Rossow Canada inc. c. Argile Eau Mer inc.

2014 QCCS 1676

 

  COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BAIE-COMEAU

 

N° :

655-17-000229-109

 

 655-17-000309-125

 655-17-000243-118

 

DATE :

2 avril 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE JACQUES G. BOUCHARD, J.C.S.

 

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DOSSIER NUMÉRO : 655-17-000229-109

 

 

 

ROSSOW CANADA INC.

 

et

 

ÉTABLISSEMENTS B. ROSSOW INC.

     Demanderesses-défenderesses reconventionnelles

 

c.

 

ARGILE EAU MER INC.

     Défenderesse-demanderesse reconventionnelle

 

 

 

DOSSIER NUMÉRO : 655-17-000309-125

 

 

 

ROSSOW CANADA INC.

 

et

 

 

ÉTABLISSEMENTS B. ROSSOW INC.

      Demanderesses-défenderesses reconventionnelles

 

c.

 

DENISE SAULNIER

 

et

 

ARGILE EAU MER INC.

 

et

 

ARGILE EAU MER INTERNATIONAL INC.

     Défenderesses-demanderesses reconventionnelles

 

 

 

 

DOSSIER NUMÉRO : 655-17-000243-118

 

 

 

 

ARGILE EAU MER INC.

     Demanderesse

 

c.

 

ROSSOW CANADA INC.

     Défenderesse

 

et

 

ARGILE EAU MER INTERNATIONAL INC.

     Mise en cause

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JUGEMENT

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INTRODUCTION

[1]            Les parties se sont associées dans le but d’exploiter et de commercialiser l’argile marine de Manicouagan. Ils ne s’entendent plus sur les vertus de ce produit et plusieurs litiges en découlent.

[2]            Les sociétés Rossow Canada (RC) et Établissements B. Rossow (EBR), suspectent la présence de fibres d’amiante et invoquent ce défaut de qualité pour demander l’annulation de la vente et le remboursement du prix pour des commandes passées en 2007 et 2008 destinées au marché européen. Au surplus, elles se disent victimes d’oppression et veulent récupérer le capital investi, ainsi que les dépenses encourues lors de leurs démarches de commercialisation.

[3]            Les sociétés Argile Eau Mer (AEM) et Argile Eau Mer International (AEMI), ainsi que Madame Denise Saulnier, nient que le produit contienne de la fibre d’amiante et contestent les réclamations dirigées contre elles. Elles se portent demanderesses reconventionnelles et réclament dédommagement pour les torts causés à leurs marques de commerce par les agissements de RC et de EBR.

[4]            Le présent jugement disposera des demandes contenues dans les dossiers dont les numéros apparaissent en page frontispice, lesquels ont été réunis et ont fait l’objet d’une preuve commune. 

CONTEXTE

[5]            AEM, dirigée par Madame Denise Saulnier, exploite des gisements d’argile marine près de Baie-Comeau, au Québec, depuis de nombreuses années.

[6]            EBR et RC, dirigées par Jean Rossow et son fils Nicolas, distribuent et commercialisent des produits chimiques, synthétiques et naturels destinés entre autres à l’industrie cosmétique.

[7]            Par diverses conventions intervenues en 2007 et par la mise en place de la société AEMI, les parties ont uni leurs intérêts afin de commercialiser l’argile marine de AEM à travers le monde.

[8]            Jean et Nicolas Rossow s’appuient sur le rapport de Laboratoire Environnement et Minéralurgie (LEM), daté du 30 novembre 2009 [1] , pour soutenir que la boue de Manicouagan contient de l’amiante.

[9]            Conscient de la prohibition relative à l’amiante dans la règlementation européenne visant les produits cosmétiques, ils disent que la prudence leur commandait de retirer les produits du marché, dès qu’ils ont soupçonné sa présence dans les produits de AEM. Ils ajoutent au surplus avoir décelé d’autres défauts secondaires, tels que du sable et des taches brunes sur certains échantillons.

