Portes Béginois inc. c. Camions international Élite ltée

2014 QCCQ 4792

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

LOCALITÉ DE

CHICOUTIMI

« Chambre civile »

N° :

150-22-009464-139

 

 

 

DATE :

16 juin 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LINA BOND, J.C.Q. [JB2986]

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PORTES BÉGINOIS INC.

 

Demanderesse

 

c.

 

CAMIONS INTERNATIONAL ÉLITE LTÉE

 

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]            La demanderesse réclame 24 500 $ en dommages-intérêts invoquant que l'année de fabrication du camion livré n'est pas celle du camion acheté.

[2]            Selon la défenderesse, le camion livré à la demanderesse est celui acheté et sa réclamation est excessive.

 

 

LA PREUVE

[3]            La demanderesse est une compagnie de fabrication de portes et fenêtres dont l'usine est située à Bégin. Elle utilise des véhicules lourds pour livrer ses produits au Saguenay, Lac-St-Jean, sur la Côte Nord et à Montréal.

[4]            La défenderesse effectue la vente de camions de marque Inter. Elle opère des concessions et diverses agences dont l'une est située à Chicoutimi dans un garage appartenant à Marc Hamelin et Marcel Charest.

[5]            Le 12 mai 2011, monsieur Évans Savard, directeur de production pour la demanderesse, achète un camion neuf de marque Inter, modèle 4300SBA, année 2012, au prix de 79 881,94 $. Cet achat est effectué avec le vendeur Rémi Tremblay, un des employés de la défenderesse à l'agence de Chicoutimi.

[6]            Le contrat d'achat, signé par madame Sylvie Savard, directrice générale de la demanderesse, indique 2012 comme étant l'année du camion vendu.

[7]            Le camion est livré le 19 mai 2011 puis transporté à l'entrepôt de la demanderesse à Terrebonne.

[8]            À compter d'octobre 2011, le camion nécessite des réparations à plusieurs reprises.

[9]            En septembre 2012, lors d'une réparation effectuée dans un garage à Laval, la demanderesse est informée que «  son camion 2011 est prêt  ». Madame Savard témoigne qu'à ce moment, elle apprend qu'il ne s'agit pas d'un modèle 2012 comme l'indique la copie de son contrat.

[10]         Après avoir obtenu cette information, monsieur Savard, se rend au garage et dénonce la situation à monsieur Hamelin. Le 3 octobre 2012, lors d'une rencontre, messieurs Hamelin et Charest exhibent à Sylvie et Évans Savard leur copie du contrat où, dans l'espace réservé à identifier l'année du camion, est inscrit à la main sur le dernier chiffre « 2 » de l'année 2012 le chiffre « 1 ». Cette modification n'est pas initialée par le vendeur Tremblay ni par aucun des représentants de la demanderesse.

[11]         Soulignons qu'en octobre 2012, le vendeur, monsieur Tremblay, ne travaille plus à cet endroit.

[12]         Le 31 octobre 2012, la demanderesse met en demeure la défenderesse «  … de changer le camion 2011, pour un neuf 2012 comme stipulé à notre contrat  ».

[13]         Le 8 avril 2013, le procureur de la demanderesse met en demeure la défenderesse de payer 30 000 $ en dommages-intérêts.

 

[14]         Monsieur Savard témoigne qu'en mars 2011, il visite cinq concessionnaires afin d'obtenir des propositions pour acquérir un camion neuf 2012 car, dit-il, «  c'est plus facile à revendre  ». Il rencontre alors le vendeur, monsieur Tremblay, auquel il réclame un 2012 et le vendeur lui soumet une proposition verbale. Il affirme que monsieur Tremblay n'a jamais représenté que le camion serait un 2011.

[15]         Lors de la livraison, le 19 mai 2011, monsieur Savard appose sa signature sur la deuxième page du contrat dans l'espace intitulé «  prise de livraison  ». Il affirme que le camion est livré ce même jour par monsieur Tremblay à l'usine de la demanderesse à Bégin et qu'au moment de la signature, il n'est jamais avisé qu'il s'agit d'un modèle de l'année 2011.

[16]         Il reconnaît avoir signé l'attestation de transaction sans la lire ainsi que le certificat d'immatriculation pour l'année 2014 sans porter attention à l'année du camion inscrite sur ces documents, soit 2011.

[17]         Le vendeur de la défenderesse, monsieur Tremblay, admet avoir ajouté le chiffre « 1 » sur la première page du contrat lors de la livraison du camion en mai 2011. Il déclare : «  J'ai dit qu'il y avait eu une erreur de frappe. Ensuite, on a parlé de la pluie ou du beau temps. La seule chose qui a pu être discutée, c'est la modification du chiffre « 2 » pour le « 1 »  ».

[18]         On peut ainsi résumer le témoignage de monsieur Tremblay :

Au début du printemps, en mars 2001, monsieur Savard dit avoir besoin d'un camion six roues bâti à son goût avec une boîte fermée. Je travaille à lui vendre un produit de base avec des options, à être commandé en usine auprès du manufacturier. Toutefois, dit-il, probablement que le client trouvait le délai trop long et on a donc travaillé avec un camion existant qui ressemblait à ce qu'il voulait. Au moment où les discussions débutent en mars 2011, c'était impossible de livrer en mai 2011 un camion 2012, ça prend au moins trois mois pour le fabriquer.

[19]         Il ajoute :

Probablement que mon client était pas capable d'attendre et a dit «  regarde ce que tu as dans ton inventaire  ».

