Bélanger c. 9254-9328 Québec inc. (Ami Junior Nissan)

2014 QCCS 2976

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

 

 

 

N° :

150-17-002295-126

 

 

 

DATE :

18 juin 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

J. CLAUDE LAROUCHE, J.C.S.

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BENOÎT BÉLANGER , domicilié et résidant au […], Repentigny (Québec) […]

-et-

H.T. BÉLANGER INC. , corporation légalement constituée, ayant sa place d’affaires au 942, rue Chabanel, suite 202, Chicoutimi (Québec) G7H 5W2

Demandeurs

c.

9254-9328 QUÉBEC INC. , faisant affaire sous le nom de «L’Ami Junior Nissan», corporation légalement constituée, ayant sa place d’affaires au 564, boulevard du Royaume Ouest, Chicoutimi (Québec) G7H 5B1

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]            Les demandeurs Benoît Bélanger (ci-après appelé «Bélanger») et H.T. Bélanger inc. (ci-après appelée «H.T. Bélanger»), alléguant avoir été engagés par la défenderesse 9254-9328 Québec inc., faisant affaire sous le nom de L’Ami Junior Nissan (ci-après appelée «L’Ami Junior Nissan»), à compter du 6 février 2012 jusqu’au 31 décembre 2012 à une rémunération annuelle située entre 80 000 $ et 150 000 $ et avoir été congédiés le 27 mars 2012, le tout à l’encontre de l’entente intervenue, lui réclament la somme de 85 586,60 $ pour les neuf mois non payés.

[2]            Ceux-ci recherchent, en outre, une condamnation de la défenderesse à leur payer la somme de 10 000 $ à titre de dommages punitifs de même que les honoraires extrajudiciaires de leurs procureurs.

[3]            L’Ami Junior Nissan conteste la réclamation des demandeurs et se réfère à une lettre du 17 mai 2012 qui leur a été transmise par ses procureurs et exposant les motifs justifiant la terminaison de la relation contractuelle.

[4]            Il indique, entre autres, dans cette lettre du 17 mai 2012, qu’il n’y a aucun lien de droit entre elle et Bélanger ajoutant qu’elle a conclu une entente avec H.T. Bélanger dont Bélanger est le représentant.

[5]            H.T. Bélanger, toujours selon L’Ami Junior Nissan, devait procéder à la gestion, la consultation et la formation du département des ventes de voitures neuves.

[6]            Elle précise avoir cessé de faire affaire avec H.T. Bélanger pour plusieurs motifs mais sans limiter la généralité de ce qui précède, sur la base que les objectifs de vente n’avaient pas été rencontrés.

[7]            Enfin, L’Ami Junior Nissan plaide que la réclamation des demandeurs pour dommages punitifs et frais extrajudiciaires n’a aucun fondement juridique ni factuel.

[8]            L’Ami Junior Nissan se portant demanderesse reconventionnelle réclame des demandeurs la somme de 45 555,80 $ qui se ventile comme suit :

Ø    la somme de 8 152,80 $ qu’elle allègue avoir versé en trop à H.T. Bélanger en plus de lui avoir versé une somme de 1 178 $ pour la semaine du 26 au 30 mars et un montant de 36 625 $ pour pertes de bonus provenant de Nissan, pertes lui ayant été occasionnées par le comportement de H.T. Bélanger et de Bélanger.

LES FAITS

[9]            Bélanger et H.T. Bélanger ont fait entendre Stéphane Asselin et Jean-Pierre Leclerc. Bélanger a aussi témoigné.

[10]         L’Ami Junior Nissan a fait entendre Francis Ouellet, Vedran Baboselac et Stéphane Asselin.

[11]         L’essentiel de la preuve démontre que Stéphane Asselin est l’un des actionnaires de L’Ami Junior Nissan. Il est aussi directeur général de cette entreprise.

[12]         L’Ami Junior Nissan a acheté des actifs d’Excellence Nissan et a commencé à opérer une concession Nissan le 13 décembre 2011.

[13]         Stéphane Asselin a reçu, au mois de janvier 2011, alors qu’il était question d’embaucher un directeur des ventes, un appel téléphonique de Stéphane Vallerand, le directeur des comptes de l’Industrielle Alliance avec laquelle L’Ami Junior faisait affaire.

[14]         Ce dernier lui a dit qu’il pouvait le mettre en contact avec quelqu’un avec qui il avait fait un voyage. Il s’agissait selon lui d’une personne ayant les qualifications requises pour occuper le poste de directeur des ventes.

[15]         Stéphane Vallerand lui a précisé que cette personne était auparavant chez H. Grégoire Saguenay mais qu’elle avait quitté en raison d’une mésentente.

[16]         Par la suite, Bélanger lui a téléphoné et une rencontre a eu lieu au restaurant Le Deauville de Chicoutimi et ce, dans le cadre d’un dîner.

[17]         Stéphane Asselin était alors accompagné de Jean-Bernard Tremblay, l’actionnaire majoritaire de diverses entreprises se spécialisant dans la vente d’automobiles, notamment L’Ami Junior Nissan.

[18]         Bélanger leur a dit qu’il était un rassembleur et qu’il pouvait facilement remplir la fonction de directeur des ventes. La rencontre a duré une heure et demie. Stéphane Asselin et Jean-Bernard Tremblay ont demandé à Bélanger quelles étaient ses attentes concernant les revenus.

[19]         Le premier chiffre avancé par celui-ci était d’environ 100 000 $ et finalement il a dit qu’un revenu de 80 000 $ pouvait l’intéresser.

[20]         Jean-Bernard Tremblay et Stéphane Asselin sont revenus à l’établissement de L’Ami Junior Nissan où des calculs ont alors été faits. Pour en arriver à un revenu de 80 000 $, il fallait prévoir des ventes annuelles de 565 véhicules neufs avec un profit moyen de 2 200 $ par véhicule et l’ajout de bonis susceptibles d’être versés par Nissan.

[21]         Stéphane Asselin a alors téléphoné à Bélanger et une rencontre a suivi à l’établissement de L’Ami Junior Nissan. Il y a eu alors des chiffres avancés de part et d’autre pour finalement en arriver à une entente.

