ABB inc. et Syndicat des métallos, section locale 9486 (grief syndical)

2014 QCTA 316

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2014-5641

 

 

 

Grief no :

16 - Fermeture d’usine

 

 

 

Date :

            Le 28 avril 2014

 

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

            ME FRANÇOIS BLAIS, ARBITRE

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ABB INC.

Ci-après appelé « l’employeur »

 

 

Et

 

 

SYNDICAT DES MÉTALLOS, SECTION LOCALE 9486

Ci-après appelé « le syndicat »

 

 

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SENTENCE ARBITRALE

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Les préliminaires

[1]        Le 15 novembre 2012, l’arbitre soussigné a été désigné par les parties afin d’entendre et de disposer du grief de groupe 2012-16, déposé par le syndicat le 17 août 2012. L’audience de ce grief s’est déroulée à Longueuil les 26 juin et 13 septembre 2013 et le 21 février 2014. Les parties étaient représentées par Me  Pierre Hébert, pour l’employeur et monsieur Guy Gaudette pour le syndicat.

[2]        Dès le début de l’audience, les procureurs ont fait les admissions d’usage, à savoir que la procédure de grief prévue à la convention collective avait été régulièrement suivie et que j’étais, à titre d’arbitre, valablement saisi du litige. Le procureur du syndicat a déposé la convention collective de travail intervenue entre l’employeur et le syndicat, unité usine, de 2011 à 2014 (pièce S-1).

Le grief

[3]        L’arbitre est saisi du grief de groupe numéro 16, daté du 17 août 2012 concernant la fermeture complète de l’usine le 16 juillet 2012 et signé par le président du syndicat, monsieur Stéphane Ducharme (pièce S-2).

[4]        S-2 - extrait :

«  Nature du grief

Violation de la convention collective et tout article pertinant le ou vers le 16 juillet, l’employeur a agi de façon inéquitable et dangereux en permettant à des salariés de travailler après avoir aviser l’ensemble des salariés de ne pas se présenter au travail a l’occasion d’une fermeture complète de l’usine.

Règlement recherché

De rembourser l’ensemble des salariés cédulé de tout salaire perdu avec le maintient de leur droits et privilège et d’imposer à l’employeur des domages exemplaires.»

[5]        Le procureur du syndicat a produit la réponse de l’employeur en date du 10 septembre 2012, signée par madame Stéphanie Nadeau adressée aux mêmes personnes (pièce S-3).

[6]        S-3 - extrait :

«Monsieur Houle,

Par la présente, nous accusons réception du grief ci-haut mentionné.

À cet effet, sachez que nous en sommes présentement à étudier ce dossier.

En conséquence, nous vous communiquerons notre réponse sous peu.

Espérant le tout conforme. »

[7]        Le procureur du syndicat a demandé l’exclusion des témoins. Il a désigné comme représentant le président du syndicat, monsieur Stéphane Ducharme. Le procureur de l’employeur a désigné comme représentant le coordonnateur à l’entretien, monsieur Martin Roy. Messieurs Pierre Germain, directeur de la production et Olivier Houle, soudeur chez l’employeur et délégué du Comité de griefs du syndicat, ont été exclus de la salle d’audience.

Les faits

La preuve du syndicat

[8]     Le premier témoin du procureur du syndicat a été madame Stéphanie Nadeau, conseillère en ressources humaines chez l’employeur depuis le mois de janvier 2012, dont les attributions principales concernent le groupe des employés syndiqués de l’usine, ce qui exclut les employés de bureau affiliés à un autre syndicat. Dans le cadre de ses attributions principales elle doit, notamment, représenter l’employeur durant les comités de relations de travail (CRT) ainsi qu’à la procédure de règlement des griefs.

[9]    Madame Nadeau a admis qu’une rencontre a eu lieu le 24 mai 2012, en comité de relations de travail (CRT), concernant notamment la fermeture de l’usine le 16 juillet 2012. L’ordre du jour de cette rencontre du 24 mai 2012 a été déposé devant l’arbitre (pièce S-4).

[10]         S-4 - extrait :

« (…)

Sujets de discussion

Sujets ABB

1-             Relocalisation du local syndical

2-             Coupure d’eau du 16 juillet 2012

3-             Formation - 4 & 5 juin 2012

4-             Mise à jour sur les postes vacants

 

(…)»

 

[11]     C’est madame Nadeau qui a rédigé cet ordre du jour. Elle a mentionné que monsieur Tony Lebrasseur n’avait pas assisté à cette rencontre, même si son nom est inscrit comme participant de la partie syndicale. Monsieur Pierre Germain et elle-même représentaient l’employeur au cours de cette rencontre qui avait notamment comme but de discuter de la coupure d’eau du 16 juillet 2012 à l’usine. Il s’agissait d’aviser le syndicat de la fermeture de l’usine, occasionnée par un changement des compteurs d’eau. Cela impliquait la fermeture de l’alimentation en eau pour l’ensemble de l’usine situé à Varennes. Et cela voulait dire que les seuls employés qui travailleraient cette journée-là seraient ceux qui étaient directement affectés à cette tâche, ou au changement, ou à la réparation des compteurs d’eau. Le motif invoqué par l’employeur était à l’effet que l’usine serait complètement fermée pour des raisons de santé et de sécurité au travail.

[12]     Madame Nadeau a affirmé que l’employeur s’était aussi entendu avec le syndicat à l’effet qu’il y aurait deux salariés de l’entretien ou de la maintenance (les parties utilisent indifféremment les deux termes dans la convention collective) autorisés à travailler avec les employés de la Ville pour les diriger et les supporter dans leur travail. Madame Nadeau a, par la suite, nuancé cette affirmation en mentionnant qu’elle ne se souvenait pas du nombre de salariés dont il avait été question à ce moment-là. Cependant, tous les salariés de l’atelier d’entretien seraient affectés et cela n’impliquait toutefois pas qu’ils seraient tous présents, il n’en a pas été question, selon elle. Elle a ajouté qu’elle ne se souvenait pas si tous les employés devaient rentrer, mais ceux qui rentreraient au travail seraient affectés aux travaux de réparation ou entretien «  liés à cette fermeture-là  ».

[13]     Selon madame Nadeau, l’employeur a précisé la raison de la fermeture comme étant une question de santé et de sécurité au travail, car «  il n’y avait plus d’eau  » «  donc, s’il arrive quelque chose, par exemple un incendie, on ne pouvait pas garantir la sécurité des lieux  ». De plus, les installations sanitaires ne fonctionneraient pas. Or, c’est suite à ce comité de relations de travail (CRT) qu’il a été convenu d’une fermeture complète de l’usine. Elle a rédigé un avis à cet effet intitulé «  Fermeture de l’usine (16 juillet 2012) » (pièce S-5).

[14]     S-5 - extrait :

«  Veuillez prendre note que, pour des raisons techniques, l’alimentation en eau sera coupée la journée du 16 juillet prochain ce qui occasionnera une fermeture complète de l’usine pour cette journée précise.

 

 Compte tenu de la période de vacances commençant à cette date, la plupart des employés seront en congé, mais pour ceux et celles qui avaient prévus travailler cette journée, nous vous informons que ce congé sera à vos frais et que, par conséquent, vous devrez puiser dans votre temps banqué ou dans vos journées de vacances.

          Cette mesure doit être prise pour la santé et la sécurité de nos employés.

 

          Merci de votre coopération

          Le département des Ressources humaines

          Le 28 mai 2012 »

[15]     Ce communiqué a été affiché au babillard devant les deux portes d’entrée de façon à ce que tous les employés puissent en prendre connaissance. Madame Nadeau a ajouté que la fermeture complète touchait également les employés de bureau qui n’allaient pas travailler, non plus, cette journée du 16 juillet 2012.

[16]     Par ailleurs, l’employeur cesse normalement toutes ses opérations pendant les deux dernières semaines complètes de juillet et la première semaine d’août, selon l’article 15.09 a) de la convention collective et cette période débute en 2012, le dimanche 15 juillet, ce qui coïncide avec la période de vacances des employés. Toutefois, certains employés peuvent être appelés à travailler durant cette période, conformément à une liste affichée au babillard sur laquelle les salariés se rendent disponibles pour travailler, selon l’article 15.09 b) i) de la convention collective. Cette liste a été affichée au babillard quelques semaines avant le 15 juillet 2012.

[17]     Toujours selon madame Nadeau, il y avait plus de 80 salariés intéressés, ceux-ci n’étaient toutefois pas automatiquement sélectionnés, car cela dépendait des besoins de l’employeur. Il y a eu environ 65 salariés qui sont rentrés au travail durant cette semaine et, n’eût été de la fermeture le 16 juillet 2012, il y aurait probablement eu environ 65 salariés qui seraient rentrés au travail cette journée-là. Madame Nadeau a, de plus, précisé qu’aucun salarié de l’atelier d’entretien ne se retrouvait sur cette liste, ces salariés pouvant être requis de travailler durant deux semaines de la période normale de fermeture de vacances, selon l’article 15.12 a) de la convention collective.

[18]     Madame Nadeau a admis que certains salariés d’entretien avaient fait d’autres tâches que celles convenues au comité de relations de travail (CRT). Elle l’a appris lorsqu’elle est revenue de vacances après le 16 juillet 2012 et a admis que «  ce qui avait été convenu ou dit au CRT n’avait pas été respecté  ». Toujours selon madame Nadeau, il y a eu huit salariés de l’atelier d’entretien qui ont travaillé cette journée du 16 juillet 2012. Ils étaient présents lors de la réparation des compteurs d’eau au cas où il arriverait quelque chose «  comme brigade incendie  » et «  en back-up  », mais elle ne le savait pas exactement.

[19]     Madame Nadeau n’a pas pu confirmer s’il s’agissait surtout de tâches concernant la réparation qui avait été effectuée par les salariés de l’entretien. Elle n’a pas pu, non plus, confirmer si le fait d’avoir fait travailler les salariés de l’entretien cette journée-là, les avaient exposés à un risque pour leur santé et sécurité. Mais elle a admis «  que cela contrevenait à ce qu’on avait dit au syndicat  ». Enfin, elle a témoigné à l’effet que l’employeur avait installé une toilette sèche, des bacs à eau dans les salles de bain et des bouteilles d’eau étaient disponibles pour les salariés.

[20]     En contre-interrogatoire, madame Nadeau a souligné avoir signé la réponse de l’employeur au grief du syndicat en date du 10 septembre 2012 (pièce S-3). Elle a ajouté avoir donné une réponse verbale au grief, à l’effet que l’employeur «  poursuivait vers l’arbitrage  ». Cette réponse aurait été donnée au comité de griefs à messieurs Stéphane Ducharme et Olivier Houle, du syndicat, en présence de monsieur Pierre Germain directeur de la production. Elle a cependant reconnu ne pas avoir rédigé une réponse écrite à cet effet.

