

[16]       Par conséquent, l’habituelle prudence qui doit guider le Tribunal saisi d’une requête en irrecevabilité avant que la preuve ne soit faite n’est pas de mise.

[17]       La Ville plaide qu’elle est en droit de faire déclarer que les gestes disgracieux posés en septembre 2012 étaient illégaux. Avec respect, ce n’est pas le but d’un jugement sur une requête en injonction.

[18]       Certes, il faut que le Tribunal tire cette conclusion pour pouvoir émettre une ordonnance prohibitive empêchant les défendeurs de poser de tels gestes. Mais le but de cette déclaration est d’asseoir le dispositif recherché, à savoir l’ordonnance de ne pas faire. La Ville n’a donc pas droit à une simple déclaration que les gestes posés étaient illégaux si cette déclaration ne mène pas à une conclusion de nature injonctive

[19]       Quant à sa crainte que, sans une injonction, les défendeurs ne posent de nouveaux gestes disgracieux, il suffit de dire que l’injonction n’a pas et ne saurait avoir un but préventif. Si d’aventure de nouveaux gestes disgracieux étaient posés, la Ville pourra présenter une nouvelle requête en injonction fondée sur ces faits.

[20]       En conclusion, l’absence de gestes disgracieux depuis près de dix-huit (18) mois sans que cela soit la conséquence d’un ordre de la Cour constitue un fait qui voue le recours de la Ville à l’échec.

[21]       Cela dit, vu les circonstances de l’espèce et tenant pour avérés les faits de la requête en injonction, celle-ci était, à l’époque de son dépôt du moins, justifiée. Le recours de la Ville sera donc rejeté sans frais.

[22]       POUR CES MOTIFS :

[23]       LE TRIBUNAL  :

[24]       ACCUEILLE la requête en irrecevabilité;

[25]       REJETTE la requête introductive d’instance en injonction permanente amendée contre les défendeurs, à l’exception de la défenderesse, SCFP Section locale 1009;

[26]       LE TOUT, sans frais.

 

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Daniel W. Payette, J.C.S.

Me Francis Gervais

DEVEAU BOURGEOIS GAGNÉ HÉBERT ET ASS.

Procureur de la demanderesse

 

Me Guy Martin

LAROCHE MARTIN

Procureur de la partie défenderesse : Denis Renaud et al

 

Date d’audience :

7 mars 2014

 



[1]     Transcription des motifs demandée le 7 mars 2014. Comme le permettent les articles 471 et 472 C.p.c. ( Kellogg’s Company of Canada c. P.G. du Québec , [1978] C.A 258 , 259-260), le Tribunal en a remanié les motifs pour plus de clarté et en améliorer la présentation.

[2]     Robert Gillet c. André Arthur et al , [2005] R.J.Q. 42 , (C.A.), par. 29.

[3]     Natrel inc. c. F. Berardini inc. , [1995] R.D.J. 383 (C.A.).

[4]     Alliance internationale des employés de scène (Aiest, local de scène no 56) c. Société de la place des arts de Montréal , [2004] 1 R.C.S. 43 , par. 13.

[5]     Radio taxi union ltée c. Cyr, [1995] R.J.Q. 60 , (C.A.).