Leclerc c. Badra |
2014 QCCQ 4561 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-22-185765-115 |
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DATE : |
22 mai 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU |
JUGE |
JACQUES PAQUET, J.C.Q. |
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GEORGETTE LECLERC et PAUL BÉGIN |
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Demandeurs principaux |
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c. |
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ABDO BADRA |
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Défendeur principal-demandeur en garantie c. RAYMOND BOURCK Défendeur en garantie |
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JUGEMENT |
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[1]
Le recours principal et le recours en garantie mettent en cause la
garantie de qualité qui incombe au vendeur aux termes des articles
LE CONTEXTE
[2] L’immeuble au coeur du litige est un triplex situé aux […], à Montréal.
[3] En 1976, le défendeur en garantie en fait l’acquisition et il en demeurera propriétaire jusqu’au 11 juillet 1991, alors qu’il le vend au défendeur.
[4] Le défendeur vendra l’immeuble aux demandeurs le 11 octobre 2001. Ceux-ci en sont propriétaires jusqu’au 12 novembre 2010, date à laquelle ils vendent l’immeuble à leurs enfants Philippe, Sophie et Guillaume, qui en sont toujours propriétaires.
[5] En 2011, les propriétaires de l’immeuble décident de faire des rénovations en ajoutant un sous-sol à l’immeuble qui, jusqu’alors ne bénéficiait que d’un vide sanitaire.
[6] Lors de ces travaux, ils sont informés que des traces de contamination sont présentes. Ils autorisent alors l’entrepreneur en charge des travaux à obtenir une expertise de sol.
[7] À cette fin, des échantillons sont prélevés à un endroit précis sous l’immeuble le 18 mai 2011 par Spheratest Environnement. L’analyse de ces échantillons, effectuée le lendemain, permet de déceler la présence de produits pétroliers et d’hydrocarbures aromatiques. Les résultats sont communiqués à l’entrepreneur en charge des travaux le même jour.
[8] Le 23 mai 2011, les propriétaires, par l’entremise de l’un d’eux, en l’occurrence M. Philippe Bégin, adressent une lettre aux demandeurs dans laquelle ils précisent :
[…] récemment, certains signes laissant soupçonner l’existence d’un problème de contamination des sols sous l’immeuble se sont manifestés. Ce problème, s’il se confirmait, constituerait un vice caché en rapport duquel votre responsabilité serait engagée. À cet égard, nous verrons à obtenir l’opinion d’un expert.
[9] Le lendemain, les demandeurs adressent une lettre au défendeur, à laquelle ils joignent celle qu’ils avaient reçue des propriétaires. Ils écrivent :
[…] nous avons reçu récemment de ces personnes [les propriétaires] un avis nous tenant responsables de prétendu vice caché qui affecterait cet immeuble. Dans ce cas, vous en seriez également responsable envers nous.
[10] Le défendeur ne fait rien suite à la réception de ces lettres le 28 mai 2011. Il attend les développements. Il n’avise pas le défendeur en garantie.
[11] Les travaux d’extraction de la terre et de décontamination sont effectués principalement les 24 et 25 mai 2011, suivant ce qui ressort des manifestes de transport produits. Par la suite, au début juin, des nouveaux prélèvements sont effectués et ne révèlent aucun signe de contamination.
[12] Sans attendre davantage, les demandeurs, se considérant responsables de la situation, paient directement la firme Bisson Expert pour les travaux de décontamination, et ce, par chèque du 21 juin 2011, au montant de 17 836,67 $. Ils réclament maintenant ce montant au défendeur qui, par son recours en garantie, réclame la même somme du défendeur en garantie pour le cas où il serait condamné à la payer aux demandeurs.
DISCUSSION
[13] Le défendeur et le défendeur en garantie ne sont pas en mesure de contrer l’affirmation voulant que le sol sous l’immeuble de la rue Saint-Vallier ait été contaminé, du moins en partie, bien qu’ils n’ont remarqué aucun signe à cet égard pendant toute la période où ils ont été propriétaires.
[14] La cause de la contamination est d’ailleurs inconnue et le défendeur ainsi que le défendeur en garantie n’ont fait aucune vérification de l’état des lieux en 2011, lors des travaux de construction du sous-sol.
[15] Le défendeur explique son silence par le fait qu’il attendait des informations additionnelles, compte tenu des lettres qu’il avait reçues.
[16]
C’est d’ailleurs sur l’absence de dénonciation conforme à l’article
[17] Le défendeur en garantie ajoute à sa défense une demande reconventionnelle par laquelle il réclame au défendeur un montant de 15 000 $. À cet égard, le Tribunal précise que lors de l’instruction, le défendeur en garantie n’a présenté aucune preuve au soutien de cette demande reconventionnelle.
[18]
L’article
Art. 1739. L’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue.
Le vendeur ne peut se prévaloir d’une dénonciation tardive de l’acheteur s’il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.