[10]         Au-delà de cette question majeure de la qualité du produit, laquelle est au coeur du partenariat entre les parties, les Rossow formulent contre Madame Saulnier de nombreux autres reproches, qu’ils assimilent à de l’oppression au sens de la Loi canadienne sur les sociétés par actions [2] .  Ils allèguent qu’elle ne leur a pas fourni un cahier des charges en temps utiles et qu’elle n’a pas respecté la structure de prix établie. Elle aurait transgressé à plusieurs égards la convention unanime entre actionnaires, notamment : en ne respectant pas le quorum lors des assemblés, en refusant la participation téléphonique d’un actionnaire aux réunions, en changeant les vérificateurs de la compagnie sans leur approbation, en envoyant tardivement les états financiers, en augmentant les salaires de façon injustifiée et par son manque de collaboration en général.

[11]         Au-delà de la contestation des demandes principales dans les deux premiers dossiers, AEM se porte demanderesse reconventionnelle. D’abord, dans le premier dossier, 655-17-000229-109, elle réclame 78 000 $ pour des frais d’entreposage et l’atteinte à sa réputation, tandis que dans le second dossier, 655-17-000309-125, elle cherche à obtenir compensation pour des dommages qu’elle estime à plus de 1 600 000 $ en ventes perdues, en frais judiciaires et extrajudiciaires, ainsi que pour la perte et la reconstitution de son site internet et son nom de domaine.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]         Ces trois dossiers soulèvent de nombreuses questions, lesquelles se résument comme suit :

1)     La vente de produits à base d’argile marine doit-elle être annulée et l’acheteur doit-il être remboursé parce qu’ils contiendraient de l’amiante, le tout en vertu des dispositions du Code Civil du Québec relatives à la garantie de qualité ?

2)     L’actionnaire minoritaire de AEM, société incorporée au fédéral, a-t-elle été victime d’oppression au sens de la Loi canadienne sur les sociétés par actions ?

3)     AEMI, société incorporée au Québec, est-elle dans une situation justifiant sa dissolution en vertu des lois applicables ?

4)     Les demandes reconventionnelles sont-elles bien fondées ?

 

 

ANALYSE

[13]         Tous ces litiges reposent sur la présence ou non de fibres d’amiante dans les produits d’AEM confectionnés à partir de l’argile marine prélevée dans la boue de Manicouagan. Selon les Rossow, le vice de qualité invoqué justifie non seulement sa demande en annulation de la vente de tous les produits à base d’argile achetés, mais il constitue également l’élément fondamental de leur recours en oppression, sur lequel nous reviendrons plus loin.

La vente de produits à base d’argile marine doit-elle être annulée et l’acheteur doit-il être remboursé en conséquence parce qu’ils contiendraient de l’amiante, le tout en vertu des dispositions du Code Civil du Québec relative à la garantie de qualité ?

[14]         L’article 1726 C.c.Q. énonce le principe applicable en matière de garantie de qualité :

1726.  Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempte de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminue tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas achetée, ou n'aurait pas donnée si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

[15]         L’article 1729 C.c.Q. créer une présomption envers les vendeurs professionnels :

1729.  En cas de vente par un vendeur professionnel, l'existence d'un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de mêmes espèces; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l'acheteur.

[16]         Enfin, l’article 1730 C.c.Q. prévoit à qui s’applique l’obligation de garantie :

1730.  Sont également tenu à la garantie du vendeur, le fabricant, toute personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et tout fournisseur du bien, notamment le grossiste et l'importateur.

[17]         Il est bien établi en doctrine et en jurisprudence qu’en matière de vente, le fabricant d’un produit doit aviser l’acheteur du caractère inapproprié de ce produit eu égard à l’usage auquel l’acheteur le destine [3] .

[18]         Selon l’article 1730 C.c.Q. précité, la responsabilité du fabricant est la même que celle du vendeur professionnel [4] .

[19]         Le fabricant-vendeur doit démontrer l’absence de vice au moment de la vente pour réfuter la présomption qui pèse sur lui. Dans la présente affaire, le fardeau de prouver l’absence de vice du produit repose donc sur AEM.

[20]         À cet égard, AEM a administré une preuve fort convaincante. Essentiellement, pour AEM, la boue marine de Manicouagan ne contient aucune fibre d’amiante et en conséquence elle ne contrevient pas à la règlementation européenne préoccupant les Rossow. Le type d’amphibole contenu dans la boue marine de Manicouagan est l’hornblende, dit-elle, et celle-ci ne fait pas partie de la catégorie de l’amiante. Il n’y a donc aucune présence de fibres d’amiante dans la boue marine de Manicouagan.

