Syndicat des employées et employés du Centre universitaire de santé McGill-CSN (FSSS-CSN) et Centre universitaire de santé McGill-CUSM (Tetyana Tarasenko)

2014 QCTA 341

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

No. de dépôt : 2014-4266 et 2014-4267

Date :

Le 21 mars 2014

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DEVANT L’ARBITRE :

Me MAUREEN FLYNN

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LE SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DU CENTRE UNIVERSITAIRE DE SANTÉ MCGILL-CSN (FSSS-CSN)

            Ci-après appelé « le Syndicat »

   

Et

 

LE CENTRE UNIVERSITAIRE DE SANTÉ MCGILL-CUSM

Ci-après appelé « l’Employeur » ou « le CUSM »

 

Numéro du grief syndical : LC11-S036

Nom de la plaignante : Mme Tetyana Tarasenko

 

Conventions collectives : Convention collective intervenue entre la Fédération de la santé et des services sociaux-CSN et le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (13 mars 2011-31 mars 2015)

            Ci-après appelée « la convention nationale »

Dispositions locales de la convention collective intervenue entre le Centre Universitaire de santé McGill - CUSM et le Syndicat des employé-es du Centre universitaire de santé McGill-CSN représentant : le Personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métiers (catégorie 2) AM2000-3276 et le Personnel de bureau, techniciens et professionnels de l’administration (catégorie 3) AM2000-3281 (30 septembre 2007)

            Ci-après appelée « convention locale »

 

 

SENTENCE ARBITRALE

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1.             LE GRIEF

[1]            Au nom de la plaignante, le 26 aout 2011, le Syndicat dépose un grief et allègue essentiellement que la plaignante a été victime de discrimination et de harcèlement psychologique au cours de sa période probatoire :

« In accordance with the collective agreement, specifically but not exclusively, article 3.05 and the Minimum Labour Standards Laws, I contest and denounce the psychological harassment and discrimatory comportment of which I am a victim, on the part of my co-workers and my manager. I therefore demand that the employer take all necessary measures to immediatly eliminate the abusive treatment, of which I have been the subject, which affected my dignity, physical and psychological integrity, and that I be given back my position immediatly. I demand to have my rights respected and to be compensated for the prejudice, including damages, as well as exemplary damages and fiscal prejudice, to be applied retroactively, with legal interest according to the Labour Code and without prejudice to other acquired rights. »

[2]            Les parties ont admis que la procédure d’arbitrage et celle de nomination de la soussignée ont été respectées et en conséquence la présente instance a compétence pour disposer du présent grief.

 

2.             LA QUESTION EN LITIGE

[3]            Est-ce que la décision de mettre un terme à la période probatoire de la plaignante était dans les circonstances, arbitraire, discriminatoire ou abusive ?

 

3.             LA PREUVE

[4]            Mme Tarasenko a obtenu dans son pays d’origine un diplôme d’ingénieur ferroviaire. Après quelques années au Québec, elle choisit de se recycler dans le domaine de la santé et suit une formation offerte par la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Elle réussit avec succès un cours de préposé aux bénéficiaires d’une durée de 750 heures (aout 2010 à février 2011). La formation comprend trois stages qu’elle complète avec satisfaction aux endroits suivants : CHUM, Hôpital Saint - Luc, CUSM, Hôpital de Lachine et CHLD, Vigi Pierrefonds.

[5]            Ayant complété un stage au Campus de Lachine, Mme Tarasenko soumet sa candidature le 4 mars 2011. Le 6 mai 2011, elle est embauchée comme préposée aux bénéficiaires. Le 11 mai 2011, elle assiste à la première journée d’accueil.

[6]            Le 11 mai 2011, Mme Tarasenko est informée qu’elle doit compléter une période de trente jours d’orientation et que son travail sera réparti au sein de divers départements. Mme Amélie Rivard, animatrice de la séance d’accueil, explique la procédure entourant les feuilles d’évaluation. La plaignante comprend qu’elle doit remettre sa feuille d’évaluation à la fin de la journée et l’orienteur du jour doit lui indiquer ses points forts et faibles. Elle reçoit un horaire de travail détaillé. Ledit horaire indique les quarts de travail et les personnes qui agiront comme orienteurs, soit : Mme Marie Josée Hillman, Mme Blanca Ceballos, Mme Marie Paule Louis, M. André Brière, Mme Ossamine Rose Angela, M. Mauricio Cruze, Mme Stéphanie Barolet, M. Pierre Aubé, M. Michel Fournier et M. Lurie Banteanu. Elle débute sa période d’orientation le 12 mai 2011.

[7]            Les fiches d’évaluation regroupent dix habiletés à évaluer, soit : ponctualité, qualité du travail, quantité du travail, initiative, planification, sens des responsabilités, capacité d’adaptation, relations avec les patients, relations avec l’équipe et motivation et intérêt au travail. Pour chacune des dix habiletés, des critères précis sont ajoutés et s’élèvent en tout et partout à trente-huit. Une rubrique « COMMENTAIRES ET IMPRESSIONS GLOBALES : points à améliorer (l’employé doit en être avisé) » est prévue à la fin de la feuille d’évaluation. En contre-interrogatoire, Mme Rivard confirme que la première partie d’identification devrait être complétée par le préposé.

[8]            Mme Amélie Rivard détient un diplôme d’infirmière. Au mois de mai 2011, elle était conseillère en formation et développement professionnel. À ce titre, elle développe notamment les programmes d’orientation de tous les employés en soins infirmiers. Mme Rivard souligne qu’au cours de la journée d’accueil, les préposés aux bénéficiaires sont avisés de l’importance que l’Employeur alloue à l’initiative et qu’il s’attend à voir une évolution pendant la période d’orientation. Ils sont également informés du processus d’évaluation qui comprend une rencontre à la mi-étape et une autre à la fin.

