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2014 QCCS 2198 |
B. Roy Transport inc. c. Fonds d'assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec |
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JB 2770
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUCE |
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<Chambre civile> |
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N° : |
350-17-000021-124 |
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DATE : |
12 mai 2014 |
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L'HONORABLE DANIELLE BLONDIN, j.c.s. ______________________________________________________________________ |
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B. ROY TRANSPORT INC., personne morale légalement constituée, ayant son siège au 1535, 8 ième Rue, Saint-Posper (Qc) G0M 1Y0 |
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demanderesse |
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c. |
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FONDS D'ASSURANCE RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE DU BARREAU DU QUÉBEC, ayant sa place d'affaires au 445, boul. Saint-Laurent, bureau 300, Montréal (Qc) H2Y 3T8 |
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défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse, B. Roy Transport inc., poursuit en dommages le Fonds d'assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec («le Fonds») en alléguant que le cabinet d'avocats Stein, Monast a commis une faute dans l'exécution du mandat qu'elle lui a confié lors de l'acquisition de certains éléments d'actifs auprès du séquestre intérimaire aux biens de 9146-2804 Québec inc. («9146»).
[2] Se plaignant de ne pas avoir été conseillée adéquatement sur les conséquences de la transaction, la demanderesse se retrouve à payer des cotisations plus élevées à la CSST pour ses employés parce qu'on lui a transféré le suivi d'expérience de 9146, l'employeur précédent.
[3] Avoir été informée de cette éventualité, elle soutient qu'elle n'aurait jamais acheté les actifs de 9146 ou, à tout le moins, n'aurait pas donné un prix aussi élevé.
[4] En raison de cette faute professionnelle, elle réclame à titre de dommages, les frais excédentaires qu'elle a dû encourir auprès de la CSST en 2009, 2010, 2011 et 2012, ce qui totalise 373 215,39$.
[5] En défense, il est soulevé que Stein Monast n'a commis aucune faute professionnelle en ce que ses avocats ont correctement rempli le mandat confié, soit celui de rédiger une offre d'achat pour l'acquisition des actifs d'une entreprise insolvable, lesquels devaient être libres de tout lien. Le mandat ne concernait pas les opérations futures résultant de la transaction sous quelque aspect qu'il s'agisse de questions fiscales, d'assurance, de transport, de coût d'exploitation ou taux de cotisation à la CSST.
[6] Il est aussi plaidé l'absence de causalité entre la faute alléguée et les dommages reliés aux dépenses supplémentaires pour le taux de cotisation à la CSST et l'argument que la demanderesse n'aurait pas acheté ou donné un prix si élevé, avoir connu la situation.
[7] Finalement, on invoque qu'il n'y a pas de preuve de dommages parce que la demanderesse n'a pas établi le taux qu'elle aurait payé en l'absence de transfert de l'expérience du devancier et puisque l'entreprise réalise des profits à chaque année depuis 2009.
LES FAITS
[8] La demanderesse, dont le président est Bertrand Roy, a été constituée en 2009 aux fins d'acquérir les actifs d'une société de transport insolvable, soit 9146-2804 Québec inc. (ci-après «9146»), opérant sous le nom de Transport Veilleux.
[9] Cette dernière, initialement fondée dans les années 80 par le père de Bertrand Roy sous le nom de «Opérations RBL inc.», a été restructurée sous le même nom en 1985 avec trois actionnaires, Bertrand Roy, son père Luc et son frère Réjean. L'entreprise dont Bertrand assumait principalement la charge œuvrait dans le commerce et le transport routier de matières forestières et ils ont eu jusqu'à 85 employés.
[10] En 2003, Bertrand Roy est épuisé. Les trois partenaires vendent les actions de Opérations RBL inc. à Serge Giguère mais demeurent créanciers d'un montant de 900 000$ représentant le solde impayé du prix de vente, soit 300 000$ pour chaque actionnaire, avec la garantie d'une hypothèque de second rang [1] .