[21]         Pour étayer ses dires, AEM dépose plusieurs analyses qui soutiennent toutes ses prétentions [5] .

[22]         De plus, AEM a produit les rapports de trois experts qui ont également été entendus au procès. L’un d’eux, Monsieur Jean-François Wilhelmy, ingénieur géologue et minéralogiste, explique que la boue marine de Manicouagan a été formée à partir de roches très homogènes du Bouclier canadien, lavées pendant des milliers d’années. Il ajoute qu’il n’y a pas d’actinolite dans tout le Bouclier canadien. Il conclut que [6]  :

 « L’ensemble des rapports étudiés ne permet pas d’affirmer qu’il y a présence d’amiante amphibole dans les échantillons d’Argile eau mer. La documentation semble plutôt indiquer qu’il n’y a pas présence de fibre d’amiante et que lorsque des particules s’approchent de la morphologie, elles ne sont pas constituées d’actinolite.

Deux études, celle de l’Université Laval et celle de CRM, visaient la reconnaissance de l’ensemble des minéraux présents et, pour le CRM, leur quantification. Ces deux études proposent la présence d’une amphibole monoclinique, la ferrohornblende, qui compte pour environ 15 % de l’échantillon.

 

 

Deux études, celle de Nano Technologies Consulting (NTC) et celle du LEM, ont observé des particules proches de ce qui pourrait être considéré comme des fibres minérales. L’étude de NTC conclut qu’il n’y a pas de fibre d’amiante dans les échantillons soumis. L’étude du LEM n’a pas non plus permis l’observation de fibre d’amiante. Deux particules, qui ne sont pas des fibres d’amiante, ont été plus particulièrement étudiées, mais les compositions proposées sont douteuses du fait de la superposition probable de ces particules avec d’autres éléments présents dans l’argile.

[23]         Un autre, Monsieur Ovessou Cherif Aidara, docteur en minéralogie marine, affirme qu’il a étudié et analysé l’argile utilisée par AEM afin de rechercher des innocuités et s’assurer que le produit est sain, sécuritaire et fonctionnel. Il est d’avis que celui-ci ne contient aucun pathogène ni aucune bactérie néfaste pour la santé humaine. Il ajoute que les taches brunes repérées sur certains échantillons peuvent apparaître après une période de péremption de vingt mois. De plus, il existe des solutions simples pour régler ce problème.

[24]         Enfin, un troisième expert, Madame Josée Duchesne, ingénieure géologue, professeure titulaire en minéralogie à l’Université Laval, est également venue donner son opinion quant à la présence ou non d’amiante dans l’argile de l’entreprise AEM. Elle explique qu’il n’y a aucune preuve de présence d’amiante dans toutes les analyses effectuées tant en demande qu’en défense. Plus particulièrement, son opinion est totalement à l’opposé de l’expertise soumise par les Rossow pour soutenir leur prétention. Elle conteste donc vigoureusement les conclusions de leur expert, Monsieur Michel Millmore, consultant en ingénierie légale et spécialiste en environnement. Elle soutient que certaines parties de son rapport montrent une méconnaissance des minéraux qui, selon elle, ne sont pas aussi simples à caractériser que cet expert le prétend. Surtout, l’absence d’information sur l’échantillonnage utilisé pour son étude lui fait perdre toute crédibilité puisque celle-ci est essentielle pour soutenir valablement une opinion de façon scientifique.

[25]         Le Tribunal retient l’avis de la professeure Duchesne à cet égard et écarte l’expertise de Monsieur Millmore. Manifestement, il n’a pas utilisé un nombre suffisamment représentatif d’échantillons. D’ailleurs, le Tribunal a noté que pour celui-ci, il serait possible de ne pas éliminer le produit du marché en prélevant un nombre représentatif d’échantillons et en effectuant les analyses avec des méthodes de laboratoire plus poussées. Son affirmation à l’effet qu’il ne peut conclure qu’il n’y a pas d’amiante et que l’incertitude demeure, laisse le Tribunal perplexe.

