Mailloux c. Fortin

2014 QCCS 1594

 

JB4255

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 DISTRICT DE TROIS-RIVIÈRES

 

N° :

400-17-003129-133

 

DATE :

 15 avril 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ALAIN BOLDUC, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

PIERRE MAILLOUX                            

Requérant-appelant-intimé

c.

JEAN-CLAUDE FORTIN, ès qualité de syndic adjoint du Collège des médecins du Québec

Intimé-intimé-plaignant

Et

ME CHRISTIAN GAUVIN, secrétaire du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec

Et

TRIBUNAL DES PROFESSIONS

           Mis en cause

 

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

INTRODUCTION

[1]            M. Pierre Mailloux, qui exerçait la profession de psychiatre depuis 1979, présente une requête en révision judiciaire d’un jugement rendu par le Tribunal des professions le 29 avril 2013 [1] ayant rejeté son appel interjeté à l’encontre de deux décisions du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec, l’une, datée du 5 novembre 2009 [2] , le déclarant coupable sur 13 chefs d’infraction portant essentiellement sur des contraventions au Code de déontologie des médecins [3] et l’autre, datée du 3 février 2012 [4] , imposant sa radiation temporaire pour une période d’un an sur tous les chefs en question (à purger concurremment) ainsi que d’autres sanctions.

[2]            Il demande de casser le jugement du Tribunal des professions et d’ordonner de remettre en vigueur son permis d’exercice de la profession de psychiatre.

[3]            Subsidiairement, M. Mailloux recherche différentes conclusions.

[4]            D’abord, il demande d’annuler le jugement du Tribunal des professions, de retourner le dossier à ce tribunal et de lui ordonner de lui permettre de présenter une preuve nouvelle pour contredire celle administrée par le Syndic adjoint.

[5]            Ensuite, pour éviter des frais inutiles et des jugements contradictoires, il demande de suspendre l’instance jusqu’à ce que la Cour d’appel ait rendu son jugement dans le dossier portant le numéro 200-09-008102-136.

[6]            Également, il demande de rejeter la poursuite judiciaire introduite par le Syndic adjoint pour cause d’abus en vertu de l’article 54.3 du Code de procédure civile.

[7]            Enfin, il recherche une ordonnance enjoignant au Syndic adjoint de lui payer une provision pour frais d’un minimum de 200 000 $.

LE CONTEXTE

La plainte disciplinaire

[8]            Le 7 février 2008, le Syndic adjoint signe une plainte disciplinaire renfermant 14 chefs d’infraction. Cette plainte est portée à la suite de signalements effectués principalement par des médecins.

[9]            Les chefs d’infraction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10, qui se rapportent à des patients âgés de 6 à 12 ans lors de leur prise en charge, contiennent plusieurs reproches reliés à des diagnostics erronés et posés de manière intempestive, des prescriptions intempestives de doses d’antipsychotiques ou neuroleptiques sans égard à l’apparition d’effets secondaires, des prescriptions d’une pharmacothérapie non appropriée à la condition des patients, des carences dans la démarche diagnostique et l’omission de réévaluer le diagnostic ou les traitements malgré la présence de divers symptômes ou effets secondaires :

 

1.       … …  (DDN : …) : un jeune garçon de 12 ans évalué et suivi à l’Hôpital de Louiseville à partir de mars 2003 pour agressivité et trouble de comportement, chez qui des diagnostics avaient déjà été établis, notamment celui de TDAH mixte (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité), de déficience intellectuelle légère, de trouble opposi­tionnel et de l’attachement et de trouble anxieux, le tout dans un contexte de carence affective et de manque de compétences parentales avec suspicion d’abus physiques, diagnostiquant intempestivement un « trouble psychotique depuis l’âge de 5-6 ans (autisme ou schizo. infantile?) » alors que le dossier ne permettait pas de soutenir un tel diagnostic et, malgré l’obésité de l’enfant, combinant intempestivement deux antipsychotiques à doses massives soit Séroquel jusqu’à 1950 mg/jr et Risperdal jusqu’à 7 mg/jr, notamment sans procéder à des examens de base (tels un ECG, un profil lipidique et une glycémie) ni à un questionnaire sur les symptômes d’hyperprolactinémie, en ne révisant pas son diagnostic malgré l’absence de résultats probants et l’apparition d’effets secondaires préoccupants (tels une augmentation importante de poids et l’apparition de dystonie musculaire) et en ne considérant pas d'autres approches que pharmacologiques, compromettant ou risquant de compromettre la santé de son patient, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

2.      … …  (DDN : …) : un enfant de 9 ans, présentant des difficultés scolaires, des problèmes d’inattention et de manque de con­cen­tration et un comportement agressif, qu’il a évalué le 23 janvier 2007 à l’Hôpital de Louiseville, concluant intempestivement à un « début de trouble psychotique » chez cet enfant sur la base qu’il avait des peurs, entendait des bruits le soir et présentait un affect plat, sans fournir dans son dossier d’exemple clinique lui permettant de soutenir ces affirmations et malgré qu’il avait en main l’information longitudinale scolaire et les bilans psychologiques qui soutenaient plutôt un diagnostic de TDAH, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

  

3.      … …  (DDN : …) : un enfant de 8 ans qu’il a suivi à partir de novembre 2006 à l’Hôpital de Louiseville, procédant à une évaluation déficiente sans tenir compte des évaluations antérieures et concluant intempestivement à un « trouble psychotique évoluant depuis 2 ans et croissant » alors que les évaluations et les observations antérieures orientaient toutes vers un diagnostic de TDAH, de trouble oppositionnel avec provocation, d’énurésie nocturne, de trouble à l’initiation du sommeil, de trouble d’apprentissage possible et de trouble relationnel intrafamilial en lien avec une symptomatologie anxio-dépressive, sans évaluer le potentiel d’apprentissage, sans procéder à une investigation neurologique malgré les symptômes décrits (strabisme de novo ) et en lui prescrivant une pharmacothérapie inadaptée à sa condition, en l’occurence du Séroquel jusqu’à 75 mg/jr, privant ainsi son patient d’un traitement plus spécifique pour ces conditions, compromettant ou risquant de compromettre la santé de son patient contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