[11] En 2007, Opérations RBL inc. connaît des difficultés financières. Le séquestre offre à Bertrand Roy de reprendre l'entreprise. La créance de chaque actionnaire est alors de 200 000$. Bertrand Roy consulte Me Marc Germain pour étudier les alternatives qui s'offrent à lui. Avec trois autres personnes, Bertrand Roy fait une offre d'achat des actifs non pas «pour sauver sa créance» précise-t-il mais «parce qu'il aime œuvrer dans ce domaine» qu'il connaît bien [2] .
[12] L'offre de Transport Veilleux est supérieure. Il y a des discussions avec Me Germain pour sauver leurs créances et finalement, au lieu d'être éliminée par la faillite, la créance est réduite à 300 000$, soit 100 000$ pour chaque actionnaire (D-7).
[13] En février 2009, 9146 (Transport Veilleux) dépose une proposition concordataire. Le séquestre intérimaire est chargé de la liquidation de l'entreprise pour la Caisse populaire qui détient une hypothèque de premier rang sur les actifs. La Caisse demande à Bertrand Roy s'il est intéressé.
[14] Celui-ci décide du montant et des modalités de l'offre de 560 000$ pour acquérir les actifs physiques de Transport Veilleux. Il explique qu'il en est arrivé à ce montant à la suite de son analyse des actifs et après avoir consulté son père et d'autres personnes. Il savait bien ce qu'il achetait comme c'était leur ancienne compagnie et qu'il avait travaillé comme consultant en gestion chez Transport Veilleux de janvier à octobre 2008. De cette façon, il ne perdait pas ce qui restait dû sur sa créance, soit quelques 100 000$ [3] .
[15] Avant de monter l'offre ou peu après, Bertrand Roy contacte Me Jean-François Émond du cabinet Stein Monast qui le réfère à Me Marc Germain qui est spécialisé en droit des sûretés ainsi qu'en faillite et insolvabilité.
[16] Selon Me Germain, monsieur Roy lui demande de préparer une offre d'achat pour acquérir les actifs physiques de 9146, lesquels devaient être libres de toutes charges. Comme le montant de 560 000$ était totalement versé à la Caisse «pour se couvrir», les actifs se trouvaient libérés de tout lien.
[17] Pour Bertrand Roy, il y avait plus selon ce qu'il prétend.
[18] Il dit qu'il a avisé et répété plusieurs fois à Me Germain et aux deux jeunes avocats au dossier qui sont là parce que monsieur Roy veut payer des honoraires moins élevés, qu'il prenait des avocats pour être certain de n'avoir rien de résiduel ou des antécédents de Transport Veilleux et de leurs magouilles dont il leur avait parlé. Il ne voulait rien d'autre que les camions, les remorques et le garage [4] . Par contre, il ne se souvient pas de ce que les avocats lui répondaient quand il exprimait ses inquiétudes au sujet de Transport Veilleux et il ne se rappelle pas non plus s'il a été question de la CSST ou s'il leur a parlé qu'il envisageait embaucher d'ex-employés de Transport Veilleux.
[19] Selon Me Germain, quand monsieur Roy mentionne qu'il ne veut rien savoir des héritages de Veilleux, il lui répond que pour sa part, tout ce qu'il peut faire, c'est de lui transférer des actifs libres de charges tandis que lui, monsieur Roy, s'occupait des opérations de l'entreprise. D'ailleurs ce dernier ne l'a jamais consulté pour le démarrage de l'entreprise et de par son expérience passée dans le domaine, la preuve établit qu'il était familier avec les questions touchant les taux de cotisation à la CSST comme lorsqu'il a évalué le coût d'acquisition de Giguère en 2007 [5] .
[20] Le 1 er avril 2009, le contrat de vente d'actifs est signé. Peu après, monsieur Roy reconnaît avoir refusé une offre d'achat de 660 000$ d'un soumissionnaire compétiteur.
[21] Dès lors, la demanderesse prend possession des équipements et les opère dans le cadre de sa nouvelle entreprise. Monsieur Roy change l'adresse et le numéro de téléphone et il décide également d'embaucher d'anciens employés de Transport Veilleux ainsi qu'un monsieur Gagné spécialisé en transport «pour voir aux choses administratives comme les permis des camions, l'enregistrement à la CSST, etc.».
