Centre Sheraton Montréal et Unifor (Annick-Françoise Verdier) |
2014 QCTA 412 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2014-6129 |
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Date : |
12 mai 2014 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
ANDRÉ BERGERON |
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Centre Sheraton Montréal, |
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ci-après appelé « l’employeur »
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Et
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Unifor,
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ci-après appelé « le syndicat » |
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Griefs n os G12-181ST, G12-183ST, G13-17ST et G13-50ST de M me Annick-Françoise Verdier
Nature du litige : Mesures disciplinaires incluant congédiement - Objection préliminaire invoquant une transaction |
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Convention collective : 2011-2014
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Audience : 7 janvier 2014, 8 avril 2014 Décision : 12 mai 2014 |
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SENTENCE ARBITRALE PARTIELLE
(Art.
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[1] Le 10 avril 2013, les parties m’ont désigné, à titre d’arbitre, pour entendre les griefs mentionnés en titre et décider de leur sort.
[2] L’audience s’est tenue à Montréal le 7 janvier et le 8 avril 2014; M e Pierre Lamarre y représentait l’employeur, alors que M e Catherine Saint-Germain y représentait le syndicat. M e Ronald Achim - dont la plaignante, M me Annick-Françoise Verdier, avait retenu les services - a également assisté à l’audience.
[3] Le syndicat a soumis quatre griefs à l’arbitrage au nom de M me Annick-Françoise Verdier.
[4] Le premier grief [pièce S-2] - portant le numéro 12-181ST et déposé le 19 novembre 2012 - conteste la suspension de trois jours que l’employeur a imposée à la plaignante le 15 novembre 2012.
[5] Ce jour-là, l’employeur lui avait transmis l’avis de suspension suivant [pièce S-2 B)] :
La présente fait suite aux trois avertissements écrits qui vous ont été adressés respectivement le 18 août 2011, le 8 mars 2012 et le 14 juin 2012, et à la suspension d’une journée qui vous a été imposée le 22 août 2012, le tout en relation à de la négligence dans l’exercice de vos fonctions.
Or, malgré toutes ces mesures disciplinaires, vous avez à nouveau fait preuve de négligence dans l’exercice de vos fonctions. En effet, le 29 octobre 2012, la cliente de la chambre 3404 a formulée une plainte parce qu’elle n’a pas reçu l’appel de réveil qu’elle vous avait demandé la veille. Après vérification, nous constatons que vous aviez bien pris note de la demande, mais n’avez pas programmé l’appel de réveil. Le 14 novembre 2012, je vous ai rencontré à cet effet, toutefois, vous ne vous souveniez pas de la situation.
Un tel manquement de la part d’une standardiste de votre expérience est inacceptable et ne peut être toléré. Vous comprendrez qu’en tant qu’employeur, nous exigeons que vous portiez une attention raisonnable à votre travail.
Compte tenu de tout ce qui précède et de la fréquence de vos manquements reliés à de la négligence, nous vous imposons une suspension sans solde pour une période de trois (3) jours, à des dates qui vous seront communiquées ultérieurement.
Si vos manquements sont reliés à une situation personnelle, nous vous invitons à consulter un représentant de notre programme d’aide aux employés […].
Advenant une récidive, soyez avisée que des mesures disciplinaires beaucoup plus importantes vous seront imposées.
[ Sic ]
[6] Le second grief - portant le numéro 12-183ST [pièce S-3] et déposé le 29 novembre 2012 - conteste la suspension de cinq jours que l’employeur a imposée à la plaignante le 22 novembre 2012.
[7] Ce jour-là, l’employeur lui avait transmis l’avis de suspension suivant [pièce S-3 B)] :
La présente fait suite aux trois avertissements écrits et aux deux suspensions respectivement d’une et de trois journées qui vous ont été imposées, tous pour les mêmes motifs, soit de la négligence dans l’exercice de vos fonctions. Il est à noter que la plupart de ces mesures disciplinaires concernent des appels de réveil que vous n’avez pas programmé.
Le 15 novembre 2012, votre superviseure, Madame Ève Gendron-Allen, vous a remis une lettre de suspension pour un appel de réveil que vous n’aviez pas programmé. Or, plus tard dans la même soirée, vous avez de nouveau commis le même manquement. En effet, le 16 novembre 2012, le client de la chambre 2612 a formulé une plainte à l’effet qu’il n’a pas reçu l’appel de réveil qu’il vous avait demandé la veille. Le 19 novembre 2012, votre superviseur, Monsieur Seemanth Anangarath, vous a rencontré relativement à cette plainte. Vous avez affirmé qu’il s’agit d’un problème du système puisque vous dites avoir rentré le réveil. Toutefois, le relevé indique que vous ne l’avez pas programmé.
Nous vous rappelons, encore une fois, que dans une entreprise de service telle que la nôtre, nous ne pouvons tolérer de telles négligences qui occasionnent des plaintes de la part des clients. Vous devez porter une attention raisonnable à votre travail et prendre le temps de réviser votre travail. Sachez que le fait d’avoir commis la même faute alors que vous veniez tout juste de recevoir une mesure disciplinaire démontre une grande insouciance de votre part.
Compte tenu de tout ce qui précède, nous vous imposons une suspension sans solde d’une période de cinq (5) jours, à des dates qui vous seront communiquées ultérieurement.
Si vos manquements sont reliés à une situation personnelle, nous vous invitons à consulter un représentant de notre programme d’aide aux employés […].
Nous espérons que vous aurez compris qu’il n’en tient qu’à vous de continuer à faire partie de notre entreprise. Nous vous avisons très clairement que toute récidive de votre part entraînera votre congédiement. Votre emploi est maintenant en péril.
[ Sic ]
[8] Le troisième grief [pièce S-4] - portant le numéro 13-17ST et déposé le 8 février 2013 - conteste la suspension de dix jours que l’employeur a imposée à la plaignante le 25 janvier 2013.
[9] Ce jour-là, l’employeur lui avait transmis l’avis de suspension suivant [pièce S-4 B)] :
La présente fait suite à l’enquête qui a été réalisée au sujet de l’altercation que vous avez eu le 23 janvier 2013 avec votre collègue de travail, Madame Carmen Caza. Notre enquête est maintenant terminée et elle révèle ce qui suit :
La preuve prépondérante penche en faveur de la version de votre collègue à l’effet que c’est vous qui avez provoqué l’altercation.
Vous avez tenu des propos injurieux à l’endroit de votre collègue et vous avez fait un geste d’intimidation à son endroit en vous plaçant à quelques millimètres de son visage.
Lors de notre rencontre, le 25 janvier 2013, vous avez identifié des personnes avec lesquelles vous avez eu des échanges au cours de la soirée du 23 janvier 2013. Nous vous avons demandé à plus d’une reprise si vous aviez fait des commentaires à d’autres personnes que celles que vous aviez identifiées et vous avez répondu non. Vous nous avez donc menti à cet effet puisque notre enquête démontre que vous avez prononcé des paroles menaçantes s’adressant à votre collègue devant un associé de l’hôtel.
Qui plus est, vous avez quitté votre poste de travail pendant de longues minutes, laissant ainsi les appels sans réponse. Par ce comportement, vous avez affecté la qualité du service à la clientèle et la sécurité des clients, car des appels d’urgence auraient pu survenir.
Sachez que l’altercation que vous avez eue avec votre collègue et les menaces que vous avez prononcées par la suite devant un témoin constituent des fautes graves et inacceptables. Non seulement vous avez enfreint votre obligation de respect, de civilité et de courtoisie, mais vous avez adopté un comportement qui n’a pas sa place dans un milieu de travail et qui perturbe le climat de travail. Sachez qu’aucune raison ne peut justifier le comportement que vous avez adopté.
Compte tenu de tout ce qui précède et de la gravité de votre comportement, nous vous confirmons la suspension sans solde de dix (10) jours qui vous a été imposée.
Si votre comportement est relié à une situation personnelle, nous vous invitons à consulter un représentant de notre programme d’aide aux employés […].
Dans l’éventualité où un tel comportement se répèterait, nous vous avisons que nous procèderons à votre congédiement.