[9]            Mme Rivard explique que le précepteur est avisé quelques jours avant son jumelage à un préposé en probation. Le préposé et le précepteur doivent remettre une évaluation aux journées indiquées à l’horaire. Et, ces dernières sont déposées dans une boite barrée. L’évaluation est déposée par le préposé en probation ou par le précepteur. Toutefois, le précepteur peut décider de remettre l’évaluation en mains propres au préposé et faire rapport verbal à Mme Rivard. 

[10]         Mme Rivard explique que le précepteur transmet ses connaissances, fait de la rétroaction et enseigne les méthodes de travail. Il doit être respectueux. Elle ajoute que les préposés sont informés qu’en cas de conflit de personnalité, ils peuvent communiquer avec elle en tout temps. Mme Rivard précise être assez claire quant à sa disponibilité et fournit ses coordonnées.

[11]         Après, cinq jours, trois soirées et deux nuits et la remise des premières évaluations, Mme Rivard commence le suivi d’un nouveau préposé. Selon ce qui se passe, elle rencontre le préposé.

[12]         Bien qu’elle ne se souvienne pas très bien, Mme Rivard soutient avoir accueilli Mme Tarasenko puisqu’elle accueille tous les préposés. Selon son dossier, quatre préposés ont agi comme précepteurs pour Mme Tarasenko, soit : Mme Lise Chenel, Mme Marie Josée Hillman, M. Kannen Moottoo et Mme Linda Saint-Onge.

[13]         À l’aide du premier horaire remis à la plaignante, Mme Rivard explique les journées où une évaluation devait être remise. En l’occurrence, sept évaluations devaient être faites aux dates suivantes : 20 mai, 23 mai, 31 mai, 3 juin, 13 juin, 21 juin et 29 juin 2011.

[14]         La décision de maintenir ou pas l’embauche d’un nouveau préposé est prise par le chef de l’unité ou par Mme Bourdeau, conseillère cadre en soins infirmiers. Quand, tout se déroule bien, Mme Rivard informe Mme Bourdeau à la mi-étape. Quand ça va moins bien, elle se rencontre à la mi-étape et Mme Rivard lui propose des recommandations et écrit un rapport. La décision ultime est prise par Mme Bourdeau.

[15]         Mme Bourdeau est conseillère cadre en soins infirmiers depuis 2001. Elle est actuellement adjointe à la direction des soins infirmiers. Elle souligne qu’en 2011, il manquait de préposés aux bénéficiaires et que sur une base hebdomadaire, Mme Rivard informe Mme Bourdeau de l’avancement des préposés en orientation. Si des difficultés se présentent, Mme Rivard écrit un rapport.

 

Du 12 au 14 mai 2011 (Mme Hillman)

[16]         Mme Tarasenko raconte que Mme Marie Josée Hillman la présente aux employés et fait le tour de l’unité avec elle. Des employés la questionnent sur ses origines et elle précise qu’elle est originaire d’Ukraine. Et, Mme Hillman dit « on embauche n’importe qui, faute d’argent ». La plaignante soutient qu’au cours de la journée, Mme Hillman ne cessait de lui demander pourquoi elle ne regardait pas ailleurs pour un emploi. À la fin de la journée, Mme Tarasenko lui remet sa feuille d’évaluation et demande des commentaires. Mme Hillman l’informe qu’elle la complèterait plus tard.

[17]         Au cours des journées de travail suivantes (13 et 14 mai), Mme Tarasenko trouve la situation stressante car Mme Hillman ne cessait de lui demander pourquoi elle était là. À la fin de la journée, la plaignante lui remet la feuille d’évaluation et Mme Hillman l’avise qu’elle va la déposer au bon endroit et en aviser Mme Rivard. La plaignante est surprise s’attendant à recevoir un retour quotidien.

[18]         Le 16 mai 2011, Mme Tarasenko travaille à l’accueil.

 

Journée du 17 mai 2011 (Mme Blanca-Nelly Ceballos-Adamès)

[19]         La plaignante affirme que la première journée se déroule bien. Mme Ceballos-Adamès la laisse seule avec un patient. Elle revient et accuse la plaignante d’avoir posé la jaquette à l’envers. Mme Tarasenko explique qu’elle a appris cette façon de faire à l’école et ce en présence de rougeurs. Enfin, Mme Ceballos-Adamès confirme que son explication est juste. À la fin de la journée, Mme Tarasenko demande du feedback et Mme Ceballos-Adamès l’avise qu’elle va remettre l’évaluation au bon endroit et ajoute que l’employé n’a pas à signer ladite évaluation.

[20]         Mme Rivard affirme que Mme Ceballos-Adamès ne lui a pas remis d’évaluation.

[21]         Mme Ceballos-Adamès n’entraine plus des préposés depuis 15 mois. Elle ne se souvient pas de Mme Tarasenko.

 

Journée du 19 mai 2011 (Mme Lise Chenel)

[22]         Cette journée se déroule bien. Sa collègue partage de bons commentaires et remplit la feuille d’évaluation pendant la pause. Mme Ceballos-Adamès intervient et dit à Mme Chenel « pourquoi mets-tu des bons commentaires et tu ne dois pas montrer les évaluations que tu fais ». Après cet échange, Mme Tarasenko affirme que Mme Chenel baisse ses notes et lui remet l’évaluation. Mme Tarasenko signe ladite évaluation.

[23]         Globalement, l’évaluation écrite de Mme Chenel indique qu’elle évalue que la plaignante rencontre les critères d’une manière entièrement satisfaisante ou satisfaisante.

[24]         Toutefois, Mme Chenel souligne six points comme étant faibles, soit : capable de fournir le travail requis, créativité et jugement, capable d’identifier, de connaitre et d’initier le travail à accomplir, autonomie, détermination des priorités, et période requise pour rencontrer les critères de qualité et quantité de travail accompli. L’évaluation est signée par la plaignante et Mme Chenel.

[25]         Mme Rivard ne sait pas comment ladite évaluation lui a été remise.

[26]         Mme Lise Chenel, préposée aux bénéficiaires depuis 27 ans, entrainait de nouveaux préposés quatre à cinq fois par année lorsqu’elle travaillait au campus de Lachine. Elle reconnait sa signature sur l’évaluation déposée en preuve. Toutefois, elle ne se souvient aucunement de Mme Tarasenko. À l’audition, elle ne la reconnait pas.

