COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

275250

Cas :

CQ-2013-3545

 

Référence :

2014 QCCRT 0198

 

Québec, le

8 avril 2014

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Nancy St-Laurent, juge administratif

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Jean-Roger Tremblay

 

Plaignant

c.

 

Concept Resto ESJ inc.

 

Intimée

 

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DÉCISION

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[1]            Le 9 mai 2013, monsieur Jean-Roger Tremblay (le plaignant ) dépose une plainte selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail , RLRQ, c. N-1.1 (la LNT ). Il allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante, le 29 avril 2013, par son employeur, Concept Resto ESJ inc. (l’ employeur ).

[2]            L’employeur soutient qu’il n’a pas congédié le plaignant. Il prétend que celui-ci a «  abandonné   » son emploi. Il indique également que la réintégration du plaignant est impossible dans les circonstances.

[3]            Le plaignant confirme que sa réintégration est difficilement envisageable, toutefois, sans préjudice à son droit à une indemnité pour perte d’emploi, le cas échéant.

[4]            Les parties demandent à la Commission de réserver sa compétence pour les autres mesures de réparations appropriées.

Les faits

[5]            Le plaignant est serveur au restaurant l’Entrecôte St-Jean (le restaurant ) depuis 1994. Une trentaine d’employés y travaillent.

[6]            Monsieur Schwaar, monsieur Côté et madame Larochelle sont copropriétaires du restaurant depuis 2004. Le 1 er novembre 2012, madame Larochelle quitte l’entreprise. Messieurs Schwaar et Côté demeurent alors les seuls copropriétaires. Le premier étant principalement responsable de la salle à manger et le second de la cuisine.

[7]            Monsieur Marcoux est le gérant du restaurant. Il agit comme intermédiaire entre les copropriétaires et les employés. Il prépare les horaires de travail et il autorise certains congés. Il travaille également comme maître d’hôtel et il est considéré comme la personne en autorité lorsque les copropriétaires sont absents.

[8]            En janvier 2011, le plaignant obtient pour la première fois un congé sans solde de trois mois. C’est monsieur Marcoux qui convainc les copropriétaires de faire droit à cette demande puisque ce congé s’inscrit dans une période creuse et qu’il permet de faire travailler les plus jeunes serveurs.

[9]            En janvier 2012, le plaignant bénéficie à nouveau d’un congé sans solde, mais pour une durée de quatre mois.

[10]         Ces deux congés ont été autorisés verbalement par madame Larochelle, sans autre formalité.

[11]         Dès son retour au travail, en avril 2012, le plaignant manifeste son intention de reprendre un tel congé à compter de janvier 2013.

[12]         En raison notamment d’un conflit entre les copropriétaires le 1 er novembre 2012, madame Larochelle quitte le restaurant. Son départ affecte le plaignant puisque, parmi les copropriétaires, c’est avec elle qu’il avait le plus d’affinités professionnelles. Le climat de travail était également tendu depuis plusieurs mois en raison de ce conflit.

[13]         Monsieur Schwaar s’occupe maintenant de la gestion du personnel. Il décide d’implanter de nouvelles procédures administratives et il en avise les salariés, dès le début novembre. Les congés doivent dorénavant être demandés, par écrit, en remplissant le formulaire prévu à cet effet. C’est lui qui doit autoriser toutes les demandes de congés.

[14]         Le 20 novembre 2012, le plaignant remplit pour la première fois un formulaire pour obtenir un congé sans solde du 4 janvier au 29 avril 2013. Voulant faire une «  blague  », il indique comme motif du congé «  burnout  ». S elon lui, tout le monde sait qu’il n’est pas malade et que sa demande est faite pour se rendre au Mexique comme par les années précédentes.

[15]         Le 27 novembre 2012, monsieur Schwaar refuse son congé avec l’annotation suivante : «  refusé motif non valable  ».

[16]         Le plaignant est étonné de cette réponse, mais il comprend qu’elle découle de sa «  mauvaise blague  ». Il communique alors avec monsieur Marcoux qui est également surpris de ce refus. Après avoir obtenu les informations du plaignant quant à sa «  mauvaise blague  », il lui recommande de refaire sa demande en y indiquant le bon motif.