[21]     Or, le 16 juillet 2012, madame Nadeau n’était pas présente à l’usine et elle travaillait de la maison parce que les lieux étaient fermés. Elle n’a pas eu à «  gérer cette journée-là  », c’est plutôt monsieur Martin Roy, coordonnateur à l’entretien, qui était à l’usine le 16 juillet 2012. Elle a déposé un extrait des feuilles de temps des salariés qui ont travaillé cette journée-là (pièce E-1 en liasse). Il y a environ 235 salariés horaires à la production, syndiqués avec les Métallos, et huit de ces salariés du département de l’entretien ont travaillé cette journée-là, le 16 juillet 2012.

[22]     En réinterrogatoire, madame Nadeau a précisé avoir donné une réponse verbale au syndicat vers le début de l’année 2013, au cours d’une rencontre avec messieurs Ducharme et Houle, pour discuter du grief. L’arbitre a rejeté une objection du procureur de l’employeur concernant ces discussions et madame Nadeau a confirmé qu’il y avait eu des calculs faits par l’employeur concernant la réclamation du grief. Elle a maintenu qu’il y avait «  une discordance entre ce que monsieur Germain et elle-même avaient dit au cours du comité de relations de travail (CRT) et ce qui est arrivé par la suite  ».

[23]     Le deuxième témoin du syndicat a été monsieur Pierre Germain, à l’emploi de l’entreprise depuis juillet 2000 et, comme directeur de la production depuis quatre ans. Ses responsabilités sont reliées à la production, ce qui exclut le magasin et l’atelier d’entretien. Il a participé à une rencontre avec le syndicat le 24 mai 2012 concernant la fermeture du 16 juillet 2012, tel qu’il appert de l’agenda de la rencontre du 24 mai 2012 (pièce S-4). Il a été discuté des raisons de santé et de sécurité pour la fermeture complète de l’usine, «  sauf ceux à la réfection en cause  », c’est-à-dire les salariés de l’entretien.

[24]     Toujours selon monsieur Germain, le nombre de salariés de l’entretien n’a pas été fixé au cours de cette rencontre, mais ce devait être strictement les salariés associés à la conduite d’eau qui devaient travailler cette journée-là. Il a admis que la décision avait été prise de fermer l’usine pour des motifs de santé, de sécurité et de «  sanité ». D’ailleurs, c’est suite à une rencontre avec madame Lise Lacasse, responsable santé sécurité à l’usine, que l’employeur a pris la décision de ne pas faire travailler les salariés de la production dans ces conditions-là. Enfin, il a affirmé qu’il n’avait «  aucune idée  » si des salariés de l’entretien ont effectué des tâches autres que celles prévues lors de la rencontre du 24 mai 2012. Il a affirmé ne pas avoir reçu de plaintes de salariés, comme directeur de la production, sauf le grief déposé par le syndicat. Il a également répondu à une question du procureur du syndicat, qu’il n’était pas en mesure de dire s’il existait un risque spécifique pour les salariés de la production et/ou un risque spécifique pour les salariés de l’entretien, le 16 juillet 2012. Il a affirmé que ce n’était pas à lui de juger.

[25]     Le troisième témoin du procureur du syndicat a été monsieur Stéphane Ducharme qui travaille chez l’employeur depuis 24 ans et, au moment de l’audience, qui occupait un poste à l’assemblage final des enroulements. Il est président du syndicat local depuis le 15 novembre 2011. Il a expliqué que le litige découlant du grief venait d’une nouvelle disposition de la convention collective, l’article 5.01 j), visant à créer un comité de relations de travail (CRT) pour régler les problèmes.

[26]     Or, lors de la rencontre en CRT du 24 mai 2012, le syndicat a discuté avec l’employeur de la fermeture d’eau du 16 juillet 2012. Selon monsieur Ducharme, cela occasionnait une fermeture complète de l’usine. Il en a été discuté parce qu’il y avait des salariés cédulés pour travailler cette journée-là. Il a donc été convenu entre les parties que, comme il n’y aurait pas d’eau dans l’usine, il y avait un problème de santé et de sécurité. Toujours selon monsieur Ducharme, personne ne devait rentrer travailler cette journée-là, sauf deux salariés de l’entretien qui seraient utilisés pour «  superviser et diriger les gens de la Ville  ». Monsieur Ducharme a soutenu qu’il a été répété à plusieurs reprises durant le CRT «  que la direction s’engageait qu’il y aurait seulement ces personnes-là, pas même de salariés de bureau, parce que c’était dangereux cette journée-là  ». Monsieur Ducharme a identifié l’Avis de fermeture (pièce S-5) et a souligné en avoir pris connaissance par un courriel interne de l’employeur (pièce S-6).

[27]     Toujours selon monsieur Ducharme, l’avis de fermeture daté du 28 mai 2012 (pièce S-5) reflète les discussions survenues lors du comité de relations de travail (CRT) «  sauf les deux salariés de l’entretien…ce n’est pas écrit…mais ç’a été dit  ». Il a, de plus, ajouté qu’il n’est pas mentionné dans l’avis que les deux salariés auraient comme fonction d’informer et d’agir en support pour les employés de la Ville et « qu’il n’y avait pas d’autres travaux que ceux-là qui devaient être faits  », bien que cela ait fait l’objet d’une entente avec l’employeur en CRT.

[28]     Monsieur Ducharme a précisé que des salariés de la production s’étaient plaint, parce que d’autres travaux que ceux de la réfection d’eau avaient été faits le 16 juillet 2012 par des salariés de l’entretien. Monsieur Ducharme a ajouté «  on s’est entendu avec l’employeur qu’il n’y aurait pas de grief pour les travaux effectués sur les compteurs d’eau, s’il n’y avait pas d’autre travail que le travail d’information sur les compteurs d’eau parce que ce n’était pas sécuritaire  ».

[29]     Monsieur Ducharme a mentionné avoir eu des rencontres avec l’employeur après le 16 juillet 2012, parce que «  des salariés de l’atelier de l’entretien ont travaillé » . Il a relaté une rencontre durant la semaine du 6 août 2012, avec madame Stéphanie Nadeau, pour lui mentionner qu’il y avait eu d’autres travaux effectués cette journée du 16 juillet 2012. Elle lui a répondu qu’elle n’était pas au courant et qu’elle était pour «  regarder sur son côté et en discuter  ».

[30]     Monsieur Ducharme a mentionné avoir déposé le grief le 17 août 2012 parce qu’il s’agissait de la dernière journée avant d’être hors délai, selon la procédure de griefs. Le grief a été remis à madame Nadeau qui lui a mentionné que c’était à l’étude et qu’«  elle savait que la directive n’avait pas été respectée  ». Selon monsieur Ducharme, elle «  voulait calculer le nombre de salariés touchés et lui reviendrait avec ça  ».

[31]     Monsieur Ducharme a affirmé qu’il y a eu d’autres rencontres avec l’employeur en comité de relations de travail (CRT) et une explication aurait été fournie par l’employeur à l’effet que «  c’était hors du contrôle de la direction …il y a eu un gestionnaire qui a décidé de faire rentrer ses gens  ». Selon monsieur Ducharme, monsieur Pierre Germain a ajouté que c’était hors de son contrôle ou de sa juridiction. Monsieur Ducharme lui a répondu «  Qu’est-ce que ça donne de faire des rencontres si les directives ne sont pas suivies ? ». Monsieur Ducharme a souligné qu’on lui avait mentionné que «  la prochaine fois, ils iraient corroborer le mandat pour s’assurer que ce qui est dit soit respecté  ».

[32]     En contre-interrogatoire, monsieur Ducharme a affirmé que ce n’est qu’après le 16 juillet 2012 qu’on lui avait mentionné que l’entreprise avait un problème avec ses compteurs d’eau. La Ville de Varennes avait demandé à l’employeur de les changer parce qu’ils étaient défectueux, la consommation d’eau étant mesurée selon un estimé de la Ville. Toujours après le 16 juillet 2012, monsieur Ducharme a appris qu’un sous-traitant avait essayé de procéder à la réparation des compteurs d’eau durant le congé férié du 30 avril 2012 (pièce S-1, à la page 34). Or, il n’a été question que du changement des compteurs d’eau lors de la rencontre du 24 mai 2012. Il n’a pas été informé que l’employeur avait essayé de les remplacer par un sous-traitant le 30 avril 2012. Il a ajouté qu’il était préoccupé par les salariés qui s’étaient rendus disponibles pour travailler le 16 juillet 2012, alors que seulement deux d’entre eux avaient été désignés pour assister les employés de la Ville. Toujours selon monsieur Ducharme, il s’agissait d’un engagement qui avait été pris par monsieur Pierre Germain lors de la rencontre du 24 mai 2012 (pièce S-4).

[33]     Le procureur de l’employeur a cherché à savoir pourquoi monsieur Ducharme n’avait pas contacté madame Nadeau ou monsieur Germain, pour insister sur le fait que le nombre de deux salariés n’avait pas été précisé dans le mémo du 28 mai 2012 (pièce S-5) et que ces salariés n’agiraient que comme support aux employés de la Ville. Selon monsieur Ducharme, c’était clair et entendu entre eux au comité de relations travail (CRT), ce n’était pas nécessaire de le préciser dans le communiqué (pièce S-5).

[34]     Monsieur Ducharme a souligné qu’il y avait environ douze employés qui travaillaient à l’atelier d’entretien sous la supervision de monsieur Martin Roy, coordonnateur à l’entretien. Monsieur Ducharme a nié que monsieur Martin Roy ait demandé au groupe d’employés de l’atelier d’entretien s’ils acceptaient volontairement d’entrer travailler le 16 juillet 2012. Il a plutôt affirmé qu’il avait entendu dire que les salariés de l’entretien avaient fait la demande de travailler parce qu’ils ne voulaient pas perdre leur journée de fermeture lors du report de vacances. Monsieur Ducharme a admis qu’il y a eu huit salariés de l’entretien qui ont travaillé cette journée du 16 juillet 2012 et quatre autres ne sont pas entrés travailler, dont monsieur Tony Lebrasseur, membre de l’exécutif syndical.