[22]         Bélanger a alors répété qu’il était un rassembleur et qu’il était en mesure de bâtir une bonne équipe de représentants aux ventes.

[23]         Il était nécessaire, pour atteindre les objectifs, de vendre 120 véhicules neufs pour le premier trimestre. Le nombre de 120 véhicules est l’objectif minimal fixé par Nissan.

[24]         Bélanger a débuté dans ses fonctions le 6 février 2012. Celui-ci a alors demandé que ce soit sa société par actions ou compagnie, en l’occurrence H.T. Bélanger qui soit rémunérée. Jean-Bernard Tremblay et Stéphane Asselin ont vérifié avec le contrôleur de L’Ami Junior Nissan si cela était possible sans que cela crée des problèmes. Après avoir reçu des assurances à ce sujet, une réponse favorable a été donnée à Bélanger.

[25]         Stéphane Asselin mentionne que Bélanger procédait de cette façon lors de son passage chez H. Grégoire Saguenay.

[26]         Bélanger a expliqué que c’est son entreprise H.T. Bélanger qui facturait L’Ami Junior Nissan. Il a ajouté qu’il fournissait des services à H.T. Bélanger. Un compte approprié était transmis à L’Ami Junior Nissan au milieu du mois pour tout le mois concerné.

[27]         Stéphane Asselin explique que le montant versé était établi en fonction d’une avance pouvant correspondre à l’objectif visé.

[28]         Il fallait à la fin du trimestre voir où on en était rendu en fonction des avances eu égard aux ventes générées.

[29]         Stéphane Asselin a préparé, deux jours après l’entrée en fonction de Bélanger, un document intitulé «Confirmation d’emploi» qui précise que Benoît Bélanger était à l’emploi de L’Ami Junior Nissan le 13 février 2012.

[30]         Ce document qui, selon Stéphane Asselin, faisait suite à une demande de Bélanger mentionne que ce dernier agira à titre de directeur des ventes et qu’il a une rémunération sous forme de commissions pour un revenu annuel entre 80 000 $ et 115 000 $. Sa semaine de travail est de 40 heures.

[31]         Pour sa part, Bélanger explique que la société par actions ou compagnie qu’il a constituée était payée pour les services qu’elle rendait par son intermédiaire.

[32]         C’est sa compagnie qui était payée lorsqu’il a œuvré comme directeur général chez H. Grégoire Saguenay.

[33]         Il reconnaît avoir demandé à Stéphane Asselin le 6 février 2012, que ce soit sa compagnie qui soit rémunérée pour ses services.

[34]         Il n’a aucun contrat d’emploi avec sa compagnie. Il en est le seul actionnaire et administrateur. Celle-ci lui verse des dividendes.

[35]         Bélanger, lorsqu’il a quitté L’Ami Junior Nissan est retourné dans la région de Montréal et a œuvré chez H. Grégoire (Saint-Eustache). C’est H.T. Bélanger qui a été payée jusqu’à la fin de décembre 2013 par H. Grégoire Saint-Eustache pour les services qu’il a rendus par l’intermédiaire de sa compagnie.

[36]         Le montant qui a été versé par H. Grégoire Saint-Eustache à H.T. Bélanger entre la date de son départ de chez L’Ami Junior Nissan et le 31 décembre 2012 est de 24 690,51 $.

[37]         Bélanger affirme que les chiffres dont il est question à la pièce P-1 ont été discutés au Restaurant Le Deauville et finalisés la même journée au bureau de Stéphane Asselin chez L’Ami Junior Nissan.

[38]         Il n’y a eu aucun contrat écrit. Stéphane Asselin lui aurait dit en présence de Jean-Bernard Tremblay qu’il n’y avait pas lieu de signer un contrat puisqu’ils sont une famille fiable.

[39]         C’est dans ce contexte que Bélanger est entré en fonction le 7 février 2012.

[40]         Il y a eu, dans les jours qui ont suivi, ce que les parties ont qualifié de «Lac-à-l’épaule». Il s’agissait d’une réunion à laquelle participaient, entre autres, les directeurs de L’Ami Junior Nissan. Les discussions ont porté sur les mesures à prendre pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

[41]         Asselin a aussi mis Bélanger au courant de la politique de Nissan que ce dernier pouvait d’ailleurs consulter à partir de son ordinateur. Il pouvait aussi obtenir de l’information en communiquant avec Jean-Pierre Leclerc, le directeur des opérations des concessionnaires pour Nissan Canada, entre autres, pour la région du Saguenay - Lac-Saint-Jean.

[42]         La preuve contradictoire démontre que les relations se sont vite détériorées par la suite. Bélanger a mis en place des mesures qu’il estimait nécessaires pour le bon fonctionnement des ventes, notamment des règles strictes concernant l’utilisation des clés pour les véhicules destinés à être vendus et aussi des plaques d’immatriculation comportant un «X» utilisées lors de l’essai d’un véhicule.

[43]         Bélanger voulait mettre de l’ordre dans le mode d’opération du département des ventes mais il s’agissait d’une nouvelle concession avec de nouveaux représentants provenant de milieux divers qui se joignaient à des représentants ayant été à l’emploi d’Excellence Nissan.

[44]         Le comportement de Bélanger, selon Stéphane Asselin et Jean-Bernard Tremblay, a fait en sorte que les représentants menaçaient de quitter leur emploi.

[45]         Jean-Bernard Tremblay a été témoin d’un incident impliquant Bélanger et l’un des conseillers qui, selon ses dires, lui a serré l’estomac, mais il n’a pas cru bon d’intervenir.

[46]         Les relations de Bélanger avec les représentants, notamment avec Vedran Baboselac et Jean-Denis Chayer, étaient difficiles, ce qui a entraîné rapidement une détérioration du climat de travail d’autant plus que l’une des fonctions du directeur des ventes est d’aider les représentants à finaliser leurs ventes de véhicules.