[22] Peu de temps après la mise en opération, monsieur Roy reçoit un appel de la CSST l'avisant qu'il aurait la continuité des cotes de Transport Veilleux. Ça lui donne un coup comme il dit.
[23] Le 13 mai 2009, il reçoit une lettre de la CSST lui confirmant le tout.
«Selon les renseignements dont nous disposons, nous constatons qu'à la suite d'un acte juridique, vous poursuivez en tout ou en partie, depuis le 2 avril 2009, les activités exercées auparavant par l'employeur suivant: 9146-2804 Québec inc. (faillite).
De plus, les travailleurs de cet employeur que vous avez repris constituent une proportion significative de la main d'œuvre affectée à ces activités.
Dans ces circonstances, le risque associé au dossier d'assurance de l'employeur précédent est maintenant associé au vôtre et, conformément au Règlement sur l'utilisation de l'expérience, l'ensemble des données financières s'y rattachant sont prises en considération, pour déterminer la prime que vous devrez payer à compter du 2 avril 2009.» [6]
[24] Dès lors, monsieur Roy affirme avoir appelé Me Germain pour lui en parler. D'abord, il dit sentir une certaine froideur chez l'avocat en rapport probablement avec une facture supplémentaire dont il n'était pas content. Même si ça lui avait donné un coup d'apprendre ça, il ne se plaint pas des cotisations annoncées par la CSST mais demande tout simplement à Me Germain ce qu'il pense de ça et s'il veut s'occuper du dossier. À quelques reprises Me Germain aurait répondu « je le sais pas moi, c'est toi ». D'où il déduit que l'intérêt de Me Germain n'est pas fort.
[25] Il consulte un autre avocat qui lui aurait répondu qu'il ne pouvait rien faire pour lui et de ne pas dépenser d'argent dans ça.
[26] Monsieur Roy veut se battre jusqu'au bout et il conteste seul les décisions de la CSST jusque devant la CLP. Ce tribunal confirme toutes les décisions en reprenant le raisonnement de la lettre du 13 mai 2009 [7] .
[27] Lors de son témoignage, Me Germain déclare ne pas avoir reçu d'appel de monsieur Roy au sujet de ses démêlés avec la CSST. La première fois qu'il a entendu parler de cette question, c'est au moment de la réception de la mise en demeure de la demanderesse le 10 avril 2012. Il ajoute que la conversation rapportée par monsieur Roy ne correspond aucunement à sa façon de pratiquer car il aurait regardé le dossier pour vérifier s'il y avait quelque chose à faire.
[28] Monsieur Roy opère toujours la demanderesse. Les états financiers déposés démontrent qu'à chaque année, il tire des bénéfices de l'entreprise depuis l'exercice financier se terminant le 31 mars 2010, soit 68 415$, en 2011, 130 857 et en 2012, 164 711$. Il affirme qu'il en est ainsi parce qu'il a diversifié son commerce en vendant aussi de l'équipement et parce que lui et son épouse retirent peu ou pas de salaire.
[29] Au niveau des dommages, la demanderesse allègue que le défaut par Stein, Monast d'avoir adéquatement conseillé la demanderesse dans le processus d'acquisition des actifs de 9146 et sur les éventuelles conséquences d'un tel transfert a entraîné pour elle des dépenses supplémentaires de l'ordre de 373 215,39$ se détaillant comme suit:
13. Pour l'année 2009, au lieu de bénéficier d'un taux de cotisation de 7,15%, la demanderesse a dû payer un taux de 11,23%, ce qui représente, sur une masse salariale de 427 502,00$, un différentiel de 17 442,08$;
14. Pour l'année 2010, au lieu de bénéficier d'un taux de cotisation de 7,96%, la demanderesse a dû payer un taux de 16,28%, ce qui représente, sur une masse salariale de 796 339,00$, un différentiel de 66 255,40$;
15. Pour l'année 2011, au lieu de bénéficier d'un taux de cotisation de 8,73%, la demanderesse a dû payer un taux de 20,51%, ce qui représente, sur une masse salariale de 682 643,00$, un différentiel de 80 415,35$;
16. Pour l'année 2012, au lieu de bénéficier d'un taux de cotisation de 8,77%, la demanderesse devra payer un taux de 24,61%, ce qui représente à ce jour, sur une masse salariale de 156 528,00$, un différentiel de 24 795,62$;
ANALYSE ET DÉCISION
[30] La demanderesse se plaint donc que les avocats du cabinet Stein Monast ont mal exécuté le mandat qu'elle lui avait confié, qu'elle en subit un préjudice qui doit être réparé par l'octroi de dommages-intérêts.