[19] Il est établi depuis longtemps que les buts de cette dénonciation sont de permettre au vendeur de vérifier les affirmations d’un acheteur concernant la présence d’un vice caché et, éventuellement, de prendre en charge les travaux permettant d’éliminer ce vice.
[20] La lettre que le défendeur reçoit des demandeurs, accompagnée de la lettre qu’ils avaient reçue des propriétaires, ne constitue pas dans les circonstances de l’espèce une dénonciation suffisante.
[21] Lors de l’envoi de la lettre du 23 mai 2011, les propriétaires actuels connaissaient les résultats des analyses relatifs à la contamination. Malgré tout, ils mentionnent que la responsabilité des demandeurs sera engagée si le problème de contamination évoqué « se confirmait ». Ils précisent de surcroît qu’ils verront à obtenir l’opinion d’un expert.
[22] Possiblement qu’entre les demandeurs et leurs enfants, des conversations téléphoniques ont permis de compléter et préciser les informations relatives à la contamination. Toutefois, en ce qui a trait au défendeur, l’avis tel que rédigé ne renferme pas d’informations additionnelles, alors que de telles informations étaient disponibles.
[23] Dans les lettres que le défendeur reçoit, on lui laisse entendre que des précisions additionnelles seront fournies plus tard. Dans ce contexte, il pouvait raisonnablement s’attendre à obtenir des informations additionnelles pour qu’il sache si le problème évoqué se confirmait ou non. N’ayant rien reçu, il était justifié de penser que la contamination possible ne s’était pas confirmée.
[24] La dénonciation complète du problème est importante en l’espèce, compte tenu que les échantillons qui ont permis de retracer des traces de produits pétroliers et d’hydrocarbures aromatiques ont été prélevés dans une partie restreinte du terrain et que la cause de la contamination n’est pas connue. Un avis complet aurait pu permettre au défendeur de retenir les services d’un expert pour évaluer la situation et éventuellement l’ampleur du problème.
[25] Bien que les travaux en cours consistaient à soulever une maison et requerraient de la diligence, il aurait été possible de les suspendre quelques jours pour permettre d’informer le défendeur du résultat des analyses et lui donner la possibilité de réagir.
[26] Les experts entendus, quant à l’urgence de compléter les travaux, s’entendent pour dire que ceux-ci ne pouvaient être laissés en suspend plusieurs semaines. Toutefois, des mesures temporaires auraient pu permettre de suspendre ces travaux pendant quelques jours. D’ailleurs, il faut rappeler que les résultats des analyses ont été connus le 19 mai 2011, alors que le transport des matériaux s’est effectué les 24 et 25 mai 2011.
[27]
Dans cette optique, le Tribunal doit conclure que l’avis de dénonciation
transmis au défendeur le 24 mai 2011 devait être complété. Ne l’ayant pas été,
il s’agit d’une dénonciation qui ne rencontre pas les exigences de l’article
[28] De toutes manières, la lettre du 24 mai 2011, adressée par les demandeurs au défendeur, accompagnée de celle du 23 mai 2011 qu’ils avaient reçue des propriétaires, n’a été reçue par le défendeur que le 28 mai 2011, alors que les travaux d’extraction du matériel et de décontamination étaient terminés. Même s’il avait voulu réagir, il était trop tard.
[29]
De surcroît, la preuve ne me convainc pas que la contamination constatée
est un vice caché au sens de l’article
Art. 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus .
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
(Soulignement ajouté)
[30] Comme les échantillons ont été prélevés à un endroit précis et limité du sol, il est possible que la contamination n’ait existé qu’à cet endroit.
[31] Conséquemment, la demande à l’égard du défendeur doit être rejetée avec dépens, incluant un montant de 973,37 $ pour les honoraires et déboursés de l’expert Jean-François Rondeau, ingénieur, dont les services ont été retenus par le défendeur, pour la préparation d’une expertise, visant à contrer l’argument d’urgence, et sa présence au procès.
[32] En ce qui a trait au défendeur en garantie, il n’a reçu aucun avis de quelque nature que ce soit pour lui indiquer la présence d’un problème potentiel sous l’immeuble.
[33] Dans ces conditions, non seulement l’action dirigée contre lui doit-elle être rejetée parce que la demande principale n’est pas fondée, mais même dans le cas contraire, le recours en garantie aurait dû échouer.
[34] En ce qui a trait à la demande reconventionnelle, l’absence de preuve à son soutien amène le Tribunal à la rejeter.
[35] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] REJETTE la demande principale, avec dépens, incluant les frais d’expert de 973,37 $;
[37] REJETTE la demande en garantie, avec dépens;
[38] REJETTE la demande reconventionnelle du défendeur en garantie, sans frais.
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__________________________________ JACQUES PAQUET, J.C.Q. |
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Me Alexandre Morin |
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Morin Pilotte |
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Pour les demandeurs principaux |
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Me Mark Savard |
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Centre légal Fleury |
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Pour le défendeur principal-demandeur en garantie
M. Raymond Bourck Défendeur en garantie Agissant personnellement |
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Date d’audience : |
Le 16 mai 2014 |
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