[10] Le quatrième grief [pièce S-5] - portant le numéro 13-50ST et daté du 16 avril 2013 - conteste le congédiement que l’employeur a imposé à la plaignante le 11 avril 2013 en lui remettant l’avis de congédiement suivant [pièce S-5 B)] :
Suite à notre rencontre du 26 mars 2013, nous vous avons suspendu pour fins d’enquête. Notre enquête est maintenant terminée et elle révèle ce qui suit :
Vous vous êtes absentée lors de trois quarts de travail consécutifs, soit les 13, 16 et 17 mars 2013. Vous savez que nous pouvons exiger un billet médical après trois journées d’absences consécutives. Le 21 mars, je vous ai demandé si vous aviez un billet médical et vous avez répondu que vous pouviez en fournir un. Le 28 mars 2013, vous avez apporté un billet qui mentionne une visite médicale qui a eu lieu le 13 mars 2013, sans toutefois faire référence à une incapacité à travailler. Ces absences sont donc considérées comme étant injustifiées.
Le 20 mars 2013, une enquête portant sur le respect des standards de l’hôtel a été réalisée par une inspectrice de notre compagnie qui s’est présentée à l’hôtel de façon anonyme. L’inspectrice relate que vous lui avez parlé d’une manière familière en l’appelant « chérie », que vous avez négligé d’enregistrer sa demande dans le système StarGuest et que vous avez négligé de l’appeler afin de faire le suivi de sa demande. Lors de notre rencontre, vous avez affirmé que vous suiviez toujours ces procédures et que si vous ne l’aviez pas fait c’est en raison du volume d’appel qui était trop important, en plus du fait que votre collègue était en pause. Or, il appert que cette explication s’avère mensongère relativement au volume d’appels.
La même journée, votre collègue de la réception, Madame Fatima Jamil, vous a donné un message à l’effet qu’un médecin, cliente de l’hôtel, autorisait tous les appels de l’hôpital où elle travaille à être transférés à sa chambre, peu importe l’heure. Plutôt que de transmettre ce message à votre superviseur et à votre collègue qui travaillait après vous, vous leur avez dit que la cliente était sur appel pour un groupe spécifique en maison. Cette négligence de votre part a occasionné une situation inacceptable ainsi qu’une plainte de la part de la cliente qui a été réveillée durant la nuit par une de vos collègues qui lui demandait d’assister un client handicapé faisant parti d’un groupe. J’ai pris votre version le 21 mars 2013 et vous m’avez expliqué que votre collègue vous avait bel et bien dit que la cliente était sur appel pour le groupe. Le 22 mars 2013, vous avez téléphoné à votre collègue pour discuter de la situation et lui dire ce que vous aviez compris de son message. Votre collègue était bien certaine du message qu’elle vous avait donné. Vous m’avez ensuite téléphoné pour me dire que votre collègue vous avait donné le bon message et que c’était vous qui aviez mal compris. Or, lors de notre rencontre du 26 mars 2013, vous avez affirmé que votre collègue vous avait donné le mauvais message. Compte tenu de la version de votre collègue ainsi que de vos versions antérieures, nous considérons que ce changement de version de votre part constitue un grave mensonge.
De plus, l’examen de votre dossier disciplinaire révèle que vous avez reçu trois avertissements écrits et trois suspensions respectivement d’une, de trois et de cinq journées pour de la négligence dans l’exercice de vos fonctions. Nous vous avons également imposé une suspension de dix jours, le 13 février 2013, relativement à une altercation que vous avez eu avec une de vos collègues de travail.
Les fautes ci-haut décrites sont des fautes graves puisqu’elles constituent de la négligence et un non-respect de procédures, en plus d’affecter l’image et la réputation de notre établissement. De plus, vous avez menti relativement au message du 20 mars 2013.
Compte tenu de tout ce qui précède, nous vous avons avisons que vous êtes congédiée rétroactivement à la date de votre suspension pour fins d’enquête.
[ Sic ]
[11] Le 28 novembre 2013, en prévision de la journée d’audience du 7 janvier 2014, le procureur patronal a informé en ces termes [pièce E-1] le syndicat de son intention de soulever une objection préliminaire :
La présente confirme notre entretien téléphonique au
cours duquel nous vous avons avisé qu’étant donné que les griefs mentionnés en
rubrique avaient fait l’objet d’une entente entre les parties, nous soulèverons,
dès le début de l’audition du 7 janvier 2014, une objection préliminaire fondée
sur l’existence d’une transaction au sens des articles
[12] Le 7 janvier 2014, la procureure syndicale a consenti à ce que l’audience ne porte que sur cette objection préliminaire.
[13] Le procureur patronal a d’abord fait entendre M me Caroline Dagenais, directrice des ressources humaines, puis la procureure syndicale a fait témoigner M. François Beaudoin, représentant national d’Unifor, M me Nicole Jacques, présidente du comité syndical du Centre Sheraton, et M me Verdier, la plaignante.
[14] Ces témoignages et les différents documents déposés en preuve ont révélé les faits pertinents suivants.
[15] Le 8 mai 2013, à la suite de ma nomination à titre d’arbitre, j’ai convoqué les parties à une audience qui devait se tenir le 24 juillet suivant.
[16] Le 18 juillet 2013, M. Beaudoin a appelé M me Dagenais afin de discuter de la possibilité de régler le dossier à l’amiable. M me Dagenais, pour qui une réintégration éventuelle de la plaignante n’était même pas envisageable - en raison du très lourd dossier disciplinaire de cette dernière - a alors offert un dédommagement de 5 000 $ contre le retrait de tous les griefs de la salariée.
[17] Selon M. Beaudoin, l’employeur offre fréquemment une somme pouvant varier entre 1000 $ et 5000 $ - selon les années de service de l’employé - afin d’éviter l’arbitrage.
[18] Estimant l’offre insuffisante dans le cas de la plaignante, le syndicat a décidé d’aller de l’avant avec l’arbitrage et, à cet effet, M. Beaudoin a demandé à cette dernière et à son représentant syndical, M. Bassam El-Zamel, de se présenter à son bureau les 18 et 22 juillet, à 9 h 30, afin de préparer l’arbitrage.
[19] Lors de la rencontre du 18 juillet, M. Beaudoin a expliqué à la plaignante la fonction qu’il occupait au sein du syndicat, ce qu’était un arbitrage et les diverses conclusions auxquelles pouvait en arriver l’arbitre après avoir délibéré. Il a également révisé avec elle sa description de fonction.
[20] En cours de discussion, la plaignante a clairement indiqué à M. Beaudoin qu’elle ne souhaitait pas retrouver son poste et que si, au terme de l’arbitrage, elle réintégrait ses fonctions, elle remettrait sa démission, d’une part parce qu’elle ne se sentait pas appréciée chez l’employeur, et d’autre part parce qu’elle souhaitait se consacrer à temps plein à sa mère de 93 ans avec qui elle vivait.
[21] La plaignante semblant avoir une opinion favorable de M me Jacques, la présidente du syndicat local, M. Beaudoin a alors décidé d’appeler cette dernière afin de discuter des possibilités qui s’offraient à M me Verdier.
[22] M me Jacques a demandé à la plaignante - qui détenait quelque 27 années d’ancienneté au sein de l’hôtel - pourquoi elle ne voulait pas tenter sa chance en arbitrage. Cette dernière lui a répondu qu’avec toutes les suspensions qu’elle s’était vu imposer depuis son entrée en service - plus de 250, selon elle -, sa place n’était plus dans l’hôtel. M me Jacques lui a alors demandé si elle était certaine de sa décision et la plaignante a répondu : « Oui, je veux quitter ».
[23] Tous s’entendaient cependant pour dire que l’offre de 5 000 $ de l’employeur était insuffisante. À ce sujet, M me Jacques avait souligné qu’un employé qui partait à la retraite avait droit à une prime de départ de 12 000 $, imposable.
[24] C’est alors que la plaignante a indiqué qu’elle avait déjà parlé à une avocate qui avait émis l’opinion qu’un règlement complet de tous ses griefs valait au bas mot 10 000 $.