4.      … …  (DDN : …) : un enfant âgé de 9 ans et 11 mois, qu’il a suivi à l’Hôpital de Louiseville à partir de novembre 2002, en posant intempestivement un diagnostic de « schizophrénie infantile probable avec délire paranoïde et hallucinations visuelles et auditives de longue date et problème majeur de contact avec la réalité » alors que les informations rapportées et les évaluations antérieures soulevaient plutôt une forme de retard mental avec trouble spécifique du langage et que la panoplie de symptômes anxieux ressemblait plutôt à des peurs développementales, en interprétant faussement comme étant des hallucinations visuelles des illusions imaginées par l’enfant et en lui prescrivant intempestivement, sans bilan préalable ni évaluation neurologique une médication neuroleptique à doses élevées pour un enfant de cet âge, en l’occurrence du Séroquel à des doses de 300 à 600 mg par jour, autorisant même la mère à les augmenter jusqu’à 900 mg par jour, causant ainsi l’apparition d’effets secondaires graves, soit une dystonie respiratoire risquant de causer une décompensation respiratoire, compromettant ou risquant ainsi de compromettre la santé de son patient, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

5.      … …  (DDN : …) : une fillette âgée de 6 ans, qu’il a suivie à l’Hôpital de Louiseville de novembre 2006 à février 2007, rapportant notamment qu’elle avait de nombreuses peurs, qu’elle se parlait à elle-même ainsi qu’à sa poupée et faisait des bruits de bouche à l’école, concluant à « un tableau clinique compatible avec un trouble psychotique chez l’enfant » sans avoir suffisamment d’éléments pour supporter un tel diagnostic, un tel comportement pouvant être rencontré chez les enfants de cet âge vivant des situations angoissantes, alors que les observations scolaires permettaient plutôt de poser un diagnostic de TDAH mixte et de soupçonner une problématique anxieuse, et en lui prescrivant intem­pestivement une médication neuroleptique, en l’occurrence Séroquel qui, à des doses de 100 mg/jr, a induit de la somnolence et des troubles de coordination et exacerbé le trouble anxieux, alors qu’il y avait nécessité d’investiguer le trouble d’apprentissage en évaluant les capacités intellectuelles de l’enfant, et d’utiliser une médication plus appropriée pour le traitement du TDAH, compromettant ou risquant de compromettre la santé de sa patiente, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

6.      … …  (DDN : …) : un jeune garçon âgé de 6 ans qu’il a suivi à l’Hôpital de Louiseville à partir de janvier 2003 pour un problème d’autisme, en lui prescrivant une forte médication neuroleptique, en l’occurrence du Séroquel qu’il a augmenté rapidement entre décembre 2005 et février 2006, passant de 100 à 500 mg/jr sur une période de 1 ½ mois, et du Risperdal jusqu’à des doses quotidiennes de 6 mg, utilisant même ces médicaments de façon concomitante pendant une certaine période, même s’ils se sont avérés inefficaces pour faire disparaître les « bizarreries » reliées au syndrome de l’autisme qui d’ailleurs ne se traitent pas pharmacologiquement, induisant plutôt des symptômes (vomissements, palpitations, difficultés respiratoires, agitation) devant soulever des hypothèses diagnostiques en terme d’effets secondaires possiblement reliés à la médication (soit intoxication médicamenteuse, dystonie respiratoire, troubles du rythme cardiaque, akathysie) qui auraient justifié une baisse ou même un arrêt de la médication et une investigation immédiate, compromettant ou risquant de compromettre la santé de son patient, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

7.      … …  (DDN : …) : en concluant en mai 2006 à un diagnostic de « psychose infantile avec troubles moteurs et déficit d’attention » chez cet enfant de 11 ans ¾, alors que les évaluations antérieures orientaient plutôt vers un diagnostic de TDAH mixte et de trouble oppositionnel avec provocation, malgré une histoire de cas ne permettant pas de soutenir la présence d’éléments psychotiques (voir ou entendre des « fantômes » à cet âge apparaît de l’ordre d’un trouble anxieux), sans procéder à une évaluation cognitive malgré les graves difficultés scolaires et, sans avoir vérifié préalablement les antécédents cardiaques personnels et familiaux de l’enfant, en lui prescrivant deux antipsychotiques atypiques soit Risperdal jusqu’à 3.5 mg/jr puis Séroquel, passant rapidement de 100 mg à 500 mg/jr sur 2 mois, causant l’apparition d’effets secondaires tels de l’akathysie, des troubles moteurs et vocaux et de la dystonie sans amé­liorer pour autant le TDAH, compromettant ou risquant de compromettre la santé de son patient, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

8.      … … (DDN : …) : une jeune fille de 11 ans qu’il a évaluée à l’Hôpital de Louiseville en octobre 2006, retenant intempestivement un diagnostic de « dysphasie secondaire à un syndrome d’Asperger » à la suite d’une évaluation sommaire, sans évoquer les diagnostics les plus plausibles, soit celui de TDAH mixte, de trouble oppositionnel avec provocation, de trouble d’apprentissage et du langage, d’intelligence frontière, lui prescrivant des doses injustifiées de neuroleptiques, soit Séroquel augmenté rapidement jusqu’à 600 mg par jour, malgré notamment un important gain de poids (plus de 20 lbs en quatre mois) chez une patiente déjà obèse, sans demander préalablement un bilan sanguin et un ECG ni procéder à une évaluation neurologique, sans revoir son hypothèse diagnostique et thérapeutique devant la non réponse au traitement et sans proposer d’alternatives médicamen­teuses plus spécifiques pour le traitement du TDAH ni envisager d’autres approches que pharmacologiques, compromettant ou risquant de compromettre la santé de sa patiente, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

9.      … … (DDN :…) : un jeune garçon de 11 ans qu’il a évalué en février 2004, concluant intempestivement à un diagnostic de « psychose infantile » alors que les données du dossier médical orientaient vers un TDAH mixte sévère avec trouble des conduites et fonctionnement intellectuel limite, en présence d’une dysfonction familiale avec violence, d’un manque de stimulation parentale, d’une histoire de TDAH chez un frère et de troubles des conduites chez le père, en ne cherchant pas à étayer son dossier, en ne procédant pas à la recherche d’abus sexuels suggérés par la symptomatologie ni à l’évaluation chez cet enfant d’un trouble de l’attachement, et en lui prescrivant intempestivement, sans monitoring étroit des effets secondaires, un neuroleptique à doses élevées, soit Séroquel qu’il a augmenté jusqu’à 1250 mg/jr, causant un gain de poids significatif de 36 lbs en un an et des signes d’intoxication (nausées, vomissements, palpitations et étourdissements), sans envi­sager un changement de stratégie thérapeutique ni d’alternatives autres que pharmacologiques, compromettant ou risquant de compromettre la santé de son patient, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

