Grondin c. Contrôleur des armes à feu

2014 QCCQ 3009

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre Criminelle et pénale  »

N° :

450-38-005729-113

 

DATE :

Le 17 avril 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ÉRICK VANCHESTEIN, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

MICHEL GRONDIN

Requérant

c.

CONTRÔLEUR DES ARMES À FEU

Intimé

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN RENVOI À UN JUGE DE LA COUR PROVINCIALE

DE LA DÉCISION DU CONTRÔLEUR DES ARMES À FEU

(Art. 74 à 76 de la Loi sur les armes à feu)

 

______________________________________________________________________

 

[1]    Le requérant conteste la décision du 28 novembre 2011 du Contrôleur des armes à feu (le Contrôleur) de révoquer son permis parce qu'il ne remplit pas les critères d'admissibilité prévus aux articles 5 (1) et 5 (2)b) de la Loi sur les armes à feu (la Loi).

[2]    Le Contrôleur estime qu'il n'est pas souhaitable pour sa sécurité ou celle de toute autre personne que le requérant possède une arme à feu, ainsi qu'en raison du fait qu'il a été traité pour une maladie mentale caractérisée par la menace, la tentative ou usage de violence contre lui-même ou autrui.

[3]    Dans sa requête en renvoi du 15 décembre 2011, le requérant allègue que la décision du Contrôleur « est complètement arbitraire et qu'il ne représente aucun risque pour sa sécurité et celle d'autrui ».

Preuve administrée à l'audience

            -           La preuve du Contrôleur des armes à feu

[4]    Le requérant détient un permis de possession d'arme à autorisation restreinte depuis 1988.

[5]    En 2002, ce permis a été suspendu puisque le requérant avait contracté un engagement en vertu de l'article 810 du Code criminel avec interdiction de possession d'arme, sauf pour les fins de son travail.  Il a pu récupérer son permis en 2004 après avoir complété certains cours.

[6]    Ce permis a été renouvelé en 2007 pour une période de 5 ans, soit jusqu'au 22 mai 2013.

[7]    L'enquête du Contrôleur a débuté en juin 2010 par un appel de monsieur Vicaire, le directeur du service de police de Lac-Simon, pour signaler que le requérant avait entreposé son arme à autorisation restreinte personnelle dans son casier au poste de police.  Le Contrôleur procède alors aux vérifications d'usage relativement à l'adresse où devait se trouver l'arme, et cette adresse est bel et bien le poste de police de Lac-Simon, ce qui n'est pas légal selon le Contrôleur.

[8]    Par la suite, le Contrôleur analyse l'historique des événements contenus au dossier du requérant, ce qui l'amène à demander une enquête de comportement. 

[9]    Les événements dont a pris connaissance le contrôleur et qui se trouvent au dossier du requérant sont les suivants :

·         9 août 2010 , la saisie de son arme à autorisation restreinte dans le casier au poste de police de Lac-Simon puisqu'il n'avait pas une autorisation de transport ni d'entreposage à cet endroit.

·         12 avril 2005 , appels téléphoniques harassants en lien avec une ex-conjointe. Le 26 septembre 2007, le requérant contracte un engagement en vertu de l'article 810 du Code criminel pour ces dossiers.

·         29 mars 2005 , appels téléphoniques harassants à l'égard de deux ex-conjointes.  Le 15 septembre 2006, le requérant contracte un engagement en vertu de l'article 810 du Code criminel pour ces dossiers.

·         Entre le 24 août 2004 et le 2 octobre 2004 , appels téléphoniques harassants à l'égard d'une autre ex-conjointe, cependant les accusations ont été portées en même temps que les événements du 29 mars 2005.  

·         Entre 1998 et 2001 , on allègue une utilisation d'informations confidentielles à des fins personnelles, impliquant deux ex-conjointes, aucune accusation n'a été portée.

·         10 septembre 2002 , à la suite d'accusation de voies de fait à l'égard d'une ex-conjointe, le requérant contracte un engagement en vertu de l'article 810 du Code criminel pour une période d'un an avec une interdiction particulière de posséder des armes à feu sauf pour les fins de son travail.

·         10 septembre 2002 , le requérant est absous inconditionnellement pour avoir entreposé quatre armes à feu de façon non conforme au Règlement. 

