Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 16 mai 2014

Référence neutre : 2014 QCTAQ 05534

Dossier  : SAS-M-216838-1310

Devant les juges administratifs :

MARTINE LAVOIE

LOUISE HAMEL

 

F… S…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Il s’agit d’un recours formé à l’encontre d’une décision rendue en révision par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la Société), le 21 octobre 2013, ayant pour effet de maintenir la suspension du permis de conduire du requérant et d'exiger qu'il poursuive le processus d'évaluation (évaluation complète) auprès d'un centre reconnu par l'Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ), jus-qu'à ce qu'un rapport favorable à la conduite sécuritaire d’un véhicule routier soit obtenu.

 

[2]               On peut résumer comme suit ce qui se dégage de la preuve au dossier.

[3]               Le 18 mai 2013, le permis de conduire du requérant est suspendu pour une période de 90 jours. Il s’agit d’une suspension imposée sur-le-champ au nom de l’intimée par un agent de la paix, en application de l’article 202.4 du Code criminel [1] .

[4]               Selon le procès-verbal de suspension du permis [2] , un citoyen a logé un appel aux policiers concernant une musique forte à bord d’un véhicule routier. Arrivé sur les lieux, l’agent de la paix, M.C., constate une odeur d’alcool provenant de l’haleine du requérant et voit une bouteille de bacardi entamée dans la voiture. Puisque le requérant se trouve en situation de garde et contrôle du véhicule, on lui demande de se soumettre au test d’alcoolémie, mais il refuse d’obtempérer à l’ordre de l’agent de la paix.

[5]               Le 23 mai 2013, la Société intimée exige, selon les termes de l’article 109( 4 ) du Code de la sécurité routière (CSR), que le requérant se soumettre à une évaluation puisque son comportement lors de l’arrestation démontre que son rapport à l’alcool ou aux drogues pourrait compromettre la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[6]               L’article 109 paragraphe 4 du CSR se lit comme suit :

«  109. La Société peut exiger que le titulaire d'un permis se soumette à un examen ou à une évaluation visés aux articles 67 ou 73 dans les cas suivants:

[…]

4° elle a des motifs raisonnables de vérifier son état de santé ou son comportement de conducteur;

[…] »

[7]               Le requérant doit donc se soumettre à une évaluation de l’ACRDQ afin de s’assu-rer que ses habitudes de consommation d’alcool ou de drogue ne compromettent pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. Ce processus constitue une « évaluation du risque ».

[8]               L’article 73 CSR auquel renvoie l’article 109 se lit comme suit :

«  73. La Société peut exiger d'une personne qui demande l'obtention ou le renouvellement d'un permis, d'en faire changer la classe ou de lui en ajouter une autre ou de faire supprimer une condition y apparaissant, qu'elle se soumette à un examen médical ou à une évaluation sur sa santé fait par un médecin spécialiste ou un autre professionnel de la santé que la Société peut désigner nommément. Cette personne doit, à la demande de la Société, lui remettre le rapport de cet examen ou de cette évaluation dans le délai qu'elle lui indique et qui ne peut excéder 90 jours.

En outre, la Société peut requérir que l'examen ou l'évaluation soit fait dans le centre hospitalier ou dans le centre de réadaptation qu'elle désigne nommément ou dont elle détermine la classe parmi celles établies à l'article 86 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2).

Dans le cas où l'évaluation est faite dans un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes ou dans un centre hospitalier offrant ce même service, elle est faite par des personnes autorisées par ces centres et suivant des règles établies par entente entre la Société et ces centres et entre la Société et l'Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec.

[…] »

(Notre emphase)

[9]               À l’avis du 23 mai 2013, la Société précise qu’à défaut de recevoir un rapport d’évaluation favorable avant le 16 août 2013, le permis de conduire du requérant sera de nouveau suspendu à compter du 16 août 2013 jusqu’à l’obtention d’une recommandation favorable.

[10]            Le 2 août 2013, n’ayant toujours pas reçu le rapport d’évaluation requis, l’intimée avise le requérant que son permis sera suspendu à partir du 16 août 2013, Le 20 août 2013, la Société confirme cette suspension.

