COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

238337

Cas :

CM-2013-3078 et CM-2013-3079

 

Référence :

2014 QCCRT 0309

 

Montréal, le

9 juin 2014

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Jean Paquette, juge administratif

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Claude Paradis

 

Plaignant

c.

 

Pet Science Ltd

 

Intimée

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 2 avril 2013, Claude Paradis dépose une plainte contre Pet Science Ltd (l’ employeur ), selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail , RLRQ, c. N-1.1 (la Lnt ), où il allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante.

[2]            Le 4 avril 2013, il dépose une autre plainte contre son employeur, en vertu cette fois de l’article 123 de la Lnt, où il allègue avoir été victime d’une pratique interdite en raison d’un droit exercé en vertu de cette loi, soit le dépôt d’une plainte de harcèlement psychologique, le 27 mars 2013.

[3]            L’employeur allègue qu’il n’y a pas eu de congédiement, mais plutôt qu’il s’agit d’un licenciement. De plus, l’exercice des droits par Claude Paradis n’a aucun lien avec la décision.

[4]            La Commission est d’avis que les conditions d’exercice des deux recours sont satisfaites. Pour la plainte selon l’article 123 de la Lnt, Claude Paradis est un salarié, a déposé sa plainte dans les 45 jours de la mesure dont il estime avoir été victime, a exercé un droit issu de la Lnt et il y a concomitance entre la mesure et le droit exercé.

[5]            Ainsi, Claude Paradis bénéficie de la présomption simple voulant qu’il ait reçu une mesure en raison du droit exercé et l’employeur doit établir, par prépondérance des probabilités, une «  autre cause juste et suffisante  ».

[6]            Pour la plainte selon l’article 124 de la Lnt, outre le fait qu’il est salarié et que la plainte est déposée dans les délais, il n’y a pas d’autres recours utiles et il justifie de deux ans de service continu ayant été embauché le 28 mars 2011 et subi une mesure le 1 er  avril 2013. Reste à déterminer s’il s’agit d’un licenciement ou d’un congédiement.

Les faits

Version de l’employeur

[7]            L’employeur est un grossiste en nourriture pour animaux. Il s’agit d’une succursale au Québec d’une entreprise dont le siège social est à Toronto. Éric Milot en est le gérant.

[8]            Selon lui, le volume de mise en palette demandé par manutentionnaire est en moyenne de 15 à 20 000 livres par jour. Le 28 mars 2013, Éric Milot reçoit la demande de son supérieur à Toronto de couper un poste de manutentionnaire, car il y a une baisse de la demande et les trois employés en place ne rencontrent pas la moyenne exigée. Cette demande fait suite à une visite des lieux par le supérieur la veille.

[9]            Éric Milot décide que ce sera le poste de Claude Paradis, car il est moins polyvalent que l’autre manutentionnaire qui fait à l’occasion des livraisons, ce que Claude Paradis ne veut plus faire. Ce dernier a même accepté une baisse de salaire pour ne plus avoir à faire des livraisons. Leur ancienneté est similaire. Éric Milot n’a aucun reproche à formuler à l’encontre de Claude Paradis.

[10]         M. G., le troisième manutentionnaire, agit comme remplaçant d’Éric Milot lors de ses congés et vacances. Il doit donc rester au travail.

[11]         L’employeur établit que pour janvier 2013, le volume de marchandise est 465 300 livres pour une moyenne par employé dans une journée de 8 500. Pour février, le volume est de 421 000 avec une moyenne par employé de 8 800. En mars, le volume est de 424 000 pour une moyenne de 7 060. En avril et mai 2013, le volume et la moyenne redeviennent similaires à janvier. De plus, un chauffeur a aidé à compléter les commandes pour une moyenne de 4 500 par journée lorsqu’il a été utilisé.

Version de Claude Paradis

[12]         Pour ce qui concerne les livraisons, il ne s’agit pas d’une exigence de l’emploi de manutentionnaire. Ceux-ci assistaient les chauffeurs à l’occasion, en alternance et selon les besoins. Les chauffeurs aussi aidaient parfois à la manutention.

[13]         En février 2012, la femme de Claude Paradis est à l’hôpital. Il demande à Éric Milot de ne pas aller sur la route afin d’être présent rapidement à ses côtés, si besoin. Ce dernier accepte. Néanmoins, le lendemain, une personne lui demande de prendre la route. Claude Paradis explique la situation, il indique qu’il ne peut y aller et qu’il a l’accord d’Éric Milot. Peu importe, la personne l’oblige à faire la livraison.