[35]     Monsieur Ducharme a mentionné avoir reçu un appel du vice-président du syndicat qui lui a dit qu’«  il avait entendu parler, la journée précédente, que des salariés de l’atelier d’entretien seraient pour rentrer au travail pour faire d’autres travaux » . Toujours selon monsieur Ducharme, «  les salariés l’avaient demandé au contremaître Martin Roy qui leur avait accordé cette permission  ». Monsieur Ducharme a placé un appel téléphonique à monsieur Roy «  pour savoir si c’était vrai que d’autres salariés rentreraient dans l’usine  ». Selon monsieur Ducharme, monsieur Roy était évasif au début et a mentionné qu’«  il y aurait plus que deux salariés comme support  ». Il lui a demandé combien et la réponse a été «  sept ou huit   en back-up pour les travaux  ». Par la suite, il a ajouté qu’ « il y aurait d’autres travaux à effectuer parce que la charge de travail était trop grande et qu’on avait juste trois semaines de shut down pour tout faire » . Monsieur Ducharme lui a répondu «  que ça ne marcherait pas parce qu’il y avait une entente avec la direction…que c’était deux personnes en support pour les travaux de réfection de tuyaux d’eau  ». Monsieur Ducharme a ajouté qu’il était fort probable que s’il y avait d’autres travaux faits cette journée-là, il n’aurait pas le choix de déposer un grief « parce que la clause de santé-sécurité ne tenait plus  ». Cela occasionnerait des problèmes et de la frustration. La réponse de monsieur Roy aurait été «  tu feras ce que tu as à faire  ».

[36]     Monsieur Ducharme a nié que monsieur Roy lui avait dit qu’il demanderait à tous les salariés de rentrer sur une base volontaire. Il a cependant admis que monsieur Roy lui avait mentionné que, s’il y avait un problème avec le remplacement des compteurs d’eau, il voulait être certain d’avoir les ressources en place pour remédier au problème. Et s’il n’avait pas besoin d’eux, il leur ferait faire du travail régulier.

[37]     Le procureur de l’employeur a suggéré à monsieur Ducharme qu’il lui aurait répondu de «  les faire attendre à la cafétéria, mais pas pour travailler sur des jobs normales pour éviter des problèmes  ». Monsieur Ducharme a répondu que ce n’était pas exactement ce qu’il avait dit. Il lui aurait plutôt dit qu’il y avait une entente avec la direction pour déterminer quels travaux étaient de réfection et que, s’il faisait travailler les salariés à d’autres tâches, il y aurait sûrement des plaintes. Cela créerait des problèmes et même des griefs.

[38]     Le quatrième témoin du procureur du syndicat a été monsieur Olivier Houle qui travaille comme soudeur chez l’employeur depuis 10 ans. Il agit également comme secrétaire financier et délégué du comité de griefs du syndicat. Il a assisté au comité de relations de travail (CRT) tenu le 24 mai 2012 (pièce S-4).

[39]     Selon monsieur Houle, le sujet de la «  coupure d’eau du 16 juillet 2012  » a été amené par l’employeur et discuté par les membres du comité. Il a rappelé que le comité de relations de travail (CRT) avait été créé lors de la dernière négociation de la convention collective pour tenter de régler les problèmes et trouver des solutions, afin d’éviter les conflits. Il a spécifiquement référé à l’article 5.01, sous-paragraphe j), 1 à 4 (pièce S-1, aux pages 13 et 14).

[40]     Selon monsieur Houle, c’est monsieur Pierre Germain, directeur de la production, qui a amené le sujet, en expliquant qu’il voulait éviter des problèmes lors de la fermeture complète de l’usine le 16 juillet 2012. Monsieur Houle a rappelé que cette journée était visée par la liste des employés qui ont inscrit leur disponibilité pour travailler durant la semaine à compter du 16 juillet 2012.

[41]     Monsieur Germain aurait mentionné que la Ville voulait faire des travaux et il aurait demandé s’il pouvait y avoir deux salariés de l’atelier d’entretien «  attitrés uniquement avec la Ville s’ils avaient un besoin d’outils et, en cas de prévention, si un employé de la Ville a besoin d’aide.  » Toujours selon monsieur Houle, le nombre de salariés a été déterminé à un maximum de deux en CRT pour éviter d’avoir un grief. D’ailleurs, la fermeture était complète et visait autant l’usine que les bureaux.

[42]     Monsieur Houle a souligné que l’avis de fermeture de l’usine pour le 16 juillet 2012 (pièce S-5) avait été affiché aux portes de l’usine, dans les corridors et sur le babillard.

[43]     Monsieur Houle a expliqué qu’à son retour de vacances, le 6 août 2012, il a effectué une enquête, comme délégué du comité de griefs, après avoir été avisé par le président, monsieur Ducharme, et par des travailleurs, que l’employeur n’avait pas respecté l’entente prise avec le syndicat au cours du comité de relations de travail (CRT), le 24 mai 2012 (pièce S-4).

[44]     Son enquête a révélé qu’il y a eu huit salariés de l’atelier d’entretien qui ont travaillé le 16 juillet 2012. Ces salariés ont été identifiés sur un extrait des feuilles de temps, déposé par l’employeur (pièce E-1 en liasse). Son enquête l’a amené à conclure que ces salariés «  avaient travaillé sur chacune de leur tâche respective de tous les jours.  » Monsieur Patrick Bourque lui a mentionné qu’« il avait travaillé sur une nouvelle installation de panneaux électriques sur le sand blass.  » Il a été aidé par monsieur Patrick Binette. Par ailleurs, monsieur Christian Croisetière «  a fait de la soudure sur des tuyaux de chauffage de 4 pouces dans le sous-sol  ». Il a été aidé par monsieur Gilles Neveu. Ensuite, monsieur Jean-François Savage a «  travaillé sur des tuyaux d’eau du compresseur au sous-sol  ». Monsieur Michel Champagne «  a été attitré sur les ponts roulants de la ligne d’assemblage.  » Par ailleurs, monsieur Houle n’a pas pu se souvenir où avaient travaillé messieurs Alexandre Provençal et Réjean Beaudry le 16 juillet 2012. Cependant, selon lui, le travail qui a été effectué par les salariés de l’atelier de maintenance le 16 juillet 2012 sortait du cadre de l’entente prise au comité des relations de travail (CRT) le 24 mai 2012, parce qu’il y avait eu entente avec l’employeur pour un maximum de deux salariés «  qui étaient attitrés avec les gens de la Ville.  » C’est ce qui a amené le syndicat à déposer un grief le 17 août 2012 (pièce S-2).

[45]     Monsieur Houle a rappelé que l’employeur cesse normalement toutes les opérations pendant les deux dernières semaines complètes de juillet et la première semaine d’août, selon l’article 15.09 a) (pièce S-1, à la page 43). Il y a alors possibilité pour les salariés de se rendre disponible lors de la fermeture, en inscrivant leur nom sur une liste, tel que prévu à l’article 15.09 b) i) (pièce S-1, à la page 43). Cette liste est affichée deux semaines à l’avance et est remise au syndicat 48 heures avant la fermeture. Monsieur Houle a affirmé que le syndicat n’en avait pas reçu copie. Le syndicat en a fait la demande au CRT et l’employeur a répondu que le syndicat l’avait déjà reçue; il a, par conséquent, refusé la demande du syndicat.

[46]     Monsieur Houle a ajouté qu’il avait reçu des plaintes de salariés. Par exemple, monsieur Michel Martin, soudeur à la production, et monsieur Raymond McDuff, également salarié de la production, qui auraient voulu travailler le 16 juillet 2012.

[47]     En contre-interrogatoire, monsieur Houle a admis qu’il y avait douze salariés à l’atelier d’entretien et que huit d’entre eux sont rentrés au travail le 16 juillet 2012. Il y a donc quatre salariés de l’atelier d’entretien qui ne sont pas rentrés au travail. Ce sont messieurs Luc Shink et Tony Lebrasseur, qui étaient en vacances le 16 juillet 2012, et deux autres travailleurs que monsieur Houle n’a pas pu identifier.

[48]     En réponse aux questions du procureur de l’employeur, monsieur Houle a ajouté que messieurs Croisetière et Neveu avaient changé des valves de chauffage, en plus des travaux de soudure qu’ils ont faits le 16 juillet 2012. Monsieur Houle a admis qu’il n’avait pas demandé aux travailleurs, durant son enquête, s’ils avaient fait des travaux reliés aux compteurs d’eau. Monsieur Houle a été forcé d’admettre que les deux personnes salariées de l’atelier d’entretien, qui auraient aidé au changement des compteurs d’eau le 16 juillet 2012, n’avaient pas été identifiées lors du CRT le 24 mai 2012. De plus, il n’a pas pu préciser, lors de son enquête, «  quels étaient les salariés qui avaient été attitrés aux gens de la Ville  » pour la journée du 16 juillet 2012. Il a dû ajouter que personne «  ne lui avait dit qu’il avait donné un coup de main à la Ville  ». De plus, il a admis que l’exception des deux salariés de l’atelier d’entretien ne se retrouvait pas dans l’avis du 28 mai 2012 (pièce S-5).

[49]     Enfin, lors de fermetures précédentes, par exemple durant les vacances d’été, monsieur Houle a admis que les salariés n’étaient pas obligés de donner une disponibilité durant cette période.

[50]     Le cinquième témoin du procureur du syndicat a été monsieur Patrick Bourque qui travaille chez l’employeur depuis 9 ans comme électromécanicien à l’atelier d’entretien. Il a reconnu avoir pris connaissance de l’avis de fermeture de l’usine du 28 mai 2012 (pièce S-5). Il a affirmé avoir travaillé à l’usine le 16 juillet 2012, tel qu’en fait foi sa feuille de temps pour la période du 16 au 20 juillet 2012 (pièce E-1 en liasse). Il a également affirmé avoir vu au travail les autres salariés dont les feuilles de temps ont été déposées devant l’arbitre (pièce E-1 en liasse). C’est le coordonnateur à l’entretien, monsieur Martin Roy, qui lui a demandé pour travailler cette journée-là et il a été «  attitré au sand blass  » et au contrôle automatisé de cet équipement. Il a travaillé en collaboration avec monsieur Patrick Binette, qui a travaillé à l’intérieur du «  sand blass  » alors que lui-même a travaillé à l’extérieur de cet équipement. Il a relaté avoir fait toute la journée de travail lors de l’arrêt planifié du 16 juillet 2012. Il n’a cependant pas travaillé sur les compteurs d’eau et «  n’a pas accompagné les gens de la Ville  ». Il n’a pas vu, non plus, d’autres travailleurs les accompagner. Selon lui, ce sont messieurs Réjean Beaudry et Gilles Neveu qui avaient été «  attitrés à travailler avec les gens de la Ville  », c’est-à-dire ceux qui avaient été engagés par l’employeur pour faire la modification de l’entrée d’eau le 16 juillet 2012.