10.   … … (DDN : …) : un jeune garçon de 7 ½ ans qui lui était référé en septembre 2002 pour trouble de comportement à l’école avec diffi­cultés scolaires et humeur dysphorique (pleurs, agressivité et propos suicidaires depuis plusieurs mois), concluant intempestivement à une « possibilité de schizophrénie infantile » associée à un « syndrome hyperkinétique » sur la base d’hallucinations vraisemblablement de nature anxieuse, lui prescrivant intempestivement un neuroleptique atypique, soit Séroquel qu’il a augmenté jusqu’à des doses dépassant 600 mg/jr, soumettant ainsi l’enfant à des risques associés à l’usage de hautes doses de neuroleptiques, négligeant la problématique affective et le privant du traitement approprié, compromettant ou risquant de compromettre la santé de son patient, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

[10]         Les chefs d’infraction 11 et 12, qui concernent des patients adultes, formulent des reproches similaires :

11. … … (…) : un patient âgé de 35 ans présentant un trouble de consommation et souffrant clairement d’un trouble bi-polaire, qu’il a suivi du mois d’août 2004 au mois de septembre 2006, concluant intempestive­ment à un diagnostic de schizophrénie, malgré des indices très insuffisants pour justifier un tel diagnostic et la conduite clinique qui en découle, lui prescrivant une médication neuroleptique injustifiable quant au choix et quant aux doses utilisées, notamment la quiétamine (Séroquel) jusqu’à des doses de 1500 mg/jr et du décanoate de zuclopenthixol (Clopixol) à des doses de 200 mg i.m q. 2 semaines, négligeant par surcroît le suivi des effets secondaires hypotensifs, sédatifs et métaboliques de la quétiapine, des effets extrapyramidaux (acathysie) du clopixol et les effets anticholinergiques (troubles visuels) de la procyclidine et sans s’assurer d’un examen neurologique adéquat ni obtenir de tests de laboratoire avant ou pendant l’utilisation de la médica­tion, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

12. … … (DDN : …) : un patient de 40 ans présentant un problème d’éthylisme, de toxicomanie et des troubles caractériels avec possibilité d’éléments psychotiques légers reliés à l’abus des substances ou à une schizophrène paranoide, qu’il a suivi de septembre à décembre 2005, lui administrant d’emblée des mégadoses de neuroleptiques totalement injustifiées, notamment du décoanate de clopixol à des doses de 800 mg i.m. aux deux semaines en plus de quétiapine (Séroquel) jusqu’à des doses de 1500 mg/jr, avec escalade rapide en quelques jours de 0 à 600 mg, sans suivi métabolique ou neurologique avant ou pendant l’intro­duction de la pharmacothérapie, cette combinaison ayant causé au patient un trouble confusionnel aigu d’intensité grave, le tout constituant une pratique dangereuse non conforme aux données de la science médicale, contrairement aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins ;

 

[11]         Le chef d’infraction 13 reproche à M. Mailloux d’avoir réclamé des honoraires à une patiente et négligé de maintenir le dossier de cette dernière :

13. … … (DDN : …) : en ayant réclamé à cette patiente entre mars et juillet 2006 des honoraires d’environ 300 $ l’heure pour des consul­tations à son cabinet de consultation alors qu’il était inscrit comme médecin participant à la Régie d’assurance maladie du Québec et que les services dispensés à la patiente étaient couverts par la RAMQ, faisant ainsi défaut de sauvegarder son indépendance profes­sion­nelle, réclamant des honoraires injustifiés dont le coût doit être payé par un tiers et négligeant par ailleurs de maintenir le dossier de cette patiente, le tout contrairement aux articles 63 , 103 et 104 du Code de déontologie des médecins et au Règlement sur la tenue des dossiers, des cabinets ou bureaux des médecins ainsi que des autres effets  ( c . M-9, r. 19.1).

 

[12]         Quant au chef d’infraction 14, il concerne des reprochent similaires aux chefs d’infraction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 13 :

14. … … (DDN : …) : un patient de 35 ans souffrant de schizophrénie paranoïde chronique avec délire d’influence et de persécution malgré une médication antipsychotique significative, ayant requis de nombreuses hospitalisations antérieures pour cette condition et sous ordonnance de traitement et d’hébergement depuis le 25 avril 2007, le CHUM étant désigné comme établissement exécuteur de l’ordonnance, qu’il a évalué le ou vers le 26 juillet 2007 à son cabinet de Trois-Rivières et, sans obtenir le dossier médical antérieur du patient ni communiquer avec son médecin traitant, en cessant d’emblée sa médication qu’il a remplacée par une prescription de Fluanxol 100 mg i.m. q. 1 semaine pour 3 semaines à augmenter graduellement par la suite, lui réclamant de plus des honoraires d’environ 300 $ l’heure malgré qu’il soit inscrit comme médecin participant à la Régie d’assurance maladie du Québec et que les services dispensés au patient sont des services assurés au sens de la Loi sur l’Assurance-maladie , faisant ainsi défaut de sauve­garder son indépendance professionnelle et d’éviter notamment de réclamer des honoraires dont le coût doit être payé par un tiers, le tout constituant une pratique inappropriée contrairement aux articles 4 , 46 , 47 , 50 , 86 , 103 et 104 du Code de déontologie des médecins .

La décision du Conseil de discipline sur culpabilité (5 novembre 2009)

[13]         Après avoir analysé la preuve, le Conseil de discipline retient les expertises non contredites des pédopsychiatres Diane Sauriol et Martin Gignac et celle du psychiatre David Marvin Bloom, qui établissent clairement les reproches formulés contre              M. Mailloux à l’égard des chefs d’infraction 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12. [5] . Il refuse de considérer M. Mailloux comme étant un expert, car il s’agit de sa propre cause.

[14]         C’est ainsi que le Conseil de discipline déclare M. Mailloux coupable d’avoir contrevenu aux articles 6 , 46 , 47 et 50 du Code de déontologie des médecins à l’égard de ces chefs d’infraction. Ces dispositions sont ainsi libellées :

6.       Le médecin doit exercer sa profession selon des principes scientifiques.

46.     Le médecin doit élaborer son diagnostic avec la plus grande attention, en utilisant les méthodes scientifiques les plus appropriées et, si nécessaire, en recourant aux conseils les plus éclairés.

47.     Le médecin doit s'abstenir de faire des omissions, des manoeuvres ou des actes intempestifs ou contraires aux données actuelles de la science médicale.

