Fraternité des policiers de Lévis inc. et Lévis (Ville de) (Michel Bernier) |
2014 QCTA 416 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o de dépôt : 2014-6383
Date : 3 juin 2014
DEVANT L’ARBITRE : M e MARCEL MORIN
LA FRATERNITÉ DES POLICIERS DE LÉVIS INC
Ci-après appelée « le Syndicat »
ET
VILLE DE LÉVIS
Ci-après appelée « l’Employeur »
Plaignant : Michel Bernier
Nature du grief : Affectation temporaire
¸
Convention collective : 2009-2011
SENTENCE ARBITRALE
(Art.
[01] L'arbitre soussigné a été désigné par le ministre du Travail pour entendre et décider du grief du sergent Michel Bernier, lequel a déposé personnellement un grief sans passer par l'entremise de son Syndicat. Ce grief daté du 31 août 2011 et adressé au directeur par intérim du service de police Monsieur Claude Pelletier se lit ainsi (S-2) :
« Monsieur Pelletier,
Par la présente, je désire déposer un grief concernant la situation suivante.
La Ville de Lévis a attribué au sergent Jacques Marquis pendant la présente saison estivale, approximativement entre le 4 juillet 2011 et le 2 septembre 2011, une mutation temporaire à titre d'assistant aux fonctions du Capitaine François Dubé, faisant fi de mes droits à ce poste que la Ville de Lévis m'avait d'abord offert et que j'avais pourtant accepté, le tout en regard des dispositions de la convention collective sur les affectations temporaires, particulièrement l'article 10.08.
Je demande que l'on reconnaisse que j'étais bel et bien qualifié pour cette affectation temporaire et que l'on me compense financièrement ou autrement pour cette perte d'opportunité qui entraîne pour moi des dommages et des inconvénients.
Une copie de la présente est transmise au syndicat.
Bien vouloir accuser réception de la présente.
Soyez assuré de mon entière collaboration. »
[02] Ce grief a cheminé à l'arbitrage et aucune objection n'a été formulée quant au respect de la procédure de grief et d'arbitrage. Toutefois, le plaignant est représenté par son procureur personnel alors que le Syndicat représenté par son procureur habituel a adopté une position différente de celle du plaignant, position qui se rapproche sensiblement de celle adoptée par l'Employeur.
LA PREUVE
[03] En 2011, la Ville de Lévis fêtait son 375e anniversaire. En plus de toutes les activités régulières, cet anniversaire faisait en sorte que le comité organisateur des fêtes du 375e avait planifié plusieurs activités. Le Capitaine François Dubé, policier depuis 1993 et employé du Service de police depuis novembre 2005 était responsable de tout le volet policier entourant ces événements. Ces activités nécessitaient beaucoup de planification et d'organisation ainsi que l'élaboration de plans d'opération. Dans un tel contexte, il avait besoin d'un sous-officier pour faire le suivi sur les décisions de gestion qu'il avait prises. C'était d'ailleurs la première fois qu'il avait exprimé ce besoin en raison de l'ampleur des activités devant se dérouler pendant l'été. Ce sous-officier devait faire un suivi plus pointu des besoins tels la quantité de dossards nécessaires, de lampes de poche, de radio, d'eau, de barres tendres, de contrats avec les traiteurs pour les repas des policiers ainsi que de faire les liens avec les différents intervenants.
[04] Le sous-officier recherché devait s'assurer que les décisions soient mises en exécution comme il l’avait décidé. Après avoir exprimé son besoin à son supérieur, le chef par intérim Claude Pelletier lui avoir suggéré d'utiliser l'article 10.08 de la convention collective concernant les affectations temporaires. À l'époque, il y avait embauche de nouveaux policiers et un policier avait été engagé en surplus de sorte qu'il a suggéré de créer une affectation temporaire et qu'en raison des mouvements de main-d’œuvre cela impliquait que l'on réglait le problème du policier temporaire en trop.
[05] Le Capitaine Dubé précise que la Ville aurait pu remercier le policier temporaire de trop et appliquer l'article 10.08. Son besoin prioritaire était d'avoir du soutien. Il en a parlé avec Monsieur Claude Pelletier, le directeur intérimaire. C'est dans le contexte de l'article 10.08 de la convention collective qu'il a sollicité l'intérêt du sergent Marc Desmeules, le plus ancien des sergents qui après avoir demandé un temps de réflexion. Il a ensuite demandé au sergent Michel Bernier, le deuxième plus ancien, s'il était intéressé par cette affectation si le sergent Desmeules ne l'acceptait pas. De fait, le sergent Bernier a manifesté de l'intérêt pour cette affectation. Par la suite, le sergent Desmeules l'a avisé que ce n'était pas possible et il en informe son supérieur, le chef par intérim Claude Pelletier. Parallèlement, Monsieur Dubé savait que des discussions avaient cours entre Monsieur Pelletier et les dirigeants syndicaux, et ce, jusqu'à la signature d'un accord de principe.
[06] L'affectation devait débuter le 4 juillet 2011. Il tenait à ce que cette affectation temporaire soit alors comblée pour lui présenter tous les dossiers afin que cette personne puisse fonctionner de façon autonome pendant son absence. En effet, le capitaine Dubé avait prévu être en vacances les deuxièmes et troisièmes semaines de juillet et l'on devait se retrouver ensemble dans la dernière semaine de juillet.
[07] Le capitaine Dubé considérait que le sergent Bernier était tout à fait qualifié pour cette affectation temporaire.
[08] Le capitaine Dubé a pris connaissance de l'accord de principe intervenu entre la Fraternité des policiers et le service de police de la Ville de Lévis (I-1), accord se lisant ainsi :
« CONCERNANT L'EMBAUCHE, PAR L'EMPLOYEUR, D'UN POLICIER TEMPORAIRE DE PLUS QUE LE PRÉVOIT LA CONVENTION COLLECTIVE
CONSIDÉRANT QUE l'employeur a, par inadvertance, procéder (sic) à l'embauche d'un policier temporaire de plus que la convention collective le prévoit ;
CONSIDÉRANT QUE le policier a compléter (sic) sa période d'induction avec succès et qu'il est apte à commencer à patrouiller ;
CONSIDÉRANT QUE le ou vers le 15 août 2011, le sergent-détective, Julie Plante, entamera un congé sans solde d'une durée de douze mois, l'embauche de ce policier deviendrait alors conforme à la convention collective ;
CONSIDÉRANT la surcharge de travail à la division gendarmerie concernant la planification des événements spéciaux relatifs entre autre (sic) aux Célébrations 2011 et aux nombreux suivis à effectuer dans différents projets opérationnels ;
IL EST CONVENU QUE :
1. Le 34 ième policier temporaire, embauché en juin 2011, demeure de façon exceptionnelle à l'emploi du service de police ;
2. L'employeur s'engage à assigner, dès maintenant, par ancienneté et par intérêt, un sergent d'une équipe rotative qui travaillera de jour (08h à 16h), du lundi au vendredi, pour assister le capitaine adjoint à la division gendarmerie, créant une cascade relativement au remplacement de ce sergent. Si aucun sergent des équipes rotatives n'accepte cette assignation, l'employeur pourra vérifier l'intérêt auprès des sergents de l'unité de sécurité routière ;
3. Cette assignation se terminera dès que le sergent-détective Plante débutera son congé sans solde.
4. Ce présent accord de service ne peut être invoqué par les parties comme une pratique passée.
Signé à Lévis le 21 juillet 2011
/s/ Claude Pelletier /s/ Marc Allard
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La direction du service de police Claude Pelletier, directeur par intérim |
Fraternité des policiers de la Ville de Lévis Marc Allard, Président » |
[09] Cette entente permettait que le 34e policier temporaire devienne le 33e alors qu'un sergent est retiré de son équipe rotative pour devenir en soutien au capitaine Dubé. Le sergent retenu a été Monsieur Jacques Marquis lequel a moins d'ancienneté que le sergent Bernier.