[51]     Selon monsieur Bourque, l’employeur avait pris des mesures particulières le 16 juillet 2012. Il y avait des bouteilles d’eau disponibles à la cafétéria, des récipients de cinq gallons dans les toilettes et une toilette sèche. Toujours selon monsieur Bourque, il y avait les risques normaux associés au travail en usine et un risque plus élevé dû au fait qu’il n’y avait pas d’approvisionnement en eau dans l’usine cette journée-là. Enfin, monsieur Bourque a affirmé que le coordonnateur Roy ne lui avait pas demandé de rentrer au travail pour agir en support au sous-traitant ayant la responsabilité de changer les compteurs d’eau.

[52]     En contre-interrogatoire, monsieur Bourque a admis qu’il n’était pas obligé de rentrer au travail le 16 juillet 2012, tout comme d’ailleurs ses autres confrères de travail. Monsieur Bourque a expliqué qu’il y a eu une rencontre avec le coordonnateur en entretien, monsieur Roy, le matin du 16 juillet 2012, pour les assigner au travail et leur demander d’être plus attentifs parce qu’il n’y avait pas d’eau dans l’usine. Il leur fallait donc être plus vigilants que d’habitude. Il a donc fait une journée complète de travail, de 7 h 15 à 20 h 01, et il a souligné qu’il aurait pu partir plus tôt s’il avait voulu. Monsieur Bourque a expliqué que le travail fait par le sous-traitant de la Ville s’était passé à l’avant de l’entreprise, dans la chambre à compteurs, au sous-sol. Il a été appelé à redémarrer l’alimentation électrique vers la fin de la journée de travail, entre 17 h et 18 h 30, car le travailleur attitré au sous-traitant de la Ville avait terminé à 16 h.

La preuve de l’employeur

[53]         Le procureur de l’employeur a fait témoigner le coordonnateur à l’entretien, monsieur Martin Roy, qui a expliqué qu’il y avait douze salariés syndiqués et un ingénieur qui composaient l’atelier de l’entretien. Monsieur Roy a référé à la Liste des tâches et pointages, que l’on retrouve à l’annexe « F » de la convention collective (pièce S-1, à la page 91). Il a ainsi identifié les items 6-07, 6-10, 6-11, 6-12 et 6-14, ce qui correspond à cinq tâches et 12 employés syndiqués. Ces employés s’occupent de l’entretien du bâtiment et l’entretien des équipements de production et des projets d’amélioration. Leur horaire de travail se répartit sur trois quarts de travail : le jour, le soir et la fin de semaine. Il s’agit de quarts de travail de 10 heures, de 7 h 30 à 16 h pour le quart de jour et de 16 h à 24 h 30 pour le quart de soir. L’horaire de fin de semaine s’établit les vendredi, samedi et dimanche, de 7 h 30 à 18 h. Il s’agit d’une équipe de fin de semaine.

[54]         Monsieur Roy a expliqué que l’usine était alimentée en eau par les installations de la Ville de Varennes. Il y a une conduite principale provenant de la municipalité, qui se sépare en deux, dans une chambre souterraine, et fournit les installations de l’employeur en eau domestique comme étant «  l’eau bonne à boire  », celle utilisée pour les toilettes et les équipements de production, et une autre entrée afin d’assurer la protection incendie. Il a déposé une photo des installations de l’employeur qui fait apparaître la ligne de conduite d’eau (pièce E-2). On y aperçoit une chambre des compteurs souterraine où se divise l’alimentation en eau pour les besoins domestiques ou d’incendie. On y retrouve les compteurs et les valves nécessaires au fonctionnement de l’approvisionnement en eau. Ces valves sont la propriété de l’employeur et permettent de contourner l’approvisionnement en eau lorsque c’est nécessaire. Monsieur Roy a ajouté que les compteurs étaient séparés des valves par un mur de béton. Il a déposé une photo exhibant l’accès à la chambre des compteurs souterraine dans cette installation (pièce E-3).

[55]         Le 25 octobre 2011, l’employeur est avisé par la Ville de Varennes d’une défectuosité de ses compteurs d’eau. La Ville demande à l’employeur de remplacer les compteurs et de l’informer du moment où cela serait fait (pièce E-4).

[56]         L’employeur a confié la responsabilité du remplacement des compteurs d’eau à monsieur Roy, qui a contacté une firme spécialisée pour le remplacement de ceux-ci. Le mandat a été confié à «  Compteurs Le compte  ». Une photo de l’état de vétusté des compteurs a été déposée devant l’arbitre (pièce E-5). Il s’agissait, selon monsieur Roy, de travaux d’envergure à un haut niveau de risque, vu leur état. Une date a été fixée au 30 avril 2012, pendant un jour férié chez l’employeur. Il n’était pas prévu d’arrêter la production, mais plutôt d’utiliser la voie de contournement lors du remplacement des compteurs. C’est ainsi que le travail a débuté le 30 avril 2012 et n’a pas pu être complété parce qu’il était trop risqué de manipuler les valves en étant incapable de les fermer complètement. Il y avait un risque d’inonder la chambre souterraine parce que la valve n’était pas étanche. Il faut remarquer qu’elle avait été très peu utilisée depuis son installation en 1969.

[57]         L’entrepreneur s’était présenté sur place avec ses employés. Messieurs Martin Roy et Réjean Beaudry l’assistaient dans les travaux. Par conséquent, il a été décidé de changer les valves et les compteurs. Il s’agissait d’un plus gros travail que prévu, c’est la valve principale d’alimentation de la Ville de Varennes qui devait être coupée, donc toute l’alimentation en eau dans l’usine. Il fallait remplacer les deux compteurs et les valves. Monsieur Roy a d’abord contacté les assureurs de la compagnie pour suivre leurs recommandations, notamment en matière de risque d’incendie, si l’alimentation en eau était coupée dans l’usine. Il a également contacté le directeur de la production, monsieur Pierre Germain, pour l’aviser des travaux, ce qui impliquait de restreindre l’accès aux installations.

[58]         Monsieur Roy a souligné qu’il avait planifié de garder disponible du personnel de l’entretien au cas où il y aurait des problèmes pour le remplacement des compteurs et des valves. Il en avait discuté avec monsieur Germain et voulait également que les travaux soient faits dans la même journée. On a opté pour la première journée de la fermeture, le 16 juillet 2012, pour éviter de prolonger la fermeture annuelle. Monsieur Roy a expliqué que, durant la période de vacances, les salariés de l’entretien pouvaient avoir à travailler deux semaines sur trois durant la période de fermeture.

[59]         Monsieur Roy a affirmé qu’il avait mentionné aux salariés de l’entretien qu’ils n’étaient pas obligés de rentrer au travail et que ceux qui décideraient de rentrer au travail auraient des restrictions, comme ne pas faire de «  travail à chaud  » cette journée-là. Il leur a mentionné qu’il y aurait de l’eau en bouteille, une toilette sèche à leur disposition et des contenants d’eau à utiliser dans les toilettes en usine. Il a ajouté «  qu’ils seraient les yeux et les oreilles de l’employeur dans l’usine si quelque chose d’anormal se passait  ».

[60]         Monsieur Roy a souligné qu’il voulait pouvoir compter sur de la main-d’œuvre qualifiée, sur place, si des difficultés apparaissaient lors du changement des compteurs et des valves. Il a rappelé qu’il s’agissait de travaux de grande importance, jamais faits auparavant, et qu’il y a souvent des imprévus auxquels une main-d’œuvre qualifiée peut pallier, d’autant plus qu’il y avait eu des problèmes le 30 avril 2012. Il voulait surtout finir ce qui avait été commencé dans la même journée.

[61]         Monsieur Roy est revenu sur les restrictions qu’il avait imposées au travail des salariés de l’entretien le 16 juillet 2012, en leur demandant de limiter la coupe au chalumeau, le meulage et tous les types de travaux qui génèrent des flammes ou une source de chaleur. Il avait exigé d’en être avisé pour le contrôler, le cas échéant. De plus, la compagnie d’alarme avait été avisée et la Ville de Varennes avait recommandé l’installation d’une ligne temporaire de raccord en eau en cas d’incendie. Une équipe de pompiers avait été placée en attente pour cette journée par la Ville de Varennes.

[62]         Monsieur Roy a mentionné que messieurs Guy Tremblay, Dominique Blanchard, Luc Shink et Tony Lebrasseur n’avaient pas travaillé le 16 juillet 2012. Parmi ceux-ci, messieurs Shink, Blanchard et Tremblay avaient refusé, alors que monsieur Lebrasseur était en vacances. C’est donc huit salariés de l’entretien qui sont rentrés au travail le 16 juillet 2012.

[63]         Monsieur Roy a ajouté que deux employés ont travaillé sur les valves à l’intérieur du bâtiment, il s’agit de messieurs Gilles Neveu et Christian Croisetière, les autres étaient en « stand-by » . Selon monsieur Roy, monsieur Beaudry est allé à quelques occasions dans la chambre des compteurs pour brancher et débrancher l’alimentation électrique. Deux autres salariés ont «  donné un coup de main à Compteurs Le Compte  », comme il a été dit : monsieur Patrick Bourque et monsieur Jean-François Savage, qui a fait de la manipulation avec un chariot élévateur. Cependant, messieurs Beaudry, Savage et Bourque ont travaillé à leur travail régulier, selon les consignes qui leur avaient été données.

[64]         Monsieur Roy a expliqué qu’il arrive que les salariés de la production soient utilisés pour aider les salariés de l’entretien durant la période de fermeture annuelle « shut down  ». Il y a, en moyenne, entre dix à douze salariés qui peuvent être utilisés comme aides à l’entretien pendant les périodes de fermeture annuelle. Les salariés de la production se rendent disponibles, sur une liste établie par le superviseur, dans chaque département concerné, sans y être obligés, selon l’article 15.09 b) i) de la convention collective. Ces salariés de la production sont soumis à un régime de travail différent des salariés de l’entretien, qui peuvent être requis de travailler durant deux des trois semaines de la période de fermeture de vacances, selon l’article 15.12 de la convention collective.

[65]         En contre-interrogatoire, monsieur Roy a admis avoir vu, affiché au babillard, l’avis du 28 mai 2012 concernant la fermeture de l’usine le 16 juillet 2012 (pièce S-5). Il n’était pas en mesure de confirmer que cet avis était le résultat d’une entente entre la direction et le syndicat, mais il savait que l’usine était pour être complètement fermée le 16 juillet 2012.

[66]         Monsieur Roy a confirmé qu’il avait décidé de faire rentrer des salariés du département d’entretien le 16 juillet 2012. Il y a eu huit salariés parmi les 12 salariés du département d’entretien qui sont rentrés au travail (pièce E-1 en liasse). Monsieur Roy a expliqué qu’il voulait un maximum de salariés qualifiés au travail sur place, pour être certain de pouvoir compléter les travaux de remplacement des compteurs d’eau prévus le 16 juillet 2012, compte tenu de l’ampleur et de la complexité des travaux à réaliser qui n’avaient pas pu être complétés le 30 avril 2012.