[25] Dans son témoignage, la plaignante a expliqué que quelques jours avant le 18 juillet, elle avait consulté une avocate au sujet de sa mère et en avait profité pour lui parler du litige qui l’opposait à l’employeur. C’est à cette occasion que l’avocate lui avait dit qu’avec son ancienneté, elle devrait être en mesure d’obtenir 10 000 $.
[26] La discussion entre la plaignante, M. Beaudoin et M. El-Zamel a ensuite porté sur le cout d’un éventuel arbitrage qui nécessiterait trois ou quatre jours d’audience et sur le fait qu’une décision ne serait sans doute pas rendue avant au moins six mois.
[27] « On s’est dit que si, au mieux, elle était réintégrée avec pleine compensation, elle obtiendrait environ six mois de salaire et compte tenu de l’assurance-emploi qu’elle percevait et au fait qu’elle ne cherchait pas d’emploi, elle recevrait tout au plus 8 000 $ », a déclaré M. Beaudoin dans son témoignage.
[28] La plaignante a alors accepté que M. Beaudoin appelle M me Dagenais afin de lui faire une offre : le retrait de tous les griefs de la plaignante en échange d’une somme de 10 000 $ « net » et d’une lettre d’attestation d’emploi.
[29] Vers 11 h ce même 18 juillet, M. Beaudoin a donc appelé M me Dagenais et lui a présenté cette offre de règlement. Cette dernière a refusé sur-le-champ, en ajoutant cependant qu’elle pourrait peut-être offrir 6 000 $ ou 7 000 $. Elle s’est engagée à en discuter avec le directeur général pendant l’heure du diner et à rappeler M. Beaudoin rapidement, parce qu’elle partait en vacances le lendemain.
[30] À la suite de cet appel, la plaignante et M. El-Zamel ont pris congé de M. Beaudoin après avoir convenu de se revoir le 22 juillet, à moins que M me Dagenais n’accepte l’offre de règlement du syndicat. M. Beaudoin a également promis à la plaignante de la rappeler au cours de l’après-midi.
[31] Vers 13 h 30, M me Dagenais a rappelé M. Beaudoin pour lui faire savoir qu’elle avait parlé au directeur général et que l’employeur acceptait l’offre de règlement présentée par le syndicat, soit de remettre à la plaignante une attestation d’emploi et une somme de 10 000 $ « net » en échange du retrait de ses griefs.
[32] M me Dagenais a ajouté qu’elle préparerait un projet de règlement qu’elle s’empresserait de transmettre à M. Beaudoin afin que tout soit réglé avant son départ en vacances et que le chèque de la plaignante soit émis la semaine suivante.
[33] Dans son témoignage, M. Beaudoin a déclaré : « On n’avait pas discuté des modalités parce que cela se fait au niveau local. Ils ont des standards entre eux. On a peut-être dit : ‘’ Une partie du montant en recherche d’emploi‘’ mais l’important, c’est qu’il fallait arriver à 10 000 $ net malgré une partie imposable ».
[34] M. Beaudoin a donc répondu à M me Dagenais : « OK, je vais appeler M me Verdier pour lui confier qu’on a une entente. Je vous reviens dès que j’ai parlé à M me Verdier et à Bassam ».
[35] À 16 h 16, M. Beaudoin a reçu le courriel suivant [pièce E-2] de la part de M me Dagenais :
Voici le projet pour Annick. Il manque le 2 K que je sais pas si on doit l’ajouter dans la quittance à l’ordre du syndicat pour remboursement de frais légaux ou dans une lettre d’entente séparée. J’attends de voir mon contrôleur mais ti [ sic ] peux au moins regarder le reste de l’entente en attendant…
[36] Quant au projet d’entente [pièce E-3] qui était joint au courriel, il se lisait comme suit :
TRANSACTION ET QUITTANCE
[…]
1. Attendu que l’employé a été congédié le 11 avril 2011.
2. Attendu que, l’employé et le syndicat avaient logés les griefs suivants : 11 - 73ST, 11-75ST, 11-84ST, 11-95ST, 12-37ST, 12-90ST, 12-123ST, 12-181ST, 12-183ST, 13-17ST, 13-50ST.
3. Les parties désirent régler à l’amiable tout litige pouvant exister entre elles et, sans limiter la généralité de ce qui précède, toute question découlant de l’emploi ou de la cessation de l’emploi de l’employé chez l’employeur.
LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :
1. L’employé et le syndicat retirent les griefs ci-haut mentionnés.
2. L’emploi de l’employé a pris fin le 11 avril 2011.
3. L’employeur s’engage à verser à l’employé :
a) la somme de trois mille dollars (3 000 $) moins les déductions statutaires applicables à titre de préavis de fin d’emploi;
b) la somme de cinq mille dollars (5 000 $) à titre de dépenses et honoraires encourus en relation avec ses recherches d’emploi et frais de relocalisation.
4.
Sous réserve du
respect des engagements souscrits par l’employeur au paragraphe 3, l’employé
donne, par les présentes, pour son propre compte et pour le compte de ses
ayants droit, à l’employeur, à ses filiales, leurs employés, officiers,
administrateurs, ayants droit et mandataires,
quittance complète, finale et
définitive
de toute action, cause d’action, passée, présente ou future,
devant tout tribunal judiciaire, quasi judiciaire ou administratif, en raison
de son emploi ou de la cessation de son emploi chez l’employeur et, sans
restreindre la généralité de ce qui précède, de toute réclamation en capital,
intérêts et frais pour salaires, vacances, indemnité de départ, préavis, délai
de congé, temps supplémentaire, déboursés relatifs à son emploi, commissions,
bonis ou tout autre montant pouvant lui être dû en vertu de toute loi
applicable, incluant la
Loi sur les normes du travail
et en particulier,
quant au préavis de cessation d’emploi de l’article
5. En considération de ce qui précède, l’employé reconnaît ne plus avoir de lien d’emploi chez l’employeur et renonce à toute réintégration.
6. L’employé reconnaît que les versements effectués aux termes du paragraphe 3 des présentes, le sont à sa demande expresse et il déclare faire son affaire personnelle de toute imposition, cotisation, contestation ou autre décision de nature fiscale que pourrait prendre toute autorité compétente en regards desdits versements, de même qu’il fait son affaire personnelle de toute demande de remboursement, réclamation, plainte, pénalité ou cotisation par le Receveur Général du Canada ou par Développement des ressources humaines Canada ou par toute autorité compétente, qui pourrait être due ou payable à la suite du versement de ces sommes; en conséquence, l’employé garantit l’employeur contre tout telle réclamation, imposition, cotisation, plainte, pénalité, ou contestation ou autre décision et leurs conséquences, et s’engage à tenir l’employeur indemne de toute réclamation à cet égard et à assumer tous les frais y reliés.
7. L’employé déclare avoir eu l’opportunité de consulter un conseiller juridique et avoir eu tout le temps nécessaire pour lire et étudier le présent document; il ajoute y avoir consenti librement et volontairement, après en avoir compris tous ses termes et être en accord avec ceux-ci.
8. L’employé reconnaît que les sommes qui lui sont versées aux termes des présentes constitue une indemnité de départ et un délai congé raisonnable et suffisant.
9. La présente entente ne peut constituer un précédent entre les parties et la décision qui en découlera ne pourra servir à titre de jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles.
10. Les parties s’engagent à ce que le présent document demeure confidentiel et à ne pas divulguer ni communiquer à quiconque son contenu, en tout ou en partie, que ce soit directement ou indirectement, sous réserve cependant des lois en vigueur.
11. L’employé dégage par la présente son syndicat de tout devoir de représentation à son égard et renonce à toute action, plainte, réclamation, grief, dommage, demande ou recours de quelque nature que ce soit, qu’il peut, pouvait, pourrait avoir contre les Travailleurs Canadiens de l’automobile - Québec, ainsi qu’è leurs administrateurs, officiers, dirigeants, mandataires, employés ou représentants respectifs de même que contre le Syndicat du Centre Sheraton Montréal, Local 2609 (TCA-Québec), ses administrateurs, officiers, dirigeants, délégués, mandataires, employés ou représentants et ce relativement à son emploi et à la fin de cet emploi que l’employé détenait auprès de l’employeur.