«… le contractant qui prétend que son cocontractant n'a pas exécuté une de ses obligations devra prouver cette inexécution contractuelle. Établir la faute d'un débiteur contractuel, c'est démontrer qu'il ne s'est pas conformé aux obligations qu'il avait assumées. La première chose à faire est évidemment d'établir l'existence de l'obligation qu'il invoque. (p. 842, par. 719)
[…]
L'inexécution injustifiée d'une obligation donne ouverture à des sanctions qui sont communes au contexte contractuel ou extracontractuel. Il s'agit de l'exécution en nature ou de l'exécution par équivalent pécunaire (ou responsabilité civile) (p. 852, par. 729) [8]
[31] Pour retenir une responsabilité civile contre les avocats du cabinet Stein Monast, le Tribunal doit conclure que la demanderesse a réussi à établir une faute contractuelle contre eux et qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et les dommages réclamés.
[32] La demanderesse prétend que les avocats du cabinet en cause ont manqué à leur devoir professionnel en ne l'informant pas adéquatement des conséquences de la transaction concernant l'acquisition des actifs d'une entreprise insolvable.
[33] Pour elle, l'avocat a l'obligation d'accomplir le mandat qui lui est confié avec prudence, diligence, loyauté et honnêteté et dans le meilleur intérêt de son client [9] . À cet égard, il est assujetti la plupart du temps à une obligation de moyens, ce qui lui impose d'exécuter son mandat de façon à atteindre les objectifs du mandant [10] .
[34] Par ailleurs, la Cour suprême a décidé que le contenu obligationnel de la relation avec un avocat ne se limite pas nécessairement à l'objet du mandat mais que certaines obligations découlent du devoir général de conseil [11] .
[35] À ce sujet, on peut lire dans l'arrêt Labrie c. Tremblay de la Cour d'appel:
«Il m'apparaît utile de préciser que le devoir de conseil existe en tout temps, peu importe la spécificité du mandat confié. … les tribunaux n'hésitent pas à «condamner l'attitude d'un procureur qui s'est contenté d'exécuter son mandat sans avertir son client des problèmes particuliers reliés à ses affaires ou qui a omis d'examiner une facette du dossier pouvant être une source de problème pour son client» [12]
[36] En application de ces principes, le procureur de la demanderesse soutient que Me Germain et les deux autres avocats ne devaient pas se contenter de libérer les actifs de toutes charges mais auraient dû questionner monsieur Roy sur la nature des inquiétudes exprimées au sujet de Transport Veilleux. Son client est peut-être un homme d'affaires averti mais il n'est pas un juriste.
[37] Selon le témoignage et les prétentions de monsieur Roy, il voulait partir sa nouvelle entreprise sans avoir à subir les antécédents de Transport Veilleux et, dans le cadre des conséquences reliées à la transaction, ses avocats auraient dû l'aviser du risque qu'il hérite du taux de cotisation de son devancier en poursuivant les mêmes opérations et en embauchant bon nombre de ses employés.
[38] Donc, face aux craintes de monsieur Roy, la demanderesse estime qu'il découlait du devoir général de conseil de ses procureurs de l'avertir de problèmes particuliers reliés à la transaction ou de conséquences pouvant être une source de problèmes pour lui.
[39] En défense, on reconnaît que l'avocat est tenu de prendre les moyens raisonnables à sa disposition pour permettre au client d'atteindre le résultat souhaité.