[47]         Il y a eu, le 19 mars 2012, une rencontre des directeurs de L’Ami Junior Nissan à laquelle Bélanger et Francis Ouellet, son assistant, ont participé.

[48]         Francis Ouellet, dans un document qui a été produit par Bélanger et H.T. Bélanger (P-10), indique les points devant être discutés. Il y est notamment question d’intimidation, de harcèlement et d’autres sujets concernant Bélanger.

[49]         La situation ne s’est pas améliorée à la suite de cette réunion, Bélanger affirmant que son comportement était correct et qu’il était nécessaire de mettre en place des méthodes d’opération de nature à assurer un bon fonctionnement du département des ventes.

[50]         Stéphane Asselin, lorsqu’il a quitté le 19 février pour quelques jours de vacances, n’avait pas encore entendu parler de problèmes concernant Bélanger. Il en a entendu parler à son retour au travail le 12 mars 2012.

[51]         Il a alors commencé à entendre des rumeurs. Jean-Bernard Tremblay lui a dit que Bélanger avait engueulé un vendeur comme du poisson pourri. Cet incident lui a semblé grave à première vue.

[52]         Il a rencontré les dames concernées par une histoire de sexe mettant en cause Baboselac selon ce qu’affirmait Bélanger. Celles-ci lui ont dit qu’il n’y avait rien là.

[53]         Stéphane Asselin indique que l’ultime rencontre avec Bélanger a eu lieu à son bureau le 27 mars 2012.

[54]         Il a rencontré Bélanger seul. Cette rencontre a duré près d’une heure et quart. Il a alors dit à Bélanger que la situation dérapait et que les ventes n’étaient pas suffisantes.

[55]         Il lui a suggéré de rencontrer l’un de ses amis pour un autre emploi pouvant mieux lui convenir.

[56]         Il explique que la réunion a été longue parce qu’il croyait que Bélanger ne comprenait pas que son message n’avait pas passé.

[57]         Il lui a précisé que l’ensemble des faits faisant en sorte que l’équipe des représentants ne le suivait pas, d’autant plus que cela s’ajoutait à la contre-performance des ventes.

[58]         Il ajoute que Bélanger n’a rien dit. Il n’a pas eu de réaction. Ils se sont donné la main.

ANALYSE DU TRIBUNAL ET DÉCISION

[59]         Le tribunal doit, à partir de son analyse de la preuve, décider si le lien contractuel régissant les parties est un contrat de travail ou un contrat de service. Dans une telle optique, il y aura forcément absence de lien de droit entre l’un des demandeurs et la défenderesse.

LE DROIT

[60]         Les articles 2085 et 2086 du Code civil prévoient :

2085.  Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2086.  Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

[61]         Par ailleurs, s’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée, les articles 2091 et 2094 du Code civil établissent comme suit la façon d’y mettre fin :

2091.  Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.

2094.  Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.

[62]         Les principales dispositions qui s’appliquent au contrat de service se retrouvent aux articles 2098 , 2099 , 2125 et 2129 du Code civil qui énoncent :

2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

2125.  Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.

2129.  Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.

L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.

Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir.

Sommes-nous en présence d’un contrat de travail ou d’un contrat de service ?

[63]         Les auteurs Luc Deshaies et Josée Gervais [1] écrivent ce qui suit concernant ces deux contrats :

La définition du contrat de travail est en effet prévue par l’article 2085 du Code civil du Québec . Suivant cette définition, les trois principales composantes du contrat de travail sont les suivantes :

1)     La rémunération;

2)     L’exécution du travail;

3)     Le lien de subordination, c’est-à-dire l’assujettissement du salarié à la direction ou au contrôle de son employeur.

À l’opposé, le contrat de service, lequel est défini à l’article 2098 du Code civil du Québec , est constitué pour sa part de deux éléments principaux :

1)    La réalisation d’un ouvrage ou d’un service;

2)    Le prix.

Ainsi, en vertu du Code civil du Québec , la distinction principale entre le contrat de travail et le contrat d’entreprise demeure l’existence, ou non, d’un lien de subordination entre le donneur d’ouvrage et le prestataire. L’article 299 C.c.Q. prévoit en effet que «le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution».

Le lien de subordination pourra généralement être établi si l’employeur a la faculté de déterminer le travail à exécuter, s’il peut encadrer cette exécution et la contrôler. Il doit exister un lien d’autorité exercé de manière concrète par l’employeur sur l’employé. L’existence d’un lien de subordination est en somme une question de faits et reposera sur différents éléments, notamment la présence obligatoire à un lieu de travail, l’affectation régulière du travail, l’imposition de règles de conduite ou de comportement, le contrôle de la qualité, de la prestation, etc.

En règle générale, en vertu d’un contrat de travail, une personne est employés en tant que partie d’une entreprise et son travail fait partie intégrante de l’entreprise, alors que selon un contrat d’entreprise ou de service, son travail, bien qu’il soit fait pour l’entreprise, n’y est pas intégré : il est plutôt accessoire. […]

[Références omises]

[64]         Bélanger se référant à ces auteurs et à partir de la situation factuelle, prétend que le contrat le liant à L’Ami Junior Nissan est un contrat de travail à durée déterminée alors que pour ce dernier, il s’agit d’un contrat de service.

[65]         L’Ami Junior Nissan précise que Bélanger, en demandant que ses services soient payés à H.T. Bélanger, une compagnie dont il est l’actionnaire unique, a fait en sorte que son contrat ne soit pas un contrat de travail, mais un de service.

[66]         L’essentiel de la preuve que nous retenons à ce sujet, démontre que les négociations entre L’Ami Junior Nissan et Bélanger ont été fort courtes sans qu’il soit question, au départ, de H.T. Bélanger.

[67]         Ce n’est qu’après la conclusion d’une entente verbale avec L’Ami Junior Nissan que Bélanger a demandé que le paiement soit fait à H.T. Bélanger, ce qui était probablement fiscalement avantageux pour lui.

