Jean c. Lebel |
2014 QCCS 2938 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
RIMOUSKI |
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N° : |
100-17-001357-120 |
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DATE : |
10 juin 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GILLES BLANCHET, j.c.s. |
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SUZANNE JEAN , domiciliée et résidant au […]. , Rimouski (Québec) […].
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Demanderesse |
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c.
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MONA LEBEL , domiciliée et résidant au […]. , Lasalle (Québec) […].
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Moins de deux mois après l'acquisition par la demanderesse de sa résidence, une infiltration d'eau révèle que le sol environnant contient de l'ocre ferreuse en quantité suffisante pour entraver le bon fonctionnement du drain de fondation. Concluant par là à la présence d'un vice dont on lui a sciemment caché l'existence par dol et mauvaise foi, la demanderesse réclame l'annulation de la vente et des dommages-intérêts.
Contexte
[2] En octobre 2011, Mme Mona Lebel décide de vendre la résidence qu'elle et son défunt mari, Maurice Fréchette, avaient acquise ensemble en 1987. Déjà, à l’époque de cette acquisition, on pouvait voir émerger du sol, aux quatre coins de la résidence, des tuyaux de PVC verticaux donnant accès au drain entourant les fondations. Ces regards ou «cheminées» , comme on les désigne dans le jargon de la construction, permettent de rincer ou nettoyer le drain à l'aide d'un boyau d'arrosage, mais on peut aussi, lorsque requis, y faire pénétrer une caméra permettant d’examiner l'intérieur du conduit.
[3] Pendant plus de vingt ans après cette acquisition de 1987, le mari de Mme Lebel avait procédé chaque année au nettoyage du drain de fondation à l’aide d’un boyau d’arrosage, suivant en cela les informations fournies par les propriétaires antérieurs, qui avaient fait remplacer ce drain quelques années auparavant.
[4] Or, au moment de mettre la résidence en vente, à l'automne 2011, Mme Lebel, incommodée par les séquelles d'une fracture à l'épaule, avait omis de procéder pendant deux ans au rinçage du drain. De fait, tout en étant consciente que son mari effectuait auparavant cette opération, elle n'en connaissait pas vraiment la cause et n'y attachait pas beaucoup d'importance.
[5] C'est ainsi que dans une «Déclaration du vendeur» souscrite le 15 octobre 2011 devant Mme Johanne Fortin, agente immobilière de Royal Lepage, Mme Lebel répond par la négative à toutes les questions visant l'état du terrain, dont celle de savoir s'il y a ou s'il y a déjà eu «présence d'ocre ferreuse dans le sol» . Elle coche également «Non» , mais cette fois par erreur, à la question de savoir si l'immeuble est équipé «d'une fosse avec ou sans pompe d'évacuation». Dans le même formulaire, elle révèle qu'en 2002, une quarantaine de résidences du secteur, incluant la sienne, ont subi un refoulement d'égouts attribuable à une déficience du réseau municipal.
[6] Le mandat de vente donné à Royal Lepage ce 15 octobre 2011 prévoit un prix de départ de 169 000 $.
[7] Au début de décembre 2011, une expertise préachat est réalisée à la demande d'une acheteuse éventuelle, Nancy Robichaud, qui a signé une promesse d'achat sur l’immeuble. Le rapport qui en résulte, signé par un inspecteur du nom de Rino Simard, identifie plusieurs déficiences, souvent mineures toutefois, dont un acheteur se devrait de tenir compte. Il recommande par ailleurs certains travaux correctifs, notamment sur le réseau électrique, et suggère en ces termes une expertise du drain de fondation:
La maison a été construite en 1970 et le drain de fondation est possiblement âgé. Lors d'une inspection visuelle limitée et sommaire, il est impossible de nous prononcer sur le bon fonctionnement du drain. Dans le but de vous assurez (sic) de son bon fonctionnement, l'expertise du drain de fondation est recommandée. [1]
[8] Pour des raisons qui, selon la preuve, tiennent à sa situation personnelle plutôt qu’à l'état de l'immeuble, Mme Nancy Robichaud retire sa promesse d'achat. Ensemble, l'agente immobilière Johanne Fortin et Mme Lebel conviennent de procéder selon les recommandations du rapport préachat Simard (P-4).