50.   Le médecin ne doit fournir un soin ou émettre une ordonnance que si ceux-ci sont médicalement nécessaires.

[15]         Cependant, afin d’éviter des condamnations multiples, le Conseil de discipline ordonne l’arrêt conditionnel des procédures quant aux reproches concernant la contravention aux articles 6 et 50 du Code de déontologie des médecins .

[16]         Jugeant que la preuve n’est pas claire et convaincante relativement aux reproches formulés au chef d’infraction 2, le Conseil de discipline prononce un verdict d’acquittement.

[17]         En ce a trait au chef d’infraction 13, le Conseil de discipline déclare M. Mailloux coupable d’avoir contrevenu aux articles 63 , 103 et 104 du Code de déontologie des médecins et au Règlement sur la tenue des dossiers, des cabinets ou bureaux ainsi que des autres effets [6] . M. Mailloux a admis les reproches formulés contre lui.

[18]         Les articles 63, 103 et 104 de ce code sont ainsi libellés :

63.         Le médecin doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il serait en conflit d'intérêts, notamment lorsque les intérêts en présence sont tels qu'il pourrait être porté à préférer certains d'entre eux à ceux de son patient ou que son intégrité et sa loyauté envers celui-ci pourraient être affectées.

103.   Le médecin doit s'abstenir de réclamer de quiconque des honoraires pour des activités professionnelles dont le coût a été ou doit être payé par un tiers.

104.   Le médecin ne doit réclamer que des honoraires qui sont justifiés par la nature et les circonstances des services professionnels rendus.

         Si le coût prévu des services doit être modifié, le médecin doit en informer sans délai le patient.

[19]         Quant à l’article 4 du règlement ci-devant mentionné, il prévoit ceci :

 

4.       Le médecin doit constituer et maintenir un seul dossier médical par patient par lieu d'exercice pour toute personne qui le consulte, qu'elle s'adresse directement à lui, lui soit dirigée ou soit rejointe par lui, peu importe l'endroit de la consultation.

 

       Un dossier doit aussi être constitué et maintenu:

 

  1°     pour toute personne qui participe à un projet de recherche à titre de sujet de recherche;

 

2°     pour toute population ou partie de celle-ci lors d'une intervention en santé publique.

 

       Les médecins qui exercent en groupe peuvent constituer un seul dossier médical par personne.

[20]         Au regard du chef d’infraction 14, le Conseil de discipline déclare M. Mailloux coupable d’avoir contrevenu aux articles 4 , 46 , 47 , 50 , 103 et 104 du Code de déontologie des médecins . Il retient l’expertise du Dr Bloom et l’admission de              M. Mailloux à l’égard des faits reprochés. Mais afin d’éviter des condamnations multiples, il ordonne l’arrêt conditionnel des procédures  à l’égard des contraventions aux articles 4 et 50 du Code de déontologie des médecins .

[21]         Puisqu’aucune preuve n’a été présentée, le Conseil de discipline acquitte         M. Mailloux relativement à l’infraction d’avoir enfreint l’article 86 du Code de déontologie des médecins .

La décision du Conseil de discipline sur sanction (3 février 2012)

[22]         En considérant la preuve administrée par chaque partie, le Conseil de discipline conclut que le public est en danger si M. Mailloux continu à pratiquer la médecine comme il le fait. Et puisqu’il affirme qu’il n’a pas l’intention de changer sa manière de pratiquer, le Conseil est convaincu qu’il y aura récidives de sorte que l’aspect dissuasif de la sanction doit être considéré de façon très importante.

[23]         Ainsi, en ce qui concerne les chefs d’infraction 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12, le Conseil impose une radiation temporaire pour une période d’un an pour chaque violation aux articles 46 et 47 du Code de déontologie des médecins et ordonne que les radiations soient purgées concurremment.

[24]         Au regard du chef d’infraction 13, il impose une amende de 1 000 $ pour chaque violation aux articles 63 , 103 et 104 du Code de déontologie des médecins , soit un total de 3 000 $, et, à la demande du Syndic adjoint, ordonne un arrêt des procédures à l’égard de l’infraction relative à la tenue des dossiers.

[25]         Quant au chef d’infraction 14, il impose une radiation temporaire pour une période d’un an pour chaque violation aux articles 46 et 47 du Code de déontologie des médecins , à être purgées concurremment, ainsi qu’une amende de 1 500 $ pour chaque violation aux articles 103 et 104 du Code de déontologie des médecins , soit un total de 3 000 $.

[26]         Également, en outre, le Conseil de discipline recommande au Collège des médecins d’imposer à M. Mailloux un cours ou un stage de perfectionnement, prolonge de façon permanente la limitation d’exercice concernant les enfants et les adolescents qui avait été ordonnée provisoirement le 17 avril 2008, impose une limitation permanente pour les prescriptions de neuroleptiques typiques et atypiques aux adultes, en interdisant à M. Mailloux de dépasser les doses maximales recommandées par les fabricants, telles qu’approuvées par Santé Canada et répertoriées dans le compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS), et en lui interdisant de prescrire de façon concomitante plusieurs neuroleptiques à la fois chez le même patient.

 

Le jugement du Tribunal des professions (29 avril 2013)

[27]         D’entrée de jeu, le Tribunal des professions rejette la requête en réouverture des débats présentée par M. Mailloux par laquelle il demandait l’autorisation de déposer une preuve nouvelle en appel, soit trois documents qui concernent le patient dont il est question au chef d’infraction 6.

[28]         Ensuite, en considérant que M. Mailloux a choisi de ne pas reproduire la transcription des témoignages ni quelque pièce déposée en preuve, sauf trois extraits de documents de nature médicale qui ne sont d’aucune utilité au regard de l’appel, le Tribunal des professions indique qu’il ne pourra s’en tenir qu’à la preuve factuelle retenue et discutée dans la décision du Conseil de discipline, en considérant comme acceptées les conclusions tirées par celui-ci et déterminer, à partir de ces conclusions, si le Conseil de discipline pouvait retenir sa culpabilité.

[29]          Sur le fond, le Tribunal des professions conclut qu’il y a lieu de rejeter l’appel et maintenir les décisions rendues par le Conseil de discipline.

[30]         Il juge que les décisions sont suffisamment motivées, que le droit de M. Mailloux à une défense pleine et entière n’a aucunement été brimé, que le Conseil de discipline a correctement apprécié la preuve administrée devant lui, que la preuve prépondérante justifiait les déclarations de culpabilité et que les sanctions prononcées contre             M. Mailloux sont raisonnables compte tenu des circonstances. 