[10]        L'enquête comportementale demandée par le Contrôleur a été effectuée entre juin et septembre 2011 par l'agent Patrick Lacroix.  Avant d'entreprendre cette enquête, un formulaire a été expédié au requérant où il fournit les coordonnées des membres de sa famille ainsi que d'amis ou connaissances qui peuvent fournir des informations à son sujet.

[11]        Sommairement, la rencontre avec les différentes personnes connaissant le requérant révèle ce qui suit :

·         Monsieur André Grondin, le père de l'accusé, n'a rien à dire car il a peu de contact avec le requérant depuis 24 ans.

·         Le détective Sylvain Guay a connu le requérant alors qu'il travaillait dans les parcs de la municipalité à titre d’étudiant. Il ne peut rien rapporter de négatif à son sujet mais il n'a pas de contact contemporain avec le requérant.

·         Madame Lise Bonneau, la mère du requérant, « ne souhaite pas que son fils ait présentement un permis de possession d'arme à feu, car selon elle, ce dernier a vécu un traumatisme important au Lac-Simon. Donc, il serait dangereux pour lui d'avoir une arme . ».

·         Monsieur Daniel Girard, un ami, affirme que le requérant n'est pas dans un état psychologique pour être en possession d'armes à feu. Il souligne que le requérant manquerait de discernement lors de diverses interventions et que c'est une personne très nerveuse dans son quotidien.

·         Monsieur Martin St-Pierre, ami du requérant, le qualifie de personne généralement solitaire, franche et honnête. Cependant, il souligne son côté immature, particulièrement au niveau des relations conjugales. Compte tenu du contexte actuel vécu par le requérant, monsieur St-Pierre n'ose pas se prononcer sur le comportement que pourrait avoir celui-ci s'il se trouvait seul avec ses armes.

·         Monsieur Jean-François Grondin, le frère du requérant, affirme qu'il est reconnu comme étant une personne ayant régulièrement des réactions excessives, de fortes tendances à manipuler les personnes de son entourage, et ce, bien avant les événements du Lac-Simon. Il affirme que son frère a deux personnalités, particulièrement en ce qui concerne les relations auprès des femmes, au début il exprime une gentillesse et courtoisie extrême, par la suite, tout cela change et son vrai caractère refait surface.

[12]        Le requérant a été rencontré au quartier général de la SQ à Sherbrooke parce qu'il ne voulait pas que la rencontre ait lieu à sa résidence compte tenu de voisins peu recommandables. Comme il l'a exprimé à la cour, le requérant mentionne être très méfiant envers les policiers de la Sûreté du Québec, car selon lui, l'origine de ses problèmes émane du directeur de police du Lac-Simon qui était un membre de la SQ.

[13]        De l'entrevue, l'agent Lacroix retient que le requérant a une grande animosité à l'égard de monsieur Vicaire. Il soumet le nom de monsieur Désormeaux à titre de référence.

[14]        Monsieur Désormeaux était en position d'autorité face au requérant car il était directeur du service de police de Lac-Simon et enquêteur jusqu'en 2010. Il a également côtoyé le requérant à titre de co-locataire car ils partageaient une résidence à Val-D'Or avec quatre policiers. Il n'a pas eu connaissance de problèmes de comportement impliquant le requérant tant au point de vue du travail que personnel. Il confirme ne pas être informé de la vie de monsieur Grondin depuis son départ. Il sait cependant qu'il est en arrêt de travail et c'est la raison pour laquelle il a accepté de conserver ses armes de chasse.  Selon monsieur Désormeaux, il n'y a aucune raison de croire que le requérant puisse être un danger pour la sécurité publique.

[15]        L'analyse de l'ensemble de ces rencontres amène l'agent Lacroix à formuler la recommandation qu'il ne serait pas souhaitable dans l'immédiat que le requérant puisse continuer de bénéficier du privilège de posséder une arme à feu, et ce, dans le cadre du maintien de la sécurité publique.

[16]        À l'audience, l'agent Lacroix explique sa position par le fait que le requérant est une personne utilisant son pouvoir de policier  pour avoir mainmise sur d'autres et de plus, il avait un certain problème avec la gente féminine. Ses vérifications complémentaires depuis son enquête, ne révèlent aucune autre inscription au sujet du requérant.