12. Les parties déclarent que la présente entente constitue une transaction au sens des articles 2631 et suivant du Code civil du Québec , et reconnaissent expressément qu’elle est faite sans admission quelconque de responsabilité de la part de l’employeur et n’a que pour but de prévenir tout litige.
EN FOI DE QUOI LES PARTIES ONT SIGNÉ, le 10 juillet 2013.
[ Sic ]
[37] Dans son témoignage, M me Dagenais a reconnu que ce projet d’entente contenait plusieurs erreurs qu’elle aurait fait corriger si les parties avaient eu l’occasion de discuter du document.
[38] Il en va de même, selon elle, de la lettre d’attestation d’emploi qui indiquait que la plaignante avait travaillé pour l’employeur « du 7 avril 2011 au 26 mars 2013 », alors que ces dates sont erronées.
[39] Lorsque M. Beaudoin a reçu le courriel de M me Dagenais , il s’est empressé de lui répondre, sans avoir lu le projet d’entente qu’elle venait de lui transmettre : « Allo. Pourvu qu’elle est [ sic ] 10 k net » . M. Beaudoin a ensuite appelé la plaignante afin de lui annoncer que l’employeur consentait à lui accorder 10 000 $ « net » en échange du retrait de ses griefs.
[40] Dans son témoignage, M. Beaudoin a dit, relativement à cette conversation téléphonique :
Elle était très heureuse et m’a remercié. Je lui ai dit qu’on annulait donc la rencontre du 22 juillet, puisqu’on n’allait pas en arbitrage et je lui ai dit qu’on allait préparer tous les documents avant de lui faire signer.
[41] M. Beaudoin a ensuite confirmé à M. El-Zamel et à M me Dagenais qu’il avait informé la plaignante de l’entente intervenue.
[42] Le lendemain, 19 juillet, M. Beaudoin a transmis par télécopieur à l’arbitre, avec copie à M me Dagenais et à M e Lamarre, la lettre suivante :
Un règlement est intervenu entre les parties relativement au dossier susmentionné. Par conséquent, je vous demanderais de bien vouloir annuler l’audience prévue pour le 24 juillet prochain. Cependant, jusqu’à ce que le règlement soit finalisé, il serait opportun que cette affaire soit remise sine die.
Veuillez agréer…
[43] Le même jour, M me Dagenais a fait une demande au département de la comptabilité pour l’émission d’un chèque de 10 000 $ au nom de la plaignante afin de permettre de clore le dossier la semaine suivante, pendant ses vacances.
[44] Ce même 19 juillet, la plaignante a appelé M me Jacques, vers 16 h, pour lui annoncer qu’elle s’était entendue avec l’employeur pour une somme de 10 000 $.
[45] Dans son témoignage, M me Jacques a dit : « Elle était émotive, elle pleurait beaucoup. Je me suis dit qu’elle devait être contente. Je lui ai demandé si elle était sûre que c’était ce qu’elle voulait. Elle a dit ‘’oui’’, mais qu’elle avait de la peine de nous quitter.»
[46] Le samedi 20 juillet en avant-midi, M. El-Zamel a appelé M. Beaudoin pour lui faire savoir que la plaignante avait communiqué avec lui pour l’informer qu’elle avait discuté avec son entourage et qu’elle ne voulait plus 10 000 $, mais 30 000 $, voire même 40 000 $.
[47] Ce jour-là, M. Beaudoin devait participer à une activité récréative avec M me Jacques. Prévoyant parler de l’affaire avec elle à cette occasion, M. Beaudoin a répondu à M. El-Zamel qu’il le rappellerait le lundi suivant.
[48] Dans son témoignage, la plaignante a expliqué avoir changé d’idée après avoir réalisé qu’à 57 ans, elle ne trouverait pas facilement un autre emploi, qu’elle aimait celui qu’elle occupait chez l’employeur et qu’il ne lui restait que huit ans avant de pouvoir prendre sa retraite. N’ayant alors signé aucun document, a-t-elle ajouté, elle croyait être en droit de changer d’idée.
[49] En contre-interrogatoire, la plaignante a réaffirmé que ce n’était pas M. Beaudoin qui l’avait incitée à réclamer 10 000 $ en échange du règlement de son dossier. Selon elle, c’est l’avocate qu’elle avait consultée pour sa mère qui lui avait fait comprendre que si elle n’aimait pas son emploi, elle ferait mieux de le quitter.
[50] Selon le procureur patronal, les faits révélés par la preuve démontrent clairement qu’il y a eu entente entre les parties, particulièrement lorsque, à la suite du courriel de M me Dagenais, M. Baudoin lui a répondu : « Allo. Pourvu qu’elle est [sic] 10 K net »
[51] À son dire, cet écrit de M. Beaudoin satisfait au paragraphe 7.08 d) de la convention collective qui prévoit que « tout règlement de grief lie les parties et est consigné par écrit ».
[52] Dans les faits, de prétendre le procureur, la plaignante avait consenti à cette entente et a par la suite changé d’idée.
[53] Lors de sa plaidoirie, la procureure syndicale a déposé le document suivant qui résume bien les prétentions du syndicat :
SOMMAIRE DE L’ARGUMENTATION DU SYNDICAT SUR L’OBJECTIOIN PRÉLIMINAIRE DE L’EMPLOYEUR QUANT À LA JURIDICTION DE L’ARBITRE
[…]
1
Il
s’agit ici d’une transaction
tripartite
, si transaction il y a. En
effet, nonobstant les dispositions de l’article
- Les parties à la transaction sont l’employeur, la salariée et le syndicat : projet de transaction en cause ainsi que toutes les transactions précédentes impliquant les salariés syndiqués du Sheraton (par exemple S-6 et S-7).
- Par. 3, préambule, E-3 : « les parties désirent régler à l’amiable ».
- Par. 1, préambule, E-3 : « l’employé et le syndicat retirent les griefs ci-haut mentionnés ».
- Par. 2, préambule, E-3 : « Attendu que l’employé et le syndicat avaient logé les griefs… ».
- Par. 1, transaction E-3 : « L’employé et le syndicat retirent les griefs… ».
- Par. 4, transaction E-3 : L’employé donne quittance complète finale et définitive à l’employeur.
- Par. 6, transaction E-3 : Les versements effectués le sont à la demande expresse de l’employé et il fait son affaire personnelle de toute imposition, cotisation ou contestation ou autre décision de nature fiscale et garantit l’employeur contre telle réclamation et s’engage à le tenir indemne.
- Par. 7, transaction E-3 : L’employé déclare avoir eu tout le temps nécessaire pour lire le présent document, l’opportunité de consulter un conseiller juridique, de consentir librement et volontairement et de comprendre les termes de l’Entente.
- Par. 8, transaction E-3 : L’employé reconnaît que le préavis de départ est raisonnable et suffisant.
- Par. 9, transaction E-3 : L’employé dégage le syndicat de tout devoir de représentation.
2 Le
consentement éclairé de la salariée devait donc être obtenu (art.
- Comment la somme de 10,000.00 pourrait être versée exempte de déductions fiscales;
- Comment la salariée pourrait être tenue indemne de toute réclamation éventuelle des autorités fiscales ou de celles de l’Assurance-emploi.
3 Le consentement et l’engagement de la salariée étaient conditionnels à ce qu’elle puisse obtenir le document constatant les termes de la transaction, le lire, l’étudier et consulter un conseiller juridique à ce sujet, le tout nécessitant un temps raisonnable, tel que spécifié dans le projet de transaction et tel que l’exige le simple bon sens;
- Par. 7 de la transaction E-3 qui prévoit textuellement cette condition.
- Cette dernière condition est essentielle car de par cette transaction, la salariée doit tenir indemne l’employeur de toute réclamation et reconnaît que les versements effectués constituent un délai congé suffisant, renonce à sa réintégration.
4 Lorsque la salariée a modifié ses instructions le samedi 20 juillet 2013, elle n’avait pas encore obtenu le document contenant les termes de la transaction et les modalités de paiement; il n’y avait même pas encore eu de discussions entre le syndicat et l’employeur quant à ces modalités. L’employeur ne peut donc pas prétendre que la salariée était liée par l’entente verbale intervenue entre le syndicat et l’employeur, laquelle entente n’avait d’ailleurs pas été finalisée […].