[10] Le capitaine Dubé précise que lorsqu'il a abordé le sergent Bernier, celui-ci avait un statut particulier. En effet, il fait partie de l'unité de sécurité routière tout comme le sergent Desmeules. Initialement, le sergent Bernier faisait partie d'une équipe rotative de patrouilleurs et une entente est intervenue pour qu'il garde son grade de sergent, mais devenait affecté à l'unité de sécurité routière. Il agissait comme agent, mais prenait à sa charge l'unité en l'absence du sergent Desmeules. Il avait la possibilité de faire du temps supplémentaire comme sergent et il pouvait gérer en soutien avec le sergent Desmeules lors d'événements spéciaux. Cela fait partie de la lettre d'entente numéro 9 annexée la convention collective.
[11] En vertu de l'accord de principe, le sergent Marquis a obtenu l'affectation temporaire puisque le directeur lui a demandé de l'offrir par ancienneté sur les équipes rotatives. Or, le sergent Marquis avait le plus d'ancienneté sur les équipes rotatives. Le capitaine Dubé précise qu'on aurait pu arriver au même résultat en prenant le sergent dans l'unité de sécurité routière puisque le sergent Bernier a deux ans de plus d'ancienneté que le sergent Marquis.
[12] Contre interrogé par le procureur syndical, le capitaine Dubé dira que l'affectation temporaire ne porte pas de titre officiel. La personne devait être en soutien. Il s'agit d'une affectation qui n'a pas fait l'objet d'affichage de description de tâches. Cette affectation aurait pu être aussi bien accordée à un cadre qu'à un syndiqué.
[13] L'unité de sécurité routière comprend un sergent et sept policiers. Cette unité voit à l'application du Code de la sécurité routière, l'assistance aux escortes et en soutien à la patrouille. L'horaire de travail des policiers de cette unité consiste à travailler du lundi au vendredi, mais pas le soir ni les fins de semaine. Cette unité est recherchée pour les policiers plus âgés. Ils peuvent être appelés également à faire des heures supplémentaires.
[14] Le capitaine Dubé témoigne ne pas avoir dit au sergent Bernier qu'il avait l'affectation temporaire.
[15] Contre interrogé par le procureur de la Ville, le capitaine Dubé dira que c'est l'augmentation du nombre d'événements qui a créé le besoin d'avoir cette affectation temporaire en 2011. En raison des célébrations « Lévis 2011 », le capitaine Dubé avait établi une liste logistique pour la police (E-2). Pour cette affectation temporaire, il n'aurait pas pu choisir un policier. Il fallait que ce soit une personne qui ait un certain statut pour le remplacer soit un sergent, en raison du fait que ces personnes sont habituées à gérer et à être autonomes. Dans le présent cas, ce qui a été privilégié c'est de garder le policier temporaire qui était excédentaire pour éviter que cette personne ait de la difficulté à se trouver un autre emploi. Le candidat devait être disponible. Comme le capitaine Dubé prenait deux semaines de vacances en juillet, il devait y avoir une période tampon pendant laquelle il pourrait partager les dossiers. Il devait également y avoir une autre période tampon avant les grands événements. Lors de ces discussions avec le sergent Bernier, il a été question des vacances de ce dernier. En 2011, le sergent Bernier était absent à compter du 23 juin, et ce, jusqu'au 26 juillet inclusivement pour la prise de ses vacances, de temps accumulé, de congés mobiles et de jours fériés. Pour les années 2009 et 2010, le sergent Bernier a pris des vacances en juillet. Le capitaine Dubé aurait dû avoir des discussions avec le sergent Bernier à ce sujet, mais pour les deuxième et troisième semaines de juillet il aurait fallu gérer la situation, car il s'agissait d'une période critique au cours de laquelle il lui fallait la présence de la personne en soutien. Il aurait été facile de changer les vacances du sergent Bernier puisqu'à l'Unité de sécurité routière (USR) il y a plus de souplesse pour effectuer ou non des remplacements. Il reconnaît toutefois que la question des vacances aurait pu disqualifier le sergent Bernier pour l'affectation temporaire. En effet, la convention collective encadre le choix de vacances aux articles 13.05 et suivant.
[16] Quant à la perte d'opportunité dont fait mention le grief S-2, ce peut être une perte d'expérience dans un créneau bien précis. Un sergent lorsqu'il devient capitaine a, à s'occuper de questions de gestion, d'atteinte de résultats et d'évaluation des personnes. La prise en charge d'événements spéciaux peut être une expérience intéressante. Toutefois, cette affectation temporaire n'aurait pas occasionné pour le sergent Bernier une perte financière puisque cela aurait été une affectation sur le même quart de travail.
[17] Réentendu par le procureur du sergent Bernier, le capitaine Dubé dira qu'il n'y a pas eu de discussion avec le sergent Bernier sur les vacances.
[18] Le sergent Michel Bernier témoigne travailler pour la Ville depuis 1985. Il est devenu caporal en 2002 et sergent d'une équipe rotative en septembre 2002, et ce, jusqu'en 2007 alors qu'il était transféré à l'USR. Son grade de sergent lui permet de se voir confier des tâches particulières. Il dépose une liste de rappels en heures supplémentaires qu'il a effectuées (I-3).
[19] Le sergent Bernier témoigne de la façon dont il a été approché par le capitaine Dubé. La première fois c'est en mai 2011 alors que le capitaine Dubé lui a fait part d'une mutation temporaire et qu'il en avait parlé au sergent Desmeules. Le capitaine Dubé lui a dit qu'il ferait les tâches du sergent Desmeules. Cette question devait être discutée en comité d'intérêts mutuels dont la création et le rôle sont prévus à l'article 5.13 de la convention collective. Ce dernier a été 23 ans dans l'exécutif syndical et l'a quitté en 2009. Comme le sergent Desmeules a décliné l'offre, le capitaine Dubé a rencontré le sergent Bernier à la fin de mai ou au début de juin 2011 pour lui offrir la mutation temporaire, ce qu'il a accepté sur-le-champ. Il était intéressé parce que c'était une occasion de prendre de l'expérience avec Monsieur Dubé qui en a beaucoup dans le domaine et de le faire dans le cadre d'une affectation temporaire. Il n'avait pas à abandonner son poste de façon permanente ce qui était un grand avantage dont il a été privé.