[17]        Sa mère l'a appelé en décembre 2013, confirmant que le requérant semblait aller mieux et qu'elle avait hâte que les procédures se terminent. Elle n'a pas été très claire au sujet de la possession d'armes par le requérant.

[18]        À la suite de l'enquête comportementale et de l'analyse des divers événements antérieurs, le Contrôleur révoque le permis dans le but d'assurer la sécurité publique.

-           Preuve du requérant

[19]         Monsieur Réjean Désormeaux qui a eu une conversation téléphonique avec  l'agent Lacroix, témoigne à la cour pour confirmer sa version. Il explique la situation particulière au Lac-Simon où il a agi à titre d'enquêteur à compter de 2007, et de directeur intérimaire de 2009 jusqu'à avril 2010. Il s'agit d'un milieu autochtone et le fonctionnement est différent.

[20]        Il a connu le requérant comme policier à cet endroit et il était très satisfait de son travail et de son comportement à titre de policier. Il était ponctuel, connaissait la réglementation et avait une bonne formation. Il avait établi de très bonnes relations avec la communauté.

[21]        À titre de co-locataire, le requérant était une personne facile à vivre.

[22]        Plusieurs événements difficiles se sont déroulés au cours de ces années au Lac-Simon dont le suicide de jeunes dans la communauté qui ont eu un impact très fort chez le requérant. Pour monsieur Désormeaux, il n'y a aucune crainte pour la sécurité publique si le requérant possède un permis de possession d'arme. Cependant, il ne l'a pas vraiment fréquenté depuis 2010.

[23]        En ce qui concerne l'arme personnelle du requérant, il affirme que tout le monde savait qu'il avait son arme dans le casier au poste de police.

[24]        Le requérant témoigne également pour clarifier un certain nombre d'éléments.

[25]        En ce qui concerne son congédiement, une entente est intervenue entre les parties. Ce congédiement est plutôt une fin d'emploi, la raison du départ étant le manque de travail.

[26]        Il fait état de son parcours professionnel dans la police qui n'a pas été facile compte tenu de la période où il a été diplômé, correspondant à une mauvaise période d'embauche pour tous les corps de police au Québec. Il est diplômé en 1996 de l'École nationale de police. Entre l'été 1998 et 2003, il a œuvré dans des corps de police de différentes municipalités, à titre d'employé temporaire ou en remplacement.

[27]        Par la suite, il a subi une période de chômage. Il avait l'intention d'abandonner cette profession et de se réorienter en technique d'ambulancier.  Il s'inscrit à nouveau au CEGEP, et pendant ses études, il travaillait à titre d'agent de sécurité. Il n'a pas complété ses études à cause de quelques échecs et du milieu difficile. C'est en avril 2008, qu'il obtient le poste au Lac-Simon.

[28]        À titre de policier, il n'a fait l'objet d'aucune sanction ni réprimande.

[29]        Relativement aux différents événements énoncés au précis des faits du Contrôleur, le requérant apporte certaines précisions. En ce qui a trait à l'infraction de mauvais entreposage d'une arme à feu, cela consiste au fait qu’il avait trois carabines sans cadenas sous son lit et son arme à autorisation restreinte, dans un coffre verrouillé. Il a obtenu une absolution inconditionnelle en même temps qu'il a contracté un engagement en vertu de l'article 810 C. Cr . pour l'événement en lien avec son ancienne conjointe.

[30]        Il allègue cependant que le fait qu'il ait contracté un engagement en vertu de l'article 810 C. cr. fait en sorte que la cour n'a jamais pu obtenir sa version des faits.

[31]        En ce qui concerne les autres événements d'appels harassants, il souligne qu'il a signé l'engagement en vertu de l'article 810 C. Cr . mais qu'il n'avait fait qu'un appel à chacune des plaignantes, leurs versions étant fausses. 

[32]        La période au Lac-Simon n'a pas toujours été facile et la suspension de juin 2010 survient entre autres pour l'arme entreposée au poste mais également à la suite d'une opération dans laquelle il a été impliqué et qui ne s'est pas très bien déroulée. La raison pour laquelle son arme personnelle était dans son casier au poste, c'est parce qu'il vivait dans une maison communautaire à Val-D'Or et qu'il ne pouvait pas laisser son arme à cet endroit sans surveillance.