LES MOYENS INVOQUÉS PAR M. MAILLOUX

[31]         M. Mailloux soutient que le jugement du Tribunal des professions doit être révisé pour les motifs suivants :

a)   il a refusé de lui permettre de produire une preuve nouvelle dans le dossier d’appel;

b)   il a commis des manquements à l’équité procédurale et aux règles de justice naturelle;

c)    il a commis des erreurs déraisonnables au regard des faits.

[32]         Cela dit, il soulève différents arguments au regard de ses demandes subsidiaires.

[33]         Premièrement, il fait valoir qu’il y a lieu de suspendre l’instance jusqu’à ce que la Cour d’appel ait rendu son jugement dans le dossier portant le numéro                      200-09-008102-136 afin d’éviter des frais inutiles et des jugements contradictoires.

[34]         Deuxièmement, invoquant l’abus de procédure, il demande de rejeter la poursuite judiciaire introduite par le Syndic adjoint en vertu de l’article 54.3 du Code de procédure civile .

[35]         Troisièmement, il demande d’ordonner au Syndic adjoint de lui payer une provision pour frais d’un minimum de 200 000 $, car il a dû engager des frais importants en raison des différentes procédures introduites contre lui depuis plusieurs années.

ANALYSE

1) La norme de contrôle applicable

[36]         Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision du Tribunal des professions est celle de la décision raisonnable, sauf s’il s’agit d’une question de droit capitale pour le système juridique et étrangère au domaine spécialisé de ce tribunal. Dans ce dernier cas, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique. Il en est ainsi lorsqu’une question d’équité procédurale et de justice naturelle est soulevée [7] .

[37]         En l’espèce, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Quoique  M. Mailloux invoque certains manquements au regard de l’équité procédurale et des règles de justice naturelle, ses arguments touchent uniquement le cœur de la compétence du Tribunal des professions.

2) La réouverture des débats et la preuve nouvelle

[38]         L’article 169 du Code des professions [8] édicte que le Tribunal des professions peut, en raison de circonstances exceptionnelles et si les fins de la justice le requièrent, autoriser la présentation d’une preuve nouvelle indispensable, documentaire ou verbale.

[39]          Par sa requête en réouverture des débats, M. Mailloux demandait au Tribunal des professions de l’autoriser à déposer, dans le dossier d’appel,  les trois documents suivants qui concernent le patient dont il est question au chef d’infraction 6 :

a)     un rapport de « note synthèse de la rencontre bilan » effectuée le 30 juin 2011;

b)     un « rapport d’évaluation en psychologie » rédigé au mois d’août 2011;

c)     un extrait de « notes évolutives » d’une clinique externe de psychiatrie renfermant des inscriptions aux mois de février et mars 2008.

[40]         Ce tribunal a rejeté la requête de M. Mailloux au motif qu’il n’a pas réussi à démontrer, d’une part, que les rapports ci-devant mentionnés représentent une preuve indispensable et susceptible d’avoir un impact déterminant au regard de l’analyse de sa conduite pour des faits survenus entre 2003 et 2006 et, d’autre part, que l’extrait des notes évolutives constituent une preuve nouvelle considérant que ce document existait lorsque l’instruction de la plainte a débuté en mai 2009 et qu’aucune explication n’a été fournie à l’égard de l’impossibilité de le produire au cours de l’une des 11 journées d’audition de la plainte disciplinaire.

[41]         De l’avis du Tribunal, il n’y a pas lieu d’intervenir. Ces conclusions sont justifiées au regard des faits et du droit.

3) Les manquements à l’équité procédurale et aux règles de justice naturelle

a) L’omission de considérer l’entente du 20 février 2008 au regard de la décision sur culpabilité  (chefs d’infraction 11, 12 et 14)

[42]         M. Mailloux soutient que le Tribunal des professions a omis de considérer l’entente intervenue entre lui et le Syndic adjoint le 20 février 2008 lors de l’audition de la requête en limitation provisoire présentée par ce dernier dans le cadre de ce dossier, commettant ainsi un manquement aux règles d’équité procédurale. Cette entente, qui concernait les patients adultes, a été entérinée par le Conseil de discipline le                17 avril 2008 et est ainsi libellée :  

ENTENTE

Chez tous les patients adultes qui, selon lui, devraient être soumis à des dosages de neuroleptiques supérieurs aux doses recommandées par les fabricants, il devra obtenir une consultation dans les meilleurs délais auprès d’un collègue psychiatre pratiquant dans un établissement de santé préalablement identifié par le Collège des médecins.

En cas de différend d’opinion sur le traitement du patient, le consultant aura tout le loisir de prendre en charge le patient.

Il devra soumettre au Collège des médecins du Québec, à demande, un rapport sur chacun des dossiers des patients qui auront été soumis à de tels dosages dits de mégadoses de neuroleptiques.

[43]         Même s’il reconnaît qu’il n’y avait aucune entente entre lui et le Syndic adjoint au regard du règlement, sur le fond, des chefs d’infraction de la plainte disciplinaire et qu’il déclare que l’entente intervenue réglait uniquement le futur, M. Mailloux avance qu’il aurait dû être acquitté. Selon lui, cette entente démontre manifestement qu’il a le droit de prescrire des hautes doses de neuroleptiques à des patients adultes.

[44]         Le moyen soulevé ne peut réussir.

[45]         D’abord, M. Mailloux ne peut reprocher au Tribunal des professions d’avoir omis de considérer cette entente. Il n’a fait valoir aucun argument à cet égard. Il l’a simplement relatée dans l’historique des faits de son mémoire d’appel.

[46]         Ensuite, quoique cette entente ait permis à M. Mailloux, à certaines conditions, de prescrire des doses de neuroleptiques à ses patients adultes qui dépassent les doses recommandées par les fabricants, elle ne pouvait être considérée pour déterminer si le Conseil de discipline a commis des erreurs manifestes et dominantes en prononçant des verdicts de culpabilité sur les chefs d’infraction 11, 12 et 14.

[47]         Premièrement, puisqu’elle est intervenue dans le cadre de l’audition de la requête en limitation provisoire présentée par le Syndic adjoint et entérinée par le Conseil de discipline saisi de cette requête, il était essentiel, pour conclure que           M. Mailloux aurait dû être acquitté au regard des chefs d’infraction en question, qu’elle stipule expressément que les parties désirent régler le fond du dossier. Car faut-il le rappeler, la plainte disciplinaire concerne des infractions reprochées pour des faits antérieurs à la conclusion de l’entente.