[20] Quant à sa disponibilité pendant cette période de l'année, il avait l'impression que cette question avait été discutée et il en avait d'ailleurs parlé avec sa conjointe du fait qu'il fallait déplacer des semaines de vacances. D'ailleurs, il aurait déplacé ses vacances si nécessaire, car à l'USR, un agent en vacances n'est pas remplacé.
[21] Quelques jours plus tard, le capitaine Dubé lui a dit que le Syndicat avait refusé qu'il obtienne la mutation temporaire et que ce serait quelqu'un des équipes rotatives qui aurait cette affectation, et ce, pour leur permettre d'acquérir de l'expérience. Le capitaine Dubé ne voulait pas de quelqu'un provenant des équipes rotatives. Le capitaine Dubé a rencontré quelques jours plus tard, dans la deuxième semaine de juin, le directeur Pelletier dans son bureau.
[22] Prise sous réserve, le sergent Bernier dira que le capitaine Dubé et le chef Pelletier cherchaient une solution au problème. Ils sont arrivés à la conclusion que ce devait être le sergent Bernier qui ait l'affectation alors que le directeur Pelletier voulait faire une nouvelle tentative auprès du Syndicat. Le tribunal est d'avis qu'il s'agit purement et simplement d'une opinion du témoin. Le tribunal s'en remet sur cette question au témoignage tant du capitaine Dubé que du directeur Pelletier.
[23] À son retour de vacances, le sergent Bernier a appris que c'était le sergent Jacques Marquis qui avait obtenu l'affectation temporaire. Il s'est rendu voir le capitaine Dubé qui lui a relaté que le Syndicat n'avait pas voulu qu'il ait l'affectation et que le 34e temporaire avait été réglé en même temps. Le capitaine Dubé n'avait pas participé à cette décision. C'est dans ce contexte que le sergent Bernier a écrit le 7 juillet 2011 au directeur Pelletier pour lui demander le processus qui a fait en sorte que c'est le sergent Marquis qui a été affecté à cette mutation (I-4). Il n'a eu aucune nouvelle avant le 27 juillet et a rencontré le directeur Pelletier dans le stationnement. Monsieur Pelletier lui a dit avoir laissé une réponse dans sa boîte vocale et il lui a mentionné de nouveau qu'une lettre d'entente sans préjudice avait été signée avec le Syndicat, lettre d'entente qui faisait l'affaire des deux parties. Le sergent Bernier ne lui a précisé qu'aucune assemblée syndicale n'avait été tenue ni aucune résolution du Conseil municipal n'avait adopté une telle lettre d'entente et qu'aucun dépôt n'avait été effectué au ministère du Travail. Comme Syndicat, la lettre d'entente dérogeait à la convention collective puisqu'elle devait suivre le processus mentionné précédemment.
[24] Le 3 août 2011, le sergent Bernier faisait parvenir une lettre à la Fraternité des policiers de Lévis Inc. (I-5) leur demandant de déposer un grief pour contester la mutation temporaire du sergent Marquis, précisant de plus que cette mutation temporaire aurait dû lui être attribuée.
[25] Le 4 août 2011, le directeur par intérim Claude Pelletier accusait réception de sa lettre du 7 juillet. Il ajoutait de plus que le processus affectation temporaire du sergent Marquis avait fait suite à une entente bipartite avec la Fraternité des policiers et policières de Lévis et le référait à son exécutif syndical s'il voulait obtenir une copie de cet accord de principe (I-6). C'est ce qu'il a fait. Il leur a demandé ce qui était arrivé pour aboutir à cette lettre d'entente. Il a alors fait part de son intention de la contester. La Fraternité lui a répondu le 22 août 2011 sous la signature du sergent Sébastien Douville (I-7-A) en ces termes :
« Objet : Demande de grief
Cher collègue,
Nous donnons suite à ta demande de déposer un grief concernant l'affectation temporaire du Sergent Jacques Marquis pour aider le Capitaine François Dubé dans la logistique de certains dossiers et projets.
Mentionnons d'abord que ta demande est datée du 3 août et que nous n'avons pu y donner suite avant ce jour, à cause des vacances de tout le monde, dont nos procureurs.
Dans cette affaire, la Fraternité et l'employeur ont convenu, en application de l'article 10.08 de la convention collective, de poser comme exigence normale du poste que les candidats occupent une fonction de sergent d'équipe, en relation avec leur rôle habituel de planifier et de superviser des opérations et des projets spéciaux.
Par la même occasion, on donnait l'opportunité aux sergents d'équipe d'acquérir une expérience enrichissante et utile à l'accomplissement de leur fonction habituelle de superviseur.
Avant même que le poste ne soit attribué à M. Marquis, nous avions fait des vérifications auprès de notre procureur et il était d'avis que tu n'étais pas éligible puisque tu n'occupes pas une fonction de sergent d'équipe, même si tu as conservé ton grade de sergent au terme de la lettre d'entente du 21 novembre 2007.
Bref, tu as le grade, mais pas la fonction de sergent et encore moins celle de chargé d'équipe. Tu ne pouvais donc rencontrer les exigences normales du poste, suivant ce qui avait été convenu par l'employeur et la Fraternité.
Le syndicat a agi de bonne foi dans cette affaire. D'une part, il a pris les avis requis. D'autre part, il a agi dans le meilleur intérêt collectif en convenant avec l'employeur d'une exigence pertinente, puisque le travail des sergents d'équipe est en lien direct avec un poste d'assistant au Capitaine.
Nous croyons qu'il n'aurait pas été opportun que ce poste soit ouvert aux agents. Or, depuis 2007, tu occupes une fonction d'agent, même si tu as conservé ton grade de sergent. Ce n'est pas toi qui es en charge de l'équipe.
Dans les circonstances, la Fraternité n'a pas l'intention de faire grief pour contester l'affectation temporaire du sergent Marquis, d'autant plus qu'elle en a convenu de bonne foi avec l'employeur, que l'affectation doit prendre fin sous peu et que tu ne subis aucune perte monétaire.
Malgré tout, nous serions d'accord pour que tu consultes à nos frais un avocat indépendant pour te faire conseiller. Si l'avocat croit qu'il y a matière à grief et qu'il nous fournit un avis à cet effet, nous ne nous objecterons pas à ce que tu déposes un grief et nous te permettrons de l'acheminer à l'arbitrage et d'y être représenté par cet avocat, toujours à nos frais. Il est bien entendu cependant que dans une telle éventualité, la Fraternité serait également représentée par un avocat devant le tribunal d'arbitrage, pour défendre sa position et celle de M. Marquis.