[40] On précise aussi que son rôle ne va pas jusqu'à lui imposer de devenir le conseiller d'affaires omniscient de son client surtout quand il s'agit d'un mandat précis et limité [13] . Il ne fait pas non plus de l'avocat l'assureur de ses clients lorsque les transactions entraînent des problèmes. [14]
[41] En l'espèce, on invoque que les services professionnels de Stein Monast ont été requis dans le contexte particulier de l'achat des actifs d'une entreprise vendue par un séquestre. Qu'alors, le mandat confié à l'avocat était limité à l'acquisition d'actifs dans un contexte d'insolvabilité, pour que l'acheteur en devienne propriétaire libre de tout lien et ne s'étendait pas à d'autres aspects de l'acquisition comme par exemple les questions fiscales, de transport, d'assurance, de coût d'exploitation ou taux de cotisation à la CSST.
[42] Dans le contexte de cette affaire, le Tribunal retient la version et les prétentions de la défense.
[43] Quand est venu le temps de procéder à l'acquisition des actifs de Transport Veilleux, monsieur Roy avait déjà fait son montage financier et il s'est adressé au cabinet d'avocats qui avait élaboré un projet semblable pour lui quand Giguère a fait faillite en 2007.
[44] Il a contacté Me Émond qui l'a référé à Me Germain en qualité d'avocat spécialisé en droit des sûretés ainsi qu'en faillite et insolvabilité. Selon ce dernier, le travail demandé et le but recherché par monsieur Roy était qu'il rédige la convention d'acquisition des actifs pour lesquels il avait déjà offert un prix et il voulait qu'ils reviennent à la demanderesse libres de toutes charges. Il ne lui a pas adressé de demandes au niveau des employés, des permis de transport ou des cotisations à la CSST tant avant qu'après le début des opérations de la demanderesse.
[45] D'ailleurs, répondant à la question du procureur de la demanderesse pour savoir ce qu'il disait à monsieur Roy qui ne voulait rien savoir des antécédents de Transport Veilleux, Me Germain explique qu'il lui a mentionné que tout ce qu'il pouvait faire, c'était de transférer les actifs exempts de tout lien et lui, Roy, devait s'occuper des opérations de l'entreprise car il ne connaissait pas ça. Monsieur Roy voulait aussi limiter les honoraires professionnels au minimum et pour commencer à opérer, il n'a pas appelé les avocats parce que, a-t-il dit, il avait « plus confiance en lui pour le transport ».
[46] L'épisode des cotisations à la CSST est assez révélateur à cet égard.
[47] Si, comme l'affirme monsieur Roy en recevant la lettre de la CSST le 13 mai 2009, l'avisant qu'on lui transférait le risque du devancier, il appelle Me Germain pour s'occuper du dossier, sans lui adresser quelque reproche même si la nouvelle lui avait donné un coup, sa façon d'agir ne révèle-t-elle pas que cet aspect du dossier ne faisait pas partie du mandat antérieur?
[48] Me Germain nie avoir reçu un appel de monsieur Roy à ce sujet et déclare avoir appris l'existence de la problématique avec la CSST lors de la réception de la mise en demeure du 10 avril 2012 en rapport avec le présent recours.
[49] Le Tribunal, dans le contexte du dossier, retient la version de Me Germain. Elle est plus vraisemblable car il n'a aucun avantage à affirmer que monsieur Roy ne l'a pas appelé au sujet de la CSST, celui-ci lui offrait un nouveau mandat. Ce qui n'est pas le cas de monsieur Roy qui veut nous amener à déduire que Me Germain était froid lors de leur conversation et n'était pas intéressé au mandat parce qu'il réalisait qu'il ou d'autres avocats de son bureau l'avaient mal renseigné sur cette conséquence de la transaction. Il n'est pas crédible non plus qu'un avocat de plus de 37 ans d'expérience comme Me Germain ait répondu à monsieur Roy qu'il ne savait pas trop s'il allait s'occuper du dossier qu'il lui offrait. Ainsi que Me Germain l'a expliqué à l'audience, quand un client l'appelle pour un nouveau dossier, il regarde avant d'accepter pour vérifier s'il y a quelque chose à faire.
[50] Les avocats du cabinet Stein Monast avaient le mandat limité de rédiger une convention d'achat d'actifs libres de toutes charges. Me Germain a déclaré à monsieur Roy qu'il ne pouvait faire plus pour lui car il ne connaissait pas le domaine du transport. D'ailleurs monsieur Roy ne lui a pas demandé de faire des vérifications au niveau des employés, de la fiscalité, permis de transport ou cotisations à la CSST. Au moment de la mise en opération, il avait embauché des personnes pour l'assister dans ces domaines qu'il connaissait bien depuis plus de 20 ans.