5 Le consentement de la salariée était de plus vicié par le grand stress vécu au moment des discussions menant aux discussions du 18 juillet 2013 : d’une part, ces discussions ont été très rapides (une matinée) et d’autre part, la salariée a témoigné sur le grand stress vécu en raison de la garde de sa mère âgée atteinte de démence, sur son peu de sommeil, ses problèmes de santé physique.
6 Mme Nicole Jacques, présidente du comité syndical au Sheraton et qui était en vacances lors des discussions de règlement, a pu parler au téléphone avec la salariée en fin d’après-midi le 18 juillet 2013 et témoigne que celle-ci pleurait. Ces « res gestae » démontrent bien que l’état d’esprit de la salariée était perturbé.
7 Sur un sujet si lourd de conséquences pour cette salariée âgée de 57 ans, détenant quelque 27 années d’ancienneté, les circonstances ne peuvent démontrer l’existence d’un consentement éclairé, tout au contraire.
B) ABSENCE DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ DU SYNDICAT À LA TRANSACTION
1 Lorsque les parties s’entendent sur $10,000 dollars [ sic ] « net », elles ne connaissent pas les modalités de versement de cette somme qui n’ont pas été déterminées ni convenues ni même discutées à ce moment non plus que les déductions fiscales que l’employeur propose d’effectuer. La transaction n’est pas complétée […].
2 Vu les conséquences très sérieuses pour la salariée en cas de recours des autorités fiscales ou de l’assurance-emploi pouvant découler du mode de versement de l’indemnité, ces aspects sont suffisamment importants pour vicier le consentement du syndicat.
C) LA TRANSACTION N’ÉTAIT PAS COMPLÉTÉE PUISQUE LA NATURE ET LE DÉTAIL DES SOMMES DEVANT ÊTRE VERSÉES POUR CONSTITUER UN MONTANT DE $10,000 NET N’ÉTAIENT PAS ENCORE DÉTERMINÉS
Lorsque les parties s’entendent sur $10.000 dollars [ sic ] net, elles ne connaissent pas les modalités de versement de cette somme qui n’ont pas été déterminées ni convenues ni même discutées à ce moment :
- Comment ce montant sera-t-il versé et à quel titre?
- Des déductions seront-elles effectuées? À quel titre?
- Des dépenses seront-elles remboursées? Combien? À quel titre? À qui sont-elles remboursées et sous quelles conditions?
- Comment peut-on justifier $5,000 à titre de recherche d’emploi et frais de relocalisation? La salariée les a-t-elle encourus? Ce montant n’a jamais été discuté entre les parties.
- Il manque $2,000, comment sera-t-il versé et à quel titre? Ceci n’a pas été discuté.
-
La
transaction est donc incomplète et comme une transaction est indivisible (art.
CONCLUSION
En conséquence, il est respectueusement soumis que l’objection préliminaire de l’employeur doit être rejetée.
[54] Au soutien de ses prétentions, la procureure syndicale a invoqué les autorités énumérées à l’annexe « A » de la présente décision.
[55] En réplique, le procureur a fait valoir que l’objet de l’entente intervenue entre les parties était on ne peut plus clair : peu importe les modalités de paiement de la somme sur laquelle les parties s’étaient entendues, l’employeur devait remettre à la plaignante une somme de 10 000 $ « net », c’est-à-dire après toutes déductions, en échange du retrait de tous les griefs de cette dernière.
[56] Et la preuve de cette entente, selon le procureur, réside dans le courriel où M. Beaudoin a écrit à M me Dagenais « pourvu qu’elle est [sic] 10 K net » , montant que cette dernière avait déjà accepté.
[57] Quant à la prétention syndicale selon laquelle la plaignante n’était pas en état de donner un consentement éclairé, le procureur patronal a souligné que le syndicat n’avait présenté aucune preuve médicale pour l’étayer.
[58] Au soutien de ses prétentions, le procureur patronal a invoqué les autorités énumérées à l’annexe « B » de la présente décision.
[59] En réponse à la réplique patronale, la procureure syndicale a précisé qu’elle ne niait pas que, selon la jurisprudence, une transaction verbale puisse lie les parties. Encore faut-il, d’ajouter la procureure, que la transaction soit complète et que la plaignante y ait donné un consentement éclairé, ce qui, selon elle, n’était pas le cas en l’espèce.
[60] L’objection préliminaire de l’employeur soulève essentiellement la question suivante : y a-t-il eu transaction entre les parties pour le règlement de l’ensemble des griefs de la plaignante?
[61] L’employeur répond à cette question par l’affirmative en invoquant l’entente verbale intervenue entre M me Dagenais et M. Beaudoin, confirmée par ce dernier dans le courriel qu’il a fait parvenir à la directrice des ressources humaines le 18 juillet 2013, alors que le syndicat y répond par la négative, d’une part parce que, selon lui, la plaignante n’a pu fournir un consentement éclairé à cette entente, et d’autre part parce que le projet de transaction que M me Dagenais a transmis à M. Beaudoin le 18 juillet ne peut être considéré comme complet, puisqu’il ne contenait pas toutes les modalités de versement de la somme de 10 000 $ « net ».
[62] Avant de répondre à l’objection préliminaire, je préciserai ce qu’il faut entendre par « transaction » et quelles sont les parties à une transaction. Une fois ces précisions apportées, je déciderai si, en l’espèce, il y a eu transaction ou non.
[63]
L’article
La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement au moyen de concessions ou de réserves réciproques.
Elle est indivisible quant à son objet.
[64]
L’article
Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige en outre le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.
Il est aussi de son essence qu’il ait une cause et un objet.
[65] En l’espèce, les discussions qu’ont eues M me Dagenais et M. Beaudoin dans les jours qui ont précédé la journée d’audience prévue le 24 juillet 2013 étaient destinées à explorer la possibilité de régler tous les griefs de la plaignante à la satisfaction des deux parties, et ainsi mettre un terme à la procédure d’arbitrage.
[66] Dans ce contexte, toute entente qui mettrait un terme à la procédure d’arbitrage constituerait une transaction qui, il faut bien le préciser, ne doit pas nécessairement être écrite, comme l’explique M e Renée M. Goyette, dans un article intitulé « Boucler une cessation d’emploi avec une transaction : Mythe ou réalité?» [1] :
De plus, aucune condition de forme particulière
n’est exigée pour la conclusion d’une transaction, cette dernière pouvant être
écrite ou verbale. Ce type de contrat peut aussi résulter d’un simple échange
verbal ou autre, ou de correspondances. Le fondement de cette interprétation
découle de l’article
Il est d’autre part admis, en ce qui concerne cette absence de condition liée à la forme d’une transaction, que c’est en matière de preuve que le défaut de s’être ménagé un écrit formel la constatant est susceptible de présenter certains défis de mise en preuve à la partie invoquant transaction.
[Références retirées du texte]
[67] Cette affirmation selon laquelle une transaction peut être écrite ou verbale trouve écho dans la jurisprudence.
[68] Ainsi, aux pages 49 et 50 de la décision qu’il a rendue relativement à l’affaire Banque Laurentienne du Canada [2] , l’arbitre Jobin écrit ce qui suit sur la transaction verbale :
Cette entente toutefois était verbale. C’est ici qu’intervient l’argument central de la partie syndicale. Selon celle-ci, il n’y a pas d’entente au sens de l’article 5.05 d) si une entente verbale n’est pas suivie de la confection d’ententes écrites bipartite et tripartite comprenant les paramètres de l’entente verbale, les « clauses » et les signatures des parties à ces ententes. On invoque à cet égard la pratique observée par les parties en pareilles circonstances et le fait que la Banque a posé les gestes de transmettre ces ententes écrites et d’en demander la signature par le Syndicat et l’employé concerné. Nous devrions donc interpréter l’article 5.05 d) à la lumière de cette pratique et de ce comportement qui démontreraient que, pour les parties, une décision doit obligatoirement prendre la forme de transactions bipartite et tripartite écrites et signées pour exister et pour produire des effets liants et exécutoires.