 

Évaluation faite par Mme Linda St-Onge

[27]         Mme Rivard explique que Mme Linda Saint-Onge a l’habitude de donner un rapport verbal, car elle n’est pas à l’aise avec l’écrit.

[28]         Mme Saint-Onge se souvient d’avoir entrainé la plaignante mais ne peut dire à quelle date exactement. Elle a travaillé avec elle quelques jours alors qu’elle était assignée à l’unité de médecine chirurgie située au cinquième étage. Elle a retenu que la plaignante manquait d’initiative et d’intérêt. La plaignante se promenait les mains dans le dos. Elle ne prenait pas les devants. Elle a partagé ses constats avec Mme Rivard.

 

Journée du 20 mai 2011 (Mme Lalonde)

[29]         Mme Tarasenko soutient que cette journée a été agréable. Mme Lalonde répondait aux questions. Elles ont travaillé au sixième étage, au bloc opératoire. Toutefois, Mme Lalonde n’a pas eu le temps de compléter une feuille d’évaluation. Elle devait la fournir plus tard. En contre-interrogatoire, Mme Tarasenko maintient n’avoir jamais vu la feuille d’évaluation préparée par Mme Lalonde.

[30]         Le 20 mai en après-midi, Mme Amélie Rivard écrit un courriel à Mme Chantale Bourdeau et l’informe du suivi de l’orientation de Mme Tarasenko. Elle écrit :

« Bonjour,

Suite à une conversation avec Mme Linda St-Onge et une évaluation écrite (et une conversation) de Mme Lise Chenel il a été mis en lumière que Mme Tarasenko présente des difficultés importantes au courant de son orientation. Dans l’ensemble, il semblerait que Mme Tarasenko présente des lacunes importantes pour les compétences suivantes :

·          Initiative à connaître et initier le travail à accomplir

·          Déterminer les priorités

·          Capacité à fournir le travail requis

·          Période requise rencontrer les critères de qualité et de quantité du travail accompli

·          Capacité d’autonomie

Cependant, l’évaluation souligne que Mme Tarasenko présente un bon respect des horaires et de la ponctualité, compréhension et empathie envers la clientèle, ainsi que la disponibilité.

Mme Chenel propose d’allonger la période d’orientation de jour sur l’unité et se propose pour le préceptorat nécessaire.

Merci de prendre en compte les informations transmises. »

[31]         Au 20 mai, la plaignante a complété six jours d’orientation. Il est décidé de la ramener le jour et de prolonger son orientation de jour. Enfin, Mme Rivard confirme qu’à cette date, elle a reçu l’opinion de deux précepteurs : Mme Chenel et Mme Saint-Onge. Mme Bourdeau confirme la décision prise.

[32]         Autrement, Mme Rivard dépose l’horaire réel travaillé par la plaignante. Cet horaire indique que cette dernière a travaillé aux dates suivantes : 11,12, 14, 15, 16, 17, 19, 20, 23, 24, 25. Elle travaille une partie de la journée le 27 et reprend le travail le 28. Mme Bourdeau explique qu’il est indiqué pour le 29 mai que la plaignante est en congé non autorisé mais qu’il y a eu un message pour aviser qu’elle serait absente. Elle ajoute que le conjoint de la plaignante a appelé.

[33]         Le 24 mai 2011, une employée du bureau de placement informe la plaignante que son horaire est changé. Elle reçoit un nouvel horaire modifié par Mme Rivard et selon cet horaire, elle devait travailler seule le 29 mai. Mme Tarasenko demande de rencontrer Mme Rivard, n’ayant pas reçu les feuilles d’évaluation de Mme Hillman ou de Mme Ceballos-Adamès. Mme Tarasenko tente d’appeler Mme Rivard mais tombe sur la boite vocale.

 

Journée des 23 et 24 mai 2011 (M. Miroslav)

[34]         Mme Tarasenko se sent à l’aise de travailler avec M. Miroslav. Elle apprend plusieurs trucs. Il n’avait que de bons commentaires et disait qu’elle connaissait bien son travail. En fin de journée, il est trop pressé pour compléter la feuille d’évaluation. Elle la reçoit plus tard. Il note quatre points comme étant supérieurs et les autres entièrement satisfaisants ou satisfaisants. Il n’indique aucun commentaire.

[35]         Mme Tarasenko affirme ne pas avoir eu le temps de déposer la feuille d’évaluation le 24 mai. Elle a donc fait une photocopie et l’a déposée le lendemain dans la boite de Mme Rivard, le 25 mai. Pendant, sa convalescence, elle trouve l’original et l’apportera à Mme Bourdeau à la rencontre du 16 juin 2011. En contre-interrogatoire, elle affirme avoir fait six photocopies au premier étage, au Département des archives qui est situé en face de la réception. Elle ne sait pas trop comment mais elle est passée et a fait six photocopies. Puis, elle a déposé une copie à côté du bureau de Mme Amélie, dans une boite de correspondance. Elle ajoute avoir décidé de faire des photocopies ayant des questionnements. Elle ne comprenait pas pourquoi les autres ne lui avaient pas remis les évaluations.

[36]         Mme Rivard prend connaissance de l’évaluation de M. Miroslav pour la première fois, une semaine avant l’audition. Elle ne lui a jamais donné de directives pour agir comme précepteur et elle n’était pas au courant qu’il ait agi à ce titre.

[37]         M. Miroslav est préposé aux bénéficiaires depuis 18 années et travaille au cinquième étage. Il oriente de nouveaux préposés. Il reconnait sa signature sur l’évaluation. Il se souvient de la plaignante. Il pense avoir travaillé avec elle deux jours. Il a gardé une bonne impression. Il pense ou croit que possiblement un collègue lui a demandé de prendre en charge Mme Tarasenko, car il devait s’absenter. En contre-interrogatoire, il admet qu’il fait habituellement signer la feuille d’évaluation en fin de journée. Il précise que l’infirmière-chef l’avise habituellement le même jour qu’il va orienter un nouveau préposé.

