Gagnon c. Bradford |
2014 QCCQ 4199 |
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JG2338
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUHARNOIS |
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LOCALITÉ DE SALABERRY-DE-VALLEYFIELD « Chambre civile » |
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N° : |
760-32-015869-136 |
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DATE : |
Le 29 mai 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CÉLINE GERVAIS, J.C.Q |
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MATHIEU GAGNON et NANCY LAPOINTE |
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demandeurs
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c. |
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DANIEL BRADFORD |
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défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Il s'agit d'une action fondée sur la garantie légale de qualité à la suite de la découverte de problèmes majeurs à la coque d'un bateau pneumatique avec coque en fibre de verre. La réclamation est de 7000 $.
LES FAITS :
[2] Le 16 août 2013, Mathieu Gagnon achète de Daniel Bradford un bateau de marque Air Solid 17 pieds, avec remorque et moteur, au montant de 16 000 $. Deux documents manuscrits sont alors signés, l'un par M. Bradford et constatant la vente du bateau [1] , et l'autre constatant l'achat par M. Gagnon du bateau en question. [2] Monsieur Gagnon ne croit pas nécessaire de le faire inspecter, dans la mesure où il s'agit d'un modèle récent, M. Bradford et sa conjointe ayant représenté n'avoir jamais eu aucun problème avec l'embarcation.
[3] Dans son témoignage, Mme Courtemanche, conjointe de M. Bradford, dit avoir mentionné l'existence de deux petits trous sur le côté droit de la console, qu'elle avait déjà réparés.
[4] Peu après l'achat, lors de la première randonnée, M. Gagnon constate que la pompe qui sert à vider l'eau fonctionne de façon continue. C'est alors qu'il réalise que le bateau prend l'eau. Il contacte M. Bradford par téléphone, et lui transmet une première mise en demeure le 23 août 2013 [3] , dans laquelle il explique avoir constaté un trou et une fissure sous la coque. Il indique dans sa mise en demeure avoir fait examiner le bateau par un expert qui croit que la coque a été repeinte et avait auparavant souffert de dommages importants. Monsieur Gagnon requiert dans cette mise en demeure l'annulation de la vente et le remboursement du prix d'achat, ou le paiement des coûts de réparation.
[5] Monsieur Bradford répond à cette lettre le 30 août 2013 en lui disant qu'il est disposé à aller constater l'état du bateau en compagnie de son expert. Il ajoute que si l'expert conclut que les dommages sont attribuables à des événements survenus avant la vente du bateau, et ne sont pas le résultat de l'utilisation qu'en aurait faite M. Gagnon, il serait disposé à faire effectuer les travaux nécessaires par son expert, et qu'il en assumera les frais.
[6] Il ressort des témoignages des parties qu'avant l'examen par cet expert, Mme Courtemanche avait accepté d'annuler la vente. Lorsque M. Gagnon l'aurait rappelée un peu plus tard pour lui confirmer son acceptation de l'annulation de la vente, il aurait cependant mentionné vouloir le faire examiner par un expert quand même, ce qui aurait été refusé par Mme Courtemanche qui considérait qu'il n'était pas nécessaire de faire examiner le bateau si la vente devait être annulée.
[7] Quoi qu'il en soit, les parties se sont rencontrées chez Poly & Fibre Marine, l'expert retenu par M. Gagnon pour faire effectuer les réparations, alors évaluées au montant de 6000 $ plus taxes. [4]
[8] Lors de cette rencontre, Mme Courtemanche était accompagnée de son expert Charles De Ladurantaye (LDL Marine) qui a procédé à l'examen du bateau, et qui a décelé effectivement une fissure sous la coque. Madame Courtemanche s'est alors dit prête à faire réparer le bateau par M. De Ladurantaye. Monsieur Gagnon exigeait cependant que toute la coque soit passée au jet de sable pour enlever la peinture afin qu'il puisse constater l'état de la coque. Madame Courtemanche estimait que cette mesure était inutile compte tenu des constatations de son expert.
[9] Le coût des réparations est alors évalué par LDL Marine au montant de 2970 $ plus les taxes.