[26]         Le Tribunal constate qu’aucun expert, et ce, tant en demande qu’en défense, n’a pu déceler de présence d’amiante dans tous les échantillons analysés. La preuve établie donc de façon probante que les produits d’AEM ne comportent pas les défauts de qualités requis pour justifier le recours entrepris sur cette base.

 

 

L’actionnaire minoritaire de AEM, société incorporée au fédéral, a-t-elle été victime d’oppression au sens de la Loi canadienne sur les sociétés par actions ?

[27]         RC est actionnaire minoritaire d’AEM (5 % des actions) et d’AEMI (35 % des actions). AEM est une société régie par les dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions [7] .

[28]         RC prétend être victime d’abus au sens de cette loi de la part de l’actionnaire majoritaire Denise Saulnier, au point de justifier son recours en oppression. Elle s’appuie sur l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

[29]         La jurisprudence enseigne que la notion d’abus ou d’oppression doit être interprétée de façon large, libérale et objective.

[30]         La Cour suprême du Canada propose un test à effectuer pour déterminer le fondement d’un recours en oppression [8] . Ainsi, afin d’examiner l’application de la théorie de l’attente raisonnable, il faut se poser deux questions :

1)         La preuve établit-elle l’attente raisonnable invoquée par le plaignant ?

2)         La preuve établit-elle que cette attente raisonnable a été frustrée par un comportement qui correspond à la définition d’un «abus» d’un «préjudice injuste» ou d’une «omission injuste de tenir compte» d’un intérêt pertinent ?

[31]         Dans ce même jugement, la Cour suprême énonce sept critères permettant d’évaluer s’il y avait attente raisonnable de la part d’un plaignant :

i)             Les pratiques commerciales courantes ;

ii)            La nature de la société ;

iii)           Les rapports entre les parties ;

iv)          Les pratiques antérieures ;

v)           Les mesures préventives qui auraient pu être prises ;

vi)          Les déclarations et conventions entre actionnaires ;

vii)         La conciliation équitable des intérêts opposés des parties intéressées ;

 

[32]         D’une part, RC invoque les fausses représentations qui lui auraient été faites quant à la qualité de l’argile marine, et également l’absence d’un cahier de charge, l’absence d’informations relatives aux états financiers et le manque généralisé de collaboration de la principale actionnaire.

[33]         Comme le Tribunal en est arrivé à la conclusion que la boue marine de Manicouagan ne contenait pas d’amiante, le premier et principal motif invoqué par RC devient sans fondement.

[34]         D’autre part, la preuve a aussi démontré qu’il a été impossible de produire un cahier de charges, lequel doit définir les opérations envisagées, à partir de l’extraction jusqu’à la livraison des produits pour en assurer la traçabilité, puisqu’un tel procédé n’était toujours pas mis sur pied au moment où cette demande fut formulée. En effet, lorsque les investissements ont été faits dans AEM, les sommes ont été utilisées consensuellement afin de transformer le procédé de fabrication artisanal qui existait alors, en un procédé industriel.

[35]         Par contre, plusieurs informations équivalentes ont été communiquées pour remplir la fonction d’un tel cahier de charges, notamment un questionnaire de vérification des matières premières non biologiques [9] et une multitude d’analyses élaborant le dossier technique du produit [10] . De plus, la preuve ne soutient pas de façon probante les prétentions de RC relativement à l’absence de transmission d’états financiers et le manque de collaboration de Madame Saulnier [11] .

[36]         Le Tribunal en vient à la conclusion que le recours en oppression n’est pas fondé. De toute façon, les demanderesses n’ont pas convaincu le Tribunal qu’elles ont encouru quelque dommage que ce soit découlant des reproches formulés à l’égard des défenderesses. Un survol des montants réclamés laisse voir qu’une partie des frais engagés par RC ou par EBR l’a été dans la phase précédant l’association, tandis que les frais relatifs à la mise en marché des produits, tels que la participation à des salons, la conclusion de contrats avec des acheteurs potentiels, le marketing, les frais de représentations etc., faisaient l’objet d’une entente entre les parties à l’effet que ceux-ci n'avaient pas à être remboursés s’il n’y avait pas de vente [12] . Or, la preuve démontre qu’il n’y a eu aucune vente.