À la lecture de l’article 5.05 d), un premier constat s’impose. C’est que cette disposition ne requiert pas expressément un écrit signé pour qu’il y ait « décision ». Ce genre d’exigence (l’écrit) est parfois, même souvent, prévu mais ici, force est de constater qu’elle n’est pas formulée. L’Employeur a par ailleurs déposé de nombreuses autorités établissant clairement qu’une transaction n’est assujettie à aucune forme particulière pour en assurer la validité. L’accord des volontés suffit, la signature n’étant qu’une simple formalité visant à entériner une entente verbale. Pour une illustration représentative de l’état du droit, je retiens cet extrait de la décision Letourneau -et- Costco Wholesale Canada Ltd (Costco Boucherville), 2020 QCCRT 0495 :
[38] Ainsi, la transaction est un contrat qui n’est assujetti à aucune forme particulière et qui peut donc être verbal. Il se forme par le seul échange de consentement, libre et éclairé, sur les éléments essentiels entre personnes capables de contracter. Cet échange peut être exprès ou tacite et s’inférer des discussions, des écrits et des comportements des parties.
[39] L’écrit qui suit la transaction confirme l’entente, mais ne la crée pas. Il en facilite la preuve […] (…)
(…)
[55] De plus, il faut rappeler que, selon la jurisprudence, la formation de l’entente et l’écrit qui la constate sont deux actes distincts. En l’espèce, il n’était pas nécessaire que le plaignant signe le document pour donner pleine valeur à l’entente verbale intervenue. […].
À l’analyse de la preuve, un second constat s’impose. Dans le cours des discussions ayant mené à l’entente sur les cinq paramètres, la rédaction et la signature des Transactions Reçus-Quittances n’ont pas été mentionnées comme des conditions de l’entente. La seule exigence de ce type qui fut mentionnée et exécutée fut que M. Exantus signe un règlement hors cour de sa réclamation civile.
Ainsi, à la seule lecture de l’article 5.05 d) et d’après la preuve au sujet des négociations entre les parties, la signature d’ententes écrites bipartite et tripartite n’est pas et ne fut pas une condition exigée pour qu’il y ait entente ou décision.
[Références retirées du texte]
[69] Dans sa plaidoirie, après avoir reconnu qu’une transaction pouvait être verbale, la procureure syndicale a toutefois fait valoir qu’en l’espèce, selon la pratique qui avait cours entre les parties, ces dernières mettaient systématiquement par écrit toute entente verbale, l’entente écrite prévalant par la suite sur l’entente verbale.
[70] En dépit de cette coutume, je ne peux toutefois que constater qu’aucune disposition de la convention collective ne prévoit que pour être valide, une entente doit être écrite.
[71] En résumé, une transaction verbale est tout aussi valable qu’une transaction écrite.
[72] Dans la présente affaire, la plaignante est une employée syndiquée dont les conditions de travail sont prévues à la convention collective signée par son employeur et le syndicat dont elle fait partie.
[73] En argumentation, la procureure syndicale a soutenu que toute transaction ayant pour but de régler les griefs d’un employé devait nécessairement être tripartite, donc inclure le consentement de ce dernier.
[74] Ce n’est toutefois pas ce qu’enseignent la doctrine et la jurisprudence qui affirment que seuls l’employeur et le syndicat sont parties à une telle transaction lorsque la convention collective ne prévoit aucune disposition stipulant que pour être valide, une entente convenant du règlement d’un grief doit faire l’objet du consentement du salarié visé par ledit grief. La doctrine et la jurisprudence sont à toutes fins utiles unanimes sur la question, comme le révèlent les extraits suivants.
[75] À la page 318 de leur volume intitulé « Droit de l’arbitrage de grief » [3] , les auteurs Blouin et Morin écrivent ce qui suit :
[…] seules les parties peuvent convenir du règlement
du grief et l’entente doit être consignée en un écrit, ce qui peut en faciliter
la preuve et permettre à l’arbitre d’en donner acte (art.
[76] À maintes occasions, les arbitres ont repris cette affirmation et, dans plusieurs cas, ont élaboré sur le sujet.
[77] Ainsi, aux pages 9, 10 et 11 de la décision qu’il a rendue relativement à l’affaire Centre local de services communautaires Hautes-Laurentides [4] , l’arbitre Guay émet les commentaires suivants sur la question :
Le traité « Droit de l’arbitrage de grief » énonce que :
« III.61 En principe, le syndicat est titulaire de tout grief. Le droit de représentation qu’il détient lui confère le droit et même le devoir de surveiller l’administration de la convention collective ou de l’acte qui en tient lieu au bénéfice de tous les salariés et même à l’encontre du vœu personnel d’un salarié. C’est donc le syndicat qui a accès immédiat en direct aussi bien à la procédure interne qu’à l’arbitrage.
[…]
III.62 - L’état du droit en vigueur permet d’affirmer que le syndicat est le titulaire de tout grief bien qu’il existe quelques exceptions. Dans le cadre des prescriptions établies au Code du travail et après un constat de son caractère majoritaire, le syndicat devient le représentant exclusif de tous les salariés de l’unité de négociation. Ce n’est plus une association strictement privée et volontaire. La collectivité ne peut s’exprimer que par l’association accréditée tant pour la conclusion d’une convention collective que pour l’administration de celle-ci. La volonté collective ainsi exprimée prime, s’il y a conflit de droit, sur toute entente individuelle. S’il survient une mésentente lors de l’administration de la convention collective, cette mésentente en est une entre les parties signataires de l’acte collectif et non directement entre chacun de ses bénéficiaires ou les sujets de la convention collective et l’employeur. Le grief est nécessairement fondé sur la convention collective qui est l’œuvre du syndicat accrédité et de l’employeur. Ainsi, le syndicat est maître du grief et non les salariés considérés comme groupe ou à titre individuel.
(…)
III.84 - (…) Le syndicat accrédité est en somme le seul titulaire de tout grief et il lui appartient exclusivement de prendre les décisions finales à ce sujet.
La jurisprudence abonde dans le même sens. Ainsi, par exemple, de la décision rendue le 12 juin 1989 par Me Huguette Gagnon, dans l’affaire Vitrerie Lepage Inc. et Vitriers et travailleurs du verre, section locale 1135 , où l’arbitre écrit que :
« En matière d’arbitrage de grief, il n’y a
pas de doute que le
Code du travail
reconnaît l’association accréditée
et l’employeur comme les parties en cause, tel que prévu à l’article 100 dudit
code, qui ne reconnaît pas le salarié comme une partie à cet égard. Cette
disposition est d’ailleurs renforcée par l’article
Ainsi, également, de la décision du 26 février 1991 de Me Mark Abramowitz dans l’affaire Syndicat des salariés d’Autobus Laval ltée et Autobus Laval ltée . Après avoir fait un examen exhaustif de la jurisprudence, l’arbitre y affirme que :
« Toute cette jurisprudence indique que c’est le syndicat qui est titulaire du grief. Le droit exclusif de référer un grief à l’arbitrage ou de ne pas le porter à l’arbitrage, de continuer ou de se désister du grief une fois qu’il a été porté à l’arbitrage, appartient exclusivement au syndicat indépendamment du désir du salarié impliqué. Le salarié, en devenant employé d’une compagnie liée à une convention collective réglant les conditions de travail pour les matières traitées dans cette convention collective, est « dépersonnalisé » de ses droits à cet égard, à moins qu’il existe une clause spécifique dans la convention lui permettant de faire valoir sesdits droits. La seule réserve imposée est que la décision du syndicat dans ces matières ne doit pas être le produit d’un conflit d’intérêt entre le syndicat et le salarié en question. Si c’est le cas, le salarié a le droit d’être entendu (audi alteram partem) : Hoogendoorn and Greening Metal Products and Screening Equipment Company and the United Steelworkers of America, locale 6222 , (1969) R.C.S. 30. Alternativement, ce salarié peut exercer ses droits contre le syndicat par d’autres moyens.