[9] C'est ainsi que le 14 décembre 2011, à la demande de Royal Lepage, M. Steve Potvin, de Plomberie Gérald Leblond Ltée, se rend sur place pour vérifier si le drain de fondation de l'immeuble est accessible pour inspection par caméra. À défaut de pouvoir accéder au drain par le sous-sol, où les installations en place ne le permettent pas, il procède à partir de deux des «cheminées» aménagées aux coins du bâtiment. À l'aide d'une caméra mobile reliée à un enregistreur DVD, il parcourt d'abord le tuyau reliant le coin gauche de la résidence à la canalisation municipale, sous la rue, puis la section du drain longeant le côté gauche du solage. Dans cette section, le visionnement du DVD permet d’apercevoir, par endroits, la présence d’une boue parfois rougeâtre qui obstrue l'objectif de la caméra.
[10] Pourtant, dans le bon de travail qu’il complète ce jour-là, le plombier Potvin note comme tout premier constat «Cheminée d'inspection pour drain - Tuyau propre pas en grès» . La seconde mention concerne la présence d'une pompe au sous-sol, dont on dit qu'elle ne doit pas avoir fonctionné «depuis très longtemps» , puisque la cuve est sèche.
[11] Entendu à l'audience, le plombier dit avoir visionné sur place la vidéo tournée à l'intérieur du drain, en présence de Mme Lebel et de l'agente immobilière Fortin, à qui il admet n'avoir formulé alors aucune mise en garde en ce qui a trait à ce drain.
[12] Le 23 décembre 2011, Mme Lebel souscrit un formulaire de modification à sa «Déclaration du vendeur» du 15 octobre, cela aux seules fins de faire le point sur les recommandations du rapport préachat Simard, qui fait maintenant partie du dossier. La mention de cette déclaration concernant le drain de fondation se lit comme suit :
D'autre part, Rino Simard ne savait pas si le drain avait été changé. Le vendeur a fait vérifier par Gérald Leblond Ltée et le drain a été changé avant 1987. Un rapport du plombier a été fait et tout est conforme. [2]
[13] Le 12 février 2012, la demanderesse, Suzanne Jean, assiste brièvement à une journée porte ouverte à la résidence de Mme Lebel, présidée par Mme Johanne Fortin, de Royal Lepage. Trois jours plus tard, l'agent Guillaume Jean, de Re-Max, mandaté par la demanderesse, soumet une promesse d'achat souscrite par cette dernière pour un prix de 145 000 $. Mme Fortin l'informe alors que la déclaration du 23 décembre sera de nouveau modifiée pour indiquer que les travaux électriques recommandés ont été exécutés et pour corriger l'erreur relative à la présence d'une pompe au sous-sol.
[14] De là, il y aura contreproposition par Mme Lebel à 150 000 $, le 17 février, puis acceptation le même jour par Mme Jean. C'est le lendemain, 18 février, que l'agente Johanne Fortin remettra à l'agent de la demanderesse, Guillaume Jean, la «Déclaration du vendeur » modifiée dont elle lui a parlé en début de semaine. Ce document, que la demanderesse semble n’avoir jamais eu en mains avant novembre 2012, ne contenait de toute manière que des informations rassurantes pour l’acheteur éventuel en ce qui a trait au drain de fondation. On y mentionnait entre autres :
Correctifs apportés suite à l’inspection en décembre 2011.
1.- (…)
2.- Inspection de la plomberie au niveau du drain français qui a été refait (Voir rapport au dossier) Il y a même des cheminées installées pour le nettoyage et un CD au dossier.
[15] C'est le 29 mars 2012 que les parties signent le contrat d'achat devant le notaire Jacques Bélanger, de Rimouski, et il n'y a alors aucune discussion nouvelle en ce qui a trait aux conditions de la vente, laquelle intervient avec garantie légale.
[16] Quelques jours auparavant, toutefois, les parties s'étaient rencontrées pour une première fois, à la résidence de Mme Lebel, afin de discuter de l'inclusion d'un poêle Franklin situé au sous-sol. Selon la demanderesse, Mme Lebel lui aurait alors remis à sa demande le DVD tourné par le plombier Potvin en décembre. Elle aurait par la suite fait le visionnement de ce DVD avec sa mère et son beau-père, sans que personne n'y décèle quoi que ce soit d'anormal. Notons que selon Mme Lebel, ce DVD a plutôt été remis à Mme Jean le jour même de la vente, au bureau du notaire.