[33]        À la suite de la suspension en juin 2010, il a été en congé de maladie tout en étant suspendu avec solde jusqu'en décembre 2010. C'est dans ce cadre qu'il a rencontré le docteur Lemieux qui a rédigé le rapport du 28 juillet 2010 se trouvant au précis du Contrôleur. Il admet qu'à cette époque, il a vécu une période de dépression.

[34]        Le 4 juillet 2011,  il rencontre le docteur Matte qui, selon le requérant, confirme qu'il peut posséder une arme à feu. Malheureusement, la copie du rapport du docteur Matte produite est plutôt d'une lecture difficile et n'indique pas clairement ce que le requérant en dit.

[35]        Lors de sa rencontre avec l'agent Lacroix, il n'a pas tout dit parce qu'il ne fait pas confiance aux membres de la SQ à cause de ses problèmes avec monsieur Vicaire. Il rajoute qu'il ne voulait pas fournir trop d'information puisqu'il savait qu'un jour, cela finirait à la cour.

[36]        Il affirme avoir consulté une psychologue du CLSC, mais il ne peut dire son nom, ni quand, ni à quelle fréquence, c'était au besoin, une fois par mois. Selon monsieur, il n'a jamais pris de médication et son seul médicament est de se promener en forêt et près de son lac.

Analyse

Le droit applicable

[37]        Le requérant a demandé le renvoi à un juge de la cour provinciale de la décision du Contrôleur conformément à l’article 74 de la Loi sur les armes à feu .

[38]        La nature de cette procédure est particulière car elle participerait à la fois de la révision administrative et du procès de novo . Qu’en est-il exactement et quels sont le rôle et les limites du juge qui entend ce type de recours?

[39]        Au terme du paragraphe 3 de l’article 75 de la Loi, le requérant a le fardeau de convaincre le juge que la révocation « n’était pas justifiée  ».

[40]        Pour ce faire, l’article 75 (2) de la Loi prévoit que lors de l’audition, le juge de la cour provinciale est saisi des éléments de preuve pertinents déposés par les parties. La version anglaise mentionne «  all relevant evidence  ».

[41]        Cette disposition a été interprétée par la jurisprudence comme donnant ouverture à l’introduction d’une nouvelle preuve, de là découle la nature mixte du renvoi où le juge agit en partie selon les principes de révision du droit administratif et en partie «  de novo  ». L’honorable Paul Dunnigan s’exprime ainsi à ce sujet :

«  31 Parce qu'en vertu de l'article 75(2) de la Loi , le Tribunal est saisi d'éléments de preuve « pertinents » pouvant être différents ou plus complets que ceux dont disposait le Contrôleur au moment de sa décision, le renvoi à la Cour du Québec relève d'un système mixte où non seulement les principes de droit administratif s'appliquent, mais également ceux du procès de novo [1] . »

[42]        L’ensemble des décisions récentes au Québec [2] convergent vers ce système où, comme l'a mentionné l’honorable Danielle Côté :

« 51     De l'avis du Tribunal, les principes du droit administratif s'appliquent lorsque la preuve est la même que celle sur laquelle s'est basé le contrôleur et ceux s'inspirant des règles du procès de novo s'appliquent lorsqu'une nouvelle preuve est entendue, en faisant les adaptations requises.

52     Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal doit évaluer l'ensemble de la preuve et se demander si Guay l'a convaincu que la sécurité du public ou la sienne ne serait pas compromise par l'annulation de la révocation de son permis de possession d'armes à feu.» [3]

[43]        Le juge Goudge de la Cour d’appel de l’Ontario décrit avec précision dans Henderson [4] , le rôle du juge dans le cadre de cette procédure de renvoi :

« The Standard of Review of the Registrar's Decision

32     In my view, the approach to be taken by a provincial court to a decision of the Registrar depends on the rather unique scheme set up by the Act and the legislative intention it reflects.

33     A number of aspects of the scheme are relevant. The application to the Registrar is simply a form containing basic information about the firearm. The Registrar is not required to hold a hearing, nor offer the applicant any other way to provide information or make submissions, before deciding to issue the registration certificate or refuse the application. If the application is refused, the Registrar is required to provide the applicant with both the decision and reasons that include the nature of the information relied on. The applicant can then refer the matter to the provincial court.