[68]         L’état des renseignements d’une personne morale au Registre des entreprises (D-16) nous apprend qu’il s’agit d’une compagnie constituée le 26 juillet 2010 dont l’activité consiste en des «bureaux de conseillers en gestion» et de façon plus précise «gestion, consultation». Ce document permet aussi de constater que le nom est «Gestion H.T. Bélanger inc.» alors que la codemanderesse, dans sa requête introductive d’instance, est identifiée comme étant «H.T. Bélanger inc.».

[69]         Stéphane Asselin, le directeur général de L’Ami Junior Nissan, a pu à un moment considérer que Bélanger était à l’emploi de cette entreprise. Il écrit dans une lettre qu’il a préparée selon ses dires à l’intention d’une institution financière à la demande de Bélanger et remise à ce dernier, ce qui suit :

L’Ami Junior Nissan

Objet : Confirmation d’emploi

Madame, Monsieur,

La présente est pour confirmer que Monsieur Benoît Bélanger sera à notre emploi le 13 février 2012.

Monsieur Bélanger agira à titre de directeur des ventes et a une rémunération sous forme de commission pour un revenu annuel entre 80 000$ et 115 000$ et sa semaine de travail est de 40 heures.

Nous espérons le tout conforme. Si des renseignements supplémentaires vous étaient nécessaires, n’hésitez pas à me contacter.

 

Stéphane Asselin

Directeur général

[70]         Toutefois, c’est H.T. Bélanger et ce, alors que Bélanger avait en sa possession la lettre de Stéphane Asselin et devait forcément en connaître la teneur, qui a transmis à L’Ami Junior Nissan, le 15 février 2012, un premier compte d’honoraires pour un montant total de 8 178 $ incluant la TPS et TVQ (D-3). Ce compte ci-après reproduit nous apprend :

[71]         Un compte d’honoraires du même montant a été transmis à L’Ami Junior Nissan le 15 mars 2012. Ce compte est aussi pour un montant de 8 177,02 $ et indique, comme sur le premier «Gestion, Formation, Consultation».

[72]         L’Ami Junior a émis en faveur de H.T. Bélanger, le 15 mars 2012, un chèque au montant de 8 178 $, lequel est ci-après reproduit et le 14 mars 2012, un deuxième chèque du même montant (produits en liasse comme pièce D-4) :

[73]         Le tribunal est d’avis, si le paiement avait été fait à Bélanger, qu’il y aurait eu un lien de subordination faisant en sorte qu’il s’agirait d’un contrat de travail le liant à L’Ami Junior Nissan. Il faudrait dans un tel cas décider s’il s’agit d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée.

[74]         En effet, concernant le lien de subordination, Bélanger doit se conformer à un horaire de travail, à une période de temps pour ses repas. Il relevait de Stéphane Asselin, le directeur général. Il avait des comptes à rendre à ce dernier. Il avait aussi un adjoint, Francis Ouellet.

[75]         L’Ami Junior Nissan lui fournissait une automobile pour les fins de son travail ainsi qu’un bureau et des équipements appropriés.

[76]         Ceci étant dit, le tribunal doit se demander si cela est suffisant, dans le présent cas, pour lever le voile corporatif avec les conséquences que cela entraîne.

[77]         Bélanger, à l’appui de ses prétentions concernant la nature du contrat, a cité un arrêt de la Cour d’appel rendu le 13 août 2013 [2] . La Cour paraît avoir modifié sa façon de voir les choses concernant la subordination et la qualification du contrat qu’elle soit imposée par l’employeur ou encore le statut fiscal décidé librement par le salarié.

[78]         La Cour retient une conception plus large de la subordination et cite à ce sujet au paragraphe 53 les auteurs Roux, Villagi, Morin et Brière [3]  :

[53]         Les auteurs Roux, Villagi, Morin et Brière écrivent, au sujet d'une conception plus large de la subordination :

Bien évidemment, il n’est nullement nécessaire ni même pertinent que le dépositaire de l’autorité patronale dispose d’une ascendance équivalente sur le plan professionnel ou technique .  […]  Cette autorité peut être partagée, déléguée et même, son titulaire peut refuser de l’exerce r .  En somme, les tribunaux ont progressivement considéré cette réalité, en délaissant quelque peu la conception   «  classique » - la surveillance et le contrôle immédiat quant à la manière d’exécuter le travail - au profit d’une acception   «  large » ou   «  réaliste » de la   subordination , en vertu de laquelle l’employeur détermine principalement le   cadre d’exécution du travail .  Le contrôle existe bel et bien , mais il porte davantage sur les   conditions   et la   qualité   de son exécution :  respect de normes relatives au temps, au lieu, au moyen et à la qualité d’exécution, objectifs et standards de l’entreprise, etc.  L’ intégration   du travailleur dans l’entreprise, la soumission à l’autorité hiérarchique et la participation à sa fructification caractérisent ainsi cette subordination .  Cette conception   «  réaliste » de la   subordination   a ainsi permis d’inclure dans la sphère du contrat de travail les emplois professionnels, les cadres intermédiaires, voire supérieurs , ou encore, le contrat ou la relation qui n’avait d’entreprise que le qualificatif retenu par les parties ou l’apparence.  D’ailleurs, la qualification du contrat , qu’ elle soit volontairement choisie par les parties ou imposée unilatéralement par l’employeur, ou encore le statut fiscal décidé librement par le salarié, n’est pas déterminante lorsque la s ituation factuelle confirme la présence de ces trois éléments.  […]

[Soulignement ajouté] [Références omises]

[79]         La Cour semble, à première vue, avoir une approche différente par rapport aux décisions qu’elle avait rendues antérieurement mais une lecture attentive de cet arrêt démontre que tel n’est pas le cas.

[80]         Dans ce dossier de nature fiscale, la Cour n’avait pas à décider s’il y avait lieu de lever le voile corporatif mais de déterminer si une personne physique était liée par un contrat de salarié ou par un contrat de service.

[81]         Pour ce faire, elle devait, à partir d’une analyse de la preuve, décider si un dénommé Darveau était un travailleur autonome ou un salarié. L’Agence du revenu du Québec, intimée dans le dossier en appel, estimait qu’il était un salarié des appelantes.