[48]         Deuxièmement, ce n’est pas en soi le fait de prescrire des hautes doses de neuroleptiques à des patients adultes qui est reproché à M. Mailloux. L’avocat de l’intimée a admis à l’audience qu’il est permis de faire de telles prescriptions dans certains cas particuliers en combinant différents neuroleptiques. À la lecture des chefs d’infraction concernés, ce sont les différents actes médicaux posés par M. Mailloux dans le cadre de la prescription de hautes doses d’un ou plusieurs neuroleptiques à la fois au même patient qui lui sont reprochés.

            b) L’absence d’identification des patients dans la plainte disciplinaire        

[49]         Invoquant également que les règles d’équité procédurale et de justice naturelle auraient été bafouées, M. Mailloux soutient qu’il subit un préjudice au motif que les noms des patients ne sont pas identifiés dans la plainte disciplinaire annexée au jugement du Tribunal des professions. Selon lui, cela l’empêche de faire valoir ses arguments adéquatement dans le cadre de sa requête en révision judiciaire en faisant référence à la preuve documentaire.

[50]         Il a tort.

[51]         Durant sa plaidoirie, il a identifié les patients visés par les chefs d’infraction contestés et a fait référence à la preuve documentaire qui les concerne, ce qui a permis au Tribunal de comprendre ses arguments. 

c) La considération du témoignage de l’ex-patient visé par le chef d’infraction 11 

[52]         M. Mailloux avance que le Tribunal des professions a erré en omettant de reconnaître que le Conseil de discipline a commis de graves manquements à l’équité procédurale et aux règles de justice naturelle en retenant le témoignage de son ex-patient visé par le chef d’infraction 11 pour le déclarer coupable sur ce chef. Il se base sur le paragraphe 96 de la décision sur sanction du Conseil de discipline :

Un patient adulte de l’intimé a témoigné, lors de la preuve sur culpabilité, et a clairement établi qu’il a subi de graves préjudices suite à un mauvais diagnostic de l’intimé et à la prescription de mégadoses d’un médicament inapproprié à son état.

[53]         Cet argument ne convainc pas.

[54]         Suivant la décision sur culpabilité, le Conseil de discipline ne s’est pas basé uniquement sur le témoignage de l’ex-patient en question pour prononcer un verdict de culpabilité. Il a considéré également l’expertise médicale du Dr Bloom [9] .

4)        Les erreurs déraisonnables au regard des faits

            a) Les erreurs affectant la décision sur culpabilité du Conseil de discipline

                         (i)   Le chef d’infraction 7    

[55]         M. Mailloux maintient que les reproches formulés dans le chef d’infraction 7 sont farfelus à leur face-même de sorte qu’il aurait dû être acquitté à cet égard. Car lorsqu’un enfant de 12 ans voit ou entend des fantômes, ce n’est pas en raison de troubles anxieux. C’est parce qu’il a pris des hallucinogènes ou qu’il a une maladie mentale. Cela dit, il avance qu’il n’avait aucunement l’obligation de présenter une preuve d’expertise médicale pour contredire la preuve du Syndic adjoint.

[56]         Dans sa décision sur culpabilité, le Conseil de discipline a prononcé un verdict de culpabilité sur le chef d’infraction 7 après avoir déterminé que la preuve d’expertise médicale est convaincante.

[57]         En statuant sur le moyen de M. Mailloux par lequel il soutenait que le Conseil de discipline aurait apprécié la preuve de façon erronée au regard de tous les chefs sur lesquels il avait été reconnu coupable, incluant la preuve d’expert, le Tribunal des professions a établi que la preuve d’experts revêt une importance capitale, à l’exception du chef d’infraction 13, et que l’analyse du Conseil de discipline n’est pas défaillante. 

[58]         Aux paragraphes 80 à 88 de son jugement, le Tribunal des professions s’est exprimé ainsi :

[ 80 ]         À fortiori, la marge d'intervention du Tribunal se rétrécit considérablement lorsque des témoignages d'experts et leurs rapports s'avèrent non contredits. En outre, il appert que ces mêmes experts n'ont pas été contre-interrogés sur les faits.

[ 81 ]         Dès lors, il s'agit de vérifier si, au vu de la preuve dont il était saisi, le Conseil pouvait conclure comme il l'a fait.

[ 82 ]         Il y a d'abord lieu de rappeler que l'intimé dépose devant le Conseil 48 pièces documentaires (pièces P-1 à P-48), témoigne personnellement et fait entendre le syndic du Collège des médecins, trois experts et un ex-patient de l'appelant.

 

[ 83 ]         Ensuite, l'appelant témoigne et produit 10 pièces documentaires. Sans recourir à quelque expert, il lit et commente le dossier des patients mentionnés dans la plainte disciplinaire. Il explique la méthodologie suivie lorsqu'il rencontre ses patients pour ensuite établir un diagnostic et prescrire la médication jugée appropriée.

[ 84 ]         Après avoir recensé aux paragraphes [52] à [89] de la décision des éléments du témoignage de l'appelant, le Conseil s'en remet aux paragraphes [91] à [207] aux rapports des trois médecins experts sur lesquels il s'appuie en définitive pour conclure à la culpabilité de l'appelant.

[ 85 ]         Il est donc manifeste que la preuve d'experts revêt une importance capitale; elle constitue le fondement du verdict de culpabilité, à l'exception du chef d'infraction n o 13.

[ 86 ]         Essentiellement, le Conseil s'emploie à l'examen des chefs d'infraction en utilisant la démarche suivante : chef par chef, le Conseil renvoie à des passages de rapports d'experts, relève le point de vue de l'appelant et conclut.

[ 87 ]         Les éléments de preuve acceptés par le Conseil supportent les conclusions qu'il en tire. L'appelant ne convainc pas que la démarche du Conseil soit faussée et la rationalité de sa décision défaillante.

[ 88 ]         Tous les chefs d'infraction, sauf le chef n o 14, invoquent, à toutes fins utiles, des dérogations à des normes ou pratiques de la science médicale. Il incombait à l'intimé d'en faire la démonstration par une preuve devant être établie par un expert, comme le requiert la jurisprudence.

[59]         Ces motifs ne comportent aucune erreur. La preuve médicale était essentielle.

[60]         Et puisque le Syndic adjoint avait présenté une preuve d’expertise médicale convaincante, M. Mailloux devait administrer une preuve d’expertise médicale pour démontrer qu’il doit être acquitté, en outre, des infractions reprochées au chef d’infraction 7. Or, il ne l’a pas fait.

[61]         Le moyen soulevé par M. Mailloux est donc rejeté.