[17]         Le plaignant prétend qu’il se rend spécialement au restaurant, le 30 novembre en soirée, pour remettre un formulaire amendé. Le motif inscrit est «  vacances annuelles  ». Il dit avoir remis ce deuxième formulaire à monsieur Marcoux qui devait, à son tour, le remettre à monsieur Schwaar.

[18]         Monsieur Marcoux se souvient d’avoir recommandé au plaignant de remplir un deuxième formulaire, mais il ne se souvient pas l’avoir vu. Son témoignage sur cette question est cependant évasif. Par contre, lors d’une communication téléphonique enregistrée par le plaignant en avril 2013, il indique à plus d’une reprise avoir remis ce formulaire à monsieur Schwaar.

[19]         Selon le plaignant, monsieur Marcoux lui confirme l’autorisation de son congé dans la semaine suivante. Il ne valide cependant pas cette information avec monsieur Schwaar puisque, selon lui, il n’a aucune raison d’en douter.

[20]         Pour sa part, monsieur Schwaar affirme ne pas avoir reçu le deuxième formulaire, mais il se souvient d’une discussion avec le plaignant concernant le motif invoqué au premier formulaire. Monsieur Schwaar lui indique clairement que sa «  blague  » est de très mauvais goût. Il ne fait toutefois aucun suivi malgré les rumeurs qui confirment le départ imminent du plaignant. Pour lui, il ne s’agit que de rumeurs, les comparant même aux prévisions météorologiques.

[21]         Le 2 janvier 2013, le plaignant transmet un courriel à la comptable du restaurant lui demandant d’effectuer les prélèvements nécessaires au maintien de son assurance collective durant son absence. Ce qui est effectivement fait.

[22]         Pour sa part, monsieur Schwaar dit ne pas avoir été informé de cette demande avant le départ du plaignant.

[23]         Croyant sa demande de congé dûment autorisée, le plaignant quitte comme prévu le 6 janvier 2013 pour le Mexique.

[24]         Monsieur Marcoux ne se souvient pas d’avoir confirmé l’octroi du congé au plaignant, mais il n’en nie pas la possibilité. Chose certaine, il ne l’inscrit pas sur l’horaire de travail débutant le 7 janvier puisqu’il le croit en congé. D’ailleurs, il admet que de janvier à avril 2013, il l’a toujours considéré ainsi et monsieur Schwaar ne lui a jamais donné d’indication contraire. Pour monsieur Marcoux, le lien d’emploi du plaignant n’a jamais été remis en question au cours de cette période.

[25]         De janvier à avril 2013, l’employeur ne communique d’aucune façon avec le plaignant bien qu’il soit joignable par courriel.

[26]         Le 24 avril 2013, le plaignant rencontre monsieur Schwaar pour discuter de son retour au travail. Considérant les relations de travail difficiles, une indemnité de départ est alors négociée entre eux, mais aucun accord n’intervient. Considérant l’absence d’entente à cet effet, le plaignant indique qu’il est prêt à reprendre le travail comme prévu le 29 avril.

[27]         Pour sa part, monsieur Schwaar indique que lors de cette rencontre, le lien d’emploi du plaignant était déjà rompu en raison de son «  abandon  » d’emploi en janvier. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’est pas inscrit à l’horaire de travail du 29 avril.

[28]         Le 30 avril 2013, le plaignant transmet un courriel à monsieur Schwaar qui indique ceci :

Eric, tel que convenue dans notre entente avec Hilaire Marcoux mon retour au travail devais ce faire le 29 avril 2013. Suite a ma visite au Restaurant j’ai constaté que je n’étais pas sur l’horaire.

Je te demande une date de retour au travail car je suis disponible depuis le 29 avril 2013. Si je n’ai pas de date de retour très bientôt je vais prendre les procédures légale avec les normes du travail pour faire respecter mes droit.

Les trois dernières année le retour a toujours été le premier mai.

(reproduit tel quel)

[29]         Une réponse lui est envoyée le même jour  :

Bonjour Jean-Roger

Je n’ai pas de lettre stipulant une entente avec Hilaire Marcoux ou avec l’entrecôte Saint-Jean et concernant un congé de 4 mois.

Je n’ai donc pas de date de retour au travail le 29 avril.

Eric Schwaar

(reproduit tel quel)

[30]         Selon le plaignant, c’est la date de son retour au travail qui pose problème, l’employeur alléguant qu’elle était prévue pour juin. Jamais monsieur Schwaar ne lui a indiqué que son lien d’emploi était rompu.