[17] Quoiqu'il en soit, le 10 mai 2012, le sous-sol de la résidence subit une infiltration d'eau sur une hauteur d'environ 5 centimètres. Dans la foulée des travaux correctifs qui suivront, et en particulier d'une excavation effectuée en début juillet 2012, il apparaîtra de façon claire que le drain de fondation présente un colmatage important causé par l'ocre ferreuse présente dans le sol environnant . Après une mise en demeure formelle, le 30 juillet 2012, suivie de quelques échanges infructueux, la demanderesse déposera le présent recours, en novembre 2012.
Prétentions des parties
[18] Dans sa requête introductive d'instance, la demanderesse fait valoir qu'à la date de la vente, l'immeuble était affecté d'un vice en ce que le sol y était composé d'ocre ferreuse en concentration suffisante pour provoquer le colmatage du drain périphérique des fondations. Elle ajoute que la défenderesse était au courant de ce vice et qu'elle aurait dû le lui révéler, tout comme elle aurait dû lui révéler l'obligation qui en découle de procéder une fois par année à une opération de rinçage du drain. N'eut été de cette réticence, équivalente à un dol, la demanderesse affirme qu'elle n'aurait jamais accepté de payer si haut prix, d'où sa réclamation au montant de 71 203,13 $, incluant 9 000 $ en dommages pour perte de jouissance de l'immeuble et stress.
[19] Le 3 juin 2013, en réponse à une défense plaidant l'absence de mauvaise foi de la part de la défenderesse, de même que le caractère apparent du vice et la négligence de la demanderesse elle-même dans ses vérifications préachat, celle-ci fait maintenant valoir qu'elle n'aurait jamais accepté d’acheter si la défenderesse ne lui avait pas caché l'état réel des lieux. Elle modifie donc sa demande pour réclamer l'annulation du contrat, le remboursement du prix payé de 150 000 $, plus 10 000 $ de déboursés encourus et 15 000 $ en dommages-intérêts pour troubles, ennuis et inconvénients.
[20] Moins d’un mois après cette dernière procédure, le sous-sol de la résidence de la demanderesse fait l’objet à nouveau d’une infiltration d’eau.
[21] À l'audience, les parties maintiennent leurs prétentions respectives, à cette seule exception près que le procureur de la demanderesse, à la clôture de la preuve, déclare reconnaître l'absence de toute mauvaise foi chez la défenderesse lors des démarches préalables à la conclusion de l'acte de vente.
Le droit applicable
[22]
Le litige entier gravite autour des articles
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
(…)
1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur.
[23] Comme on le voit, la garantie ne s’applique ni au vice apparent, ni au vice caché connu de l’acheteur, ni à celui qu’un acheteur prudent et diligent aurait été à même de constater sans l’assistance d’un expert. L’article 1728, par ailleurs, accorde à l’acheteur le droit de réclamer des dommages-intérêts du vendeur qui, connaissant le vice caché ou ne pouvant l’ignorer, aurait omis de le dénoncer à l’acheteur. Interprétée a contrario, cette disposition signifie qu’en présence d’un vendeur qui ignorait le vice et ne pouvait le déceler par des moyens raisonnables, l’acheteur pourra réclamer l’annulation de la vente ou une diminution de prix, selon le cas, mais non les dommages en résultant.
[24]
De façon constante, en vertu de la jurisprudence et
de la doctrine développées sous les articles
[25] Dans un article publié en 2010 sur le caractère caché du vice comme condition essentielle du recours en diminution de prix ou en annulation de vente [4] , Me Geneviève Cotnam s'intéressait à ce phénomène relativement récent que constitue l'ocre ferreuse comme vice allégué dans la jurisprudence québécoise :
Depuis 2008, la jurisprudence fait état d'un autre phénomène en matière de vice de sol, la bactérie de l'ocre ferreuse. Cette dernière, présente dans le sol, se développe en présence d'eau et d'air et vient colmater les drains français causant par le fait même des infiltrations. Tout comme la pyrite, cette bactérie est davantage présente dans certains secteurs ou régions. La Cour d'appel a reconnu dans Promutuel Lévisienne-Orléans c. Fondations du St-Laurent, que la présence d'ocre ferreuse peut constituer un vice caché surtout quand le phénomène est inconnu dans le quartier.