34     The Act obliges the provincial court to hear all relevant evidence presented by both the applicant and the Registrar. It is clear that the provincial court is to engage in its own fact finding process. That is why it is described as a reference and not an appeal from the Registrar's decision. Nor is it a hearing de novo , since the Registrar has not held a hearing. Clearly the legislative intent is that the provincial court is to find its own facts and need give no deference to any facts recited in the reasons of the Registrar.

35     However, having done that, s. 75(3) of the Act directs the provincial court to decide, in light of the facts it has found, if the applicant has satisfied it that the Registrar's refusal was "not justified". That is, the applicant must do more than show that, given the facts found, the decision was wrong. Rather, the provincial court must be satisfied that the refusal was not justified. In my view this reflects the legislative intent that the provincial court accord deference to the Registrar's decision. I say this for several reasons.

36     The first is the particular language of the Act. The pertinent definition of "justification" in Black's Law Dictionary , 8th ed., is "a lawful or sufficient reason for one's acts or omissions." That is, a decision is not justified if there is no sufficient reason for it. As well, the Supreme Court of Canada has linked the deferential standard of reasonableness to the concept of justification. In Dunsmuir v. New Brunswick , 2008 SCC 9 , [2008] 1 S.C.R. 190 at para. 47, the court describes the qualities that make a decision reasonable and makes clear that justification is a key aspect of reasonableness. Thus I think the language of s. 75(3) of the Act directs the provincial court to apply a deferential standard of review to the Registrar's decision itself. The provincial court is to test that decision against the facts it has found. It is not to determine if it agrees with the decision, but whether it has been satisfied by the applicant that the decision is not reasonably defenceable. This mandates deference.

37     A deferential approach is also supported by the undoubted specialized expertise of the Registrar in administering the complex firearms registration regime. (…)

38     In my view, the deferential standard of review to be applied by the provincial court to the Registrar's refusal is best described as one of reasonableness. (…) Rather it is to evaluate the Registrar's decision in the context of the facts it has found to decide if the applicant has satisfied it that the decision does not fall "within a range of possible, acceptable outcomes which are defenceable in respect of the facts and law": Dunsmuir , at para. 47. It is in this sense that the provincial court should apply a standard of reasonableness.  » [5] (nos soulignés)

[44]        Selon le Tribunal, son rôle pour cette procédure de renvoi peut se définir ainsi :

·         Il s’agit d’un renvoi, c'est-à-dire d’un examen de la décision du Contrôleur par une autorité judicaire dans le cadre d’un débat contradictoire;

·         Le juge n’agit pas à titre de réviseur au sens strict de ce terme;

·         La procédure ne consiste pas à un procès de novo car il n’y a pas eu d’audience au niveau du Contrôleur;

·         Le juge doit faire sa propre détermination factuelle et à cet effet, entendre toute preuve pertinente produite par les parties;

·         Cette preuve pertinente peut être constituée d’éléments nouveaux qui n’ont pas été portés à la connaissance du Contrôleur;

·         La preuve nouvelle doit être en lien et contemporaine à la décision du Contrôleur puisque les termes de l’article 75 (3) de la Loi prévoient que le requérant doit convaincre que la décision «  n’était pas justifiée  ». L’article 10 de la loi d’interprétation [6] prévoit que le temps des verbes dans les textes de loi est le présent. Or, le législateur utilise le passé à l’article 75(3) de la Loi. Afin de donner un sens au texte, la preuve nouvelle doit être limitée à la période en lien avec la décision du Contrôleur. Agir autrement, reviendrait à permettre au Tribunal de remplacer le rôle du Contrôleur, en devenant un émetteur de permis. Cela irait à l’encontre de l’esprit de la Loi qui donne à un décideur spécialisé l’analyse de l’émission des différents permis;

·         Le juge doit agir avec déférence dans sa détermination de la raisonnabilité de la décision du Contrôleur.

Application à la présente affaire

[45]        Tel que mentionné plus haut, le requérant a vu son permis révoqué pour deux motifs soit en vertu de l'article 5 (1) et 5 (2)b) de la Loi sur les armes à feu.