Une convention collective est l’œuvre commune d’un
syndicat et d’un employeur. Les parties à un grief qui est fondé sur une telle
convention sont les signataires du document. Ainsi le veut l’état actuel du
droit du travail, et tout particulièrement l’article
Cependant, il ne fait pas de ce consentement une condition à la validité d’une transaction intervenue entre les parties à la convention collective afin de disposer d’un grief qu’elle a formulé ou qui l’a été en son nom. À l’égard d’une transaction intervenue entre les parties en vue de régler ce grief, la personne salariée intéressée est un tiers dont le consentement n’est exigé ni par la Loi, ni par la convention collective. La sollicitation par le Syndicat de ce consentement est une question de régie interne syndicale.
[Références retirées du texte]
[78] Quant à l’arbitre Dubois, il apporte les précisions suivantes sur le sujet, aux pages 19 et 20 de sa décision portant sur l’affaire Alcoa ltée [5] :
La question de savoir si l’entente ayant conduit au règlement d’un grief conclue entre un représentant syndical et un représentant de l’Employeur constitue une transaction valide engageant par le fait-même la personne salariée, soulève en elle-même plusieurs sous-questions.
Cette entente peut-elle ou doit-elle être faite verbalement ou par écrit? Cette entente requiert-elle le consentement de la personne salariée concernée? Une telle entente requiert-elle la ratification de l’exécutif syndical? Cette même entente doit-elle nécessairement être consignée dans un écrit et si elle l’est, doit-elle obligatoirement contenir la signature de la personne salariée concernée? Et qu’en est-il de la pratique usuelle entre les parties? Voilà autant de questions que soulève le présent débat.
De façon générale, la jurisprudence reconnaît que les deux parties à la convention collective, en sont les signataires, soit l’Employeur et le Syndicat.
Il est généralement reconnu également, et cela
découle de l’article
Quant à la capacité du Syndicat (ou de son représentant) de porter ce grief à l’arbitrage ou encore de le régler, je partage les propos de mon collègue Richard Guay tenus dans l’affaire Centre local de Services communautaires Hautes-Laurentides : [6]
Si le consentement de la personne salariée - qui peut s’avérer souhaitable pour des raisons politiques évidentes pour le Syndicat - n’est pas une condition à la validité d’une transaction intervenue entre les représentants des parties à la convention collective, il n’est pas présomptueux d’affirmer que la signature de la personne salariée concernée n’est pas davantage requise au bas du document qui consignerait les considérations et conditions émanant de l’entente conclue.
À moins, bien sûr que la convention collective n’impose aux parties et à toute personne intéressée des formalités plus précises et contraignantes.
[79] Enfin, l’arbitre Lyse Tousignant a tenu des propos similaires, aux pages 23 à 32 de la décision qu’elle a rendue à l’égard de l’affaire Commission scolaire de la région de Sherbrooke [7] :
Pour décider du litige, je dois répondre à la question suivante :
1- Y a-t-il eu entente le 17 mars 2010?
Avant d’étudier le contexte particulier révélé par la preuve, il convient de reprendre certains principes généraux en ce qui concerne les griefs et leur règlement selon ce qui ressort de la convention collective, du code du travail, de la doctrine et de la jurisprudence.
La convention collective (art. 1-1.30) définit le grief comme : « toute mésentente relative à l’interprétation ou à l’application de la convention collective.» Cette définition rejoint celle du Code du travail. Quant au « règlement des griefs et modalités d’amendement à l’entente », le chapitre 9-0.00 en traite. Si, à l’entente locale (art. 5-6.00, 5-7.00 et 5-8.00) il est prévu que dans certains cas, l’enseignante peut soumettre un grief à l’arbitrage, nous ne sommes pas face à une de ces situations. Ainsi, les dispositions générales s’appliquent. Il se dégage des articles 9-1.03, 9-1.04 et 9-1.05 que les parties sont le syndicat et la commission scolaire. Le tout est en harmonie avec la règle générale prévue au Code du travail (art. 100, 1 er alinéa et 69). À ce dernier sujet, je réfère plus particulièrement à l’énoncé suivant de la doctrine :
Propriété syndicale - Outre la prescription légale ou conventionnelle, la propriété du grief conditionne aussi l’accès à l’arbitrage.
L’article
Droit individuel - Rien ne s’oppose à ce que la procédure de grief prévue à la convention collective autorise le salarié à procéder seul aux étapes initiales de la procédure de grief. Cette pratique est d’ailleurs courante, à ce stade des procédures… Il n’est pas exclu par ailleurs que selon la convention collective, le salarié puisse aussi porter lui-même sa réclamation à l’arbitrage, y devenant ainsi personnellement partie.
Ce même principe général est exprimé par les auteurs Morin et Blouin.
La jurisprudence a acquiescé à ces principes. Je réfère entre autres à l’affaire Commission scolaire de la Riveraine et Syndicat des enseignantes et enseignants de la Riveraine où l’arbitre reprend l’état de la doctrine et de la jurisprudence sur le sujet.
En application de ce principe général, il faut convenir que l’entente entre la commission et le syndicat suffirait pour disposer d’un grief dans la mesure où, naturellement, le syndicat respecte ses obligations légales de représentant de la salariée. Il se dégage également de la jurisprudence que l’écrit ne serait pas nécessaire dans la mesure où il y a eu consentement libre et volontaire. Naturellement, si la convention collective prévoit que l’entente doit se faire par écrit, il y a là obligation à cet effet. Au même effet, si les parties ont convenu que l’existence d’une entente était conditionnelle à l’existence d’un écrit.
[…]
Dans le présent cas, il n’a pas été convenu que l’existence de l’entente était conditionnelle à la signature par madame d’un écrit. Il suffit de se référer au fait que les parties, en fin de journée, constataient qu’il y avait entente, échange de poignée de main. Certes, c’est toujours mieux d’avoir un écrit, ne serait-ce que pour fins de preuve. Dans le présent cas, l’entente n’était pas faite sous condition. L’entente était complète. Si, dans la suite, un écrit serait préparé et signé, on n’en a pas fait là une condition à l’existence de l’entente.
[Références retirées du texte]
[80] En somme, ce n’est qu’en présence d’une disposition de la convention collective prévoyant expressément que le consentement du salarié est requis pour qu’une transaction soit valide, que l’absence dudit consentement pourrait entrainer la nullité de la transaction.
[81] Dans la présente affaire, la convention collective ne prévoit aucune telle condition, si bien qu’il est impossible d’affirmer que le consentement de la plaignante était une condition sine qua non à la réalisation de la transaction.
[82] L’argument syndical selon lequel la transaction est nulle, notamment parce que la plaignante n’était pas apte à donner un consentement éclairé ne saurait donc être retenu, puisque le consentement de cette dernière - éclairé ou pas - n’était pas nécessaire.
[83] Et même si j’en étais venu à la conclusion que le consentement de la plaignante était nécessaire pour qu’il y ait transaction, je devrais néanmoins tenir compte du fait que cette dernière a consenti à l’entente verbale et qu’aucun élément de la preuve ne permet de conclure que ce consentement était vicié ou n’était pas éclairé.
[84] Non seulement le syndicat n’a-t-il fourni aucune preuve que la plaignante était dans l’incapacité de donner un consentement éclairé à l’entente qui lui était présentée, mais la conversation que cette dernière a eue avec M me Jacques le 18 juillet 2013 démontre clairement qu’elle comprenait parfaitement les tenants et aboutissants de l’entente qu’elle s’apprêtait à accepter.
[85] La preuve révèle en effet que lorsque M me Jacques - personne que la plaignante tenait en haute estime - lui a demandé si elle était certaine de vouloir échanger ses chances de retrouver son emploi contre 10 000 $ « net », cette dernière a répondu, après avoir expliqué les motifs de sa décision : « Oui, je veux quitter ».
[86] Comme on vient de le voir, une transaction peut n’être que verbale, et en l’absence de dispositions expresses dans la convention collective, seuls le syndicat et l’employeur peuvent convenir de s’entendre pour régler des griefs. Ceci étant dit, les parties en cause dans la présente affaire ont-elles convenu du règlement des griefs de la plaignante?
[87] Dans la convention collective à l’étude, la seule disposition qui concerne le règlement d’un grief se trouve au paragraphe 7.08 d) qui stipule que « tout règlement de grief lie les parties et est consigné par écrit ».