[67]         Le sous-traitant avait une équipe de quatre salariés et il s’assurait d’avoir huit salariés de l’entreprise à sa disposition s’il devait faire face à un problème semblable à ce qui était arrivé le 30 avril 2012. Monsieur Roy a ajouté que, selon son expérience, il était justifié d’avoir une équipe de salariés qui pourrait agir en soutien aux travaux de remplacement des compteurs d’eau. Il n’a pas requis d’autorisation pour procéder de la sorte, et ce, en dépit de l’avis de fermeture d’usine du 28 mai 2012 (pièce S-5). Monsieur Roy a souligné qu’il n’avait pas à obtenir d’autorisation pour prendre les mesures nécessaires pour que les travaux soient complétés dans la journée du 16 juillet 2012. Parmi les huit salariés qui sont rentrés au travail sur une base volontaire le 16 juillet 2012, il y en a cinq qui ont été affectés aux compteurs d’eau. Messieurs Neveu et Croisetière y ont travaillé exclusivement, messieurs Savage, Bourque et Beaudry y ont travaillé de façon ponctuelle et messieurs Provost, Champagne et Binette ont accompli leurs tâches régulières. Par exemple, monsieur Croisetière a coupé un tuyau pour le modifier, sous la supervision de monsieur Roy, pour permettre de nouveau l’approvisionnement en eau. Il y a eu également du travail sur les tuyaux de chauffage. Monsieur Roy a nié «  avoir subi de la pression des salariés pour rentrer au travail  » le 16 juillet 2012. Il a réitéré avoir offert ce travail sur une base volontaire au cas où on aurait besoin de leur service. D’ailleurs, ce ne sont pas tous les salariés du département d’entretien qui ont accepté de rentrer au travail cette journée-là.

[68]         Monsieur Roy a ajouté avoir communiqué avec monsieur Pierre Germain vers le début du mois de mai 2012, après l’échec des travaux du 30 avril 2012, pour s’assurer d’un nombre restreint de salariés disponibles lors du changement des compteurs d’eau. Selon monsieur Roy, c’est monsieur Pierre Germain qui a décidé de faire les travaux le 16 juillet 2012 parce que l’usine était déjà fermée. Toujours selon monsieur Roy, monsieur Germain ne connaissait pas ses besoins dans le détail au début du mois de mai 2012. Par exemple, il n’a pas été question du nombre de salariés nécessaires, mais il a été question d’un nombre restreint de salariés qui serait disponible pour soutenir le sous-traitant, le cas échéant, lors du remplacement des compteurs d’eau.

[69]         Monsieur Roy a admis que des restrictions avaient été imposées au travail à accomplir le 16 juillet 2012. Par exemple, il ne devait pas y avoir de travail à chaud, mais il a dû superviser une soudure dans le cadre du remplacement des compteurs d’eau, sinon on ne pouvait pas repartir l’usine. Il a ajouté que, si des salariés ne se sentaient pas en sécurité, ils pouvaient quitter l’usine, car ils étaient présents au travail sur une base volontaire.

[70]         En réinterrogatoire, monsieur Roy a souligné que le sous-traitant avait travaillé à l’intérieur de la chambre des compteurs souterraine (pièce E-5), telle qu’identifiée par la ligne pointillée bleue des installations de l’employeur (pièce E-2). Monsieur Roy a ajouté qu’il avait profité de la fermeture de l’usine pour changer les valves, qui devaient être changées depuis longtemps, afin d’éviter une nouvelle coupure d’eau à un autre moment dans l’année. En réponse à une question du procureur du syndicat, monsieur Roy a admis que les travaux faits par messieurs Croisetière et Neveu étaient des travaux urgents et importants, même s’il avait requis leur présence sur une base volontaire.

L’argumentation

Argumentation du syndicat

[71]         Le procureur du syndicat soumet que le grief déposé par le syndicat (pièce S-2) soulève quatre questions :

1.     Est-ce que le 16 juillet 2012, l’employeur a agi de façon juste et équitable envers les salariés de la production par rapport à ceux de l’entretien?

2.     L’employeur a-t-il mis en danger la sécurité et la santé des salariés qui ont travaillé le 16 juillet 2012?

3.     Est-ce que les salariés de la production, au nombre de 65 selon madame Nadeau qui avaient donné leurs noms pour être disponibles pour travailler, ont droit au remboursement monétaire équivalant à la journée du 16 juillet 2012, à cause du préjudice qu’ils ont subi?

4.     Selon le procureur du syndicat, l’employeur a été de mauvaise foi dans le présent litige de sorte qu’il y a lieu de lui imposer des dommages exemplaires en l’espèce.

[72]         Le procureur du syndicat souligne que le 16 juillet 2012 est le premier jour de la période où l’employeur cesse normalement ses opérations. Il s’agit des deux dernières semaines de juillet et de la première semaine du mois d’août, selon l’article 15.09 a) de la convention collective (pièce S-1 à la page 43). En 2012, il s’agissait de la période du 15 juillet au 5 août. Par ailleurs, si l’employeur désire faire exécuter du travail pendant les périodes de fermeture, il doit donner la possibilité de travailler aux salariés par ordre d’ancienneté. Le superviseur établit la liste des salariés qui se rendent disponibles, soit sur l’entretien, soit sur la production et dans chaque département concerné, conformément à l’article 15.09, sous paragraphe B) i) de la convention collective (pièce S-1 à la page 43).

[73]         Le procureur du syndicat invoque l’article 1.01 de la convention collective (pièce S-1 à la page 4) qui stipule que l’employeur doit reconnaître le syndicat comme représentant exclusif des salariés lorsqu’il désire négocier des amendements ou des additions à la convention collective. Il ajoute que les parties se sont données comme objectif de favoriser le maintien d’un niveau élevé de prudence et de sécurité, conformément à l’article 23.01 de la convention collective (pièce S-1 à la page 65). Le procureur du syndicat soumet que l’employeur n’a pas respecté cet engagement le 16 juillet 2012 lorsqu’il a demandé à monsieur Bourque de procéder à une soudure, même si c’était sous la supervision de monsieur Roy. Le risque d’incendie était très élevé.

[74]         Par ailleurs, l’employeur a complètement ignoré le comité de relations de travail (CRT) créé par les dispositions de l’article 5.01 de la convention collective (pièce S-1 à la page 13). Pourtant, il avait été discuté de la coupure d’eau du 16 juillet 2012 au comité des relations de travail le 24 mai 2012 (pièce S-4) et qui a donné lieu à l’avis de fermeture d’usine du 16 juillet 2012 (pièce S-5). L’employeur a agi comme s’il n’y avait pas eu de recommandation du comité. Il faut insister sur le fait que, lors de la rencontre du 24 mai 2012, il avait été convenu entre les représentants du syndicat et de l’employeur que deux salariés de l’entretien seraient affectés spécifiquement et uniquement à fournir un support au sous-traitant. L’employeur, en dépit de l’entente, a décidé de faire rentrer huit salariés au département d’entretien (pièce E-1 en liasse) et certains d’entre eux ont effectué leurs tâches normales de travail. D’ailleurs, madame Nadeau a reconnu que tout cela allait à l’encontre de tout ce qui avait été négocié, ce qui fait dire au procureur du syndicat que l’employeur était de mauvaise foi.

[75]         Le procureur du syndicat a trouvé aberrant que l’employeur prenne autant de mesures pour accommoder les huit salariés, alors que tous les autres salariés de la production voulaient travailler et n’ont pas eu accès aux mêmes privilèges et conditions qui ont été fournis à ces huit salariés.

[76]         Le procureur du syndicat rappelle que le but de la convention collective a été précisé par les parties (pièce S-1 à la page 4). Il s’agit de promouvoir et favoriser des relations de travail harmonieuses et ordonnées entre l’employeur et ses salariés, d’établir certaines règles devant régir leurs relations, d’atteindre un haut niveau d’efficacité dans l’exploitation des affaires de l’employeur, d’établir des conditions de travail uniformes et équitables pour les salariés, tout en facilitant la solution des problèmes sous la juridiction de la présente convention collective.

[77]         Le procureur du syndicat insiste sur ce que les parties ont convenu à la fin de cet article « qu’il est de leur devoir de coopérer entièrement à la réalisation de ces buts et intentions. » Or, selon le procureur du syndicat, l’employeur n’a pas agi en vue de favoriser des relations harmonieuses avec le syndicat. D’une part, en ignorant ce qui avait été convenu en CRT et d’autre part, en favorisant les salariés de l’entretien, en leur permettant de rentrer au travail sur une base volontaire, sous prétexte qu’il s’agissait de travaux urgents et importants à réaliser, et ce, au détriment des autres salariés qui s’étaient pourtant rendus disponibles, conformément à l’article 15.09 b) de la convention collective (pièce S-1 à la page 43).

[78]         Dans les circonstances, le procureur du syndicat demande d’accueillir le grief, de réserver juridiction sur le quantum y compris les dommages exemplaires.

Argumentation de l’employeur

[79]         Le procureur de l’employeur suggère de procéder à la revue des faits pour ensuite analyser les dispositions de la convention collective et répliquer aux arguments du procureur du syndicat. Il souligne que le 25 octobre 2011, l’employeur a reçu une mise en demeure de la Ville de Varennes pour remplacer ses compteurs d’eau, ceux-ci étant défectueux (pièce E-4).

[80]         L’employeur a retenu les services d’une firme spécialisée dans le remplacement des compteurs d’eau et le travail devait se faire le 30 avril 2012, durant un congé férié, alors qu’il y a moins d’activités dans l’usine. Cependant, ce travail a dû être interrompu parce qu’on a rencontré un problème avec les compteurs d’eau ainsi que les valves qui étaient défectueuses. Il n’y a pas eu de conséquences fâcheuses parce qu’on avait utilisé un «  by pass  », mais on n’a pas pu procéder aux travaux, car on aurait dû arrêter toute l’alimentation en eau pour changer les compteurs et les valves. Il a donc été décidé par messieurs Germain et Roy de procéder aux les travaux lors de la première journée de la période de fermeture annuelle «  shut down » en été, le 16 juillet 2012.

[81]         Le procureur de l’employeur a rappelé que monsieur Roy était le maître d’œuvre des travaux et le seul qui a été présent toute la journée, à part monsieur Houle qui a été présent une partie de la journée. C’est donc dire que madame Nadeau et monsieur Ducharme n’étaient pas présents sur les lieux le 16 juillet 2012. Le procureur de l’employeur a soumis que le témoignage de monsieur Roy n’avait pas révélé de mauvaise foi de sa part ni de contradiction sur ce qui s’était passé le 16 juillet et après le 28 mai 2012.