                         (ii) Les chefs d’infraction 1, 4 et 14

[62]         M. Mailloux avance que le Tribunal des professions a erré en refusant de reconnaître qu’il doit être acquitté des chefs d’infraction 1, 4 et 14. Car les pièces P-5 (chef d’infraction1), P-13 (chef d’infraction 4) et P-42 (chef d’infraction 14) démontrent qu’il est possible de prescrire des hautes doses de neuroleptiques à un patient ainsi que plusieurs types de neuroleptiques à la fois au même patient, comme il le faisait.

[63]         Cet argument est rejeté.

 

[64]         À la lecture des chefs d’infraction en question et telle que mentionné précédemment au paragraphe 48 de ce jugement, ce sont les différents actes médicaux posés par M. Mailloux dans le cadre de la prescription de hautes doses d’un ou plusieurs neuroleptiques à la fois au même patient qui lui sont reprochés.

b) Les erreurs affectant la décision sur sanction du Conseil de discipline

[65]         M. Mailloux fait valoir que le Tribunal des professions a commis les erreurs déraisonnables suivantes au regard de l’appréciation des faits en ce qui a trait à la décision sur sanction rendue par le Conseil de discipline :

a)   il a omis de considérer que l’entente du 20 février 2008 permettait à       M. Mailloux de prescrire des hautes doses de neuroleptiques aux patients adultes et que le protocole de surveillance des soins médicaux mis en place à l’hôpital où il pratiquait assurait la sécurité de ses patients;

b)   il a retenu que la prescription de hautes doses de médicaments, en outre, constitue un danger pour la protection du public, alors que c’est la prescription de hautes doses de neuroleptiques qu’on lui reproche;

c)    il a considéré que M. Mailloux pratiquait la psychiatrie de façon dangereuse alors qu’aucune plainte n’avait été portée contre lui auparavant;

d)   il a omis de tenir compte des pièces P-5 (chef d’infraction1), P-13 (chef d’infraction 4) et P-42 (chef d’infraction 14);

e)   il a retenu les conclusions erronées du Conseil de discipline au regard de la preuve lorsqu’il écrit que M. Mailloux a déclaré qu’il continuera à pratiquer comme l’a toujours fait et que personne ne lui indiquera comment établir ses diagnostics et quoi prescrire à ses clients, malgré la mise en place du protocole à l’hôpital où il pratique.

[66]         Ces arguments concernent les paragraphes 121 à 129 du jugement qu’il y a lieu de reproduire :

[121]      Certes, on devine à la lecture que l'appelant invoque le caractère déraisonnable des sanctions qui lui sont imposées. Cependant, se campant dans cette généralité, il n'identifie nullement quelles seraient les erreurs manifestes et dominantes du Conseil dans l'évaluation des facteurs pertinents aux fins de la détermination de la sanction et dans la pondération qui doit leur être appliquée.

[122]      En pareille matière, la tâche du Tribunal ne consiste pas à vérifier si la sanction s'avère clémente ou sévère ni à substituer son propre jugement à celui du Conseil . Il n'y a matière à intervenir que dans les cas où la sanction paraît déraisonnable, injuste et inéquitable eu égard à la gravité des infractions en cause et à l'ensemble des circonstances, aggravantes et atténuantes, de chaque cas.

[123]      Les audiences aux fins de la détermination de la sanction se tiennent sur 9 jours. Les parties déposent 147 pièces au dossier du Conseil qui entend, par ailleurs, 7 témoins.

[124]      Le Tribunal ne dispose d'aucune transcription, même partielle, de quelque témoignage ni d'aucune pièce produite devant le Conseil . Après avoir résumé la preuve de part et d'autre, le Conseil rappelle que la protection du public constitue l'objectif primordial du droit disciplinaire que doit refléter la sanction.

[125]      Il retient de l'ensemble de la preuve :

-     la pratique médicale de l'appelant compromet la protection du public;

-     les diagnostics intempestifs, la prescription de mégadoses de médicaments sans égard aux recommandations scientifiques qui leur sont propres, l'absence de suivi « des paramètres biologiques des patients », notamment ceux qui prennent des mégadoses de médicaments, constituent des dangers pour la protection du public;

-     les lacunes dans les tenues des dossiers qui ne comportent pas toutes les informations nécessaires au traitement des patients;

-     le risque élevé de récidive du fait que l'appelant réaffirme qu'il continuera à pratiquer la profession comme il l'a toujours fait et « que personne ne lui indiquera comment établir ses diagnostics et quoi prescrire à ses patients, et ce, malgré la mise en place d'un protocole à l'hôpital où il pratique » [29] ; de fait, le Conseil est persuadé que l'appelant récidivera;

-     un antécédent disciplinaire en semblable matière en 2002.

[126]      Au chapitre des facteurs atténuants, le Conseil considère :

-     l'appelant n'a jamais fait l'objet de sanction ou de mesure disciplinaire par les autorités des établissements hospitaliers où il a œuvré;

-     l'appelant a agi à plusieurs reprises comme expert devant les tribunaux;

-     la pénurie de psychiatres dans le milieu où travaille l'appelant.

[127]      Par ailleurs, à l'évidence, le Conseil paraît avoir mis l'accent sur la nécessaire dissuasion qu'imposait dans les circonstances la gravité des infractions se situant au cœur de la pratique de la médecine compte tenu de l'obstination de l'appelant à maintenir une pratique médicale controversée et dangereuse suivant la preuve prépondérante, et de son refus répété de faire fi, depuis 1983, aux mises en garde diverses que lui ont servies les autorités de l'Ordre professionnel, le bureau du syndic ou le comité d'inspection professionnelle.

 

 

[128]      Sévère, dans la meilleure des situations pour l'appelant, la sanction ne l'est pas démesurément au point de devenir déraisonnable. Il n'apparaît pas en effet déraisonnable pour un conseil de discipline de sanctionner sévèrement un professionnel, non seulement dont les règles de l'art, suivant la preuve, condamnent la conduite, mais encore et surtout qui affirme être résolu à ne pas réformer sa pratique de la profession.

[129]      Il n'y a donc pas lieu d'intervenir.

[67]         Suivant l’article 175 du Code des professions, le Tribunal des professions peut, en outre, substituer à une sanction imposée par le Conseil de discipline toute autre sanction prévue au premier alinéa de l’article 156 si, à son jugement, elle aurait dû être imposée en premier lieu.

[68]         Quoiqu’il jouisse d’un large pouvoir d’intervention à cet égard, le Tribunal des professions doit accorder une certaine déférence au tribunal inférieur qui a entendu les témoins et apprécié leur crédibilité.