 

Journée du 25 mai 2011 (Mme Nicole…)

[38]         Cette journée se déroule bien. Sa collègue, Mme Nicole lui explique qu’il faut prendre le temps pour faire des sondes des patients. Elle note que la plaignante ne travaille pas assez vite et ajoute que c’est normal.

[39]         En contre-interrogatoire, Mme Tarasenko affirme avoir demandé l’évaluation écrite, mais Mme Nicole lui a dit « qu’il y en avait assez et que ce n’était pas grave ».

 

Journée du 27 mai 2011 (M. Kannen Moottoo)

[40]         La plaignante travaille aux soins intensifs. M. Moottoo lui dit qu’elle doit installer les électrodes cardiaques. La plaignante refuse et spécifie qu’elle n’a pas le droit de faire cette tâche, cette dernière relevant de l’infirmière. M. Moottoo lui dit qu’aux soins intensifs, les préposés aux bénéficiaires font ce travail. Puis, Mme Tarasenko a un malaise, a de la misère à voir et lui dit ne pas se sentir bien.

[41]         Mme Tarasenko va voir M. Éric Rémillard, chef d’unité, et l’informe ne pas se sentir bien et ne pas être en mesure de travailler. Il autorise son départ. Elle demande si elle doit rapporter une preuve de son état et il lui dit que ce n’est pas nécessaire. Mme Tarasenko ajoute qu’elle ressentait une grosse douleur, une douleur insupportable. Elle se rend à l’hôpital Sacré-Cœur. On lui prescrit un sachet de poudre. Elle ne dort pas de la nuit.

[42]         Mme Rivard dépose l’évaluation faite par M. Moottoo. Cette évaluation couvre une demi-journée de travail. Elle n’est pas signée par la plaignante. M. Moottoo donne une note « faible » à presque tous les critères. Il évalue que la plaignante rencontre d’une manière satisfaisante, le critère relatif à la « propreté et le respect des normes de prévention des infections ». Il écrit dans la rubrique commentaire :

« Lorsqu’elle entre dans une chambre, elle attend toujours, les mains dans le dos, qu’on lui dise quoi faire. Aucune autonomie. Ne …. pas ses tâches et ne cherche pas à s’intégrer dans le groupe. N’a aucune communication avec le patient, e.g. comme on lui dit de stimuler un patient, elle ne sait pas comment faire. »

[43]         M. Moottoo est préposé aux bénéficiaires depuis quatre ans. Il a orienté plusieurs nouveaux préposés. Il reconnait sa signature sur l’évaluation. Il se souvient qu’ils étaient aux soins intensifs et devaient donner des bains aux patients et les installer sur les civières. Il devait orienter Mme Tarasenko. Il devait lui dire quoi faire. Elle gardait les mains dans le dos. Quant à la pose des électrodes, M. Moottoo explique qu’il faut les enlever pour le bain et les replacer à l’endroit tel qu’indiqué sur les électrodes. Il lui a expliqué comment faire et ajoute que les fils sont colorés. Elle lui a dit de le faire. Il se souvient qu’à la fin de la journée, Mme Tarasenko lui a demandé avant de quitter la feuille d’évaluation. Il ne se souvient pas de la lui avoir montrée et précise qu’il les remplit toujours seul. Il ne peut expliquer pourquoi, il l’a signée deux fois. Il soutient l’avoir remise en mains propres à Mme Rivard. Enfin, il ne se souvient pas que la plaignante lui ait signifié ne pas se sentir bien. Puis, il se rectifie, il n’a pas signé deux fois, mais a écrit son nom.

[44]         Mme Rivard dépose une évaluation non datée (mais sur laquelle il est inscrit à la main, la date du 27 mai) et complétée par Mme Hillman. Elle y indique que l’évaluation couvre trois jours de travail. Elle évalue dans son ensemble que la plaignante rencontre faiblement les critères déterminés par l’Employeur. Elle souligne toutefois que la plaignante rencontre d’une manière satisfaisante les points suivants : « respecte l’horaire, arrivée et départ de l’unité, repas et pause, la propreté et respecte les normes de prévention des infections, la communication, cherche à s’impliquer, esprit positif-stimulant pour l’équipe ». Enfin, elle précise :

« aucune autonomie, ne connaît pas ses tâches de PAB, tourne en rond, aucune rapidité, ne retient pas les conseils, toujours obliger de lui répéter ses tâches »

[45]         En contre-interrogatoire, Mme Rivard soutient que Mme Hillman oriente beaucoup de nouveaux préposés et ne signe pas toujours ses évaluations. Et, lorsqu’elle conclut que le rendement est insatisfaisant, elle remet les évaluations directement à Mme Rivard et au besoin, Mme Rivard rencontre la personne évaluée.

[46]         Mme Hillman est préposée aux bénéficiaires depuis sept années et demie. Elle a orienté de nouveaux préposés régulièrement. Elle reconnait sa signature sur l’évaluation. Elle reconnait Mme Tarasenko. Elle a retenu de ses échanges que Mme Tarasenko avait de la difficulté à s’intégrer et qu’elle manquait d’autonomie. Mme Hillman lui a suggéré de prendre des notes afin qu’elle arrête d’oublier. La plaignante attendait les directives de Mme Hillman, elle attendait qu’on lui dise quoi faire.

[47]         Mme Hillman ajoute que la question des signatures a été discutée et il a été convenu qu’elle n’était pas obligée car cela l’a plaçait dans une situation inconfortable face à une collègue de travail. Elle n’a pas d’opinion sur les personnes d’origine russe. Elle n’a aucun souvenir d’une discussion à cet effet avec la plaignante. Mais, elle se souvient qu’elle avait du mal à se souvenir de son nom.