Il est possible que l'employeur s'objecte à cette façon de procéder, auquel cas nous en ferons le débat devant l'arbitre.
Nous te rappelons que le délai pour faire grief est de 60 jours ouvrables depuis le début de l'affectation de M. Marquis (article 6.04 et 1.18). »
[26] À la suite de la réception de cette réponse, il a demandé à avoir une copie signée par le président de la Fraternité, Monsieur Marc Allard, ce qu'il a obtenu (I-7-B). Il a également demandé à obtenir une copie de l'opinion juridique que le Syndicat avait obtenue et on lui a répondu que cette opinion avait été formulée verbalement. Dans les jours suivants, il a reçu l'accord de principe (I-1).
[27] Le sergent Bernier commente les options qui étaient disponibles pour le capitaine Dubé. L'article 10.08 de la convention collective prévoyait déjà la mutation temporaire. Les parties sont passées à côté de cet article. Le sergent Bernier aurait pu être remplacé dans son poste à l'USR ce qui aurait permis de régler le problème du policier temporaire en surplus. La Ville aurait pu dire également à ce policier qu'il ne pouvait entrer au travail qu'au mois d'août soit au moment du départ d'un policier en congé sans solde.
[28] Le sergent Bernier précise avoir été secrétaire du Syndicat pendant 23 ans et il n'a jamais vu une telle lettre d'entente puisque dans le passé et c'est lettre d'entente été soumise à l'assemblée générale du Syndicat et au Conseil municipal pour être ensuite déposée au ministère du Travail. De plus, le sergent Marquis a commencé son affectation temporaire le 4 juillet alors que l'accord de principe n'a été signé que le 21 juillet ce qui n'auraient jamais été acceptés, de notre temps, par la Fraternité des policiers.
[29] Quant aux dommages et à la réparation demandée, il a perdu une opportunité d'acquérir cette expérience ce qui aurait été très important pour lui.
[30] Commentant les circonstances de la lettre d'entente numéro 9, le sergent Bernier dira que pour lui, il y a deux sergents et six patrouilleurs à l'USR. Commentant le grief 2007-08 qu'il avait déposé, le sergent Bernier dira qu'il s'agissait d'un remplacement à l'équipe intermédiaire qui ne lui avait pas été offert, mais que c'était un caporal qui était allé comme agent de liaison. Il réclamait, par son grief, les heures qu'il aurait faites en heures supplémentaires. Lors du règlement de ce grief, il a renoncé aux heures supplémentaires réclamées pour obtenir en contrepartie de conserver son salaire de sergent et son grade et il a été muté de façon permanente à la relève intermédiaire. La lettre d'entente numéro 9 est annexée à la convention collective. Le sergent Bernier n'a jamais posé sa candidature à un poste de capitaine.
[31] L'affectation temporaire qui est à la base de son grief n'a pas fait l'objet d'un affichage et aucune description de fonction n'a été établie bien que le capitaine Dubé voulait que cette affectation soit confiée à un sergent.
[32] Avant de devenir directeur par intérim, Monsieur Claude Pelletier était le directeur adjoint et à ce titre responsable du traitement des griefs. La Ville de Lévis fêtait en 2011 son 375e anniversaire. Au printemps 2011, le capitaine François Dubé était responsable de tout le volet logistique policier. Ce dernier l'avait rencontré, car il voulait avoir un bras droit pour monter les plans pour l'organisation des événements et s'assurer d'une présence sur place en son absence.
[33] Le capitaine Dubé lui avait parlé de deux sergents qui travaillaient de jour à l'USR soit les sergents Desmeules et Bernier. Le sergent Desmeules avait décliné l'offre et le sergent Bernier avait manifesté de l'intérêt. Il restait pour le directeur à faire une approche auprès de la Fraternité des policiers. Lors de la première rencontre avec cette dernière, il a fait part de la façon dont le capitaine Dubé voyait les choses et il n'y a pas eu d'entente. Il a dit au sergent Marc Allard, président de la Fraternité, qu'on allait oublier cela et qu'il allait confier à un autre capitaine cette affectation. C'était d'ailleurs la proposition que Monsieur Allard lui avait faite. Mais comme le capitaine Dubé est venu lui dire qu'on avait engagé un temporaire de trop, deux solutions étaient possibles : congédier le policier temporaire ou rencontrer la Fraternité pour en venir à une entente. C'est dans ce contexte que le sergent Allard lui a fait la proposition d'affecter un sergent d'une équipe rotative pour seconder le capitaine Dubé. Les sergents Desmeules et Bernier étaient toujours sur le quart de jour et ils travaillaient sur certains dossiers ce que les sergents des équipes rotatives n'avaient pas. En prenant un sergent d'une équipe rotative pour seconder le capitaine Dubé, il fallait remplacer ce sergent par un policier et ce dernier par le policier temporaire en surplus ce qui permettait de légaliser sa situation au regard de la convention collective. De plus, l'engagement de ce policier temporaire devenait illégal au mois d'août à la suite d'un congé sans solde d'une policière. Cette proposition permettait de régler le problème du policier temporaire et du soutien au capitaine Dubé. Il a donné son accord et a rédigé l'accord de principe qu'il a fait parvenir au contentieux pour le valider et par la suite cet accord a été signé avec la Fraternité.
[34] Cet accord n’entraîne aucune perte salariale pour le sergent Bernier. D'ailleurs, aucune entente n'est intervenue entre le capitaine Dubé et le sergent Bernier puisque le capitaine n'avait fait que vérifier l'intérêt du sergent Bernier. il y avait bien une expertise additionnelle à aller chercher en planification d'événements, mais après analyse de la convention collective le sergent Bernier n'avait aucunement été brimé.
[35] Le point 2 de cet accord de principe (I-1) avait été proposé par la Fraternité, mais le directeur Pelletier était d'accord pour prioriser un sergent d'une équipe rotative. Cet accord de principe ne modifiait pas la convention collective ce qui aurait été le cas avec une lettre d'entente. C'était d'ailleurs arrivé à quelques reprises dans le passé. Or, cet accord de principe n'a pas été acheminé au conseil de Ville pour adoption.
[36] La réaction du sergent Bernier est de dire que cette affectation aurait du lui être offerte en premier ce sur quoi le directeur lui a répondu qu'il ne perdait aucun avantage prévu à la convention collective et qu'il avait un accord avec la Fraternité.
[37] L'article 10.08 de la convention collective concernant l'affectation temporaire prévoit deux exigences : tenir compte de l'ancienneté et des exigences normales du poste. Avec cet accord, les deux parties étaient gagnante-gagnante. De plus, il était nécessaire d'avoir un accord avec la Fraternité pour retirer le sergent Bernier de ses fonctions à l'USR et pour le placer comme le bras droit du capitaine Dubé.
[38] Le chef Pelletier précise qu'à l'époque « on nageait dans les griefs » et il ne voulait pas en avoir un de plus.