[69]          En l’espèce, le Tribunal des professions a analysé les facteurs aggravants et atténuants que le Conseil de discipline a retenus pour imposer les sanctions et a jugé, en fonction de la preuve relatée par ce tribunal dans sa décision sur sanction, qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir.

[70]         De l’avis du Tribunal, il n’a commis aucune erreur.

[71]         En ce qui concerne les arguments soulevés aux alinéas a) et d) du paragraphe 65 de ce jugement, le Tribunal y a déjà répondu auparavant.

[72]         Quant à l’argument indiqué à l’alinéa b), ce n’est pas une erreur mais un manque de précision n’ayant aucune importance ici.

[73]         En ce qui a trait à l’argument énoncé à l’alinéa c), il relève de la discrétion du Tribunal des professions qui a été exercée de façon raisonnable.

[74]         Quant l’argument formulé à l’alinéa e), il concerne des erreurs que le Conseil de discipline aurait commises en relatant les faits dans sa décision sur sanction. Or, puisque M. Mailloux n’a pas déposé les transcriptions des témoignages essentiels, le Tribunal des professions ne pouvait substituer son appréciation des faits et tirer des conclusions différentes [10] .

5) La demande de suspension de l’instance 

[75]         En se basant sur la dissidence du juge Jacques Tremblay du Tribunal des professions, M. Mailloux demande de suspendre l’instance pour éviter que des frais soient engagés inutilement et que le jugement à intervenir dans ce dossier contredise celui que la Cour d’appel rendra dans le dossier portant le numéro 200-09-008102-136, et ce, jusqu’à ce que celle-ci ait rendu son jugement.

[76]         Dans cet autre dossier, qui concerne également une plainte disciplinaire déposée par le syndic adjoint, le Conseil de discipline, par décision rendue le 26 février 2010, a déclaré M. Mailloux coupable de plusieurs infractions et, par décision rendue le 30 mars 2011, lui a imposé une radiation d’une période de deux ans sur cinq chefs (à purger concurremment) et des amendes totalisant 33 000 $ sur sept autres chefs. Le Tribunal des professions a rejeté l’appel interjeté par M. Mailloux à l’encontre de ces décisions du Conseil de discipline le 21 septembre 2012 et la Cour supérieure a rejeté sa requête en révision judiciaire le 24 mai 2013. Cependant, le 5 août 2013, la Cour d’appel a accueilli sa requête pour permission d’appeler et suspendu l’exécution des radiations et le paiement des amendes imposées par la décision du Conseil de discipline le 30 mars 2011 [11] .

[77]         La demande de M. Mailloux ne peut réussir.

[78]         Dans son arrêt rendu le 9 septembre 2013 dans le présent dossier [12] , la Cour d’appel, appelée à statuer sur la demande de permission d’appeler que M. Mailloux avait présentée à l’encontre du jugement prononcé par la Cour supérieure qui avait rejeté sa demande de sursis d’exécution des décisions rendues par le Conseil de discipline le 5 novembre 2009 et le 3 février 2012, a indiqué que ce jugement est bien fondé et que l’autre dossier est différent du présent dossier :

[ 1 ]          Le requérant demande la permission de faire appel d'un jugement prononcé le 19 juin 2013 refusant de surseoir à un jugement du Tribunal des professions rendu le 29 avril de la même année. Sa demande, datée du 26 août 2013, est formée hors délai;

[ 2 ]          Les motifs invoqués par le requérant pour justifier son retard ne sont pas très convaincants. De toute manière, nous sommes d'avis que l'appel envisagé ne présente aucune chance de succès;

[ 3 ]          Le jugement de première instance est bref, mais bien motivé. Le juge explique clairement les circonstances qui font en sorte que, dans ce dossier, contrairement à ce qui était le cas dans l'autre dossier (plainte 640), le sursis d'exécution n'est pas justifié. Contrairement à ce que plaide le requérant, les deux dossiers sont différents notamment quant à la nature des infractions, à l'âge de la majorité des patients et à la portée de la preuve nouvelle qu'il proposait.     (Nos soulignements)

[79]         En conséquence, il faut conclure que le présent jugement et celui qui sera rendu par la Cour d’appel dans l’autre dossier ne pourront être contradictoires.

 

6) La demande de rejet de la poursuite judiciaire basée sur l’article 54.3 du Code de procédure civile 

[80]         M. Mailloux demande de rejeter la poursuite judiciaire introduite par le Syndic adjoint en vertu de l’article 54.3 du Code de procédure civile au motif qu’elle est abusive.

[81]         Cette demande est rejetée, car elle n’a aucun fondement juridique ici.

7) La demande de provision pour frais

[82]         M. Mailloux demande d’ordonner au Syndic adjoint de lui payer une provision pour frais d’un minimum de 200 000 $.

[83]         Cette demande n’étant aucunement justifiée, elle est également rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[84]         REJETTE la requête en révision judiciaire amendée;

[85]         REJETTE la demande de suspension de l’instance;

[86]         REJETTE la demande de rejet basée sur l’article 54.3 du Code de procédure civile;

[87]         REJETTE la demande de provision pour frais;

[88]         LE TOUT, avec dépens contre M. Pierre Mailloux.

 

 

 

__________________________________

ALAIN BOLDUC, J.C.S.

 

M. Pierre Mailloux

Personnellement

 

Me Jacques Prévost

Pouliot, Caron, Prévost, Bélisle, Galarneau

Avocats de l’intimée

 

Date d’audience :

 12 février 2014

 



[1]      Mailloux c. Médecins (Ordre professionnel des) , 2013 QCTP 43 (CanLII).

[2]      Collège des médecins du Québec c. Mailloux , 2009 QC CDCM 60800 (CanLII).

[3]      RLR Q, c. M-9, r.17.

[4]      Collège des médecins du Québec c. Mailloux , 2012 QC CDCM  5172 (CanLII).

[5]      M. Mailloux n’a fait témoigner aucun expert pour contredire ces expertises.

[6]      RLRQ , c. M-9, r.28.

[7]      Parizeau c. Barreau du Québec , 2011 QCCA 1498 .

[8]      R LRQ, c. C-26.

[9]      Collège des médecins du Québec c. Mailloux , préc., note 4, par. 178.

[10]     Patéras c. M. B. , [1986] R.D.J. 441 (C.A.).

[11]      Mailloux c. Deschênes , 2013 QCCA 1329 .

[12]      Mailloux c. Fortin , 2013 QCCA 1524 .