[48]         Mme Hillman constate qu’elle a rempli la première partie alors que normalement les préposés doivent le faire. Elle n’a pas d’explication. Elle ne pense qu’il soit possible qu’elle l’ait évaluée deux semaines plus tard. Elle soutient ne pas avoir écrit la date du 27 mai en haut de l’évaluation. Elle ajoute qu’il est possible qu’elle ait parlé avec d’autres employés de Mme Tarasenko. Elle a parlé avec Mme Rivard et se souvient de lui avoir dit que la plaignante devait prendre plus d’initiatives, qu’elle semblait oublier les tâches. Enfin, elle se souvient avoir apporté l’évaluation écrite en mains propres à Mme Rivard.

[49]         Le 27 mai 2011, Mme Rivard regarde le dossier de Mme Tarasenko. Elle a en main l’évaluation de M. Moottoo et de Mme Hillman. Elle constate que la plaignante ne satisfait pas les attentes. Elle manque d’initiative, a de la difficulté à s’organiser et à faire la quantité de travail attendue. Mme Bourdeau confirme qu’elles se rencontrent habituellement les vendredis. Elle ne voulait pas rencontrer la plaignante sans rapport écrit.

 

Journée du 28 mai 2011 (Mme Hillman)

[50]         Mme Tarasenko lui demande si elle a complété les feuilles d’évaluation pour les premières journées. Mme Hillman confirme l’avoir fait. Mme Tarasenko affirme que Mme Hillman lui dit avoir de la réserve à prononcer son prénom et Mme Tarasenko l’avise qu’elle peut l’appeler Tania. Toutefois, Mme Hillman lui dit qu’il y a une autre Tania dans l’unité et que ça pourrait affecter sa réputation. Mme Tarasenko se ravise et ne peut affirmer si cette discussion a pu se produire un autre jour.

[51]         La plaignante ne se sent pas bien. Elle finit tout de même sa journée. À son arrivée à la maison, elle a une autre attaque et retourne à l’hôpital. Elle passe des examens et doit passer un scan vers 8 h du matin le 29 mai, elle demande à son mari d’appeler l’Employeur pour l’aviser qu’elle n’est pas en état de travailler. Il l’avise avoir tombé que sur des boites vocales. Elle lui demande d’appeler à nouveau. Enfin, le scan révèle que la plaignante a des cailloux aux reins. Vers le 30 mai, un employé de l’Employeur appelle et s’enquiert des motifs d’absence au travail de la plaignante.

[52]         Le 30 mai 2011, Mme Rivard écrit une note à Mme Bourdeau et rapporte :

« Dans le cadre de son orientation, Mme Tarasenko a démontré une faiblesse marquée à tous les niveaux de compétences attendues d’un préposé aux bénéficiaires. Nous avons reçu 3 évaluations écrites et une évaluation verbale provenant de 4 précepteurs différents qui nous ont rapporté les mêmes lacunes. De plus, voici les commentaires qui ont été inscrits sur les formulaires d’orientation :

1.     Aucune autonomie, ne connait pas les tâches de PAB, elle tourne en rond, aucune rapidité, ne tient pas compte des conseils, toujours obligée de lui répéter les tâches.

2.     Lorsqu’elle rentre dans une chambre, elle attend toujours, les mains dans le dos, qu’on lui dise quoi faire. Aucune autonomie. Elle ne connaît pas ses tâches et ne cherche pas à s’intégrer dans le groupe. N’a aucune communication avec les patients et ne sait pas comment stimuler les patients.

3.     Refuse de faire certaines tâches comme installer les électrodes pour les moniteurs aux soins intensifs. Après plusieurs démonstrations, elle n’est toujours pas capable de le faire et lorsqu’on lui demande de le faire, elle répond : fais-le toi ! Je ne suis pas capable.

4.     Doit prendre plus d’initiative et plus d’autonomie.

5.     Merci de tenir compte de ces commentaires.

 

[53]         Mme Rivard n’a pas été impliquée dans les congés pour maladie de la plaignante et précise que lorsque ces congés peuvent affecter l’orientation, il y a reprise. Elle ajoute que l’initiative est très importante notamment au 5 e étage où se trouve la médecine chirurgie.

[54]         Pour faire suite à la réception du rapport écrit, Mme Bourdeau obtient les coordonnées de la plaignante et constate qu’elle est en congé de maladie. Elle décide donc d’attendre son retour. Elle ne connait pas son état de santé, cette question étant confidentielle.

[55]         Le 1 er juin 2011, la plaignante avise l’Employeur qu’elle ne peut entrer au travail devant subir une chirurgie.

[56]         Le 13 juin 2011, la plaignante rencontre le médecin. Il n’a pas encore les résultats et la met en arrêt de travail du 29 mai au 13 juin inclusivement. Elle avise une employée du bureau de placement qu’elle peut reprendre le travail à compter du lendemain. L’employée l’informe qu’elle doit communiquer avec Mme Bourdeau. Elle la rejoint et Mme Bourdeau l’informe qu’elle veut la rencontrer avant la fin de semaine.

[57]         Au cours de la matinée du 15 juin 2011, un employé de l’Hôpital Saint-Luc l’informe qu’elle subira une chirurgie d’un jour le 27 juin. Le même jour, Mme Bourdeau la convoque à une rencontre pour le lendemain.

 

Rencontre du 16 juin 2011

[58]         Énervée, Mme Tarasenko se présente. Mme Bourdeau l’informe que son emploi est terminé. Elle explique qu’elle ne répond pas aux critères du CUSM. Mme Tarasenko lui montre l’original de l’évaluation faite par M. Miroslav. Elle demande de voir les autres évaluations. Mme Bourdeau note que la plaignante manque d’initiative et a refusé d’installer des électrodes cardiaques. Mme Tarasenko quitte bouleversée.

[59]         Mme Tarasenko ne comprend pas et ajoute avoir été congédiée alors qu’elle subissait un traitement médical. Cette situation a miné sa confiance envers les gens. Malgré cela, dès le lendemain, elle entreprend des démarches pour se trouver un nouvel emploi. Elle s’enregistre partout où elle peut. Elle obtient un poste de préposée aux bénéficiaires en juin 2012 avec le CSSS de Laval. Entre temps, elle a fait du bénévolat à l’Hôpital Sacré-Cœur et au CSSS d’Ahuntsic. Elle s’est même rendue à Chibougamau.