[14]         En réaction, Claude Paradis parle à Éric Milot et l’informe qu’il ne veut plus se faire importuner pour aller sur la route, même si cela lui occasionne une diminution de salaire. Il ajoute qu’il est toutefois prêt à dépanner au besoin, s’il n’y a personne.

[15]         Éric Milot appelle au siège social de Toronto pour s’informer et le salaire de Claude Paradis est diminué de 0,50 $. Éric Milot l’informe aussi que s’il y a une baisse des ventes, il sera choisi pour perdre son emploi, car il ne peut plus aller sur la route. Claude Paradis lui répond de l’informer avant de le mettre à la porte et qu’il révisera alors sa décision.

[16]         Claude Paradis n’a aucun dossier disciplinaire, ni commentaire sur son comportement. Selon lui, au moment de sa fin d’emploi, il n’y a pas de baisse de volume. Il faisait son volume de manutention habituel.

[17]         Les relations avec ses collègues allaient bien, sauf avec M. G. en raison d’un conflit de personnalités que Claude Paradis estime exister depuis son embauche. Selon lui, ils ont 30 ans de différence et cela crée un conflit de générations. Il fait état de diverses situations produites en 2012 qui illustrent l’animosité entre M. G. et lui. Par ailleurs, Claude Paradis rapporte qu’Éric Milot et M. G. se fréquentent en dehors du travail et ont de bonnes relations ensemble.

[18]         M. G. a laissé un pneu de moto pendant quelque temps sur le plancher de l’usine. Or, le pneu a été percé par un «  exacto  » et M. G. a alors accusé Claude Paradis de l’avoir fait. Cette accusation lui a été rapportée par un autre travailleur.

[19]         Informé des accusations de M. G., Claude Paradis va parler avec Éric Milot le 26 mars 2013 pour lui demander d’intervenir et ce dernier aurait qualifié la situation de niaiserie. Éric Milot aurait aussi indiqué qu’il existe une politique de harcèlement psychologique, mais qu’il n’y aurait pas lieu d’intervenir dans le contexte. De plus, il affirme qu’il n’était pas présent lors de cet événement et, donc, qu’il lui était difficile de juger de la situation.

[20]         Claude Paradis a indiqué à Éric Milot qu’il ferait une plainte de harcèlement psychologique et ce dernier a répliqué qu’il avait juste à en faire une et que c’était son droit. Claude Paradis la dépose le 27 mars 2013 et le lendemain, 28 mars, Éric Milot lui demande s’il a déposé sa plainte. Claude Paradis répond que oui.

[21]         Le 29 mars est le congé du Vendredi saint. Les 30 et 31 mars sont la fin de semaine.

[22]         Le lundi 1 er avril 2013, tôt le matin, Éric Milot remet à Claude Paradis une lettre lui indiquant qu’il est mis à pied « en raison de la récente crise dans les affaires » . Toutefois, il faut comprendre de la lettre qu’il s’agit d’un licenciement définitif.

L’analyse

[23]         Eu égard à la plainte selon l’article 123 de la Lnt, dans l’arrêt Lafrance c. Commercial Photo Service Inc. , [1980] 1 R.C.S. 536 , p. 544, la Cour suprême du Canada a établi que la notion d’«  autre cause juste et suffisante  » à laquelle l’article 17 du Code du travail , RLRQ, c. C-27, fait référence (par l’intermédiaire de l’article 123.4 de la Lnt) est «  une cause sérieuse, par opposition à un prétexte, et qu’elle constitue la cause véritable du congédiement  » (voir au même effet, Hilton Québec Ltée c. Tribunal du travail , [1980] 1 R.C.S. 548 ).

[24]         Dans l’arrêt Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada Inc. , [2009] 3 R.C.S. 465 , le juge Binnie écrit, au nom de la majorité, que :

[48]      Le recours fondé sur les art. 15 à 17 vise à traiter, selon une procédure sommaire, les plaintes des salariés qui allèguent avoir subi une suspension, un congédiement ou une autre sanction pour avoir participé à des activités syndicales. La présomption trouve facilement application, dès qu’il est démontré que le salarié a participé à une activité syndicale quelconque. Elle est difficile à réfuter . […]

(soulignement ajouté)

[25]         Par ailleurs, la Cour d’appel dans l’affaire Desfossés c. Société de transport de Sherbooke , 2011 QCCA 119 , réaffirme que la présomption est difficile à réfuter et que « « le moindre antisyndicalisme qui entache une décision procédant de " motifs multiples " contrera une défense  » d'autre cause juste et suffisante (Wal-Mart, par. 48 et 49)  » (aux paragraphes 24 et 26).