[82]         Selon le procureur de l’employeur, monsieur Roy a relaté qu’une fois l’avis de fermeture de l’usine affiché (pièce S-5), les salariés de la maintenance lui avaient demandé ce qui arriverait dans leur cas, le 16 juillet 2012. Il leur a dit qu’ils pouvaient rentrer au travail s’ils le voulaient, mais ils n’étaient pas obligés de le faire. Il a ajouté que ceux qui étaient pour rentrer au travail allaient avoir des restrictions telles que, pas de travail à chaud, pas de chalumeau, pas de meulage et ainsi de suite.

[83]         Toujours selon le procureur de l’employeur, monsieur Roy a insisté sur l’aspect volontaire des salariés qui ont décidé de rentrer au travail. Il y en a trois qui ne se sont pas déclarés volontaires, messieurs Tremblay, Blanchard et Shink. Monsieur Tony Lebrasseur était en vacances. Monsieur Bourque a d’ailleurs témoigné à l’effet que la présence au travail était volontaire. C’est ainsi que le 16 juillet 2012, huit salariés sont rentrés au travail et seraient «  les yeux et les oreilles » de monsieur Roy dans l’hypothèse où s’ils voyaient quelque chose d’anormal, ils devaient l’aviser.

[84]         Le procureur de l’employeur a souligné que monsieur Roy voulait avoir à sa disposition une main-d’œuvre qualifiée, sur place, parce qu’il s’agissait de travaux importants qui n’avaient jamais été faits auparavant. Il a insisté pour dire qu’il voulait éviter ce qui s’était passé le 30 avril 2012 et prévenir toute difficulté, le cas échéant, avec du personnel disponible sur place, car il n’avait pas de plan B. En fait, il avait comme priorité de maximiser ses chances de succès et pallier à tout imprévu, de sorte que le travail se réalise au complet le 16 juillet 2012.

[85]         Toujours selon le procureur de l’employeur, monsieur Roy a confirmé que messieurs Neveu et Croisetière avaient travaillé exclusivement et seulement sur les valves qui donnent accès à l’eau domestique dans l’usine. Ce n’était pas du travail réalisé dans la chambre des compteurs souterraine. Il a ajouté qu’il a profité de l’occasion pour faire le travail, et ainsi, éviter une fermeture de l’usine à une autre occasion.

[86]         De plus, messieurs Savage, Bourque et Beaudry ont travaillé de façon ponctuelle aux remplacements des valves, mais ils n’ont pas été affectés du début à la fin pour supporter le sous-traitant. Par exemple, monsieur Savage a utilisé un chariot élévateur pour faire de la manutention, alors que les trois autres salariés, messieurs Champagne, Provost et Binette, n’ont pas eu à travailler avec le sous-traitant.

[87]         Le procureur de l’employeur a reconnu que la preuve avait fait apparaître une contradiction quant au nombre d’employés affectés, selon ce qui aurait été discuté au comité des relations de travail (CRT). Il y a cependant, selon lui, une constante dans les témoignages de madame Nadeau et de messieurs Germain, Ducharme et Houle, à l’effet que les employés utilisés par l’employeur le 16 juillet 2012 seraient en support au sous-traitant. Or, le témoignage de monsieur Roy va dans le même sens.

[88]         Dans cette perspective, le procureur de l’employeur a tenu à affirmer que monsieur Roy n’avait pas privilégié les huit salariés du département d’entretien au détriment des 65 employés de la production et qu’il a pris tous les moyens pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs lors du remplacement des valves le 16 juillet 2012. Il y a eu du travail à chaud qui a été fait à une occasion, mais qui était absolument essentiel pour repartir l’alimentation en eau de l’usine. Par ailleurs, il faut bien comprendre que, compte tenu de la nature des travaux faits le 16 juillet 2012, il ne pouvait pas y avoir de salariés de la production sur les lieux, mais les huit salariés de l’entretien étaient en place au cas où un problème surviendrait.

[89]         Selon son procureur, aucune disposition de la convention collective n’a été violée par l’employeur. L’employeur a agi conformément au but de la convention collective (pièce S-1 à la page 4) et à ses droits de direction qui lui permettent notamment de diriger efficacement le cours de ses opérations, conformément à l’article 3.01 de la convention collective (pièce S-1 à la page 11). Le procureur de l’employeur a ajouté que le travail régulier n’était pas une priorité le 16 juillet 2012 et que l’employeur a géré avec prudence et clairvoyance, en s’assurant de répondre à l’imprévu. Le procureur de l’employeur fait remarquer que le but de la convention collective, qui est de promouvoir et de favoriser des relations de travail harmonieuses et ordonnées, vise à atteindre un haut niveau d’efficacité dans l’exploitation des affaires de l’employeur. Il ajoute que les mesures qui ont été mises en place le 16 juillet 2012 rencontraient parfaitement les obligations de l’employeur, tel qu’on les retrouve notamment à l’article 23.01 de la convention collective (pièce S-1 à la page 65).

[90]         En outre, l’article 15.09 n’a pas été violé en ce que les salariés n’ont pas un droit automatique à rentrer au travail. D’ailleurs, l’article 15.09 B) iii) prévoit la possibilité de travailler pour les salariés de la production, par ordre d’ancienneté, dans cette tâche et cet atelier. En l’espèce, l’employeur a décidé de ne pas faire travailler les employés de la production cette journée-là parce qu’il n’y avait pas d’approvisionnement en eau dans l’usine. C’est plutôt l’article 15.12 qui s’applique dans le cas des employés de l’entretien. Cet article stipule qu’un salarié peut être requis de travailler durant deux semaines de la période normale de fermeture des vacances. Le procureur de l’employeur a conclu son argumentation en soulignant que les huit salariés qui sont rentrés volontairement au travail pour les raisons données par monsieur Roy n’ont causé aucun préjudice aux salariés de la production.

Réplique du syndicat

[91]         Le procureur du syndicat a répliqué que l’employeur avait été de mauvaise foi parce que monsieur Germain avait été informé par monsieur Roy de la nature des travaux qui étaient pour être faits le 16 juillet 2012. Selon le procureur du syndicat, l’employeur a agi en dépit de l’entente qui avait été prise avec le syndicat relativement au nombre de salariés qui seraient utilisés en support au sous-traitant. Il ne faut pas perdre de vue que le sous-traitant est un spécialiste dans le type de travail qu’il a à accomplir. Or, le sous-traitant n’avait besoin que de quatre salariés, alors que l’employeur qui agit en support a fait entrer huit salariés, soit le double de ce que le sous-traitant avait besoin pour faire le travail. Il s’agit d’un prétexte que l’employeur a utilisé pour faire rentrer le maximum de salariés d’entretien le 16 juillet 2012. D’ailleurs, certains salariés de l’entretien ont été utilisés seuls, sans qu’ils ne travaillent avec le sous-traitant.

La décision

[92]        Avant d’aborder, comme tel, les questions soulevées par le procureur du syndicat au sujet du grief en l’espèce, il est nécessaire de faire un bref retour sur les faits. Le procureur de l’employeur, dans son argumentation, a très bien résumé les faits ayant conduit au 16 juillet 2012. Il a également très bien exposé la nécessité, pour l’employeur, de remplacer son installation en approvisionnement en eau, à la suite de la réception de l’avis de la municipalité et ensuite, après avoir constaté l’état de vétusté de son installation ainsi que les risques que ce remplacement pouvait comporter, compte tenu de ce qui s’était passé le 30 avril 2012.

[93]        En l’espèce, monsieur Roy, qui avait la responsabilité des travaux à faire, a expliqué qu’il a contacté les assureurs de la compagnie pour suivre leurs recommandations, notamment en matière de risque d’incendie, si l’alimentation en eau était coupée dans l’usine. Il a ensuite contacté le directeur de la production, monsieur Pierre Germain, pour l’aviser des travaux, ce qui impliquait de restreindre l’accès aux installations de l’usine. Monsieur Roy a ajouté qu’il avait planifié de garder du personnel disponible, au cas où il aurait des problèmes pour le remplacement des compteurs et des valves. Il en a même discuté avec monsieur Germain et il a été décidé de faire les travaux le 16 juillet 2012 pour les compléter dans la même journée, afin d’éviter de prolonger la fermeture de l’usine. C’est cette journée de travail qui pose problème, en l’espèce.

[94]     La preuve prépondérante est à l’effet qu’une rencontre en CRT a eu lieu le 24 mai 2012, en présence de monsieur Pierre Germain et madame Stéphanie Nadeau comme représentants de l’employeur et qu’un avis de fermeture de l’usine pour le 16 juillet 2012 s’en est suivi le 28 mai 2012 (pièce S-5). C’est monsieur Germain qui a inscrit la coupure d’eau du 16 juillet 2012 à l’ordre du jour de la réunion du 24 mai 2012 et il a admis que la décision avait été prise de fermer l’usine pour des motifs de santé, de sécurité et de «  sanité ». Monsieur Germain a expliqué que c’est suite à une rencontre avec madame Lise Lacasse, responsable santé-sécurité à l’usine, que l’employeur a pris la décision de ne pas faire travailler les salariés dans ces conditions-là.

[95]     Madame Nadeau a précisé qu’il s’agissait d’aviser le syndicat de la fermeture de l’usine occasionnée par un changement des compteurs d’eau. Cela impliquait la fermeture de l’alimentation en eau pour l’ensemble de l’usine située à Varennes. Et cela voulait dire que les seuls employés qui travailleraient cette journée-là seraient ceux qui étaient directement affectés à cette tâche, ou au changement, ou à la réparation des compteurs d’eau. La raison invoquée par l’employeur était à l’effet que l’usine serait complètement fermée pour des raisons de santé et de sécurité au travail.

[96]     Toujours selon madame Nadeau, l’employeur s’était aussi entendu avec le syndicat à l’effet que deux salariés de l’entretien seraient autorisés à travailler avec les employés de la Ville pour les diriger et les supporter dans leur travail. J’estime que c’est ce à quoi l’employeur s’était engagé envers le syndicat durant le CRT, selon la preuve prépondérante entendue, même si elle a nuancé son affirmation par la suite. Elle a aussi admis que certains salariés d’entretien avaient fait d’autres tâches que celles convenues au CRT, ce qui a été confirmé par tous les témoins entendus par la suite. Il y a eu huit salariés du département de l’entretien qui ont travaillé cette journée du 16 juillet et cela contrevenait à ce qui avait été dit au syndicat, selon madame Nadeau.