[31]         Toutefois, considérant le refus de l’employeur de l’inscrire à l’horaire, il demande son relevé d’emploi. Le code de terminaison d’emploi indiqué est «  autre  ». Monsieur Schwaar mentionne qu’il s’est fié à la comptable pour choisir ce code. Cependant, c’est lui qui a inscrit les observations suivantes : «  l’employé a informé la responsable de la paie qu’il quittait pour 4 mois et a demandé sa paie de vacances  ». Il ajoute qu’il n’a pas choisi le code «  abandon volontaire  » en raison de sa méconnaissance à l’égard des relevés d’emploi.

[32]         Monsieur Schwaar confirme qu’il n’a pas congédié le plaignant. Selon lui, il s’agit d’un abandon d’emploi à la suite d’un refus de congé sans solde.

[33]         Finalement, l’employeur indique que le plaignant a reçu par le passé un avertissement écrit, le 18 juin 2012, en raison d’une absence injustifiée.

Les motifs

[34]         Pour bénéficier du recours prévu à l’article 124 de la LNT, le plaignant doit établir qu’il est un salarié, qu’il justifie deux ans de service continu, qu’il ne dispose d’aucune autre mesure de réparation et qu’il croit avoir été congédié sans cause juste et suffisante.

[35]         L’employeur reconnaît que les conditions d’ouverture de ce recours sont établies, à l’exception du congédiement. Il prétend que le plaignant a plutôt abandonné son emploi.

[36]         La question en litige consiste donc à déterminer si le plaignant a été congédié illégalement ou s’il a abandonné son emploi. Cette question est primordiale puisque seul le congédiement donne accès au recours prévu à l’article 124 de la LNT.

[37]         Dans Cadet c. Imprimeries Transcontinentale s.e.n.c. , 2007 QCCRT 0120 , la Commission définit l’abandon d’emploi de la façon suivante :

[19] L’abandon volontaire d’emploi est défini ainsi : « Fait de quitter définitivement et de plein gré un poste rémunéré dans une organisation. L’abandon volontaire d’emploi implique la rupture du contrat de louage de services. » [G. Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail , 2 e édition, Québec, P.U.L., 1986, à la p. 3]. Synonyme de démission, on doit retrouver dans l’abandon d’emploi une manifestation claire de la volonté de laisser son emploi, manifestation qui doit être étudiée selon les circonstances de chaque cas . Il est évident que si nous sommes en présence d’une véritable démission, il ne peut y avoir de congédiement, donc il ne peut y avoir de recours en vertu des articles 122 et 124.

(soulignement ajouté)

[38]         Ainsi, il revient à l’employeur de prouver, par prépondérance de preuve, que le plaignant a abandonné clairement et volontairement son emploi en janvier 2013.

[39]         En l’espèce, plusieurs éléments permettent de douter d’un tel abandon de la part du plaignant. La Commission les résume ainsi :

·         Monsieur Marcoux n’inscrit pas le plaignant à l’horaire débutant le 7 janvier puisqu’il le croit en vacances. Il l’a d’ailleurs considéré ainsi pendant toute son absence. Aucune indication contraire ne lui est transmise par monsieur Schwaar alors que monsieur Marcoux est le gérant du restaurant et qu’il est responsable des horaires de travail;

·         Bien qu’au courant de la demande de congé du plaignant et des rumeurs confirmant son départ, monsieur Schwaar ne lui indique pas son désaccord et ne lui précise pas que son départ entraînera la rupture de son lien d’emploi;

·         Un prélèvement est même effectué sur la paie précédant le départ du plaignant en janvier 2013 afin de maintenir son assurance collective;

·         Monsieur Marcoux a été informé par monsieur Schwaar de la rupture du lien d’emploi du plaignant à la fin avril 2013 seulement;

·         De janvier à avril, aucune communication n’est effectuée par l’employeur pour informer le plaignant que son lien d’emploi est en jeu, et ce, bien qu’il soit joignable. Aucun relevé d’emploi ne lui est transmis entre janvier et avril 2013;

·         L’employeur avait pourtant jugé bon de lui remettre une mesure écrite lors d’une seule journée d’absence en juin 2012;

·         Le 26 avril 2013, l’employeur et le plaignant tentent de négocier une indemnité de départ permettant de croire que son lien d’emploi n’était pas encore rompu;

·         Le courriel du plaignant du 30 avril est sans équivoque quant à ses intentions de reprendre son travail;

·         En réponse à ce courriel, monsieur Schwaar n’indique pas que le lien d’emploi du plaignant est rompu, laissant plutôt croire que c’est seulement la date de retour au travail qui pose problème comme le prétend le plaignant;

·         Étrangement, le code inscrit au relevé d’emploi du plaignant n’est pas «  abandon volontaire  ».