[20]         Monsieur Tremblay dit avoir fourni deux prix à monsieur Savard, soit celui pour un camion neuf 2012 à construire et un autre pour un camion neuf 2011 en inventaire. Il pense avoir remis une soumission écrite car, dit-il, «  c'est pratiquement impossible que je ne remette pas de soumission à l'acheteur. Normalement, je l'aurais remise ou transmise  ». Aucune soumission n'est déposée.

[21]         Monsieur Tremblay ne se rappelle pas s'il a livré lui-même le camion.

[22]         Monsieur Steve Hallé, président et directeur général de la défenderesse, confirme qu'en 2011, monsieur Tremblay est son représentant aux ventes à l'agence de Chicoutimi couvrant le territoire du Saguenay et du Lac-St-Jean.

[23]         Monsieur Hallé explique que le contrat est un formulaire complété par informatique : sur la première page apparaît la description du véhicule vendu et les signatures sont apposées sur la deuxième page. Le vendeur fait signer le contrat à l'achat puis, fait signer de nouveau le contrat à la livraison dans l'espace intitulé «  prise de livraison  ». Selon lui, au moment de la livraison, la demanderesse n'avait probablement pas en main sa copie du contrat car la signature de monsieur Savard n'apparaît que sur l'original du contrat détenu par le vendeur.

ANALYSE ET DÉCISION

[24]         La défenderesse n'a pas réussi à convaincre que la demanderesse savait qu'un camion 2012 ne pouvait être livré en mai 2011 et aurait accepté d'acheter un modèle 2011.

[25]         Le témoignage du vendeur, Rémi Tremblay, n'est pas fiable car il est hésitant, il a peu de souvenir de la transaction et soulève des hypothèses en réponse aux questions.

[26]         De plus, il est douteux qu'un représentant travaillant dans ce domaine depuis trente ans commette une erreur, comme il le prétend, sur l'année du camion puis la corrige, sans l'initialer ni la faire initialer par le client puis ne lui remette aucune copie du contrat faisant état de cette correction d'importance.

[27]         On reproche à monsieur Savard de signer sans l'avoir lu le document «  attestation de transaction avec un commerçant  » sur lequel apparaît la mention «  an 2011  » ni n'avoir remarqué l'année du camion au moment de signer le certificat d'immatriculation pour l'année 2013-2014.

[28]         Ceci est tout à fait probable et crédible car, étant convaincu que le camion en est un de l'année 2012, il n'a pas à douter qu'il s'agit d'un 2011 avant d'en avoir été informé.

[29]         La conduite de la demanderesse ne permet pas de conclure qu'elle a accepté le camion livré.

[30]         En effet, sitôt après la découverte du problème, elle entreprend des démarches auprès de l'agence à Chicoutimi puis transmet elle-même une mise en demeure à la défenderesse en fournissant tous les détails de leur démarche.

[31]         Le vendeur a l'obligation de délivrer un bien conforme à celui convenu lors de la vente (art. 1561 C.c.Q. ). Ici, comme la preuve prépondérante le démontre, c'est un camion neuf 2012 que la demanderesse a acheté.

[32]         Puisque le bien vendu est individualisé, soit un camion 2012, la défenderesse devait délivrer un camion ayant cette caractéristique quant à l'année du modèle (art. 1561 C.c.Q. ).

[33]         L'obligation de délivrance incombant au vendeur en est une de résultat. Les auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de Nathalie Vézina, décrivent dans leur volume l'étendue de cette obligation [1]  :

Au contraire, dans le cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute. Sur le plan de la preuve, l'absence de résultat fait donc présumer la responsabilité du débiteur et place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l'inexécution provient d'une cause qui ne lui est pas imputable. Le débiteur n'a pas la possibilité de tenter de prouver absence de faute de sa part; il doit identifier, par prépondérance de la preuve, une force majeure ou encore le fait de la victime, qui a empêché l'exécution de l'obligation. À défaut de décharger ce fardeau, le débiteur est tenu responsable de l'inexécution.

[34]         La défenderesse ayant failli à son obligation de délivrance, la demanderesse dispose donc d'un recours en diminution du prix et en dommages-intérêts pour le préjudice subi (art. 1604 C.c.Q. ).

[35]         Il est établi qu'un même camion de l'année 2012 coûte 2.5 % de plus que celui de l'année 2011, soit 1 750 $.

[36]         À cela s'ajoute l'écart entre la valeur de revente d'un camion 2011 et celui 2012, soit 1 500 $ selon l'admission de la défenderesse dans sa procédure.

[37]         Le Tribunal, utilisant son pouvoir discrétionnaire, estime juste et raisonnable d'accorder à la demanderesse 4 000 $ en réduction du prix de vente.

[38]         Quant au montant en dommages-intérêts, il est fixé à 3 000 $ car il est évident que le temps passé par les représentants de la demanderesse à tenter de solutionner ce litige n'est pas consacré aux activités d'opération dans l'entreprise, ceci entraînant assurément une certaine perte financière.

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

            ACCUEILLE partiellement la demande;

            CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 7 000 $ avec intérêt au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec , le tout à compter de la date de la mise en demeure, soit le 8 avril 2013;

            AVEC DÉPENS.

 

 

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LINA BOND, J.C.Q.

 

 

 

M e  Adam Minier

Gagnon Tremblay Avocats

393, rue Racine est, 3 e étage

Chicoutimi (Québec)  G7H 1T2

Procureurs de la demanderesse

 

 

M e  Alex Tremblay

Cain Lamarre Casgrain Wells

255, rue Racine est, bureau 600

Chicoutimi (Québec)  G7H 6J6

Procureurs de la défenderesse

 



[1]     Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN avec la collaboration de Nathalie VÉZINA, Les obligations , 6 e éd., 2005, Les Éditions Yvon Blais, p. 42.