[60]         Mme Bourdeau relate qu’elle est accompagnée de Mme Marcil. La rencontre a été difficile. Mme Bourdeau essayait d’expliquer les constats des précepteurs et la plaignante argumentait sur tout. La plaignante quitte la réunion fâchée. Mme Bourdeau a dû se lever et dire à la plaignante que la rencontre était finie. La plaignante a alors souligné que sa fille est avocate et qu’elle allait entendre parler d’elle. Mme Bourdeau affirme que la condition médicale de la plaignante n’a été aucunement prise en compte.

[61]         Enfin, Mme Bourdeau souligne que 90% des préposés au campus Lachine ne sont pas de souche québécoise. La qualité des soins est tout ce qui importe.

[62]         En contre-interrogatoire, Mme Bourdeau admet avoir rempli un rapport intitulé « gestion de la période de probation/essai ». Elle y note les mêmes commentaires que ceux signifiés par Mme Rivard.

 

4.             LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

La partie syndicale

[63]         La décision de mettre fin à la période probatoire est empreinte de discrimination ou de mauvaise foi et donc abusive. Plusieurs faits révèlent la mauvaise foi ou le caractère abusif de la situation : Mme Hillman refuse de montrer la feuille d’évaluation ; Mme Ceballos-Adamès ne remet pas la fiche d’évaluation tout comme Mme Lalonde, la meilleure évaluation n’est pas prise en compte ; l’état de madame n’est pas pris en compte pour la journée du 28 mai, elle ne reçoit aucune rétroaction en cours d’orientation.

[64]         La preuve démontre que le processus est aléatoire et déficient. Ainsi, l’Employeur enfreint plusieurs dispositions légales (les articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne, les articles 6 et 7 du Code civil du Québec et l’article 3.02 de la convention nationale).

[65]         La plaignante a été discriminée en raison de son état de santé. L’Employeur aurait dû rejeter l’évaluation faite alors qu’elle n’était pas en condition de travailler. À la lumière de l’ensemble de la preuve, la question de la pose des électrodes représente plutôt un prétexte.

[66]         En l’espèce, l’Employeur n’a pas donné la chance de se corriger. Il n’a pas fait la preuve des reproches et la décision est en conséquence abusive comme nous l’enseignent quelques sentences rendues en pareil cas.

 

La partie patronale

[67]         Tout processus d’évaluation comporte à la fois une part objective et subjective. En l’espèce, l’Employeur a mis en place un système d’évaluation faite par des collègues de travail et qui agissent comme précepteurs. Bien que le système puisse être amélioré, cela ne le rend pas pour autant abusif. La seule contrainte prévue à la convention est celle édictée à l’article 3.06 de la convention locale.

[68]         L’Employeur a démontré d’une manière prépondérante, que la plaignante éprouvait des difficultés et ces dernières sont convergentes d’une évaluation à l’autre. Il a démontré que la décision a été prise à partir de faits. Autrement, on ne peut inférer de la mauvaise foi du fait que les fiches n’ont pas toutes été remises à la plaignante.

[69]         Également, le Syndicat n’a mis en preuve aucun fait pouvant soutenir ses allégations de discrimination. Au contraire, Mme Hillman a fourni une explication fort plausible quant aux discussions qu’elle a pu avoir avec la plaignante quant à son nom. Le Syndicat n’a pas démontré que Mme Bourdeau connaissait l’état de maladie de la plaignante au moment de la prise de décision. Elle n’a donc pu être influencée par cet état.

[70]         En somme, l’Employeur a établi les faits à l’origine de sa décision et le Syndicat n’a pas rempli son fardeau de preuve. Il n’a pas démontré que l’Employeur a agi d’une manière discriminatoire ou abusive.

 

5.         ANALYSE ET DÉCISION

[71]         La présente affaire soulève l’appréciation de la décision de l’Employeur de mettre fin à l’emploi de la plaignante et ce en cours de période probatoire. L’article 1.09 de la convention nationale édicte à ce sujet :

« Toute nouvelle personne salariée est soumise à une période de probation. Durant cette période, elle a droit à tous les avantages de la présente convention collective. En cas de congédiement pendant cette période, elle n’a pas droit à la procédure de grief.

Les modalités et la durée de la période de probation sont négociées et agrées à l’échelle locale.

La personne salariée acquiert son ancienneté une fois sa période de probation terminée selon les modalités de l’article 12. »

 

[72]         L’article 3 de la convention locale définit la durée et les modalités de la période probatoire et aux fins du présent litige, la seule contrainte pertinente est celle relative au programme d’accueil et d’orientation et régi à la clause 3.06 :

« L’Employeur établit, à l’intention des personnes salariées nouvellement embauchées, un programme d’accueil et d’orientation qui doit commencer dès le premier jour d’emploi. Ces journées (accueil et orientation) sont exclues de la période probatoire. La période d’orientation se fait de façon continue, et à la fin de celle-ci, la période probatoire débute. Dans des cas d’exceptions où la période d’orientation ne peut se faire de façon continue, les raisons seront fournies au Syndicat.

Si la personne salariée récemment embauchée n’a pas complété son program-me d’orientation, la durée de la période probatoire ne sera pas prolongée et se terminera lorsque la personne salariée aura complété trente (30) jours de travail. »

[73]         En l’espèce, la partie syndicale prétend essentiellement que l’Employeur a discriminé la plaignante en raison de son état de santé et ce contrairement à la Charte des droits et libertés de la personne et que la décision est, dans les circonstances, abusive.

[74]         Aux fins du présent litige, depuis les arrêts Parry Sound [1] et Syndicat de la fonction publique du Québec [2] rendus par la Cour suprême du Canada, l’étendue de la compétence d’un arbitre de grief saisi d’une contestation d’une décision de fin d’emploi alors qu’il y a exclusion à l’arbitrage est bien délimitée. [3]  L’arbitre de grief peut apprécier le caractère discriminatoire de la décision à la lumière de la Charte des droits et libertés de la personne ou d’une norme d’emploi d’ordre public. L’arbitre de grief peut vérifier si la décision est arbitraire, déraisonnable, discriminatoire ou abusive.