[82]         L’Ami Junior Nissan, à l’appui de ses prétentions à l’effet qu’il s’agit d’un contrat de service, a cité les auteurs A. Edward Aust et Thomas Laporte Aust ainsi que plusieurs décisions de nos tribunaux, principalement de la Cour d’appel.

[83]         Il est intéressant de lire ce que les auteurs Aust écrivent dans leur volume intitulé «Le contrat d’emploi» sous le tire «Le salarié peut-il être constitué en société par actions ?» [4]  :

2.      Le salarié peut-il être constitué en société par actions?

         En principe, seule une personne physique peut être un salarié. À cet égard, les dispositions d’ordre public du Code civil du Québec relatives au contrat d’emploi ne concernent qu’une personne physique. La question qui se pose alors est la suivante : une personne qui se constitue en société peut-elle continuer de bénéficier du statut et des protections prévues pour un salarié en vertu d’un contrat de travail? Dans la négative et sous réserve d’une preuve détaillée, les relations existantes entre les parties à un contrat pourraient commander un avis de résiliation raisonnable.

         Il y a plusieurs motifs pour lesquels un employeur ou un salarié préfère que ce dernier soit constitué en société par actions. Dans le cas de l’employeur, c’est souvent pour minimiser ses obligations en vertu des lois du travail qui protègent ou accordent des bénéfices à un individu qui a le statut de salarié. De plus, un employeur est tenu de déduire de l’impôt à la source et de le remettre aux deux paliers de gouvernement. En règle générale, le statut d’employé vient avec un certain lot de documents et de formulaires à remplir et à administrer.

         La décision pour un salarié de se constituer en société peut être prise dans le but d’obtenir un avantage fiscal, notamment de lui permettre de déduire certaines dépenses reliées aux montants reçus en paiement pour ses services.

         En principe, lorsqu’un salarié se constitue en société, l’employeur établit une relation avec la personne morale et non pas avec l’individu qui a formé cette dernière. Il n’y a donc plus de relation employeur-salarié. Cependant, les tribunaux possèdent une marge de manœuvre dans l’application de ce principe.

         La constitution en société ne mène donc pas automatiquement à la conclusion qu’il n’y a pas de relation employeur-salarié. Ce sont plutôt les circonstances de la constitution en société, ses caractéristiques (nombre d’employés, clients, etc.) ainsi que la relation qu’entretient la compagnie avec le supposé employeur qui permettent de déterminer s’il y a ou non une relation employeur-salarié. Un exemple sera, si l’individu représente lui-même l’employeur et non pas la compagnie qu’il a constituée.

         Lorsque c’est le salarié lui-même, à sa propre initiative, qui constitue une société et modifie la relation avec son employeur, les tribunaux pourront refuser de lui reconnaître le statut de salarié et de lui accorder les mêmes protections que lorsqu’il était salarié. La Cour supérieure a souligné, dans Donaldson c. C.F.C.F. inc. , le fait que c’est le salarié lui-même qui avait choisi d’établir un lien de droit entre sa compagnie et son employeur. Il était alors impossible de reprocher à l’employeur d’avoir acquiescé à une telle demande. Le salarié ne pouvait être considéré à la fois comme un préposé de l’employeur et comme un préposé de sa compagnie .

         Dans Cohen c. Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. , la Cour supérieure a accordé un délai de congé en vertu des lois du travail, et ce, même si le salarié avait changé son contrat avec l’employeur pour devenir lié par un contrat de service. La Cour d’appel a renversé la décision de la Cour supérieure et a écrit sous la plume du juge Chamberland :

[38]   L’idée de transformer la relation employeur-salarié en relation client-prestataire de services, en constituant une société par actions pour percevoir les honoraires afférents aux services fournis, est celle de madame Cohen. C’est elle qui a jugé bon de créer une telle société pour profiter, comme elle en avait parfaitement le droit, des avantages fiscaux liés à ce type d’organisation. Elle ne peut aujourd’hui se soustraire aux inconvénients de ce choix. Elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux.

[39]   L’entente du 14 novembre 2002, n’a, à mon avis, et cela dit avec égards pour le juge de première instance, rien d’un contrat innommé comportant les attributs du contrat de travail (article 2085 C.c.Q.) et du mandat (article 2130 C.c.Q.).

[40]   Je ne vois pas en vertu de quelle règle de droit on pourrait conclure que le fait d’avoir préalablement offert des services personnellement, pour ensuite le faire par l’intermédiaire d’une société par actions constituée à cette fin, permettrait de transférer les attributs du contrat de travail (avantages et inconvénients) dans le contrat de service liant le client à la société prestataire de services .

[Références omises] [Soulignements ajoutés]

[84]         La Cour d’appel, dans un arrêt rendu le 31 mars 2009 [5] sous la plume du juge Gendreau, y fait une analyse intéressante de la notion de salarié :

[14]            La notion de salarié est l'objet de nombreuses et différentes définitions législatives. Le Code canadien du travail , par exemple, étend la définition d'employé pour inclure l'entrepreneur dépendant. De même, la Loi sur les normes du travail , à l'article 1, donne aussi du salarié une définition élargie qui rejoint sensiblement celle d'entrepreneur dépendant du Code canadien du travail.

[15]            En l'espèce, l'action est intentée en prenant appui sur le droit civil. C'est donc la notion de contrat de travail du Code civil qui s'applique. L'article 2085 le définit comme « celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur ». Ce qui constitue le trait distinctif du contrat de travail, et le distingue du contrat de service, est cette caractéristique suivant laquelle l'exécution du travail du salarié est subordonnée au contrôle et à la direction d'un employeur.

[16]            Le critère de subordination juridique se définit difficilement, mais ne doit surtout pas être confondu avec la dépendance économique. Le fait de n'être lié qu'à un seul client qui impose certains devoirs ou obligations au regard de standards de qualité de service, fixe le prix du produit ou dicte certaines normes de publicité, ne signifie pas pour autant et nécessairement qu'il y a subordination juridique. Inversement, la subordination juridique inclut une dépendance économique.