[51] Conséquemment, le Tribunal conclut que les avocats du cabinet Stein Monast ont respecté leur devoir de conseil et ont agi comme des avocats prudents et diligents dans le cadre du mandat spécifique qui leur a été confié et pour lequel on a référé monsieur Roy à un avocat spécialisé en droit des sûretés, faillite et insolvabilité avec qui travaillaient deux jeunes avocats sous sa supervision.
B) Lien de causalité et dommages
[52] Dans l'éventualité où un tribunal supérieur venait à conclure différemment au sujet de la faute, il nous paraît opportun de traiter de ces questions
[53] Ainsi que l'énonce la juge Manon Savard, alors qu'elle siégeait à la Cour supérieure:
«En matière de responsabilité professionnelle, une fois la faute prouvée, le demandeur doit établir que n'eut été de la négligence de l'avocat, le résultat aurait été différent et lui serait favorable». [15]
[54] La faute alléguée a pour conséquence selon la demanderesse de lui causer des dommages financiers en ce qu'elle doit verser des cotisations plus élevées à la CSST et parce qu'avoir été prévenue de cette situation, elle n'aurait pas acheté les actifs de 9146 ou n'aurait pas donné un prix si élevé.
[55] En ce qui a trait au taux de cotisation de la CSST, le Tribunal estime que la preuve établit que la situation résulte d'une mauvaise décision d'affaires de monsieur Roy, laquelle a été prise sans demander l'opinion d'avocats. Il s'est appuyé sur ses vingt années d'expérience dans la gestion d'une entreprise de transport de matières forestières pour commencer à opérer sa nouvelle compagnie car il avait plus confiance en lui qu'aux avocats pour ce qui touche l'aspect transport.
[56] Le Règlement sur l'utilisation de l'expérience [16] qui était en vigueur au moment de la transaction établit dans quels cas et selon quelles modalités sera utilisée l'expérience d'un employeur précédent (le devancier) pour établir la cotisation du nouvel employeur (le continuateur) suite à une opération visée.
[57] Deux conditions sont requises pour que le taux de cotisation de la CSST soit transféré à l'employeur continuateur:
a) l'employeur poursuit les mêmes opérations que le devancier;
b) il y a une proportion significative des employés du devancier qui continuent à travailler chez le continuateur.
[58] La demanderesse a embauché moins de 50% des employés provenant de Transport Veilleux, soit 15 sur un total de 32 selon une liste transmise à la CSST (D - 9).
[59] Il appert du témoignage rendu par Bertrand Roy lors de son interrogatoire hors cour que celui-ci croyait que le taux de cotisation était transféré à l'employeur continuateur s'il engageait plus de 50% d'ex-employés.
[60] Telle interprétation n'est toutefois pas conforme aux règles de la CSST qui réfèrent plutôt à un concept de «proportion significative». En fait, comme on le soutient en défense, la demanderesse ne pouvait pas, en toute probabilité, éviter le transfert du taux de la CSST puisqu'il était irréaliste ou du moins très risqué d'opérer avec de nouveaux employés.
[61] Au surplus, Bertrand Roy avait travaillé comme consultant pour Transport Veilleux et il savait très bien comment cette entreprise opérait. Après son départ, il avait aussi appris, ainsi qu'il en avait fait part à Me Germain et aux deux autres jeunes avocats au dossier, qu'on déclarait de faux accidents de travail avant la faillite, ce qui le rendait inquiet. De par ses connaissances passées, il était avisé des problèmes potentiels de CSST.
[62] Il n'y aurait donc pas de lien de causalité avec le taux plus élevé de cotisation parce que Bertrand Roy s'est occupé lui-même de la question de la CSST, qu'il a embauché les ex-employés de son devancier sans en parler aux procureurs en cause et de toute façon, il ressort qu'il n'aurait pu faire autrement pour opérer efficacement la demanderesse.
[63] De même, il y a absence du lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage relativement au prix payé pour les actifs.