[88] Autrement dit, s’il y a entente verbale, l’écrit ne sert qu’à confirmer l’entente dont ont convenu les parties, L’absence d’un tel document écrit ne peut donc avoir pour conséquence de rendre nulle l’entente verbale intervenue entre les parties.
[89] L’arbitre Ménard a d’ailleurs déjà eu l’occasion de traiter de cette question dans la décision qu’il a rendue à l’égard de l’affaire Kruger [8] . Aux pages 17 et 18 de sa décision, il écrit :
Les parties avaient-elles en l’espèce fait de l’exigence de la mise à l’écrit de « l’entente de principe » verbale intervenue une « condition essentielle » à l’existence de cette transaction? Était-il « de l’essence même du règlement » que monsieur Asselin « participe à (sa) signature »? La preuve telle qu’administrée ne permet pas de répondre positivement à ces interrogations pour les raisons qui suivent.
Il n’y a pas de doute qu’il s’est établi au fil des années dans cette entreprise une pratique voulant que des cas comme celui de monsieur Asselin se règlent au moyen d’une entente écrite signée par toutes les parties, y incluant la personne salariée visée. Bien qu’il y ait là un état de fait indiscutable, on ne peut toutefois comprendre de cet usage qu’on entendait en faire une condition sine qua non à l’existence de toute entente sans y ajouter.
Pour qu’il en soit autrement, il aurait à tout le moins fallu qu’on dise expressément qu’il s’agissait d’une composante de cette pratique, de manière à ce que tous comprennent, pour paraphraser des propos apparaissant à l’extrait qui précède, qu’à défaut d’une mise à l’écrit ou de la signature de monsieur Asselin, il ne pouvait y avoir entente.
Or, la seule précision de cette nature que révèle la preuve est spécifique au cas et porte sur le fait que, dès le point de départ, monsieur Proulx a « assujetti » « l’entente de principe » qu’il venait de conclure verbalement avec monsieur Melançon à une validation à faire auprès de monsieur Asselin, ce qui a d’ailleurs été réalisé. Pour le reste, il n’y a rien dans la preuve qui donne à penser que la mise à l’écrit et la contre-signature par le salarié visé conditionnait l’existence même d’une entente du genre
Si cette pratique avait vraiment été de cette nature et si elle avait effectivement été comprise comme telle par les parties, il serait certes à se demander pourquoi monsieur Melançon a sincèrement cru qu’il y avait entente le 19 février 2001, pourquoi monsieur Proulx a spontanément jugé utile de requérir l’accord verbal de monsieur Asselin avant de disposer d’un écrit et pourquoi l’Employeur a tout naturellement pris le risque de commencer à réaliser des objets d’entente sans que monsieur Asselin ait dûment signé un document qui était supposément nécessaire à son existence. Combinées les unes aux autres ces observations ne peuvent supporter qu’une seule conclusion : la pratique qu’on appliquait n’était pas essentielle à la conclusion d’une entente ou, autrement dit, son défaut n’empêchait pas qu’il se forme validement un contrat de transaction.
[90] La position défendue par le syndicat dans la présente affaire était similaire à celle du syndicat dans l’affaire Kruger , d’où les nombreuses références syndicales au projet d’entente soumis par l’employeur afin de démontrer que l’entente n’avait jamais été complétée.
[91] Or, comme on vient de le voir, ce projet écrit de transaction ne visait pas à concrétiser ladite transaction, mais uniquement à en préciser certaines modalités.
[92] En l’espèce, comme l’ont d’ailleurs admis les parties, il y a eu entente entre M me Dagenais et M. Beaudoin, en vertu de laquelle l’employeur acceptait de verser 10 000 $ « net » à la plaignante en échange du retrait de tous les griefs déposés par le syndicat au nom de cette dernière.
[93] Cette entente était complète en soi, indépendamment des modalités dont conviendraient les parties par la suite pour la mettre à exécution, car même si elles ne parvenaient pas à s’entente sur le sujet, l’employeur pouvait aisément respecter son obligation contractuelle en versant à la plaignante un montant de 10 000 $ « net », et aux autorités compétentes les montants prévus par la loi pour légitimer le paiement de 10 000 $ « net » à la plaignante. Quant au syndicat, il était toujours en mesure, en contrepartie de ces versements, de retirer ses griefs. Rien ne s’opposait donc à l’exécution de la transaction.
* * * * *
[94] Pour tous ces motifs,
- J’ACCUEILLE l’objection préliminaire soulevée par l’employeur;
- JE DÉCLARE être sans compétence pour entendre les griefs numéros G12-181ST, G12-183ST, G13-17ST et G13-50ST de M me Annick-Françoise Verdier, puisqu’il y a eu transaction entre les parties;
- JE CONSERVE ma compétence pour décider de toute mésentente pouvant découler de l’application de la présente décision.
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_____________________________ __ André Bergeron, arbitre |
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Pour le syndicat : |
M e Catherine Saint-Germain |
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Pour l’employeur : |
M e Pierre Lamarre |
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Date d’audience : |
7 janvier 2014, 8 avril 2014 |
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Date de la décision : 12 mai 2014 |
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c: bergeron centre sheraton-mai14
Réf.: G-13-4141
ANNEXE « A »
AUTORITÉS INVOQUÉES
PAR LA PARTIE SYNDICALE
- Code civil du Québec, extraits
- GOYETTE, Renée. « Boucler une cessation d’emploi avec une transaction : mythe ou réalité?», Un abécédaire des cessations d’emploi et des indemnités de départ 2005 , Barreau du Québec, 2005
-
Syndicat des employées et employés de la Commission scolaire des
Laurentides (CSN) -et- Commission scolaire des Laurentides (Bernard Lefresne)
,
M
e
Jean-Guy Roy, arbitre,
-
Association des policiers-pompiers municipaux de Roberval inc. -et-
Roberval (Ville de)
, M
e
Gabriel-M. Côté, arbitre,
- Madame Chantal Bélanger -et- Quincaillerie Le Faubourg , M e Robert Jasmin, commissaire du travail, 21 avril 1997
- Yves Pedneault c. Bureau en gros , Paul Dufault, commissaire du travail, 28 novembre 2001
-
Beaudoin -et- Marchands en alimentation Agora inc.
, M. Noël
Grenier, commissaire du travail, 19 juillet 1999,
-
Creamer -et- Entreprises Daniel Robert inc.
, M. Benoît Monette,
commissaire du travail, 3 novembre 1996,
ANNEXE « B »
AUTORITÉS INVOQUÉES
PAR LA PARTIE PATRONALE
- MORIN, Fernand et Rodrigue BLOUIN. Droit de l’arbitrage de grief , 6 e édition, Éditions Yvon Blais.
-
Syndicat de l’enseignement de l’Estrie -et- Commission scolaire de la
région de Sherbrooke (Claudette Fontaine)
, M
e
Lyse Tousignant,
arbitre, 28 mars 2012,
-
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier,
section locale 234 -et- Kruger, division des papiers pour publications (Daniel
Asselin)
, M
e
Jean-Guy Ménard, arbitre, 3 décembre 2010,
-
Alcoa ltée -et- Syndicat national des employés de l’aluminium de
Baie-Comeau (CSN) (Jean-Guy Nadeau)
, M
e
André Dubois, arbitre, 5
décembre 2012,
-
Banque Laurentienne du Canada -et- Syndicat des employées et employés
professionnels et de bureau, section locale 434 (griefs patronaux)
, M
e
Carol Jobin, arbitre, 8 mai 2012,
-
Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CLSC
Hautes-Laurentides -et- Centre local de services communautaires
Hautes-Laurentides (Marie-Josée Lambert et griefs syndicaux)
, M
e
Richard Guay, arbitre, 5 décembre 2004,
-
Syndicat national du transport écolier Saguenay-Lac-St-Jean (CSN)
-et- Autobus Dolbeau ltée
, M
e
Gabriel-M. Côté, arbitre, 5
novembre 1999,
[1] Voir l’annexe « A » pour la référence exacte.
[2] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[3] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[4] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[5] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[6] Citation reproduite précédemment (voir haut de la page).
[7] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[8] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.