[17]            La notion de subordination juridique contient l'idée d'une dépendance hiérarchique, ce qui inclut le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution du travail et de sanctionner les manquements. La subordination ne sera pas la même et surtout ne s'exercera pas de la même façon selon le niveau hiérarchique de l'employé, l'étendue de ses compétences, la complexité et l'amplitude des tâches qui lui sont confiées, la nature du produit ou du service offert, le contexte dans lequel la fonction est exercée. L'examen de chaque situation reste individuel et l'analyse doit être faite dans une perspective globale.

[18]            J'aborderai maintenant une dernière question. Dicom, je le rappelle, plaide l'absence d'un lien de droit avec Claude Paiement au motif que celui-ci était l'employé de sa société par actions.

[19]            Un salarié, au sens du droit civil, peut-il être une société par actions? Aucune disposition du Code civil n'impose au salarié l'obligation d'un statut personnel. Toutefois, les contraintes juridiques auxquelles le code assujettit le salarié ne permettent pas une autre conclusion . La professeure Marie-France Bich (elle n'était pas encore à la Cour) l'explique bien. Elle écrit  :

Pas plus que le Code civil du Québec, le Code civil du Bas-Canada ne précise que le salarié est et doit, pour mériter ce nom, être une personne physique. La nature du contrat et le type de contrainte qui s'exerce sur le salarié empêchent cependant qu'il en soit autrement. Les dispositions législatives relatives au décès du salarié (articles 1668 C.c.B.-C et 2093 C.c.Q. et à celui de l'employeur, tout comme l'interdiction des engagements à durée illimitée (articles 1667 C.c.B.-C. et 2085 C.c.Q.) sont d'ailleurs peu compatibles avec une autre hypothèse. Et même l'article 2097 C.c.Q., qui prescrit le maintien des contrats de travail en cas d'aliénation d'entreprise, n'a de sens véritable que si l'on a voulu protéger la personne humaine contre les vicissitudes d'un marché auquel elle ne participe pas.

[20]            Ainsi, en principe, le salarié n'est pas ou ne peut pas être une société par actions. La Cour a cependant reconnu que « dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, on peut faire abstraction de la personnalité morale pour établir une relation employeur-employé ». Ces situations particulières sont illustrées dans différents arrêts. Ainsi, le juge Beauregard dans Services financiers FBN inc. c. Chaumont a constaté que la société de Chaumont « n'était qu'un paravent et une boîte aux lettres ». Au contraire, dans Technologies industrielles S.N.C. inc. c. Mayer , la Cour refuse de mettre de côté le statut de société au motif que la formation de la personne morale était, dans cette affaire, justifiée par des raisons personnelles du salarié et dans son propre intérêt. De même dans Dazé c. Messageries dynamiques , la Cour a retenu le fait, d'une part, que la constitution de la société était la décision de son actionnaire et, d'autre part, que celle-ci embauchait elle-même ses propres salariés pour exécuter le travail, pour refuser à Dazé le statut de salarié qu'il réclamait.

[21]            De la jurisprudence de la Cour, je retiens qu'un tribunal peut « faire abstraction du voile corporatif » pour reprendre l'expression du juge Forget dans Wright si la constitution en société est un subterfuge, un « paravent » comme le dit le juge Beauregard dans Services financiers , imposé par un employeur pour se décharger et échapper aux obligations que la loi lui impose à l'endroit de la personne soumise à sa subordination juridique.

[Références omises] [Soulignement ajouté]

[85]         La Cour d’appel, dans un arrêt plus récent du 22 mars 2012 [6] , réitère en quelque sorte cette approche. Le juge Jacques Chamberland y écrit ce qui suit sous le titre « La qualification juridique de la relation contractuelle » :

[34]         La question est importante.   En effet, s'agissant d'un contrat de travail à durée indéterminée, l'indemnisation serait basée sur les règles gouvernant le délai de congé raisonnable que les parties à un tel contrat doivent se donner lorsqu'elles souhaitent y mettre fin (article 2091 C.c.Q. ).   S'agissant plutôt d'un contrat de service, l'indemnisation serait subordonnée aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.

[35]         L'entente du 14 novembre 2002 ne peut définitivement pas être qualifiée de contrat de travail au sens de l'article 2085 C.c.Q. puisque le prestataire de services est une personne morale, 4108647.   Le juge l'avait d'ailleurs noté, « (…) assuredly the contract cannot be one of employment if a company furnishes the service, (…)  » (paragr. 64).

[36]         Il peut arriver que, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, on fasse abstraction de la personnalité morale de la société, par exemple lorsque l'existence de celle-ci n'est qu'un subterfuge ou un paravent imposé par un employeur pour échapper aux obligations que la loi lui impose à l'égard de ses salariés.   Mais, tel n'est pas le cas ici.

[37]         À mon avis, l'entente du 14 novembre 2002 est, comme son titre l'indique, un contrat de service au sens de l'article 2098 C.c.Q. , le client étant SINC (puis CIA) et le prestataire de services, 4108647, comme dans les arrêts Dazé c. Messageries dynamiques , J.E. 90-678 (C.A.) et Dicom Express inc. c. Paiement , [2009] R.J.Q. 924 (C.A.),   2009 QCCA 611 .

[38]         L'idée de transformer la relation employeur-salarié en relation client-prestataire de services, en constituant une société par actions pour percevoir les honoraires afférents aux services fournis, est celle de madame Cohen.   C'est elle qui a jugé bon de créer une telle société pour profiter, comme elle en avait parfaitement le droit, des avantages fiscaux liés à ce type d'organisation.   Elle ne peut aujourd'hui se soustraire aux inconvénients de ce choix.   Elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux.

[86]         Le juge Rochon de la Cour d’appel, dans les motifs que l’on retrouve à un arrêt rendu en 2003 [7] , résume bien une situation de la nature de celle que nous retrouvons dans le présent dossier. Il y écrit ce qui suit aux paragraphes 18 et 19 :

[18]            On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre.