[75]         Les auteurs Rodrigue Blouin et Fernand Morin résument en quelques mots l’essence de ces critères d’appréciation :

« L’arbitre peut être appelé à s’assurer qu’une mesure, même en apparence neutre et conforme à la convention collective, ne serait néanmoins le fruit d’une décision abusive, discriminatoire ou déraisonnable. Il pourrait notamment en être ainsi lorsque l’évaluation du salarié pour fin de promotion, ou encore lorsqu’il licencie un salarié. Il y a lieu de distinguer les qualificatifs abusif et discriminatoire. Il y a situation abusive lorsque l’employeur agit de mauvaise foi, sans aucun motif lié au fonctionnement de l’entreprise ou à la finalité des droits de gérance. Dans le cas d’une situation discriminatoire, l’employeur agit pour un motif qui viole ou contrevient aux principes généraux de droit et notamment le principe d’égalité (charte, loi, convention collective, droit prétorien) comme la condition sociale, la race, la religion, etc.. Enfin, il peut être possible de dégager une situation déraisonnable lorsqu’un employeur prudent et compétent, agissant avec bon sens et dans le respect de la dignité du salarié, n’aurait pas retenu une telle solution en semblable circonstance. En ces cas, l’arbitre de grief peut intervenir et redresser les droits et les obligations des parties conformément aux règles conventionnelles et légales applicables. [4]

[76]         Dans un contexte de fin d’emploi suivant une période probatoire ou d’essai, le pouvoir d’intervention de l’arbitre est toutefois restreint, comme le décrit l’arbitre Jean-Louis Dubé :

« Est arbitraire l’acte qui n’est fondé sur aucun motif réel ou pertinent. Donc, lorsque l’employeur motive sa décision par des faits précis, il doit les établir en preuve. Il suffit alors qu’ils soient pertinents et il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’un fait « méritant » un congédiement car il n’y aurait alors aucune distinction entre le salarié régulier et le salarié en probation ou en période d’essai. En fait, ce qui est vraiment essentiel est que, vu l’obligation d’agir de bonne foi, sans arbitraire et de façon raisonnable, il ne doit pas y avoir de vice sérieux dans le processus d’évaluation ou de décision au point qu’il ne devienne absurde ou un coup monté, étant entendu par contre que l’évaluation puisse porter sur des éléments impondérables et même subjectifs, comme le dynamisme, la motivation et l’ardeur au travail. Il faut donc généralement que le salarié ait été adéquatement d’une part informé des objectifs à atteindre, des attentes à son égard, et d’autre part d’une certaine façon suivi dans sa période de probation sans avoir à lui dire cependant constamment que s’il ne s’améliore pas il peut être sujet à congédiement. » [5]

[77]         Quant au fardeau de preuve, le syndicat doit démontrer le caractère déraisonnable, discriminatoire, arbitraire ou abusif de la décision prise par l’employeur. Et, ce dernier doit toutefois démontrer les manquements reprochés au soutien de sa décision :

« [25] Il convient d’abord de rappeler que l’article 6.03 a) de la convention collective reconnaît à l’Employeur le pouvoir de congédier un fonctionnaire temporaire en période d’essai qui n’a pas, à sa satisfaction, les qualifications requises et les aptitudes nécessaires pour occuper un emploi. C’est donc à l’Employeur de démontrer en premier lieu les manquements qu’il reproche au plaignant et pour lesquels il a mis fin à la période d’essai. Les manquements reprochés doivent être réels pour que l’Employeur puisse faire la preuve de son insatisfaction.

[26] Une fois cette preuve établie, il revient au Syndicat de démontrer que la décision de l’Employeur est empreinte de mauvaise foi, de discrimination ou qu’elle est abusive ou déraisonnable. […] » [6]

[78]         Qu’en est-il en l’espèce ?

[79]         La preuve démontre que la plaignante a été évaluée dans le cadre d’un programme d’accueil et d’orientation implanté par Mme Rivard. Ledit programme comprend des évaluations ponctuelles faites par des précepteurs, une évaluation mi-étape et une autre à la fin de la période de trente (30) jours, en l’occurrence à la fin du mois de juin 2011. Le premier jour de son emploi, Mme Tarasenko est informée des modalités du programme. Elle comprend qu’elle doit recevoir tous les jours une évaluation écrite du précepteur qui l’accompagne.

[80]         Toutefois, la preuve démontre que certains précepteurs complètent les feuilles d’évaluation alors que d’autres préfèrent partager leur appréciation verbalement ou seulement à Mme Rivard. Bien que ces façons de faire ne correspondent pas à la compréhension de Mme Tarasenko, j’estime que l’on ne peut inférer de ces pratiques de la mauvaise foi d’autant plus que les précepteurs ont fourni des explications fort plausibles pour agir ainsi. L’important étant toutefois que l’évaluation soit faite à partir de critères objectifs, mesurables et liés à la mission de l’entreprise. En l’espèce, la feuille d’évaluation préparée par Mme Rivard satisfait ces critères et cette dernière définit le cadre d’évaluation des précepteurs.

[81]         La plaignante suggère également que le programme n’a pas été rigoureusement suivi et que ce manque de rigueur est révélateur d’une certaine mauvaise foi à son égard. En effet, la preuve révèle des discordances entre l’historique du travail relaté par la plaignante et celui noté au dossier de la plaignante par Mme Rivard. Toutefois, malgré ces différences et qui demeurent inexpliquées, la preuve prépondérante démontre que Mme Rivard a évalué la plaignante à la mi-étape et que son évaluation a été faite à partir de deux évaluations (une verbale et l’autre écrite) et ces dernières étaient dans leur ensemble convergentes. Il en est de même une dizaine de jours plus tard. Et, à ce moment, selon les évaluations notées au dossier, la plaignante ne s’est pas améliorée notamment sur le plan de l’autonomie et de l’initiative. Habiletés qui, selon Mme Rivard, ont été soulignées lors de la journée d’accueil. J’estime donc que l’on ne peut déduire de quelques écarts d’ordre administratif une mauvaise foi d’autant plus que la preuve ne démontre pas que l’Employeur ait agi d’une manière inéquitable à l’égard de la plaignante.