[26]
Comme on le voit, nul ne saurait prétendre de nos
jours que la présence d'ocre ferreuse dans le sol environnant les fondations
d'un immeuble ne constitue pas un vice pouvant donner ouverture au recours
prévu aux articles
[27]
Dans le présent cas, de fait, personne ne conteste
que l'on soit ici en présence d'une condition pouvant donner ouverture au
recours prévu à l'article
[28] De même, en défense, jamais on n'a cherché à prétendre que l'on ne serait pas ici en présence d'ocre ferreuse dans le sol. Au contraire, l'ingénieur Luc Babin, expert de la défenderesse, prétend que ce constat était à ce point évident que tout acheteur prudent et avisé aurait dû s'en inquiéter et procéder à un examen plus approfondi avant d’acheter. Nous reviendrons sur cette question.
[29] Par ailleurs, en l'absence de contestation sur cet aspect, il est acquis au débat que la situation constatée lors de l'excavation exploratoire de juillet 2012 existait lors de la vente, intervenue au printemps de la même année.
[30] Enfin, rappelons qu'après clôture de la preuve, par l'entremise de son procureur, la demanderesse a retiré ses allégations selon lesquelles la défenderesse aurait usé de dol ou fait montre de mauvaise foi dans les représentations préalables à la vente. Dès lors, abstraction faite des conclusions principales en annulation de vente ou diminution de prix, les autres réclamations monétaires de la demande, telles qu'elles subsistent, devront pouvoir s'appuyer sur des motifs autres que le dol ou la mauvaise foi.
[31] Ainsi, sous l’éclairage de la preuve, du droit applicable et des prétentions des parties, le Tribunal identifie comme suit les questions restant en litige :
1. Sommes-nous en présence ici d’un vice « caché » , en ce sens que la demanderesse ne pouvait le constater sans devoir recourir à un expert ?
2. Le vice est-il suffisamment grave pour justifier soit l’annulation de la vente, soit une diminution du prix ?
3. Dans l’un ou l’autre cas, y a-t-il lieu d’accorder des dommages-intérêts?
Discussion et décision
· Le caractère caché du vice
[32]
Dans son article (précité) portant sur le caractère caché
du vice comme condition du recours prévu à l'article
Toutefois, contrairement à la pyrite dont la présence est parfois difficile à soupçonner par un simple examen visuel, certains signes peuvent suffire à alerter l'acheteur potentiel ou son expert. Ainsi la présence de cerne orangé au pourtour d'un drain ou d'un puits de captation ou la présence d'une cheminée de regard permettant de nettoyer le drain sont des éléments qui militent en faveur d'un examen plus poussé par l'acheteur.
[33] De fait, dans un certain nombre de décisions relativement récentes, on a rappelé cette obligation de prudence faite à l'acheteur, notamment lorsque le drain de fondation, comme dans le présent cas, serait doté de regards ou de « cheminées » permettant d'en faciliter le nettoyage périodique. [6] Or, d ans une affaire de cette nature, où les faits occupent l'avant de la scène, chaque cas constitue un cas d'espèce. Et dans celui-ci, reprocher à la demanderesse de ne pas avoir posé davantage de questions, ce serait lui reprocher, et à elle seule, de n'avoir pas vu ce que personne d'autre autour d'elle n'a pu voir. Qu'on en juge.
[34] D'abord, l'ocre ferreuse, tout comme la mousse d'urée formaldéhyde (MIUF), est une condition à déclaration obligatoire en vertu du formulaire-type de l'ACAIQ. Or, dans chacune des déclarations qu'elle signe en toute bonne foi, la défenderesse rassure tout acheteur éventuel sous cette rubrique en cochant « Non » à la question qui s'y rapporte.
[35] Deuxièmement, l'inspecteur Simard examine la maison de fond en comble avant la vente et produit ensuite un rapport très étoffé (54 pages et plus de 70 photos), dont la demanderesse a un exemplaire en mains. Or, jamais il n’évoque la présence effective, ou même seulement possible, d'ocre ferreuse autour de la résidence.
[36] Troisièmement, le plombier Potvin, qui examine l'intérieur du drain à l'aide d'une caméra, en décembre 2011, et qui détient en cette matière une longue expérience, ne mentionne dans son rapport ni la présence d'ocre ferreuse, ni aucune autre anomalie réelle du drain, qu'il décrit au contraire comme étant un «tuyau propre» .