[39] Contre interrogé par le procureur syndical, le chef Pelletier précise qu'il voulait au moins un sergent pour cette affectation temporaire. Ce pouvait être un cadre, mais ça prenait un grade avec autorité sur les agents. De plus, les sergents de patrouille n'avaient pas l'opportunité de travailler sur des projets spécifiques.
[40] Contre interrogé par le procureur de la Ville, le chef Pelletier précise que le travail d'un sergent sur une équipe rotative est de superviser les patrouilleurs et les activités de patrouille au quotidien. Ils sont affectés à une équipe en particulier. À l’USR, les sergents ne répondent pas aux appels. Ils sont parfois en soutien à la patrouille. Ils travaillent de jour du lundi au vendredi et peuvent remplacer le capitaine Dubé en son absence. Les sergents des équipes rotatives ne relevaient pas du capitaine Dubé. Dans l'accord de principe, il n'est aucunement fait allusion à l'article 10.08 de la convention collective. Le fait d'être sergent d'une équipe rotative devenait une exigence en vertu de cet article.
[41] Le chef par intérim Pelletier a remplacé le directeur pendant 16 mois et pendant ce temps, il a fait un gros ménage dans les griefs, ménage qui s'est fait en collaboration avec le Syndicat.
[42] Contre interrogé par le procureur du plaignant, le directeur Pelletier dira que si le sergent Bernier avait obtenu l'affectation temporaire il y aurait eu un effet cascade.
[43] Le sergent Marc Allard est policier depuis 1993 et sergent aux affaires publiques relations communautaires depuis deux ans et quelques mois et auparavant sergent sur les équipes rotatives. Il est le président de la Fraternité depuis 2005.
[44] Il explique les circonstances de l'accord de principe I-1. Il savait que le directeur du service de police avait un policier temporaire de trop et que le capitaine Dubé avait besoin d'aide, de sorte qu'il voyait l'opportunité pour un sergent des équipes rotatives de prendre une expérience qu'il n'a pas l'occasion d'avoir dans le cadre de ses fonctions habituelles. Il se rappelle que deux sergents avaient posé leur candidature pour devenir capitaine quelques années auparavant et qu'ils n'avaient pas réussi. Cet échec avait entraîné l'ouverture d'un concours à l'externe et c'est effectivement le capitaine Dubé qui a obtenu le poste en provenance du service de police de Trois-Rivières. Comme les candidats manquaient de qualification pour devenir capitaine, il a eu l'idée d'offrir l'affectation aux sergents des équipes rotatives ce qui leur permettait de prendre une belle expérience et l'effet cascade faisait en sorte qu'un policier aurait fait temporairement le travail du sergent et que le temporaire en trop aurait fait le travail d'agent. C'était une solution gagnant-gagnant.
[45] Le sergent Allard précise qu'à l'USR on y retrouve le sergent Desmeules et le sergent Bernier, mais ce dernier ne fait que du travail d'agent et agit comme sergent en remplacement du sergent Desmeules. À la retraite de ce dernier, le sergent Bernier exercera les fonctions du sergent.
[46] À l'arrivée de Monsieur Pelletier comme directeur intérimaire, plusieurs griefs ont fait l'objet d'un règlement, celui-ci manifestant plus d'ouverture que son prédécesseur.
[47] Contre interrogé par le procureur de la Ville, le sergent Allard précise qu'à l'USR on retrouve les policiers les plus âgés. C'est une fin de carrière et il serait difficile de revenir sur les équipes rotatives. D'ailleurs, il n'a jamais vu quelqu'un de l'USR revenir travailler sur les équipes rotatives.
[48] Le sergent Allard a déjà signé des accords de principe qui ne modifiaient pas la convention collective. On en fait encore, dit-il.
[49] Contre interrogé par le procureur du plaignant, il précise qu'en vertu de la lettre d'entente numéro 9, le sergent Bernier conservait son grade et son salaire, mais n'agissait que comme agent sauf lorsqu'il devait remplacer le sergent Desmeules. À la pièce I-3, il est possible que le sergent Bernier soit retourné à quelques reprises dans une équipe rotative alors qu'il était à l'USR.
[50] Quant à l'affectation temporaire obtenue par le sergent Marquis, il s'agissait d'un nouveau poste dont les exigences normales ont été convenues entre les deux parties. Or, le sergent Bernier n'avait pas les exigences sauf celle concernant l'ancienneté. Il est d'avis que le capitaine Dubé n'a pas agi correctement en sondant l'intérêt des deux sergents de l'USR alors que l'on aurait dû en discuter auparavant. Il ne voit pas un comment cette affectation aurait donné de l'expérience au sergent Bernier. Comme le sergent Allard a déjà été sergent sur une équipe rotative, il parlait en connaissance de cause en prêchant pour ceux-ci.
DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA CONVENTION COLLECTIVE
[51] L'article 10.08 de la convention collective se lit ainsi :
« 1.02 Affectation temporaire
Affectation d'un employé à un autre poste que le sien, sans changement de grade.
1.03 Ancienneté
Telle qu'elle est définie à la clause 9.01.
[...]
9.01 Pour les fins d'application de la présente convention, l'ancienneté signifie et comprend la durée totale en année(s), en mois et en jours de service pour l'Employeur de tout employé régulier régi par les présentes, sous réserve de la clause 3.14.
[...]
9.04 L'annexe « C » des présentes constitue, lorsque complétée, la liste officielle d'ancienneté des employés au service de police.
[...]
10.06 L'Employeur peut, en cas de besoin, affecter temporairement un policier à un grade, fonction ou nouvelle fonction, auquel cas l'employé reçoit le traitement correspondant, s'il est plus élevé.
10.07 Cependant, si un policier est ainsi affecté temporairement à un grade, fonction ou nouvelle fonction pour plus de quatre-vingt-dix (90) jours dans une même année, un poste est réputé nouvellement créé et l'Employeur doit le combler de façon permanente suivant les dispositions de la convention collective, et ceci à la condition expresse que le Syndicat ait donné à la direction ainsi qu'à la direction des ressources humaines, un préavis écrit de quinze (15) jours avant la fin de la période de quatre-vingt-dix (90) jours mentionnée ci-dessus.
La présente clause ne s'applique pas dans le cas d'une affectation temporaire en relation avec un remplacement.
10.08 L'affectation temporaire à un grade, fonction ou nouvelle fonction, est accordée à l'employé ayant quatre (4) ans d'ancienneté et plus qui est inscrit sur la liste d'éligibilité créée pour le grade correspondant et qui a obtenu la meilleure note cumulative. Dans le cas où il n'y aurait aucun employé sur la liste d'éligibilité correspondant au grade, fonction ou nouvelle fonction, ou qu'il n'y a pas de liste d'éligibilité applicable, l'Employeur affecte l'employé intéressé en tenant compte de l'ancienneté et des exigences normales du poste.