[10] À la suite de cette rencontre, M. Gagnon transmet une lettre en date du 16 septembre 2013 qui résume les positions des parties lors de la rencontre.
[11] Dans sa lettre, M. Gagnon souligne que Mme Courtemanche n'a pas voulu dévoiler qui était l'expert qui procéderait aux réparations, et réitère son souhait d'aller porter lui-même le bateau chez cet expert, d'assurer un suivi et de valider les compétences de l'expert. Vu l'absence de M. Bradford lors de cette rencontre, M. Gagnon considère que l'affaire n'a pas été réglée et a déposé sa demande en division des petites créances le 17 octobre suivant.
[12] Il semble étonnant que les parties n'aient pu se comprendre même sur une question aussi simple que l'identité de l'expert, puisqu'il apparaissait évident, à l'audition, que c'est M. De Ladurantaye qui était l'expert de Mme Courtemanche et de M. Bradford, et qui aurait procédé aux réparations. Monsieur De Ladurantaye possède une expérience probante dans le domaine.
[13] Par la suite, M. Gagnon a fait expertiser le bateau par M. François Carpentier (Nauticsolution) le 26 septembre 2013. Les constatations de M. Carpentier, qui a fait un examen très poussé de l'embarcation, concluent à un nombre imposant d'anomalies, dont il a fait état au Tribunal, ayant produit un rapport de 22 pages, des photographies, et ayant même amené à l'audition des pièces du bateau.
[14] Pour résumer son opinion, le bateau a subi des réparations extensives, qui ont été camouflées à l'aide de plaques d'acier qui, si elles apportaient un certain esthétisme au bateau, n'en avaient pas moins été installées pour dissimuler les réparations qui avaient été faites.
[15] Monsieur Carpentier, lors de son inspection avec un marteau spécialement conçu à cet effet, a même fait un trou dans la coque avant, à l'endroit où celle-ci avait été réparée à l'aide d'un produit qui ressemble à de la mousse isolante. Il y avait même des roches à l'intérieur de la coque, et des réparations grossières y apparaissaient.
[16] Il ne faisait aucun doute dans l'esprit de M. Carpentier que cette embarcation avait fait l'objet de camouflage par l'ajout de plaques d'inox et de réparations cosmétiques non conformes pour faire disparaître des dommages que l'embarcation avait subis.
[17] Après la réception de ce rapport, M. Gagnon a procédé à l'achat d'une nouvelle coque chez Air Solid au montant de 5830 $ plus taxes en date du 26 octobre 2013. Il appert d'ailleurs de la facture qu'un escompte de 2100 $ lui a été accordé.
[18] Dans sa réclamation, M. Gagnon réclame le remboursement du coût de cette facture, ainsi qu'un montant de 1491 $ déboursé pour des conseils juridiques, des frais de déplacement de 270 $, des frais d'expertise de 300 $, le coût de remontage des accessoires du bateau sur la nouvelle coque, soit 800 $, ainsi que des frais de courrier recommandé de 21 $. Monsieur Gagnon accepte de réduire sa réclamation à la somme de 7000 $, afin de pouvoir présenter sa demande devant la division des petites créances.
[19] Dans sa contestation, M. Bradford réitère avoir offert de faire les réparations de la coque à ses frais, ce qui a été refusé par M. Gagnon. Il conteste également le montant de la réclamation, en ce que M. Gagnon se retrouve avec un bateau qui a une coque neuve, et non pas une coque usagée comme ce qu'il avait acheté.
ANALYSE ET DÉCISION :
[20] Pour conclure à l'existence d'un vice caché, on doit retrouver la présence des quatre éléments suivants :
- Le vice doit être grave, c'est-à-dire qu'il doit causer des inconvénients sérieux à l'usage du bien de sorte que l'acheteur n'aurait pas payé le prix convenu s'il l'avait connu;
- Le vice doit être inconnu de l'acheteur au moment de la vente;
- Le vice doit être caché, c'est-à-dire qu'il ne peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans devoir recourir à un expert;
- Le vice doit être antérieur à la vente, puisque la garantie porte sur l'état du bien au moment de la vente.