[97]         En outre, même si monsieur Germain est demeuré évasif sur le nombre de salariés de l’entretien qui avait été convenu avec le syndicat lors de la rencontre en CRT, il a été formel que ce devait être strictement les salariés associés à la conduite d’eau qui devaient travailler cette journée-là. N’oublions pas que monsieur Germain avait été avisé par monsieur Roy des travaux qui allaient être faits et que cela impliquait de restreindre l’accès aux installations. Nous savons également que monsieur Germain a participé à fixer la journée où les travaux seraient effectués afin d’éviter de prolonger la fermeture annuelle.

[98]        Selon la preuve entendue, le syndicat voulait une entente avec l’employeur, de façon à éviter des problèmes ou des contestations qui arriveraient sans aucun doute, compte tenu du nombre de salariés qui avaient inscrit leur nom sur la liste des salariés, selon l’article 15.09 b) i) de la convention collective, s’étant déclarés disponibles à travailler durant cette période, selon le témoignage de madame Nadeau. Dans cette perspective, les parties ont institué dans la convention collective un comité des relations de travail afin d’améliorer la communication et faire un meilleur suivi des dossiers de relations de travail, selon l’article 5.01 j) et pour, notamment, trouver des solutions aux problèmes rencontrés afin de travailler en mode préventif.

[99]        Or, monsieur Roy a offert aux salariés de l’entretien de rentrer volontairement au travail, ignorant ainsi l’entente prise en CRT envers le syndicat, par l’employeur, concernant le 16 juillet 2012, selon la preuve prépondérante entendue devant l’arbitre. Si, comme il l’a affirmé, monsieur Roy ne voulait pas prendre de chance concernant les travaux à effectuer, il n’avait qu’à contacter madame Nadeau ou monsieur Germain pour leur signaler ses exigences pour cette journée de travail, afin de s’assurer que l’entente reflète bien le nombre de salariés nécessaires et disponibles pour cette journée de travail. Il semble bien que monsieur Roy n’a pas été informé qu’une entente était intervenue avec le syndicat sur le nombre de salariés qui étaient pour rentrer au travail cette journée-là et l’avis n’en faisait pas mention (pièce S-5). Selon la preuve entendue, monsieur Roy aurait sans doute été en désaccord avec cette entente concernant le nombre de salariés devant être utilisés par l’employeur cette journée du 16 juillet 2012, considérant l’ampleur des travaux à réaliser. Il a cependant agi sans tenir compte de la recommandation en CRT, dont le rôle est défini à l’article 5.01 j), mais dont la responsabilité ne lui est pas totalement imputable, selon la preuve entendue devant l’arbitre.

[100]     En outre, je veux bien croire monsieur Roy, lorsqu’il dit avoir imposé des restrictions au travail à faire, comme ne pas faire de « travail à chaud  » et avoir aménagé les lieux afin de tenir compte de la situation, mais il n’en demeure pas moins que la preuve a révélé qu’il était au courant que l’employeur avait décidé de fermer l’usine pour des raisons de santé et de sécurité, tel qu’il appert de l’avis (pièce S-5) et, il aurait dû savoir, ne serait-ce que par les fonctions qu’il occupait, qu’une entente était intervenue avec le syndicat, qui s’est matérialisée par la fermeture de l’usine le 16 juillet 2012.

[101]     En l’espèce, l’employeur invoque ses droits de gérance pour justifier sa position. Concernant les droits de gérance de l’employeur, les auteurs Blouin et Morin, avec la collaboration de Jean-Yves Brière et Jean-pierre Villaggi dans Droit de l’arbitrage de grief 6 e édition  2012, s'expriment comme suit, à la page 583 :

«  IX.66   - L'arbitre peut être appelé à s'assurer qu'une mesure, même en apparence neutre et conforme à la convention collective, ne serait pas néanmoins le fruit d'une décision abusive, discriminatoire ou déraisonnable. (…) Il y a lieu de distinguer les qualificatifs abusif et discriminatoire. Il y a situation abusive lorsque l'employeur agit de mauvaise foi, sans aucun motif relié au fonctionnement de l'entreprise ou à la finalité des droits de gestion. Dans le cas d'une situation discriminatoire, l'employeur agit pour un motif qui viole ou contrevient aux principes généraux du droit et notamment concernant le principe d'égalité (charte, loi, convention collective, droit prétorien) comme la condition sociale, la race, la religion etc. Enfin, il peut être possible de dégager une situation déraisonnable lorsqu'un employeur prudent et compétent, agissant avec bon sens et dans le respect de la dignité du salarié, n'aurait pas retenu une telle solution en semblable circonstance. En ces cas, l’arbitre de grief peut intervenir et redresser les droits et les obligations des parties conformément aux règles conventionnelles applicables. »

 

[102]     Ainsi, il y a situation abusive lorsque l'employeur agit de mauvaise foi, sans aucun motif relié au fonctionnement de l'entreprise ou à la finalité de ses droits de gestion. Cela rejoint les articles 6 , 7 et 1375 du Code civil du Québec (C.c.Q ), qui se lisent comme suit :

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

 

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

 

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.

[103]       En l’espèce, le syndicat doit donc démontrer, par prépondérance de preuve, que l'employeur a agi de mauvaise foi, sans aucun motif relié au fonctionnement de l'entreprise ou à la finalité de ses droits de gérance. À mon avis les motifs qu’a fait valoir monsieur Roy, étaient reliés au fonctionnement de l’entreprise dans le prolongement des droits de gérance de l’employeur et n’étaient pas discriminatoires, notamment concernant le principe d’égalité, mais pouvaient poser un problème du point de vue du troisième critère, celui d’une décision raisonnable. Les auteurs précités soulignent qu’il peut être possible de dégager une situation déraisonnable, si un employeur prudent et compétent, agissant avec bon sens et dans le respect de la dignité du salarié, n’avait pas retenu une telle solution en pareille circonstance.

[104]     En l’espèce, il avait été convenu avec le syndicat d’une fermeture complète de l’usine parce que l’alimentation en eau serait coupée le 16 juillet 2012, cette mesure ayant été «  prise pour la santé et la sécurité des employés » (pièce S-5). Or, en dépit de cette entente entérinée par monsieur Germain et madame Nadeau; monsieur Roy, sans avoir été informé de l’entente conclue avec le syndicat sur le nombre de salariés qui seraient utilisés, cette journée-là, a décidé de laisser le choix aux salariés du département de l’entretien de rentrer au travail sur une base volontaire le 16 juillet 2012, compte tenu de la fermeture complète et des risques sérieux que le travail comportait.

[105]     Cette décision de faire rentrer des salariés au travail cette journée du 16 juillet 2012, sauf deux salariés, pour orienter le sous-traitant, avait été écartée par les représentants de l’employeur eux-mêmes : madame Nadeau, monsieur Germain et madame Lacasse, pour des raisons de santé et sécurité, selon le témoignage non contredit de monsieur Germain. Le département des ressources humaines de l’employeur avait plutôt décidé d’une fermeture complète de l’usine, ce qui impliquait, pour ceux et celles qui avaient prévu travailler cette journée, qu’ils devaient prendre un congé à leur frais, selon les modalités expliquées dans l’avis du 16 juillet 2012 (pièce S-5).

[106]     Dans les circonstances, on peut dire, sans grande chance de se tromper, que l’employeur lui-même, par ses représentants dûment autorisés, n’avait pas retenu la solution appliquée par monsieur Roy. On peut, dès lors, comprendre l’insatisfaction du syndicat et le danger réel de miner la communication et l’efficacité du comité des relations de travail (CRT) dont le rôle consiste, notamment, à trouver des solutions aux problèmes rencontrés afin de travailler en mode préventif, tel qu’il appert de l’article 5.01 j) 1 à 4 de la convention collective.

[107]      Cependant, le travail de remplacement des compteurs et des valves devait être fait et, pour ce faire, monsieur Roy a souligné qu’il voulait pouvoir compter sur de la main-d’œuvre qualifiée sur place, si des difficultés apparaissaient lors du changement des compteurs et des valves. Il a rappelé qu’il s’agissait de travaux de grande importance, jamais faits auparavant, et qu’il y a souvent des imprévus auxquels une main-d’œuvre qualifiée peut pallier, d’autant plus qu’il y avait eu des problèmes le 30 avril 2012. Il voulait surtout finir ce qui avait été commencé dans la même journée.

[108]     Pour répondre aux questions soulevées au début de son argumentation par le syndicat dans cette affaire, le témoignage non contredit de monsieur Roy a établi qu’il arrive que les salariés de la production soient utilisés pour aider les salariés de l’entretien durant la période de fermeture annuelle « shut down  ». Il y a, en moyenne, entre dix à douze salariés qui peuvent être utilisés comme aides à l’entretien pendant les périodes de fermeture annuelle.

[109]     Les salariés de la production se rendent disponibles, sur une liste établie par le superviseur, dans chaque département concerné, sans y être obligés, selon l’article 15.09 b) i) de la convention collective. Ces salariés de la production sont soumis à un régime de travail différent des salariés de l’entretien qui peuvent être requis de travailler durant deux des trois semaines de la période de fermeture de vacances, selon l’article 15.12 de la convention collective. Toujours selon la preuve non contredite, il n’y a aucune garantie qu’ils seront appelés à travailler durant cette période de l’année. En revanche, les salariés du service de l’entretien peuvent être requis de travailler durant cette période de l’année, selon l’article 15.12 de la convention collective. En l’espèce, comme il s’agissait d’une fermeture complète, il n’y avait aucune chance que l’un des salariés de la production soit appelé au travail cette journée-là.

[110]     Par conséquent, on ne peut pas dire qu’ils ont subi un préjudice de ne pas avoir été appelés au travail dans le cadre de la fermeture complète. Dans les circonstances, il est utile de rappeler ce que les auteurs Morin et Blouin soulignent à l’égard de la compétence juridictionnelle de l’arbitre de grief en matière de responsabilité civile résultant de la violation de la convention collective, précités à la page 548 :

IX.25 - « … La mise en œuvre de la responsabilité conventionnelle, en contexte du Code du travail , n’exige pas de l’arbitre de grief de rechercher s’il y a faute au sens strict de la responsabilité contractuelle. Il y a certes des affinités entre les bris contractuel et conventionnel, mais il existe aussi des nuances importantes que l’ont peut dégager d’une analyse comparée des jugements des tribunaux en matière contractuelle et des décisions arbitrales. Pour enclencher la responsabilité conventionnelle, l’arbitre de grief doit constater au préalable une violation des dispositions conventionnelles ou qui en découlent, ou encore d’une loi habilitante (III.5 et IV.29). Il lui faut aussi s’assurer qu’il y a preuve d’un préjudice subi et l’existence d’un lien de causalité. Il convient de rappeler que la mission première de l’arbitre de grief ( art.100 C.t.) consiste à assurer aux deux parties le respect intégral des droits et obligations qui leur résultent respectivement de la convention collective…. »

[111]     Par ailleurs, les parties ont prévu, à l’article 23.01 de la convention collective, qu’ils favorisent le maintien d’un niveau élevé de prudence et de sécurité afin de diminuer le plus possible les risques de lésions professionnelles. En l’espèce, la preuve entendue n’a pas permis d’établir que la santé et la sécurité des salariés qui sont rentrés au travail le 16 juillet 2012 avait été mise en danger, compte tenu des mesures prises par monsieur Roy, qui étaient adéquates et minimisaient de façon acceptable les risques au travail de cette journée.