Dans le cas où il n'y aurait aucun employé intéressé ayant quatre (4) ans d'ancienneté et plus rencontrant les exigences normales du poste, l'Employeur peut procéder à l'affectation en commençant par l'employé le plus ancien et ayant au moins quatre (4) ans d'ancienneté. »
ARGUMENTATION DES PARTIES
A) LE PLAIGNANT
[52] Le procureur du plaignant se demande s'il y a un problème quant à l'affectation d'assistant au capitaine Dubé au regard de la convention collective ? Référant aux dispositions de la convention collective mentionnée précédemment, l'annexe C permet de constater que le sergent Bernier occupe le 16e rang en ancienneté alors que le sergent Marquis occupe le 26e rang.
[53] La façon d'accorder une affectation temporaire à l'article 10.08 tient compte de l'intérêt manifesté, de l'ancienneté et des exigences normales du poste.
[54] Le témoignage du capitaine Dubé concorde beaucoup avec celui du directeur Pelletier. En vue des fêtes du 375e anniversaire de la Ville, le capitaine Dubé a une planification à faire et il a besoin d'un sergent pour faire un suivi sur la planification ce dont le directeur est tout à fait conscient et en accord. Le capitaine Dubé en avait déterminé le besoin et s'était entretenu avec le directeur Pelletier. Il est conscient de l'article 10.08 de la convention collective et dans ce contexte il a sollicité l'intérêt du sergent Desmeules qui finalement a décliné l'invitation. Il en a également parlé au sergent Bernier qui lui a manifesté son intérêt et qui était d'accord pour prendre cette affectation. Parallèlement, il a été avisé de l'embauche d'un policier temporaire de trop.
[55] Des discussions ont été amorcées entre le directeur du service et le président de la Fraternité, discussions qui ont abouti à un accord de principe. Cet accord de principe a fait en sorte que c'est le sergent Jacques Marquis qui a obtenu l'assignation temporaire. Or, le capitaine Dubé cherchait un sergent avec de l'expérience. Le sergent Bernier correspondait aux critères de l'article 10.08.
[56] En vertu de la lettre d'entente numéro 9, le sergent Bernier avait servi lors d'événements spéciaux. Il avait la connaissance et l'expérience concrète sur le terrain. Il avait travaillé comme sergent et il avait travaillé en heures supplémentaires. Il a fait du travail de supervision. Son statut lui permettait d'effectuer des remplacements à l'occasion. Il avait l'autonomie et la capacité de prendre des décisions et ce sont les qualités qu'il recherchait. Le sergent Bernier avait le grade de sergent et il a charge de l'équipe de l'USR en l'absence du sergent Desmeules.
[57] Le capitaine Dubé a offert l'affectation au sergent Bernier qui l'a acceptée sur-le-champ, car il y voyait une occasion de prendre de l'expérience, et ce, d'autant plus qu'il s'agissait d'un poste à l'essai. Il était possible que ce poste s'ouvre de façon permanente. Le sergent Bernier pouvait changer les vacances qu'il avait choisies.
[58] À la fin de juillet, il a appris que le sergent Marquis avait obtenu cette affectation en lien avec l'embauche d'un policier temporaire de trop. Comme le sergent Bernier était l'ancien secrétaire du Syndicat, il connaissait la façon de modifier la convention collective. Sa compréhension est que l'accord de principe aurait dû être approuvé par ses collègues syndiqués lors d'une assemblée syndicale de même que par le conseil de Ville. Il n'a obtenu copie de cet accord de principe qu'à la fin d'août 2011 de sorte qu'il a été exclu du processus de sélection.
[59] Il a déposé un grief pour réclamer des dommages en raison de l'expérience manquée et du fait qu'il s'agit d'un poste qui pouvait devenir permanent et l'avoir essayé pour prendre de l'expérience était un atout important.
[60] Le directeur par intérim est revenu sur la démarche du capitaine Dubé alors que le plaignant avait manifesté de l'intérêt. Il avait même accepté sur-le-champ la proposition faite par le capitaine Dubé.
[61] Le contexte de l'adoption de l'accord de principe tel qu'expliqué par le directeur Pelletier et le président de la Fraternité, le sergent Allard, fait ressortir qu'il y avait des tiraillements importants qui ont amené le dépôt de nombreux griefs et l'arrivée du nouveau directeur, plus ouvert, a permis un règlement de beaucoup de ces griefs. De plus, la problématique de l'embauche d'un policier temporaire de trop contrevenait à la convention collective. Du témoignage du directeur Pelletier, il n'est pas clair pourquoi la Fraternité ne voulait pas donner suite à la proposition du capitaine Dubé voulant que l'affectation temporaire soit octroyée au sergent Bernier. Lors d'une autre rencontre, la Fraternité est arrivée avec une autre proposition qui amenait un nouveau critère de sélection soit qu'il doive s'agir d'un sergent d'une équipe rotative. Cette proposition a permis d'amalgamer les deux dossiers. La Fraternité était d'accord pour qu'un 34e policier soit engagé de façon temporaire et la Ville s'engageait à affecter un sergent d'une équipe rotative. Le directeur Pelletier n'a pas fait une recherche dans la convention collective pour voir s'il y avait un dommage pécuniaire pour le sergent Bernier. Il n'y en avait pas. Pour le directeur, la proposition de la Fraternité avait du sens et elle créait une opportunité pour un sergent d'une équipe rotative. L'accord de principe été rédigé par le directeur Pelletier. Cet accord faisait en sorte qu'il y avait une cascade qui était en avantageuse pour tout le monde.
[62] L'article 10.08 doit régir les parties pour les affectations temporaires. Il faut tenir compte de l'intérêt, de l'ancienneté et des exigences normales du poste. Le sergent Bernier était qualifié par l'ancienneté, mais qu'en est-il des exigences normales du poste ? Tant le capitaine Dubé que le directeur Pelletier n'ont témoigné que le sergent Bernier n'était pas qualifié pour le poste. Ce n'est que l'explication du sergent Allard dans la lettre I-7-A que l'on mentionne que le sergent Bernier ne répond pas aux exigences du poste. Or, ce dernier a agi comme sergent à quelques reprises. C'est l'Employeur qui a changé d'idée sur ceux qui avaient les exigences normales, et ce, pour une raison qui n'avait rien à voir avec le sergent Bernier. La preuve démontre que le sergent Bernier remplissait toutes les exigences du poste. Le directeur a changé d'idée pour régler un autre problème. Ainsi, le sergent Bernier aurait dû se voir offrir l'affectation. De plus, les parties ont ajouté à la convention collective par l'accord de principe. C'est une décision arbitraire par rapport aux droits du sergent Bernier. Les parties ont ouvert la porte à l'arbitraire en ouvrant la convention collective. Dans les faits, l'accord de principe est une entente. On a modifié la convention collective temporairement, décision qui n'a pas été soumise en assemblée syndicale ni au conseil de Ville de sorte que cet accord de principe est vicié.