[19]            Celui qui, pour des raisons financières, fiscales ou légales, décide de son plein gré de constituer une société par actions, ne peut «lorsque la bise fut venue» troquer sa veste corporative pour le manteau du salarié et réclamer la protection que la loi n'accorde qu'à ces derniers.

[87]         En terminant, rien ne peut mieux illustrer la contrainte juridique dans le présent dossier que les bordereaux de chèques produits en liasse par L’Ami Junior Nissan (D-5).

[88]         Il s’agit de bordereaux des chèques émis par H. Grégoire (St-Eustache) à l’ordre de Gestion H.T. Bélanger inc. après le départ de Bélanger de L’Ami Junior Nissan et le 31 décembre 2012 qui est, selon lui, la date où prenait fin son entente avec cette dernière.

[89]         En définitive, en raison des contraintes juridiques incontournables et aussi de la jurisprudence claire sur le sujet, le tribunal ne peut lever le voile corporatif et accueillir la réclamation de Bélanger. Il n’y a aucun lien de droit entre Bélanger et L’Ami Junior Nissan.

H.T. BÉLANGER A-T-ELLE DROIT À UN PRÉAVIS DE RÉSILIATION ET À UNE QUELCONQUE INDEMNITÉ ?

[90]         Le tribunal, en arrivant à la conclusion qu’il est en présence d’un contrat de service, le prestataire de service, en l’occurrence H.T. Bélanger, n’a pas droit à un préavis de réalisation à défaut d’une entente préalable à ce sujet.

[91]         En effet, l’article 2125 du Code civil du Québec permettait à L’Ami Junior Nissan de résilier le contrat en tout temps et ce, même lorsque la prestation de service avait été entreprise, ce qui est le cas.

[92]         Certes, L’Ami Junior Nissan était tenue de payer à H.T. Bélanger la valeur des travaux exécutés, ce qui a été fait.

[93]         Il n’en demeure pas moins que dans une telle situation, L’Ami Junior Nissan était tenue, en vertu de la règle énoncée à l’article 2129 du Code civil du Québec, d’indemniser H.T. Bélanger de tout autre préjudice qu’elle aurait pu subir par suite de la résiliation du contrat.

[94]         Monsieur le juge Jacques Chamberland, dans l’arrêt Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. [8] précité, a analysé comme suit l’expression « tout autre préjudice » aux paragraphes 41, 42 et 43 de ses motifs :

[41]         Le client est alors cependant tenu de payer au prestataire de services la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat, ce qui a été fait ici.   Il est également tenu de tout autre préjudice que le prestataire de services a pu subir en raison de la résiliation du contrat (art. 2129 C.c.Q. ).

[42]         Les termes « autre préjudice » doivent être interprétés restrictivement de crainte de faire perdre tout son sens à la règle énoncée à l'article 2125 C.c.Q.

[43]         La perte des revenus que le contrat aurait générés s'il avait été mené à terme n'en fait pas partie.   Dans Pelouse Agrostis Turf Inc. c. Club de golf Balmoral , [2003] R.J.Q. 3043 , le juge Forget écrit :

[5]        Le client qui se prévaut de l'article 2125 C.c.Q. pour résilier un contrat d'entreprise ou de service sans invoquer un motif valable est tenu, aux termes de l'article 2129 C.c.Q., «de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir».  Ce préjudice inclut-il la perte de gains futurs, notamment le profit escompté sur le contrat résilié?

(…)

[31]      De plus, si on donne au mot «préjudice» le sens le plus étendu, il faudrait conclure que le premier paragraphe de l'article 2129 C.c.Q. est inutile.

(…)

[34]      Si le client doit payer pour la perte d'un profit éventuel, il est difficile de voir quel avantage lui est conféré par l'article 2125 C.c.Q.

(…)

[36]      Il ne faut pas perdre de vue que le client, dans le cas d'une résiliation unilatérale, exerce un droit strict que lui confère l'article 2125.  Il est inconcevable de penser qu'il doit être placé dans la même situation que celui qui commet une faute contractuelle en invoquant un motif non fondé.

[95]         Dans le présent dossier, en l’absence d’une entente entre les parties prévoyant un préavis en cas de résiliation et de préjudice admissible, le tribunal ne peut rien accorder à H.T. Bélanger, suivant en cela l’enseignement de la Cour d’appel du Québec.

LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE L’AMI JUNIOR NISSAN

[96]         L’Ami Junior Nissan recherche une condamnation solidaire de H.T. Bélanger et de Bélanger pour un montant total de 45 555,80 $.

[97]         Cette somme comporte un montant de 35 625 $ pour la perte de bonis qui lui auraient été versés par Nissan, perte qu’elle attribue au comportement des demandeurs.

[98]         L’Ami Junior Nissan n’a fait aucune preuve concernant cette perte de bonis. Ceci étant dit, cette réclamation est mal fondée en droit à sa face même et n’aurait pu en aucune façon être accueillie.

[99]         L’Ami Junior Nissan réclame aussi la somme de 8 152,80 $ qu’elle affirme avoir versé en trop à H.T. Bélanger et Bélanger ainsi qu’une somme de 1 178 $ pour la semaine du 26 au 30 mars 2012 alors qu’elle avait mis fin au contrat de H.T. Bélanger.

[100]      L’Ami Junior Nissan, relativement à la somme de 8 152,80 $, a, par l’intermédiaire de ses témoins Asselin et Tremblay, a affirmé que H.T. Bélanger était rémunérée à partir de commissions et que cette somme était une avance sur commissions qui n’a pas été gagnée.

[101]      Le tribunal, sur cette question, après avoir examiné les chèques émis par L’Ami Junior Nissan à l’ordre de H.T. Bélanger, constate qu’il n’est aucunement question d’avances sur commissions.

[102]      La prudence la plus élémentaire aurait exigé qu’il y ait, à tout le moins, une mention à ce sujet sur ces chèques.

[103]      L’Ami Junior Nissan invoque en quelque sorte une erreur à ce sujet. Il s’agit d’une erreur qui ne peut être considérée en raison de l’expérience de cette entreprise et de la façon dont elle aurait dû procéder du moins si l’on se base sur les témoignages de Stéphane Asselin et de Jean-Bernard Tremblay.