[40]         Monsieur Schwaar admet avoir discuté du congé sans solde avec le plaignant lors de la remise de son premier formulaire. Comme indiqué sur le formulaire, c’est le motif invoqué qui posait problème, rien d’autre. Le plaignant confirme avoir corrigé ce motif puis obtenu l’autorisation pour son congé sans solde. La Commission retient sa version plutôt que celle de l’employeur qui fut plus évasive à cet égard.

[41]         Monsieur Schwaar connaissait les intentions du plaignant et, malgré les rumeurs confirmant son départ imminent, il a choisi de ne pas intervenir auprès de lui. Ce comportement permet de conclure minimalement à son autorisation implicite, laquelle explique d’ailleurs les perceptions de monsieur Marcoux et celles du plaignant quant à son accord.

[42]         En l’absence d’une preuve prépondérante démontrant «  une manifestation claire de la volonté » du plaignant de laisser son emploi, la Commission conclut qu’il n’y a pas d’abandon d’emploi dans les circonstances.

[43]         En refusant le retour au travail du plaignant le 29 avril 2013, l’employeur a unilatéralement rompu son lien d’emploi. Il s’agit d’un congédiement.

[44]         Considérant qu’aucune autre cause de congédiement n’est invoquée par l’employeur, cette terminaison d’emploi est jugée illégale en vertu de l’article 124 de la LNT.

L’indemnité pour perte d’emploi

[45]         L’employeur allègue que la réintégration du plaignant est impossible et celui-ci en convient également. Dans ces circonstances, et compte tenu du milieu de travail en cause et des critiques que se sont adressées les parties à l’audience, la Commission considère qu’il n’est pas approprié d’ordonner la réintégration du plaignant. Il y a donc lieu de déterminer une indemnité pour compenser sa perte d’emploi.

[46]         À ce titre, le plaignant demande entre deux et quatre semaines de salaire par année de service. L’employeur s’en remet à l’appréciation de la Commission.

[47]         Le plaignant est âgé de 48 ans. Il a travaillé près de vingt ans pour l’employeur, ce qui lui a permis d’acquérir divers avantages (salaire, horaire, vacances, assurance collective, etc.). Son service continu chez l’employeur lui a également procuré le droit d’exercer un recours en cas de rupture injustifiée, comme en l’espèce. Il s’agit là d’avantages que perd le plaignant et qu’il mettra du temps à retrouver.

[48]         Dans les circonstances, la Commission considère qu’une indemnité de six mois est justifiée pour compenser la perte d’emploi du plaignant.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   la plainte;

ANNULE                         le congédiement imposé à monsieur Jean-Roger Tremblay le 29 avril 2013;

DÉCIDE                          qu’il n’y a pas lieu de réintégrer monsieur Jean-Roger Tremblay dans son emploi;

ORDONNE                     à Concept Resto ESJ inc. de verser à monsieur Jean - Roger Tremblay , à titre d’indemnité de perte de salaire, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé son congédiement, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article  28 de la Loi sur le ministère du Revenu , à compter de la date du dépôt de la plainte conformément à l’article 100.12 du Code du travail ;

ORDONNE                     à Concept Resto ESJ inc. de verser à monsieur Jean-Roger Tremblay , à titre d’indemnité de perte d’emploi, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent de six mois de salaire et des autres avantages qu’il recevait pendant son emploi, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu à compter de la signification de la présente décision conformément à l’article  100.12 du Code du travail ;

RÉSERVE                      sa compétence pour déterminer le quantum de ces indemnités, le cas échéant.

 

 

 

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Nancy St-Laurent

 

M e Denis Matte

RIVEST, TELLIER, PARADIS

Représentant du plaignant

 

M e Christine Beaulieu

GAGNON, GIRARD, JULIEN & MATTE

Représentante de l’intimée

 

Date de l’audience :

3 mars 2014

 

/ml