[63] À l'appui de son argumentation, le procureur du plaignant dépose un extrait de Droit du travail, Collection de droit 2012-2013, École du Barreau du Québec, volume 8, 2012, La convention collective, texte préparé par le bureau Heenan Blaikie et notamment à la page 9 :
« Selon une pratique très répandue, la convention collective elle-même est souvent complétée par des annexes et des lettres d'entente qui semblent s'en distinguer d'un point de vue formel, mais qui, sur le plan juridique, y sont assimilées ou en font partie intégrante. La légalité de ces annexes ou lettre d'entente répond aux mêmes conditions de fond et de forme que la convention collective elle-même.
[...]
L'article
(Références omises) »
[64]
On réfère le Tribunal également à
l'article
« [Égalité de traitement par l'association accréditée]. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non. »
[65]
Sur les agissements arbitraires et
discriminatoires, en me référant à l'arrêt de la Cour suprême dans Guilde de la
marine marchande du Canada c. Gagnon et autre
[66] Quant aux dommages réclamés, il s'agit d'une perte d'opportunité de prendre de l'expérience. Les dommages ne peuvent être que purement symboliques. Il faut qu'ils aient une certaine substance et le procureur du plaignant suggère qu'un crédit de 100 heures de travail lui soit accordé, crédit que le plaignant pourra utiliser en congé à sa guise.
B) SYNDICALE
[67] Il y a une divergence fondamentale entre l'offre d'un poste et l'acceptation. Le capitaine Dubé n'a jamais dit avoir offert quelque poste que ce soit au sergent Bernier, mais n'a fait que solliciter son intérêt. Il n'a pas accordé le poste au sergent Bernier. Il n'a fait que tâter le terrain. Il n'y a donc pas de malentendu. De plus, le capitaine Dubé n'a aucun pouvoir d'offrir un poste.
[68] L'article 2.04 de la convention collective reconnaît le statut de la Fraternité comme agent négociateur. Lorsqu'il a été question d'adjoindre un assistant au capitaine Dubé, le directeur n'était pas certain s'il s'agissait d'un poste-cadre ou syndiqué. il s'agissait d'une nouvelle fonction terrain alors qu'il n'y a pas de liste d'éligibilité. Quant aux exigences normales du poste, elles ne sont pas connues en raison du fait qu'il s'agit d'une nouvelle fonction. La Fraternité était donc justifiée d'intervenir. De permettre aux sergents d'équipe rotative d'acquérir une expertise additionnelle était tout à fait légitime. Cette proposition était dans l'intérêt des membres de la Fraternité. Les parties se sont entendues sur les exigences soit d'être l'un des quatre sergents des équipes rotatives. Lorsque l'article 10.08 mentionne que « l'Employeur affecte l'employé intéressé en tenant compte de l'ancienneté et des exigences normales du poste », cela est synonyme de prendre en considération et ce n'est pas limitatif.
[69] L'accord de principe ne modifie pas la convention collective. Il s'agit d'un aménagement fait dans le cadre de l'article 10.08, car les exigences normales ne sont pas explicitées et qu'il s'agit d'une nouvelle assignation temporaire.
[70] Personne ne remet en cause les compétences du sergent Bernier. En vertu de la lettre d'entente numéro 9, il devenait agent, mais conservait son grade. Quant aux dommages, ils ne relèvent pas de la convention collective. Le sergent Bernier a parlé de perte d'opportunité d'expérience. Or, à l'USR on retrouve des agents en fin de carrière. Le procureur syndical est sceptique quant aux pertes d'opportunité puisque le sergent Bernier n'a jamais posé sa candidature sur des postes de capitaine.
[71] Dans les circonstances, le grief devrait être rejeté.
C) PATRONAL
[72] Le procureur de la Ville est du même avis que le procureur syndical. L'accord de principe ne modifie pas la convention collective. Il s'agit que d'un aménagement puisque la mécanique de la convention collective s'applique. Le capitaine Dubé ne faisait que vérifier l'intérêt du sergent Bernier. La lettre d'entente numéro 9 permettait au sergent Bernier que de conserver son grade et son salaire, mais il agissait comme agent à l'USR.
[73] Se référant au Dictionnaire canadien des relations du travail, les exigences de l'emploi sont synonymes de « qualification requise; de qualités requises ». Il en est de même des exigences de poste. C'est l'Employeur qui détermine les exigences du poste. Il s'agit d'un droit de gérance. Le grief dans son libellé ne conteste pas les exigences du poste. Le sergent Bernier ne demande qu'à obtenir l'affectation sans contester les exigences.
[74]
À l'appui de son argumentation, le
procureur patronal dépose les autorités jurisprudentielles suivantes : Commission
scolaire des Grandes Seigneuries et Syndicat canadien de la fonction publique,
section locale 3280, SAE 7531, sentence de Madame Ginette Gosselin du 7
novembre 2003 dans laquelle elle précise que lors d'un affichage de poste, avec
exigences particulières, le Syndicat est
forclos
de contester ces
exigences lors de la nomination du titulaire du poste, s'il n'a pas
préalablement contesté l'affichage dans les délais prévus pour faire grief. Les
autorités suivantes sont au même effet : ville de Saint-Félicien c. Me Daniel
Gagnon et le Syndicat national des employés de la Ville de Saint Félicien et
Jean Guy Côté, jugement de la Cour supérieure du 21 mars 1994,
[75]
Le fait que les exigences n’ont pas
été contestées est fatal : Syndicat des travailleurs et travailleuses de
Spectube Inc. c. Spectube Inc., 2004 CanLII 14544 (QC A. G.); Commission des
écoles catholiques de Montréal et Associations professionnelles du personnel
administratif de la Commission des écoles catholiques de Montréal, SAET 4739;
Syndicat des employé(e)s de bureau, technicien(ne)s et professionnel(le)s de la
STCUM, section locale 2850, SCFP, FTQ et la Société de transport de Montréal
(STM) sentence de Me Jean-Marie Lavoie du 9 juin 2005,
[76] Le procureur de la Ville plaide qu'un droit doit être clairement exprimé. La façon d'agir des parties respecte la clause négociée par les parties qui ont considéré que cela prenait une exigence spécifique. Sans entente, l'Employeur aurait accordé le poste à un capitaine et aurait congédié le policier temporaire. Les parties ont agi dans l'intérêt supérieur de la Ville sans porter atteinte aux droits du plaignant. L'article 3.15 prévoit la mécanique d'engagement d'un employé temporaire, article qui n'a pas été modifié. Quant aux dommages réclamés, il n'y en a pas outre la frustration d'avoir vécu cette expérience. Si le Tribunal arrive à la conclusion qu'il devait accorder des dommages, ceux-ci devraient être partagés avec le Syndicat.