[37] Par ailleurs, en plus de la réponse négative donnée par Mme Lebel en ce qui a trait à l'ocre ferreuse, les deux dernières déclarations qu'elle souscrit comportent des textes garantissant la parfaite conformité du drain et faisant référence précisément aux recommandations du rapport d’inspection préachat de Rino Simard (R-4).
[38] Qui plus est, dans le présent cas, la présence de cheminées d'accès au drain de fondation semble n’avoir jamais soulevé la moindre interrogation chez qui que ce soit, incluant les cinq « experts » que sont le plombier Potvin, l 'inspecteur Simard et les trois agents immobiliers qui ont visité la résidence dans leur démarche professionnelle.
[39] Enfin, la défenderesse elle-même, qui a habité cette résidence pendant près de 25 ans et dont l'honnêteté n'est mise en doute par personne, affirme n'avoir jamais pu soupçonner chez elle la présence d'ocre ferreuse, substance dont elle ignorait même totalement l'existence avant les événements à la base de la demande.
[40]
En définitive, de toutes les personnes qui ont gravité autour de la
résidence en cause, l'ingénieur Babin est le seul pour qui la présence de
cheminées de drain et la couleur de dépôts secs dans la fosse de la pompe du
sous-sol auraient dû amener un acheteur prudent et avisé à une analyse plus approfondie
du dossier. Or, d'une part, M. Babin est un expert professionnel doté d'une
longue expérience en génie civil, ayant par ailleurs procédé déjà à plus de 300
inspections de drains par caméra et participé à plus d'un millier d'expertises
dans le domaine de la construction.
[7]
En bref, M. Babin est précisément cet «
expert»
auquel un acheteur
prudent et avisé ne devrait pas avoir à recourir en vertu du second alinéa de
l'article
[41] En outre, contrairement aux parties, aux agents d'immeuble et aux deux autres professionnels qui ont examiné le bâtiment avant la vente, M. Babin intervient après le fait, à un moment où chacun sait déjà, de par les rapports d'analyse au dossier, que les échantillons de sol prélevés sur les lieux révèlent la présence d'ocre ferreuse.
[42] Pour toutes ces raisons, le Tribunal retient que la présence d’ocre ferreuse dans le sol environnant la résidence en cause constituait bien un vice caché au sens de la loi, puisque la demanderesse n’avait pas de raisons véritables d’en soupçonner l’existence et qu’elle ne pouvait le constater par elle-même sans l’assistance d’un expert. Cela dit, quel est le remède approprié?
· Annulation ou diminution de prix
[43] Sous cette rubrique, comme sous la précédente, l’article précité de Me Cotnam [8] nous servira d’entrée en matière. Au terme d’un examen de la jurisprudence portant sur les recours en annulation de vente ou diminution de prix invoquant la présence d’ocre ferreuse comme vice caché, l’auteure constate :
Si la qualification de l'ocre ferreuse comme vice caché dans certains cas ne pose aucune difficulté, les experts ne s'entendent pas présentement sur la solution technique à ce vice. La découverte d'ocre ferreuse est donc susceptible de soulever certains débats quant aux coûts de réparation du vice, les solutions proposées allant du simple nettoyage au rehaussement des fondations en passant par le remplacement du drain.
[44] Comme on le voit, si les experts ne s'entendent pas sur la façon appropriée de remédier à la situation, il semble y avoir tout au moins consensus sur un point : l'ocre ferreuse dans le sol ne constitue pas un vice assez grave pour justifier l'annulation pure et simple de la vente. En d'autres mots, il ne s'agit pas d'un vice qui rend l'immeuble «impropre à l'usage auquel on le destine» ou qui en diminue l'utilité à un point tel «que l'acheteur ne l'aurait pas acheté» s'il l'avait connu (1726 C.c.Q.).
[45] De la preuve, il ressort que la solution idéale consisterait dans le remplacement du drain par un neuf, aménagé conformément aux normes de construction prévalant de nos jours. Selon que l'on retienne l'évaluation de l'ingénieur Babin, en défense, ou celle de l'entrepreneur Bélanger, en demande, cette remise à neuf coûterait entre 12 000 $ et 28 000 $, incluant taxes. Or, justement, la demanderesse savait au moment de l'achat que la résidence avait plus de 40 ans d'âge et que le drain remontait lui-même à plus de 25 ans, ayant été remplacé quelques années avant l'acquisition de la résidence par la défenderesse et son mari, en 1987.