[82]         Par ailleurs, la preuve démontre qu’effectivement la plaignante a, malgré son état de santé affaibli par une condition alors méconnue, travaillé les 27 et 28 mai. Et, pour ces deux dernières journées travaillées, les évaluations faites par les précepteurs ont été défavorables. Ainsi, la plaignante prétend avoir été discriminée en raison de son état de santé. Or, la preuve ne démontre pas que lesdits précepteurs étaient au courant de son état de santé et de surcroit l’on ne peut associer les faiblesses notées aux évaluations à son état de santé, dont le manque d’initiative ou d’autonomie. Enfin, la preuve démontre que ni Mme Rivard ni Mme Bourdeau n’ont tenu compte de son état de santé. Seules les évaluations des précepteurs ont été prises en compte. La preuve ne démontre donc pas l’existence d’une discrimination objective ou même subjective.

[83]         Enfin, la plaignante a relaté des faits ou des propos desquels elle déduit une certaine mauvaise foi ou une discrimination à son égard. Par exemple, elle soutient que Mme Hillman aurait dit « on embauche n’importe qui faute d’argent » ou encore que cette dernière la questionnait sur ses origines. À l’audition, Mme Hillman a expliqué ses constats et a fermement nié ces insinuations tout en notant se rappeler qu’elle avait de la difficulté à prononcer son prénom, ce qui est fort plausible. Cette dernière m’a paru fort crédible. Et, il m’apparaît pour le moins invraisemblable que Mme Hillman aurait refusé d’appeler la plaignante Tania, de peur de porter atteinte à la réputation d’une autre collègue portant ce prénom. Enfin, vu la constance des évaluations soumises à Mme Rivard incluant celle de Mme Hillman, j’estime le témoignage de Mme Hillman plus crédible d’autant plus qu’elle n’avait pas d’intérêt réel dans cette affaire et au surplus que la preuve révèle que l’Employeur embauche plusieurs préposés aux bénéficiaires provenant d’origines diversifiées. Preuve qui est même corroborée par le seul profil des préposés aux bénéficiaires entendus dans le cadre du présent litige.

[84]         Reste l’évaluation très positive de M. Miroslav et qui n’a pas été soumise à Mme Rivard. La preuve n’a pas vraiment permis d’élucider, pourquoi cette évaluation n’a pas été remise à Mme Rivard. Toutefois, j’estime que cette énigme ne permet pas de conclure que le processus d’évaluation a été entaché de mauvaise foi ou a été, dans les circonstances, appliqué d’une manière abusive. Rappelons que la décision a été prise à partir de quatre évaluations effectuées par quatre précepteurs et dont la crédibilité n’a pas été mise en doute. Il va s’en dire également, que d’un précepteur à l’autre, il peut y avoir des divergences dans l’appréciation d’une personne, cette dernière faisant appel à l’objectivité et à la subjectivité. Or, comme relaté, en l’espèce toutes les évaluations remises à Mme Girard sont convergentes et vu le nombre de ces évaluations, je ne crois pas que l’évaluation très positive de M. Miroslav puisse suffire à les contrer. Enfin, j’estime également qu’il serait inapproprié d’opposer dans les circonstances propres à la présente affaire, l’évaluation de M. Miraslov alors que cette dernière n’a pas été soumise à Mme Rivard qui était chargée de les analyser d’autant plus que rien ne permet de douter de sa bonne foi ni de celle de Mme Bourdeau.

[85]         En somme, vu le pouvoir restreint d’appréciation d’une fin d’emploi effectuée dans le cadre d’une période de probation et de la preuve soumise par les deux parties et du fardeau de preuve du Syndicat, j’estime que le grief doit être rejeté. Les allégations d’abus ou de mauvaise foi ou de discrimination n’étant pas appuyées par la preuve.

 


 

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE le grief.

 

 

 

Me Maureen Flynn, arbitre

 

Procureure syndicale : Mme Julia Bendavid

Procureur patronal : Me François Longpré

Dates d’audience : 27 aout et 1 er novembre 2013

Date de délibéré : 6 novembre 2013

 

Notre dossier : MF-1207-30135-GAS

Sentence # 156-14



[1]     Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324 , 2003 CSC 42 [2003] 2 R.C.S. 157

[2]     Syndicat de la fonction publique du Québec c. Procureur général du Québec et als. , [2010] 2 R.C.S. 61 .

[3]     Notons que cette question n’est pas contestée par les parties.

[4]     Droit de l’arbitrage de grief, 6 e édition, Éditions Yvon Blais, p. 583. Voir dans le cadre d’une période d’essai : Syndicat des employé(es) de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500-SCFP c. Hydro-Québec , T.A., Me Rodrigue Blouin, AZ-94142061 .

[5]     Syndicat des ouvriers du Fer et Titane (CSN) et Quit-Fer et Titane inc. , AZ-5045800 (T.A.) p. 11. Voir au même effet : Union des employés et employés de service, section locale 800 c. Fonds régional de solidarité du Saguenay Lac St-Jean , T.A., Me Côté, AZ-50208263 . Voir également la revue de la jurisprudence dans l’affaire Musée des Beaux-Arts du Canada c. Alliance de la fonction publique du Canada , T.A., Me Richard Marcheterre, AZ-50289028 , D.T.E. 2005T-313 . En présence d’une discrimination alléguée, voir A decco, services des ressources humaines ltée (Adecco Terrebonne) et Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’aluminerie Alcan inc. ( section Adecco) (CSN) , T.A., M. Noël Malette, 2008, AZ-50525666 , D.T.E. 2009T-49

[6]     Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) et Ville de Montréal , T. A. Diane Veilleux, 20 janvier 2009, AZ-50536376