[11]            Le 27 août 2013, le requérant se soumet à l’évaluation du risque demandée par la Société. L’évaluatrice, madame M. Zigby, infirmière de formation, procède à l’évaluation et émet une recommandation non favorable. À son rapport du 8 septembre 2013, elle recommande que le requérant se soumette à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ou de drogue ne soient plus incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[12]            Considérant la recommandation défavorable, le 11 septembre 2013, la Société avise le requérant que la suspension du permis est maintenue à partir du 10 septembre 2013 et qu’il doit poursuivre le processus d’évaluation jusqu’à l’obtention d’une recommandation favorable s’il veut récupérer son permis de conduire.

[13]            Le 21 octobre 2013, cette décision est maintenue en révision par la Société, d’où le recours du requérant.

[14]            Cette décision s’appuie sur l’article 190 , paragraphe 3 CSR qui accorde, en ces termes, un pouvoir discrétionnaire à la Société :

«  190. La Société peut suspendre un permis d'apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l'un ou plusieurs de ces permis:

[…]

3° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d'une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;

[…] »

[15]            À sa requête introductive d’instance au Tribunal [3] , le requérant motive ainsi son recours :

«  OBJETS ET MOTIFS

Bonjour à vous, mes motifs de poursuite à L’ACRDQ sont de fraude. Le 17 mai 2013, j’ai eu la garde et contrôle d’un véhicule (j’avais mes clefs sur accessoire pour écouter de la musique et je ne conduisais pas) avec une présence minime d’alcool dans le sang. Le bruit de la radio a réveillé un voisin qui a appelé la police et j’ai ensuite perdu mon permis 15 minutes plus tard sur le même lieu. Avec trois mois de suspension de permis, je devais passer par l’ACRDQ pour ravoir pour savoir si j’étais un risque sur la route. Premièrement, je n’avais aucune intention de conduire et j’ignorais cette loi, mais bon, (ça je dois le défendre en cours). Pour ravoir mon permis et faire le test, je devais payer une somme de 300 $ et répondre à 200 questions le 27 août dernier par rapport à si je buvais fréquemment, si je me droguais, si j’avais des antécédents criminels (dossier), si j’avais déjà perdu des points sur la route, si j’avais des problèmes mentaux et les réponses que je donnais étaient toujours non et cela est la vérité. Mais, par la suite, je reçois leur réponse par la poste le 10 septembre dernier et que je ne suis pas favorable à ravoir mon permis et que je suis un risque (à boire sur la route). Vu qu’ils n’avaient pas de données sur les questions pour me démolir comme de quoi j’étais un risque, ils ont repris les motifs de l’enlèvement de mon permis pour le suspendre encore et de repasser un test semblable mais de 1000 $. Alors pourquoi me faire payer un test déjà « échoué » ? De plus, j’ai les preuves dans ces documents que j’ai répondus que je ne suis pas du tout à risque de conduire vu de qui je suis, de mes antécédents et de la raison de ma suspension. Ils indiquent que j’ai refusé d’obtempérer en refusant de souffler mais ce n’est pas le cas, je l’ai fait mais ils m’ont seulement pas expliqué comment. Ça je vais le défendre en cours, je ne suis pas supposé recevoir des conséquences tant que je ne suis pas reconnu coupable et surtout que je ne le suis pas. Alors s’il vous plaît, aider moi à récupérer mon permis car je suis un bon gars qui ne mérite pas du tout cela, qui ne peut rien faire sans son auto et que je me fais voler de l’argent pas ACRDQ. » (sic)

[16]            Témoignant à l’audience, le requérant reprend essentiellement les mêmes explications. Les événements exceptionnels sont survenus alors qu’il célébrait les 18 ans d’un ami. Il précise que les clefs de son véhicule se trouvaient dans l’ignition, mais que le moteur de la voiture ne fonctionnait pas. Il ne comprend pas qu’un refus de souffler à l’alcootest constitue un facteur de risque. De toutes façons, le requérant soutient que les policiers ne lui ont pas donné les directives appropriées. Ils ont omis de lui mentionner qu’il fallait souffler le plus fort possible. En ce moment, le véhicule qu’il conduit est muni d’un dispositif détecteur d’alcool et il doit souffler très fort.