[21] L'expert de M. Bradford n'a pas eu l'occasion d'examiner le bateau en détail comme l'a fait M. Carpentier. Le rapport de ce dernier était cependant suffisamment documenté, avec des photos et les pièces du bateau, pour que l'expert de M. Bradford puisse convenir du fait qu'il s'agissait d'une situation anormale, et que si on lui avait demandé de procéder à réparer le bateau dans l'état où était la coque, il aurait refusé de le faire. Les deux experts ont en effet convenu qu'il n'était pas possible de procéder à la réparation de cette coque. L'achat de la nouvelle coque a d'ailleurs été moins dispendieux que ce qui avait initialement été prévu pour sa réparation chez Poly & Fibre Marine.
[22]
Vu le nombre restreint d'utilisations du bateau
faites par M. Gagnon, il apparaît clair que les problèmes de la coque étaient
déjà présents lors de la vente. Il apparaît également clair qu'une coque dans
un tel état, avec des réparations qui semblent artisanales, constitue un vice
caché au sens des articles
[23] Madame Courtemanche a témoigné pour M. Bradford, celui-ci ayant été incapable de se déplacer pour l'audition pour des raisons de santé; elle a produit comme pièce D-8 la facture d'achat du bateau. Elle a indiqué que ce bateau lui avait été vendu comme un démonstrateur. Elle a affirmé au Tribunal n'avoir jamais eu aucun problème avec le bateau, qu'il n'a jamais été accidenté pendant que M. Bradford en était propriétaire, et qu'à sa connaissance, ni elle ni M. Bradford ni quelqu'un d'autre n'aurait eu un accident avec le bateau.
[24] Par ailleurs, l'expert De Ladurantaye est également celui qui s'est chargé de l'entretien général du bateau depuis que M. Bradford en a la possession. Il a indiqué dans son témoignage n'avoir jamais remarqué que le bateau avait été accidenté.
[25] Le Tribunal considère donc, de la preuve entendue, que la seule explication est qu'il a été vendu dans cet état à M. Bradford.
[26] Il n'en demeure pas moins que la garantie de qualité pour un bien vendu n'est pas tributaire de la connaissance des vices cachés qu'en a le vendeur. Celui-ci est responsable des vices cachés affectant le bien vendu, même s'il en ignorait l'existence.
[27]
Monsieur Gagnon est donc en droit d'obtenir le
remboursement du coût d'une nouvelle coque en fibre de verre de remplacement.
La preuve présentée au Tribunal n'était pas suffisante pour lui permettre
d'évaluer s'il y avait lieu d'appliquer une dépréciation, et en conséquence, le
montant intégral de l'achat de la nouvelle coque est accordé (6703,04 $).
Monsieur Gagnon est également en droit de récupérer le coût de l'expertise
(300 $). Il est à noter qu'en vertu de l'article
[28] Même si le seuil de la juridiction de la division des petites créances est atteint, le Tribunal mentionne tout de même que M. Gagnon n'aurait pu récupérer le coût des honoraires d'avocat qu'il a déboursés, non plus que ses frais de déplacement, en l'absence de mauvaise foi de la part de M. Bradford.
[29] La demande déposée au dossier de la Cour indique que c'est M. Gagnon et sa conjointe, Nancy Lapointe, qui sont les demandeurs au dossier. Cependant, seul M. Gagnon apparaît au document comme étant l'acheteur du bateau et en ce sens, c'est lui qui est le bénéficiaire de la garantie légale; l'action de Mme Lapointe est donc rejetée, mais sans frais.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE l'action;
CONDAMNE
le défendeur, Daniel
BRADFORD, à payer au demandeur, Mathieu GAGNON, la somme de 7000 $, en
plus des intérêts au taux légal et de l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
LE TOUT avec les frais judiciaires de 167 $.
REJETTE l'action de Nancy LAPOINTE, sans frais.
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__________________________________ CÉLINE GERVAIS, J.C.Q. |
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