 

 

 

AEMI, société incorporée au Québec, est-elle dans une situation justifiant sa dissolution en vertu des lois applicables ?

 

[37]         AEMI est une société québécoise dont l’objet consiste à vendre et à distribuer des produits de AEM sur le marché international : en Europe, en Asie, aux États-Unis ou au Canada mais à l’extérieur de la province de Québec.

[38]         Madame Denise Saulnier et AEM demandent la dissolution de cette entreprise, sur la base des articles 355 C.c.Q., 2230 C.c.Q. et 2258 C.c.Q., qu’il y a lieu de reproduirent ci-après :

355.  La personne morale est dissoute par l'annulation de son acte constitutif ou pour toute autre cause prévue par l'acte constitutif ou par la loi.

Elle est aussi dissoute lorsque le tribunal constate l'avènement de la condition apposée à l'acte constitutif, l'accomplissement de l'objet pour lequel la personne morale a été constituée ou l'impossibilité d'accomplir cet objet ou encore l'existence d'une autre cause légitime.

2230.  La société, outre les causes de dissolution prévues par le contrat, est dissoute par l'accomplissement de son objet ou l'impossibilité de l'accomplir, ou, encore, du consentement de tous les associés. Elle peut aussi être dissoute par le tribunal, pour une cause légitime.

On procède alors à la liquidation de la société.

2258.  Le contrat de société, outre sa résiliation du consentement de tous les associés, prend fin par l'arrivée du terme ou l'avènement de la condition apposée au contrat, par l'accomplissement de l'objet du contrat ou par l'impossibilité d'accomplir cet objet.

Il prend fin aussi par le décès ou la faillite de l'un des associés, par l'ouverture à son égard d'un régime de protection ou par un jugement ordonnant la saisie de sa part.

[39]         La preuve révèle que depuis le milieu de l’année 2009, RC et EBR ont mis fin unilatéralement à la commercialisation et à la mise en marché des produits en exposant à la clientèle que les produits contenaient de l’amiante en dérogation avec la règlementation européenne.

[40]         Depuis la même période, AEMI n’a effectué aucune démarche de vente, de commercialisation ou de distribution de ses produits.

[41]         Au surplus, l’un des actionnaires minoritaires, RC (35 %), a entrepris une poursuite contre AEMI pour cause d’oppression.

[42]         En outre, l’administrateur de la société, Jean Rossow, n’a convoqué aucune assemblée des actionnaires pour présenter les états financiers de la société n’y même pour informer les actionnaires qu’une poursuite était entamée par cette dernière. Le Tribunal voit mal comment la société pourrait continuer d’accomplir son objet alors que l’associé responsable de la distribution et de la commercialisation à travers le monde ne croit tout simplement plus à la qualité du produit. Nous sommes donc en présence d’un cas où il devient impossible d’accomplir l’objet pour lequel la compagnie a été constituée au sens des articles du Code civil du Québec mentionnés précédemment. Il y a donc lieu de faire droit à la demande de nomination d’un liquidateur pour procéder à la liquidation et au partage des actifs de la société.

Les demandes reconventionnelles sont-elles bien fondées ?

Dossier : 655-17-000229-109

[43]         Face au recours en annulation de vente et en recouvrement du prix pour cause de défectuosité du produit, AEM se porte demanderesse reconventionnelle et réclame des frais de 3 000 $ pour la conservation et l’entreposage des produits vendus. Elle soutient qu’après l’achat des produits, EBR et RC ont négligé ou refusé de donner les instructions requises pour que la marchandise leur soit expédiée en Europe, et que c’était la façon de faire convenue entre les parties. Cette preuve n’ayant pas été contredite, le Tribunal fera droit à cette réclamation.

Dossier : 655-17-000309-125

[44]         Relativement au recours en oppression, les défenderesses reconventionnelles déposent, à peine deux mois avant le procès, une demande reconventionnelle dans laquelle elles réclament au-delà de 1 600 000 $ en dommages divers à EBR et RC, qui se détaillent sommairement comme suit :

- 500 000 $ pour l’absence de vente pendant trois ans;

- 350 000 $ en honoraires judiciaires et extrajudiciaires;

- 750 000 $ pour un site informatique et un nom de domaine;

[45]         La preuve révèle qu’au début du partenariat, AEM a transféré le nom de domaine de son site internet à RC et à EBR afin que celles-ci en actualisent l’image pour le bénéfice de la nouvelle compagnie alors formée, soit AEMI. Plus tard, dans le contexte de la confrontation née autour de la qualité du produit, ledit site internet a été fermé alors qu’il devait servir pour soutenir les ventes à travers le monde.