[17]            Quant à l’entrevue du 27 août 2013 avec l’évaluatrice de l’ACRDQ, le requérant affirme qu’elle s’est bien déroulée. Il a dit la vérité à chacune des questions auxquelles, précise-t-il, il a répondu par la négative le plus souvent. Il a expliqué sa situation à l’évaluatrice qui a semblé bien le comprendre. Il n’est pas alcoolique et ne mérite pas ce qui lui arrive.

[18]            Le requérant confirme l’exactitude des renseignements contenus au rapport de l’évaluation du risque du 8 septembre 2013 [4] et dont il est utile de citer les extraits suivants :

« Monsieur [le requérant] est âgé de 18 ans. Il est célibataire et vit avec ses parents. Il a une scolarité de niveau secondaire V. Il travaille comme cuisinier depuis environ 2 mois.

[…]

Selon le dossier de conduite de monsieur, son permis de conduire fait l’objet d’une suspension administrative du 2013-05-18 au 2013-08-16 pour garde et contrôle d’un véhicule en facultés affaiblies qui est survenu le 2013-05-18. Monsieur dit qu’il est sorti de chez la maison de son ami et a mis de la musique dans son auto pendant qu’il parlait avec son ami. Le voisin aurait appelé la police parce que la musique était trop forte. Ils sont venu sur les lieux et ont arrête monsieur [le requérant]. Il dit qu’il avait consommé 4 bières. Selon le procès-verbal, monsieur a refusé d’obtempérer selon l’article CC254. Il devrait comparaître au tribunal prochainement. Il indique ne pas avoir conduit depuis le jour de son arrestation le 2013-05-18. Selon son dossier de conduite, monsieur ne cumule aucun point d’inaptitude au cours des 2 dernières années. Il a une expérience de conduite de 10 mois sur le réseau routier.

Au niveau de la consommation d’alcool, avant son arrestation, monsieur dit consommer 1 fois tous les 5 mois, 2 à 3 bières par occasion. Il dit consommer au bar, ou chez un ami comme le jour de son arrestation 2013-05-18. Au cours des 35 derniers jours, monsieur rapporte ne pas avoir consommé de l’alcool.

Il dit n’avoir jamais fait usage de drogues ou de médicaments psychotropes.

[…] »

[19]            Le représentant de la Société dépose les documents suivants émanant du service de police [5]  : « Enquête sur la capacité de conduite affaiblie », le « rapport complémentaire » et la « déclaration extrajudiciaire » du requérant.

[20]            Le procureur fait valoir qu’il en ressort que, contrairement aux prétentions du requérant, l’agent G. « dit à maintes reprises (au requérant) de souffler plus fort ». Il explique au requérant que l’évaluation sommaire est un protocole standardisé pour déterminer si le profil du conducteur nécessite une prise en charge.

[21]            Le procureur plaide qu’il appartenait au requérant de démontrer l’existence d’erreur dans la collecte de données et il n’a pas rencontré son fardeau de preuve. Dans ces cir-constances, compte tenu de la recommandation non favorable de l’évaluatrice accréditée, et considérant la Loi, le Tribunal n’a d’autre alternative que de rejeter le recours.

 

[22]            Après analyse de la preuve, le Tribunal conclut au bien-fondé de la décision de l’intimée pour les motifs suivants.

[23]            Tout d’abord, la Société a appliqué correctement les dispositions législatives perti-nentes. À cet égard, le Tribunal estime que le critère des motifs raisonnables est ici satisfait et que l’intimée était bien fondée d’exiger l’évaluation du risque (article 109 , paragraphe 4 CSR). En effet, devant les versions contradictoires du requérant et du policier (pièce I-1), le Tribunal accorde préséance à la version désintéressée du policier qui déclare :

« TEST 1 ET 2 :

[…] L’individu appuit alors ses lèvres sur la pièce buccale sans souffler. L’agent G. dit à maintes reprises de souffler plus fort. Le test en question est tenté 2 fois consécutives. À chaque fois l’indicateur numérique inscrit (NOGO). L’individu mention souffler à chaque fois.