[46] Selon l'expert Babin, une compensation établie à partir du coût de remplacement devrait tenir compte d'une dépréciation de l'ordre de 93 %, basée sur une durée de vie utile de 25 ans. Du côté des témoins de la demande, le plombier Potvin corrobore dans une certaine mesure cette opinion lorsqu'il suggère que le drain examiné en décembre 2011 serait à remplacer de toute façon dans un délai d’environ cinq ans. Pour ce qui est de l'entrepreneur Bélanger, plus optimiste, il se dit d'avis qu'un drain de fondation bien aménagé et entretenu pourrait avoir une durée de vie utile égale à celle de l'immeuble.
[47] Au vu de ces opinions divergentes, le Tribunal juge approprié de retenir un coût de remplacement de 20 000 $, déprécié de 75%, pour accorder sous cette rubrique la somme de 5 000 $. Selon son désir, la demanderesse pourra appliquer cette somme soit à l’aménagement d’un drain neuf, soit aux coûts inhérents à un entretien périodique convenable du drain existant. À cet égard, incidemment, la preuve offerte à l'audience ne convainc pas le Tribunal qu'il soit nécessaire de procéder à chaque année, ni même tous les deux ans, au nettoyage complet effectué par Sani-Manic en mai 2012, au coût de 884,35 $.
· Le droit à des dommages-intérêts
[48]
La défenderesse, nous l'avons vu, ignorait le vice
affectant son immeuble, de sorte que la demanderesse n'a pas droit aux
dommages-intérêts résultant directement de l'existence de ce vice ou de ses
conséquences (Art.
[49] Certes, ce n'est pas par mauvaise foi que Mme Lebel a omis cette précision lors des pourparlers préalables à la vente, mais il s'agit néanmoins là d'une négligence sans laquelle il y a tout lieu de croire que les dégâts d'eau de mai 2012 et juin 2013 auraient peut-être été évités. De fait, sans y voir pour autant une garantie absolue, le Tribunal ne peut ignorer que pendant près de 25 ans, abstraction faite d’un refoulement attribuable au réseau d'égout municipal, Mme Lebel et son mari n'ont jamais eu à subir d’infiltration d'eau au sous-sol de leur résidence.
[50]
Dans les circonstances, indépendamment du cadre
contractuel qui lie les parties, c'est par une faute ou négligence ordinaire,
donc en vertu de l'article
[51] En conséquence de tout ce qui précède, l’annulation de vente revendiquée par la demanderesse lui sera refusée, mais sa réclamation subsidiaire en diminution de prix et dommages-intérêts sera accueillie pour les montants suivants, arrondis au dollar près :
· Coût de remplacement déprécié : 5 000 $
· Franchise sur nettoyage du sous-sol par Qualinet : 400 $
· Nettoyage du drain par Sani-Manic : 884 $
· Inspection par Plomberie R. Levesque : 230 $
· Inspection par LVM inc. : 459 $
· Excavation par R. Michaud : 230 $
Total : 7 203 $
[52]
C
onformément aux règles générales prévues aux articles
[53] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[54] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance;
[55]
CONDAMNE
la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de
7 203 $, avec intérêts et indemnité additionnelle selon l’article
[56] AVEC DÉPENS.
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__________________________ GILLES BLANCHET, j.c.s. |
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Me Marion Pelletier |
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Procureur de la demanderesse |
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Me Gabrielle Rouleau |
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ROY BOUDREAU BÉLANGER |
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Procureurs de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
27-28 mars 2014 3 avril 2014 |
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[1] Rapport d'inspection préachat par Rino Simard, 7 décembre 2011, pièce P-4.
[2] Document de « Modification» en date du 23 décembre 2011 (pièce P-1A).
[3]
ABB Inc. c. Domtar Inc.,
Jacques DESLAURIERS,
Pierre-Gabriel JOBIN
,
[4] COTNAM, Geneviève et VINCENT, René, Le caractère caché du vice, Droit immobilier , Collection Yvon Blais, vol.5 (2010), EYB2010CBL26.
[5] Voir pièces P-1 et P-8, Formulaire de Déclaration du vendeur sur l'immeuble , item D4.7.
[6]
Payette c. Dumont
, EYB 2010-173032 (C.S.);
Roy c. Tétrault,
[7] Curriculum vitae de l'ingénieur Luc Babin, en annexe à son rapport D-1.
[8] Voir supra, note 4.