[46]         Devant le refus de RC de leur remettre la propriété du site internet et le nom de domaine «argileeaumer.com», AEM a dû s’astreindre à créer un nouveau site internet avec tout ce que cela implique : liste de clients à refaire, contact à réétablir avec      ceux-ci, avis de changement d’adresse du site internet, nouvelle publicité pour soutenir le tout, etc. [13] La preuve à cet effet permet d’estimer les coûts de reconstitution du site et diverses dépenses connexes à environ 6 500 $. S’ajoute à cela les troubles ennuis et inconvénients qui sont bien réels, mais plutôt difficiles à établir avec précision. Le Tribunal usera donc de sa discrétion pour arbitrer à la somme de 50 000 $ l’ensemble des dommages subis par AEM. Relativement à la réclamation pour l’absence de vente réalisée pendant près de trois ans, aucune preuve de perte de profits n’a été présentée pour soutenir ce qui ne constitue qu’une vague hypothèse.

[47]         Enfin, la réclamation de 350 000 $, ne peut être admise parce que les frais extrajudiciaires réclamés ne rencontrent pas les critères établis par la jurisprudence pour les octroyer; le Tribunal référant ici aux arrêts Viel et Royal LePage de la Cour d’appel qui marquent l’état du droit à cet égard.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DOSSIER : 655-17-000229-109

[48]         REJETTE la demande principale;

[49]         ACCUEILLE partiellement la demande reconventionnelle;

[50]         CONDAMNE les demanderesses-défenderesses reconventionnelles à payer à la défenderesse-demanderesse reconventionnelle la somme de 3 000 $, avec intérêt à compter de l’assignation majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article          1679 C.c.Q.;

[51]         AVEC DÉPENS.

DOSSIER : 655-17-000309-125

[52]         REJETTE la demande principale;

[53]         ACCUEILLE partiellement la demande reconventionnelle;

[54]         CONDAMNE les demanderesses-défenderesses reconventionnelles à payer à Argile Eau Mer inc.  la somme de 50 000 $ avec intérêt depuis l’assignation, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q.;

[55]         AVEC DÉPENS.

DOSSIER : 655-17-000243-118

[56]         ACCUEILLE la requête;

[57]         ORDONNE la liquidation, la dissolution et le partage des actifs de la société par actions «Argile Eau Mer International inc.»;

[58]         NOMME Madame Claire Chassé, comptable agréée de la firme Mallette inc., à titre de liquidateur de la société Argile Eau Mer International inc.;

[59]         AVEC DÉPENS.

 

 

 

__________________________________

JACQUES G. BOUCHARD, j.c.s.

 

 

Me Pascal Comeau

Prévost Fortin D’aoust

Procureurs de la demanderesse

 

Me Marie-Josée Bernier

Jean Rock Genest Avocats

Procureurs de la défenderesse

 

 

Date d'audience : 17 au 21 février 2014

Domaine du droit : Civil

 



[1]     Voir pièce P-5 dossier 655-17-000309-125.

[2]     Loi canadienne sur les sociétés par action, LRC (1985), ch. C-44.

[3]     Jacques Deslauriers, La vente, louage, contrat d’entreprise et de service , 2 e Édition, Wilson & Lafleur, 2013, p.165-166.

[4]     Jacques Deslauriers, préc., note 3, p.218, 220.

[5]     Voir pièces D-3, D-18 et P-3.

[6]     Voir pièce D-7.

[7]     Loi canadienne sur les sociétés par action, LRC (1985), ch. C-44.

[8]     BCE inc. et Bell Canada, 2008 CSC 68 .

[9]     Voir pièce D-10.

[10]    Voir pièce D-11.

[11]    Voir pièce D-19.

[12]    Voir pièce D-16.

[13]    Voir pièces D-20, D-22 et D-23.