TEST 3 ET 4 :

L’agent G. ainsi que l’agent C. réexplique les conséquences de ne pas souffler correctement et le fonctionnement de l’appareil. Une troisième et une quatrième tentative est refaite. L’individu place ses lèvres sur la pièce buccale mais ne souffle pas. L’appareil inscrit (NOGO). L’individu nous mentionne qu’il souffle dans l’appareil mais celle-ci ne fonctionne pas. À noter que nous nous sommes assurés avant le début du quart que l’appareil était fonctionnel et en bonne état. » (sic)

[24]            Le Tribunal ne saurait prêter foi aux propos du requérant, témoin éminemment intéressé. Ainsi, puisque le requérant a refusé de collaborer, la Société détenait des « motifs raisonnables » au sens de l’article 109 paragraphe 4 pour exiger l’évaluation du risque dont le résultat a été défavorable. Or, rien ne permet d’écarter cette évaluation dont les conclusions se lisent ainsi :

« Le résultat de cette évaluation s’appuie sur l’analyse des informations qui ont été recueillies lors d’une entrevue structurée, de la passation de questionnaires remplis par monsieur [le requérant], de documents relatifs au dossier de conduite et le procès-verbal. Le sens de la recommandation formulée s’appuie sur un cumul d’éléments qui sont associés au risque de récidive en matière de conduite avec les facultés affaiblies. Dans le cas présent, le cumul de facteurs de risque retrouvés chez monsieur atteint le seuil de risque significatif.

Tout d’abord, un refus d’obtempérer est considéré comme étant un facteur de risque. Notons qu’au niveau des habitudes de conduite, monsieur a moins de 84 mois d’expérience et il consomme à deux endroits avec risque de déplacement par la suite, un autre facteur de risque. Selon les questionnaires auto-administrés, monsieur démontre une attitude laxiste ce qui sous-entend une certaine tolérance envers la conduite avec les facultés affaiblies, lié à la consommation d’alcool et la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. Les résultats de l’évaluation nous indiquent que monsieur présente un potentiel de risque de récidive donc nous émettons une recommandation non favorable.

Il est recommandé de soumettre monsieur à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ne seront pas incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

En conclusion, selon le protocole d’évaluation établi par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ), les résultats démontrent qu’il nous faut approfondir notre évaluation avant d’indiquer à la SAAQ si la consommation d’alcool est compatible avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

La recommandation découlant de cette évaluation a été transmise à la SAAQ en même temps qu’elle a été postée au conducteur. La Société de l’assurance automobile du Québec le contactera par la poste dans quelques semaines pour lui indiquer les démarches qu’elle lui demande d’entreprendre pour récupérer son permis.

Conclusion :

Nous confirmons donc que la personne ci-haut mentionnée a été évaluée et qu’il en ressort une :

RECOMMANDATION NON FAVORABLE

Par conséquent, il est recommandé de soumettre la personne ci-haut mentionné à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ou de drogue ne sont plus incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.  » (sic)

[25]            En effet, le requérant a admis à l’audience avoir été franc et honnête dans ses réponses et a dit que l’entrevue s’était bien déroulée.

[26]            En l’espèce, le Tribunal constate que l’intimée a appliqué correctement les dispositions législatives pertinentes et qu’aucun élément ne permet d’écarter les résultats de l’évaluation du risque du 27 août 2013.

[27]            Le Tribunal rappelle que l’attribution d’un permis de conduire constitue un privilège et non un droit et que le Code de la sécurité routière est une loi d’ordre public visant à assurer la sécurité du public et celle des conducteurs.

[28]            Le Tribunal conclut au bien-fondé de la décision contestée rendue par la Société qui était bien fondée de maintenir la suspension du permis de conduire du requérant en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui accorde l’article 190 , paragraphe 3 du Code de la sécurité routière .


POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

REJETTE le recours.


 

MARTINE LAVOIE, j.a.t.a.q.

 

 

LOUISE HAMEL, j.a.t.a.q.


 

Me François Desroches Lapointe

Procureur de la partie intimée


 



[1] L.R., 1985, c. C-46.

[2] Dossier, page 1.

[3] Dossier, page 15.

[4] Dossier, page 17.

[5] Pièce I-1.