D) RÉPLIQUE DU PLAIGNANT
[77] L'argument invoqué par l'Employeur concerne des postes affichées avec des exigences spécifiques. Le débat devant le tribunal ne s'articule pas dans cette logique. Une entente est intervenue entre l'Employeur et le Syndicat alors qu'il n'y a pas de poste affiché et pas de description de tâches. L'accord de principe qualifie seulement les sergents sur les équipes rotatives en excluant le sergent Bernier. Le capitaine Dubé avait bien décrit les fonctions de cette affectation temporaire : expérience, compétence, qualité, qualifications. Une exigence ne peut-être que cela prend un sergent d'une équipe rotative. L'objectif était de créer une opportunité pour d'autres sergents, mais ça ne correspond pas aux exigences normales de la tâche. Or, le sergent Bernier répondait immédiatement aux exigences et on l'a disqualifié pour le motif mentionné précédemment.
E) RÉPLIQUE DU SYNDICAT
[78] Quant au partage des dommages, le procureur syndical prétend que le grief est déposé contre la Ville que l'on n'est pas dans un code de 47.2 du Code du travail. Ce n'est pas un recours exercé contre le Syndicat. De plus, il n'y a aucune preuve d'arbitraire ou de discrimination puisque les exigences normales ont été convenues par les deux parties.
MOTIFS ET DÉCISION
[79] Le grief S-2 déposé par le sergent Bernier conteste l'attribution au sergent Jacques Marquis de la mutation temporaire à titre d'assistant aux fonctions du capitaine François Dubé, mutation qui aurait dû lui être confiée. Comme cette mutation était tout à fait temporaire et ne visait que la période des festivités de l'été 2011, le plaignant demande une compensation financière ou autre pour la perte d'opportunité que lui a entraînée la décision de la Ville.
[80] Pour toutes les parties, l'article 10.08 précitée est au cœur du litige. La phrase importante de cet article est que : « L'Employeur affecte l'employé intéressé en tenant compte de l'ancienneté et des exigences normales du poste ».
[81] La preuve administrée par les parties ne conteste aucunement que le sergent Bernier qui travaillait à l'USR pouvait avoir les compétences nécessaires pour cette assignation temporaire. Toutefois, en raison d'une problématique s'étant présentée de façon concomitante à l'attribution de l'assignation temporaire, la partie syndicale a voulu offrir aux sergents des équipes rotatives la possibilité de prendre de l'expérience qui pourrait leur servir s'ils voulaient accéder au grade de capitaine. Le sergent Allard a relaté les circonstances qui ont amené le capitaine Dubé de Trois-Rivières à Lévis en raison du fait que les sergents qui avaient posé leur candidature n'ont pas été retenus.
[82] C'est dans ce contexte que les deux problèmes ont été réglés simultanément. Le policier temporaire de trop a remplacé un policier qui lui a pris la place temporairement du sergent Marquis pendant son assignation temporaire.
[83] C'est dans le cadre d'un accord de principe que le directeur du service de police et la Fraternité se sont entendus pour que l'Employeur assigne par ancienneté et par intérêt un sergent d'une équipe rotative pour assister le capitaine adjoint à la division gendarmerie et ensuite si aucun sergent des équipes rotatives n'accepte cette affectation. l'Employeur pourra vérifier l'intérêt auprès des sergents de l'unité de sécurité routière.
[84] Le sergent Bernier avait cet accord de principe entre les mains lorsqu'il a déposé son grief. L'Employeur plaide que le plaignant, dans son grief, n'a pas contesté les exigences normales du poste et que cela est fatal. Le plaignant plaide de son côté que cet accord de principe est en réalité une entente qui aurait dû être soumise à l'assemblée syndicale pour approbation et ensuite au conseil de Ville puisque cet accord de principe modifie la convention collective.
[85] Le Tribunal va aborder ces questions l'une après l'autre. Il est vrai que la jurisprudence déposée par le procureur de la Ville fait obligation de contester les exigences du poste lorsqu'on considère qu'elles ne sont pas pertinentes ou relatives au poste à combler. Ce type de contestation est tout à fait différent de celle où le plaignant affirme avoir toutes les exigences nécessaires pour occuper le poste comparativement à la personne qui l'a obtenu. Dans ce dernier cas, le Tribunal n'a qu'à apprécier la justesse de l'évaluation des candidatures au regard des exigences. C'est en réalité ce qu'a fait le sergent Bernier. Il affirme que son expérience professionnelle était parfaitement en lien avec les exigences de l'assignation temporaire et qu'en plus, il est le plus ancien. N'eût été l'accord de principe, le Tribunal est d'avis que le sergent Bernier aurait dû se voir accorder cette assignation temporaire.
[86] Il appartient à un Employeur, en vertu de ces droits de gérance, d'établir les exigences normales d'un poste. Toutefois, rien ne lui interdit de convenir avec la partie syndicale des exigences normales du poste. À moins qu'une convention collective ne comprenne la description des tâches avec les exigences pour y avoir accès, un Employeur est libre d'établir les exigences qu'il veut pour tel poste particulier sous réserve que ces exigences soient considérées comme étant non pertinentes ou disproportionnées aux tâches à accomplir. Dans un tel cadre, l'Employeur bénéficie d'une certaine discrétion, discrétion qui peut être mise de côté par un tribunal d'arbitrage lorsqu'on lui fait la preuve de la pertinence ou de la disproportion des exigences demandées. Toutefois, lorsque ces exigences ont été convenues entre les deux parties, cela prendrait des motifs de discrimination, d'arbitraire, de mauvaise foi pour pouvoir les écarter. Un tel accord de principe est limité au règlement d'une situation tout à fait particulière et aurait pu être décidé unilatéralement par l'Employeur sans la nécessité de concrétiser cet accord par un écrit signé par les deux parties. Il n'était donc pas nécessaire d'obtenir l'approbation de l'assemblée syndicale et conséquemment celle du conseil de Ville.
[87] Dans le cas à l'étude, les parties à cet accord de principe ont décidé d'offrir l'assignation temporaire d'abord à un sergent d'une équipe rotative et s'il n'y en avait pas d'intéressé aux sergents de l'unité de sécurité routière. L'ordre de l'offre faisait en sorte que le sergent Bernier passait après les quatre sergents des équipes rotatives.
[88] À la suite des discussions que le sergent Bernier a eues avec le capitaine Dubé, il croyait que son expérience et son ancienneté supérieures étaient garantes de l'obtention de l'affectation puisque le sergent Desmeules avait clairement manifesté son non intérêt à l'obtenir.
[89] Malgré la déception toute palpable du sergent Bernier, le Tribunal est d'avis que les parties pouvaient, dans le cadre de cet accord de principe, convenir d'exigences pour cette affectation qui peuvent favoriser les sergents des équipes rotatives au détriment du sergent Bernier pour des motifs qui ne sont pas destinés à écarter de façon illégale sa candidature.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE le grief.
Me Marcel Morin
Arbitre de griefs C.A.Q.
Pour le plaignant : Me Guy Grantham
Pour le Syndicat : Me Serge Gagné
Pour l’Employeur : Me Michel Laliberté
Dates d’audience : 31 janvier 2013 et 13 mai 2014