[46]        Le Tribunal souhaite d'abord traiter de la question de l'article 5(2)b) qui mentionne qu'un demandeur de permis ne remplira pas les conditions s'il a « été interné ou non, il a été traité, notamment dans un hôpital, un institut pour malades mentaux ou une clinique psychiatrique, pour une maladie mentale caractérisée par la menace, la tentative ou l'usage de violence contre lui-même ou autrui

[47]        Dans la présente affaire, le Contrôleur a allégué ce motif en l'absence de toute preuve selon laquelle le requérant a été traité pour une maladie mentale caractérisée «  par la menace, la tentative ou l'usage de violence contre lui-même ou autrui  ». L’avis de révocation mentionne uniquement la présence d’un trouble post-traumatique. Or, le rapport médical du docteur Lemieux au soutien de cette prétention fait état d'un trouble d'adaptation avec humeur dépressive en voie de rémission. Ce rapport est daté du 28 juillet 2010. De même, à la page 4 de son rapport, on peut y lire que le syndrome de stress post-traumatique est exclu parce qu'il n'y a pas d'anxiété ni d'éléments suffisants pouvant suggérer un état post-traumatique.

[48]        Par ailleurs, ce même médecin émet, le 19 août 2010, un certificat pour la délivrance d'un permis d'arme à feu, mentionnant que le requérant n'est pas une personne constituant un risque pour elle-même ou pour son entourage advenant le cas où elle possèderait des armes à feu.

[49]        Ainsi, si la révocation était fondée sur ce seul motif, le Tribunal interviendrait compte tenu que ce motif est sans fondement.

[50]        Cependant, tel qu'il ressort de la preuve, le principal motif pour lequel le requérant s'est vu révoquer son permis est l'enquête de comportement. Quels sont les éléments que possédait le contrôleur au moment de son analyse?

[51]        On a fait état de l'aspect quantitatif de l'enquête comportementale, c'est-à-dire que quatre personnes sur sept étaient d'opinion que le requérant ne devait pas posséder de permis d'arme. Cependant, le Contrôleur peut également analyser l’aspect qualitatif de cette enquête. La question n'est pas de savoir combien de personnes croient qu’il peut ou non posséder un permis d’armes à feu mais est-ce que l'attitude ou le comportement de cet individu, lui permet de posséder une arme?

[52]        Les personnes qui sont le plus près de lui sont celles qui manifestent le plus d'inquiétude à ce sujet. Des sept personnes rencontrées, deux ont un témoignage qui peut être qualifié de neutre, soit son père et le détective Sylvain Guay, puisqu'ils n'ont plus aucun contact contemporain avec le requérant. Les quatre personnes plus près de lui, soit sa mère, son frère et les deux amis, révèlent des informations qui militent plutôt vers le fait qu'il est dangereux pour le requérant de posséder une arme à feu.

[53]        Sa mère, bien qu’en décembre 2013, elle exprimait son souhait de voir cette affaire terminée, n'a pas formulé d’opinion contraire à celle émise en 2011.

[54]        Son frère dépeint un comportement de réaction excessive et de double personnalité à l'égard des femmes qui soulève certaines inquiétudes.

[55]        Monsieur Girard est clairement d'opinion que le requérant n'est pas dans un état psychologique pour être en possession d'armes à feu.

[56]        Monsieur St-Pierre, sans être aussi catégorique, mentionne que dans le contexte actuel, il n’ose pas se prononcer formellement. On peut facilement comprendre qu'il a certaines inquiétudes mais ne veut pas nuire à son ami. 

[57]        Quant au témoignage de monsieur Désormeaux, ce dernier l'a connu dans un contexte très particulier où il a quitté ses fonctions avant que le requérant se retrouve sous la direction de monsieur Vicaire avec lequel il est en litige et se retrouve en dépression à l’été 2010. Monsieur Désormeaux a très peu de contacts, si ce n'est une communication téléphonique de temps à autre parce qu'il est le gardien de ses armes.

[58]        La rencontre du requérant avec monsieur Lacroix est également de nature à soulever quelques inquiétudes car il est très peu collaborateur et exprime une méfiance généralisée envers la Sûreté du Québec. Il ne veut pas fournir d'information pertinente à la personne chargée d’analyser son dossier. Cette attitude de méfiance excessive combinée aux propos du requérant selon lesquels il retenait de l’information pour la transmettre à la Cour seulement, soulèvent un questionnement certain.