[26]         En ce qui concerne l’appréciation d’un licenciement, dans Selivanov c. ABPTS inc. , 2010 QCCRT 0138 , la Commission résume les décisions de la Cour d’appel comme suit :

[27]      En somme, en matière de licenciement, l’employeur doit prouver, par prépondérance des probabilités, que les motifs d’ordre économique ou organisationnel sont réels. Il doit aussi établir que la fin d’emploi du salarié découle nécessairement de ces motifs. Ces derniers ne peuvent pas servir de prétexte pour camoufler un congédiement déguisé et l’employeur doit établir des critères de sélection du salarié licencié qui sont raisonnables, c’est-à-dire objectifs, impartiaux et non inspirés d’éléments subjectifs propres au salarié. Le cas échéant, il appartient au salarié de faire la preuve que les motifs économiques ou organisationnels ne sont pas fondés ou, qu’à son égard, les critères de sélection de l’employeur sont partiaux, illicites ou déraisonnables. À tout le moins, le salarié doit démontrer des indices ou des éléments révélant que le licenciement constitue un prétexte visant à camoufler un congédiement déguisé.

[27]         En l’espèce, l’employeur échoue à établir, par prépondérance des probabilités, la réalité de ses motifs économiques. En premier, l’exigence d’une moyenne de 15 à 20 000 livres par jour par manutentionnaire ne tient pas la route. De la preuve présentée par l’employeur, jamais cette moyenne ne dépasse les 9 400 livres.

[28]         En deuxième, il est vrai qu’il y a une baisse dans les volumes totaux, mais les moyennes par jour demeurent similaires. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve que cela affecte les revenus ou la rentabilité de l’entreprise. Enfin, aucune preuve ne permet de conclure qu’il ne s’agit pas d’une fluctuation normale des volumes, d’autant que le niveau de janvier est de retour pour les mois d’avril et mai 2013. De plus, lors de ces deux derniers mois, et alors que Claude Paradis n’est plus au travail, un chauffeur a dû faire de la manutention pour permettre de boucler les commandes, ce qui indique qu’il ne manquait pas de travail. En somme, la Commission est d’avis que l’employeur n’a pas fait la preuve de sa « récente crise dans les affaires » qu’il allègue dans la lettre remise le 1 er avril 2013 à Claude Paradis.

[29]         Qui plus est, la séquence des événements amène à conclure que les motifs économiques servent de prétexte pour camoufler un congédiement déguisé en raison de l’exercice d’un droit issu de la Lnt par Claude Paradis.

[30]         Le 26 mars 2013, il se fait accuser d’avoir percé le pneu de M. G. Aussitôt informé, Claude Paradis va parler avec Éric Milot pour lui demander d’intervenir et il l’informe qu’à défaut il fera une plainte de harcèlement psychologique. Éric Milot n’intervient pas à la satisfaction de Claude Paradis, car il ne prend pas sa plainte au sérieux et ne fait pas d’enquête. Le 27 mars, Claude Paradis dépose sa plainte. Le jeudi 28 mars, Éric Milot lui demande s’il a déposé une plainte et Claude Paradis lui répond que oui. Le jour ouvrable suivant, Claude Paradis reçoit un avis de mise à pied.

[31]         Ainsi, la Commission est d’avis que l’employeur n’a pas repoussé l’application de la présomption et la plainte selon l’article 123 de la Lnt est accueillie. De plus, l’employeur n’établit pas, par prépondérance des probabilités, la réalité de ses motifs économiques et, par conséquent, l’allégation de licenciement camoufle dans les faits un congédiement déguisé. Considérant qu’un motif illégal entache la décision prise et vu l’absence d’une cause juste et suffisante, la plainte en vertu de l’article 124 de la Lnt est également accueillie.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   les plaintes;

ANNULE                         le congédiement imposé le 1 er avril 2013;

ORDONNE                     à Pet Science Ltd de réintégrer Claude Paradis dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision;

ORDONNE                     à Pet Science Ltd de verser à Claude Paradis à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé le congédiement;

RÉSERVE                      sa compétence pour déterminer les autres mesures de réparation appropriées;

RÉSERVE                      sa compétence pour déterminer le quantum de l’indemnité et pour régler toute difficulté résultant des présentes ordonnances.

 

 

 

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Jean Paquette

 

M e Émilie Duchesne

Rivest, Tellier, Paradis

Représentante du plaignant

 

M. Éric Milot

Représentant de l’intimée

 

Date de l’audience :

9 avril 2014

/jt