[64] Monsieur Roy a lui-même procédé à l'évaluation des actifs à acquérir sans consulter les avocats en cause. C'était son ancienne entreprise, il avait travaillé comme consultant chez Transport Veilleux et il avait 20 ans d'expérience dans le domaine, incluant la question des taux de cotisation à la CSST. Il ressort aussi de la preuve que l'acquisition est étroitement reliée au fait qu'en agissant ainsi, monsieur Roy ne perdait pas les 100 000$ qui restaient encore dus sur le prix de vente de 2003.
[65] Avoir connu la problématique des taux de cotisation, aurait-il pu payer un prix moins élevé pour l'acquisition des actifs? La preuve révèle que l'autre soumissionnaire dans la course avait offert un prix de 500 000$ et la demanderesse 560 000$. La marge de manœuvre n'est pas très grande en ce qui a trait à un prix moins élevé.
C) Dommages
[66] Quant aux dommages, on soutient en défense qu'il y a absence de preuve à cet égard parce qu'il n'a pas été démontré ce que la demanderesse aurait dû payer, n'eut été le transfert d'expérience de Transport Veilleux.
[67] Pour établir sa réclamation, la demanderesse a retenu le montant de l'écart existant entre le taux qui lui a été transféré et le taux de l'unité dans laquelle son activité est classée.
[68] Selon la preuve, il y a eu peu d'accident chez la demanderesse depuis 2009, ce qui l'aurait probablement situé près du taux de base, en excluant les antécédents transférés de Transport Veilleux. Conséquemment, sa réclamation reposerait sur une assise vraisemblable et raisonnable en termes de calcul s'il y avait eu un lien de causalité avec la faute alléguée.
[69] La défense soulève également que la demanderesse ne subit aucun dommage suite à la transaction de 2009 parce que son entreprise génère des profits depuis sa mise en opération. L'argument ne tient pas car la rentabilité de l'entreprise n'en diminue pas moins le préjudice allégué car les profits seraient plus importants si les cotisations à la CSST n'étaient pas reliées à l'expérience de Transport Veilleux.
[70] Toutefois, comme aucune faute professionnelle ne peut être retenue contre les avocats du cabinet Stein Monast, le recours est rejeté avec dépens.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[71] REJETTE la requête
[72] LE TOUT , avec dépens.
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__________________________________ DANIELLE BLONDIN, j.c.s. |
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Me Maxime Gagnon |
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Cliche Laflamme Loubier |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me Daniel Dumais et Me Antoine Pellerin |
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Norton Rose Canada |
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Procureurs de la défenderesse |
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[1] D-3. Le 3 novembre 2003, contrat de vente d'actions à 6152660 Canada inc. dont le président et secrétaire est Serge Giguère, pour le prix de 3 300 000$ avec entre autres comme actifs 34 camions et de 40 à 50 remorques (notes sténographiques de l'interrogatoire de Bertrand Roy, le 5 septembre 2012, pp. 23-24).
[2] Notes sténographiques, pp. 62-63.
[3] Notes sténographiques, p. 123.
[4] Notes sténographiques, p. 162, lignes 11 à 24.
[5] Notes sténographiques, p. 29, lignes 5 et suivantes, pp. 63-64, pp. 90, ligne 9.
[6] D-9. Lettre de la CSST à Bertrand Roy (9208-0167 Québec inc.) en date du 13 mai 2009.
[7] D-9. Décision de la CLP en date du 16 mai 2011.
[8] BAUDOUIN, Jean-Louis, JOBIN, Pierre-Gabriel et VÉZINA Nathalie, Les obligations , 7 e éd., 2013, Les Éd. Yvon Blais, Cowansville.
[9]
BAUDOUIN, Jean-Louis et DESLAURIERS, Patrice,
[10] Id., p. 913.
[11]
Côté
c.
Rancourt
,
[12] [2000] J.E. 2000-77 (C.A.).
[13]
Sylvestre
c.
Karpinski
,
[14]
Groupe Acme Canada
c.
McCarthy Tétrault
,
[15]
Doucet
c.
Fonds d'assurance responsabilité professionnelle du Barreau du
Québec
,
[16] RLRQ c. A-3.001, r. 6.