[104]      Par ailleurs, le tribunal n’accueille pas la réclamation de 1 178 $ que L’Ami Junior Nissan prétend avoir versée pour la semaine du 26 au 30 mars alors qu’elle avait mis fin au contrat de H.T. Bélanger.

[105]      Ce n’est qu’après avoir reçu une mise en demeure des procureurs de H.T. Bélanger et de Bélanger, qu’il s’est décidé à réclamer cette somme.

[106]      Le tribunal considère, eu égard aux faits du présent dossier, qu’il n’y a pas lieu d’accueillir cette réclamation de sorte que la demande reconventionnelle de L’Ami Junior Nissan est rejetée.

LES FRAIS JUDICIAIRES

[107]      Le tribunal n’accueillant pas la requête introductive d’instance de H.T. Bélanger et de Bélanger et rejetant la demande reconventionnelle de L’Ami Junior Nissan est d’avis de rejeter les procédures sans frais eu égard à l’ensemble des circonstances.

[108]      POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[109]      REJETTE la requête introductive d’instance de Benoît Bélanger et de H.T. Bélanger inc., sans frais;

[110]      REJETTE la demande reconventionnelle de 9254-9328 Québec inc. (L’Ami Junior Nissan), sans frais.

 

 

__________________________________

J. CLAUDE LAROUCHE, J.C.S.

 

Me Éric Le Bel

Fradette Gagnon Têtu Le Bel

Procureurs des demandeurs

 

Me Sylvain Trudel

Beauvais Truchon

Procureur de la défenderesse

 

Dates d’audience :

26, 27, 28 février, 1 er et 2 mai 2014

 

 


 

AUTORITÉS CITÉES PAR LES DEMANDEURS

 

1.          Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2085 à 2099;

 

2.          Luc DESHAIES et Josée GERVAIS, Contrat de travail ou contrat de service : où se situe l’«autonomie» du travailleur autonome ? , Développements récents en droit du travail, volume 348, Barreau du Québec, Montréal, 2012;

 

3.          Marsh Canada ltée c. Crevier , 2006 QCCA 484 ;

 

4.          Ruel c. Charlesbourg Automobiles ltée , 2003 CanLII 41978 (QCCS);

 

5.          Bermex international inc. c. Agence du revenu du Québec , 2013 QCCA 1379 ;

 

6.          Lesage c. Lama Transports et manutention ltée , 2003 CanLII 13656 (QC CS);

 

7.          Merlitti c. Excel Cargo inc., 2002 CanLII 41011 (QCCS);

 

8.          Dupras c. Centre de service C. Gagnon , 2008 QCCQ 4786 ;

 

9.          Aksich c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931 ;

 

10.       Gravel c. Poulies Maska inc. , AZ-50347164 (C.S.).

 

 

 


 

AUTORITÉS CITÉES PAR LA DÉFENDERESSE

 

 

11.       Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2125 à 2129;

 

12.       Les Technologies industrielles S.N.C. inc. c. Mayer , 1999 CanLII 13867 (QCCA);

 

13.       Dicom express inc. c. Paiement , 2009 QCCA 611 ;

 

14.       Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 4108647 Canada , 2012 QCCA 535 ;

 

15.       A. Edward Aust - Thomas Laporte Aust, « Le contrat d’emploi » , 3 e éd., Éditions Yvon Blais, 2013, p. 226 à 229;

 

16.       Code civil du Québec, art. 2094;

 

17.       Loi sur les normes du travail, L.R.Q. c. N-1.1, art. 82 et 82.1;

 

18.       Hill c. Iperceptions inc. , 2011 QCCS 2692 ;

 

19.       Trudel c. Semican international inc. , 2006 QCCS 6288 ;

 

20.       St-Pierre c. Les Industries Fil métallique major ltée, AZ-98022008 (C.S.), 23 septembre 1998;

 

21.       Girard c. Cuyvers, AZ-50108503 (C.Q.), 14 décembre 2001;

 

22.       Marcotte c. La maison Lacouline inc. , AZ-00021267 (C.S.), 1 er février 2000;

 

23.       Légaré c. G.E. Leblanc inc., AZ-50224892 (C.S.), 7 juin 2004;

 

24.       Leblanc c. 9079-2714 Québec inc. , AZ-50347383 (C.Q.), 13 décembre 2005;

 

25.       Soiffer c. Duocom Canada inc ., 2007 QCCQ 80 ;

 

26.       Ouldibnmogdad c . Les Industries Spectra°Premium inc., AZ-50194674 (C.Q.), 26 septembre 2003.

 

 


 

JURISPRUDENCE ADDITIONNELLE CONSULTÉE PAR LE TRIBUNAL

 

 

1.         Gordon Donaldson c. C.F.C.F. inc. , AZ-84021345 (C.S.), 20 juin 1984;

 

2.         Services financiers FBN c. Chaumont , 2003, CanLII 24474 (QC CA);

 

3.         Claude Paiement c. Dicom Express inc. , 2007 QCCS 3532 ;

 

 



[1]     Luc DESHAIES et Josée GERVAIS, Contrat de travail ou contrat de service : où se situe l’«autonomie» du travail autonome ? , Développements récents en droit du travail, volume 348, Barreau du Québec, Montréal, 2012.

[2]     Bermex International inc. c. Agence du revenu du Québec , 2013 QCCA 1379

[3]     Bermex International inc. c. Agence du revenu du Québec , 2013 QCCA 1379 .

[4]     A. Edward Aust et Thomas Laporte Aust, Le Contrat d’emploi , 3 e éd., Éditions Yvon Blais, 2013, p. 226 à 229.

[5]     Dicom Express inc. c. Paiement , 2009 QCCA 611 , par. 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 et 21.

[6]     Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 4108647 Canada inc., 2012 QCCA 535 , par. 34 à 38.

[7]     Services financiers FBN c. Chaumont , 2003 CanLII 24474 (QCCA).

[8]     Op. cit. supra note 6, par. 41, 42 et 43.