[112]      On ne peut pas dire, non plus, que monsieur Roy a été de mauvaise foi, si on tient compte de la preuve qui n’a pas établi de façon prépondérante que monsieur Roy avait été informé par monsieur Germain ou madame Nadeau de l’entente sur le nombre de salariés autorisés à travailler le 16 juillet 2012. En l’espèce, il faut bien reconnaître que l’avis n’en fait pas mention (pièce S-5).

[113]     J’en arrive à cette conclusion même si, en contre-interrogatoire, monsieur Ducharme a affirmé avoir placé un appel téléphonique avant le 16 juillet à monsieur Roy, pour lui demander «  si d’autres salariés rentreraient dans l’usine  », ce qu’il lui a confirmé, selon la teneur de la conversation que monsieur Ducharme a rapporté avoir eue avec lui. Je note également qu’il a répondu à monsieur Ducharme, sans rien lui cacher, invoquant les mêmes raisons qu’il a toujours données pour justifier de faire rentrer les salariés de l’entretien cette journée-là.

[114]     Certes, son comportement a eu pour effet de banaliser l’entente conclue avec le syndicat en CRT et atténuer le rôle du comité de relations de travail, comme les parties l’ont voulu à l’article 5.01 j) 1 à 4 de la convention collective (pièce S-1). Son comportement a permis à des salariés de l’entretien de venir travailler, après avoir avisé l’ensemble des salariés de ne pas se présenter au travail, à l’occasion d’une fermeture complète de l’usine, pour des raisons de santé et de sécurité, et ce, en dépit de l’entente prise avec le syndicat  qui, de l’aveu même de madame Nadeau, allait à l’encontre de ce qui avait été convenu avec l’employeur. Cependant, la preuve a aussi révélé, par le témoignage non contredit de monsieur Ducharme, qu’il y a eu d’autres rencontres avec l’employeur en comité de relations de travail (CRT) et en réponse à une question de monsieur Ducharme qui demandait à monsieur Germain : «  Qu’est-ce que ça donne de faire des rencontres si les directives ne sont pas suivies ? ». Monsieur Ducharme a souligné qu’on lui avait mentionné que «  la prochaine fois, ils iraient corroborer le mandat pour s’assurer que ce qui est dit soit respecté  ».

[115]     Il n’en reste pas moins que le témoignage non contredit de monsieur Roy a établi que ces salariés cédulés , pour lesquels le grief a été déposé et qui auraient pu se plaindre du rappel volontaire des salariés de l’entretien, n’ont subi aucun préjudice puisqu’ils n’avaient aucune chance de travailler cette journée-là. La fermeture complète de l’usine n’étant pas contestée, ils n’avaient pas un droit automatique à travailler le 16 juillet 2012, même si cette journée de travail entre dans la période de la fermeture annuelle, selon l’article 15.09 de la convention collective.

[116]     Il appert également de la preuve non contredite, que le travail requis par l’employeur, même sur une base volontaire, relevait nécessairement de l’atelier d’entretien. N’oublions pas qu’en CRT, monsieur Germain a spécifiquement mentionné qu’il a été discuté des raisons de santé et de sécurité pour la fermeture complète de l’usine, «  sauf ceux à la réfection en cause  », c’est-à-dire les salariés de l’entretien. Le témoignage de madame Nadeau est au même effet lorsqu’elle a témoigné que cela voulait dire que les seuls employés qui travailleraient cette journée-là seraient ceux qui étaient directement affectés à cette tâche, ou au changement, ou à la réparation des compteurs d’eau. Elle a ajouté que ceux qui rentreraient au travail seraient affectés aux travaux de réparation ou entretien «  liés à cette fermeture-là  ».

[117]     Par conséquent, l’arbitre répond comme suit aux questions posées par le procureur du syndicat, au début de son argumentation.

[118]      Est-ce que le 16 juillet 2012, l’employeur a agi de façon juste et équitable envers les salariés de la production par rapport à ceux de l’entretien? Oui, il est écrit à l’article 15.09 b) de la convention collective «  si l’employeur désire faire exécuter du travail dans une tâche et un atelier donné pendant les périodes de fermeture, la possibilité de travailler sera donnée par ordre d’ancienneté dans cette tâche et cet atelier en commençant par celui qui en a le plus, selon la procédure suivante :

                      i.         Dans la mesure du possible, deux (2) semaines précédant la période de fermeture, ou dès que la compagnie connaîtra ses besoins en main-d’œuvre, le superviseur établira la liste des salariés qui se rendent disponibles, soit sur la maintenance, soit sur la production, et ce, dans chaque département concerné.

                    ii.         Une copie de ces listes sera remise au syndicat et affichée dans chaque atelier au minimum quarante-huit (48) heures avant la période de fermeture. Seuls les employés inscrits sur ces listes seront éligibles à la procédure de grief.

                   iii.         Pour la production, la possibilité de travailler sera donnée par ordre d’ancienneté dans cette tâche et cet atelier, en commençant par celui qui en a le plus parmi ceux inscrits sur la liste.

                   iv.         Pour la maintenance, la possibilité de travailler sera donnée par ordre d’ancienneté parmi les salariés inscrits sur la liste, en commençant par celui qui en a le plus.

[119]      La preuve a révélé que l’usine avait été complètement fermée cette journée-là et, par conséquent, l’atelier de la production aussi. Il n’y avait donc aucune possibilité de donner du travail aux salariés de la production dans cet atelier. La preuve a également révélé qu’il arrive que les salariés de la production soient utilisés comme aide à l’entretien. Or, le travail que l’employeur désirait faire exécuter cette journée-là était requis dans l’atelier d’entretien, pas ailleurs, ni comme aide à l’entretien.

[120]      L’employeur a-t-il mis en danger la sécurité et la santé des salariés qui ont travaillé le 16 juillet 2012? Non, comme nous l’avons vu avec le témoignage non contredit de monsieur Roy, l’employeur a pris tous les moyens nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés. Il a géré avec prudence et clairvoyance, en s’assurant de répondre à l’imprévu. Il y a eu du travail à chaud qui a été fait à une occasion, mais qui était absolument essentiel pour rebrancher l’alimentation en eau de l’usine, ce travail a été fait sous la supervision immédiate de monsieur Roy, en minimisant les risques. D’ailleurs, selon la preuve entendue, aucun des salariés ne s’est plaint des installations mises en place par l’employeur cette journée du 16 juillet 2012.

[121]      Est-ce que les salariés de la production, au nombre de 65 selon madame Nadeau qui avaient donné leurs noms pour être disponibles pour travailler, ont droit au remboursement monétaire équivalant à la journée du 16 juillet 2012, à cause du préjudice qu’ils ont subi? Non, la preuve d’un préjudice n’ayant pas été établie par la preuve présentée, en l’espèce. Comme nous l’avons vu, le témoignage non contredit de monsieur Roy a établi qu’il arrive que les salariés de la production soient utilisés pour aider les salariés de l’entretien durant la période de fermeture annuelle “shut down” . Les salariés de la production se rendent disponibles, sur une liste établie par le superviseur, dans chaque département concerné, sans y être obligés, selon l’article 15.09 b) i) de la convention collective. Toujours selon la preuve non contredite, il n’y a aucune garantie qu’ils seront appelés à travailler durant cette période de l’année. En l’espèce, comme il s’agissait d’une fermeture complète, il n’y avait aucune chance ni possibilité que l’un des salariés de la production soit appelé au travail cette journée-là.

[122]      L’employeur a-t-il été de mauvaise foi dans le présent litige de sorte qu’il y a lieu de lui imposer des dommages exemplaires en l’espèce? Non, comme nous l’avons vu, on ne peut pas dire que monsieur Roy a été de mauvaise foi, si on tient compte de la preuve qui n’a pas établi, de façon prépondérante, que monsieur Roy avait été informé par monsieur Germain ou madame Nadeau de l’entente sur le nombre de salariés autorisés à travailler le 16 juillet 2012. En l’espèce, il faut bien reconnaître que l’avis n’en fait pas mention (pièce S-5). D’ailleurs, le témoignage de monsieur Ducharme a bien révélé que monsieur Roy n’avait pas tenté de lui cacher quoi que ce soit; et ce, en dépit du fait qu’il croyait qu’il avait l’autorité nécessaire pour faire le travail, sans avoir de comptes à rendre, notamment au syndicat. Mais, en l’absence de communication entre madame Nadeau, monsieur Germain et monsieur Roy, on peut, dès lors, comprendre l’insatisfaction du syndicat et le danger réel de miner la communication et l’efficacité du comité des relations de travail (CRT) dont le rôle consiste, notamment, à trouver des solutions aux problèmes rencontrés afin de travailler en mode préventif, tel qu’il appert de l’article 5.01 j) 1 à 4 de la convention collective. Je note également que monsieur Ducharme a souligné qu’on lui avait mentionné que «  la prochaine fois, ils iraient corroborer le mandat pour s’assurer que ce qui est dit soit respecté  ».

[123]      Enfin, je constate que le fait de ne pas avoir respecté ce qui a été dit au comité des relations de travail (CRT) ne contrevenait strictement à aucune des dispositions de la convention collective. Au même titre, d’ailleurs, que d’avoir fait travailler uniquement des salariés de l’atelier d’entretien le 16 juillet 2012, dans les circonstances révélées par la preuve; mais c’est sans compter, au risque de me répéter, le danger réel de miner l’efficacité du comité des relations de travail (CRT) et la communication auprès du syndicat et des salariés de l’employeur.

POUR TOUS CES MOTIFS, L’ARBITRE :

REJETTE le grief.

 

Montréal, ce 28 avril 2014

 

 

 

________________________________ __

Me François Blais, arbitre

 

 

 

 

Pour l’employeur :

Me Pierre Hébert

 

 

 

 

Pour le syndicat :

Monsieur Guy Gaudette

 

 

 

 

Dates d’audience :

26 juin, 13 septembre 2013 et 21 février 2014