[59]        À la suite du rapport de comportement, le Contrôleur a le loisir de l'analyser à la lueur de l'ensemble des événements antérieurs survenus. Le juge Dunnigan dans une récente décision mentionne au sujet de la période de temps à considérer pour l’analyse ce qui suit :

« Le Tribunal souscrit aux propos du juge Dawson de la Cour supérieure de l’Ontario dans R . v. Curtis quant à son interprétation de l’article 5(2) de la Loi à l’effet que la période de cinq ans y mentionnée n’empêche pas que soient considérés des événements plus lointains dans le temps. » [7]

[60]        Bien que le requérant ait obtenu son permis en 2007, rien n’empêche le Contrôleur de considérer les informations consignées au dossier du requérant avec celles se retrouvant au rapport comportemental.

[61]        Il est tout de même inhabituel de voir un jeune policier faire face à quatre passages à la Cour dans une période relativement brève et devoir contracter à trois reprises un engagement en vertu de l'article 810 du Code criminel . De plus, il s’est également retrouvé dans une situation de non respect de la réglementation relativement à l'entreposage des armes à feu.

[62]        L'ensemble des informations en possession du Contrôleur au sujet du comportement du requérant au cours des 10 dernières années, est de nature à soulever des inquiétudes relativement à son attitude et à son comportement lorsqu'il se retrouve dans certaines situations ou périodes difficiles.

[63]        Est-ce que la preuve soumise par le requérant convainc le Tribunal que la décision du Contrôleur n'était pas justifiée?

[64]        Outre le fait que le requérant a clarifié certaines situations au niveau professionnel relativement au congédiement et à la plainte disciplinaire, de même qu’en ce qui concerne l'entreposage de l'arme au poste de police de Lac-Simon, il n’a pas fourni une preuve particulièrement convaincante sur le fait que la décision n'était pas justifiée.

[65]        La preuve soumise clarifie sa situation professionnelle et démontre que trois ans plus tard, les choses semblent s’être replacée. Cependant, cela n’indique pas que la décision en 2011 n’était pas justifiée. Le rapport médical du docteur Matte de juillet 2011, mentionne tout de même la présence d’un trouble d'adaptation de l'humeur mixte avec élément de stress. Il est très difficile d'en lire plus et le rapport ne peut éclairer le Tribunal suffisamment sur la condition du requérant.

[66]        Le témoignage de monsieur Désormeaux ne révèle rien de plus que ce qui est à la connaissance du Contrôleur. Monsieur Désormeaux n'a que des contacts téléphoniques épisodiques avec le requérant et possède peu d’information au sujet de la vie du requérant depuis son départ de Lac-Simon en juin 2010.

[67]        En ce qui a trait à sa mère, ce qui en ressort, c’est surtout qu’elle a hâte que les procédures se terminent, sans que l’on ne sache trop pourquoi.

[68]        Après analyse de l'ensemble de la preuve, le Tribunal n'est pas convaincu que la révocation n'était pas justifiée et que la décision du Contrôleur était déraisonnable.

Pour tous ces motifs , le Tribunal;

Rejette la requête;

Confirme la décision du Contrôleur des armes à feu.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

ÉRICK VANCHESTEIN, J.C.Q.

 

Me Patrick Fréchette

Procureur pour le requérant

 

Me Tian Meng

Procureur pour l'intimé

 

Dates d’audience :

17 mars 2014

 

 

 



[1] Benoit Grondin c. Contrôleur des armes à feu , 2013 QCCQ 7775 , par. 31

[2] Québec (Procureur général) c. Cvetkovic , 2008 QCCQ 1968 ; M.P . c. Contôleur des armes à feu de la Sureté du Québec , 2013 QCCQ 15508 ; Thibodeau c. le Contôleur des armes à feu , 2011 QCCQ 15648 ; P.D . c. Gendarmerie Royale du Canada , 2013 QCCQ 14725 ; Grondin c. le Contrôleur des armes à feu de la Sûreté du Québec , 2013 QCCQ 7775 ; Langlois c. le Contrôleur des armes à feu , 2013 QCCQ 6667

[3] Guay c. Contrôleur des armes à feu , 2010 QCCQ, 2035, par. 51-52

[4] Canada (Attorney General) v. Henderson, 2011 ONCA 696

[5] Canada (Attorney General) v. Henderson, préc. note 4, par. 32 à 38

[6] L.R.C. (1985), ch. I-21

[7] M.P . c. Contrôleur des armes à feu , préc. note 2