Motifs de décision

Louise Gladu,

plaignante,

et

Autobus Idéal inc.,

intimée.

Dossier du Conseil : 29672-C

Référence neutre : 2014 CCRI 718

17 mars 2014

 

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de M e Claude Roy, Vice-président, et de M. Daniel Charbonneau et M e Robert Monette, Membres. Le Conseil a tenu une téléconférence préparatoire le 8 avril 2013 et une audience a eu lieu à Montréal les 9 et 10 mai 2013.

Ont comparu

 

M e Daniel Charest, pour M me Louise Gladu;

M e Étienne Morin, pour Autobus Idéal inc.

 

Les présents motifs de décision ont été rédigés par M e Claude Roy, Vice-président.

 

 

I. Nature de la plainte

Il s’agit d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée le 23 octobre 2012 en vertu du paragraphe 97 (1) du Code canadien du travail (Partie I - Relations du travail) (le Code ) par M me  Louise Gladu (la plaignante) alléguant violation de l’alinéa 94 (3) a ) du Code , concernant un congédiement pour activités syndicales par Autobus Idéal inc. (Idéal ou l’employeur).

II. Contexte

A. Historique de l’accréditation et de la plainte

[1] L’employeur est une entreprise qui effectue du transport scolaire et parascolaire ainsi que du transport nolisé. Il existe deux unités de négociation chez cet employeur :

-          une unité regroupant les employés affectés au transport scolaire pour l’école Peter-Hall. Cette unité est représentée par l’Association des employés EBM (l’Association);

-          une unité regroupant tous les employés d’Idéal à son établissement situé au 7801, avenue Marco-Polo à Montréal, « à l’exclusion de ceux déjà représentés par une autre association accréditée et à l’exclusion des employés de bureau et de garage. » Cette unité est représentée par le Syndicat des travailleuses et travailleurs des Autobus Idéal - CSN (la CSN ou le syndicat).

[2] L’Association et la CSN ont été accréditées par la Commission des relations du travail du Québec (la CRT) le 23 juillet 2009 et le 11 mai 2011, respectivement.

[3] Le 20 juin 2011, la plaignante a déposé auprès de la CRT une plainte en vertu du Code du travail du Québec (le Code du travail ). La plaignante allègue qu’elle a été congédiée illégalement, qu’elle a fait l’objet de mesures discriminatoires ou de représailles et qu’elle a fait l’objet d’autres sanctions, à cause de l’exercice d’un droit conféré par le Code du travail .

[4] Toutefois, dans le contexte d’une demande d’accréditation présentée par l’Association le 28 décembre 2011 en vertu de l’article 24.1 du Code , le Conseil a conclu que les activités de l’employeur relevaient de la compétence fédérale. Par conséquent, le Conseil a rendu l’ordonnance d’accréditation n o 10263-U visant l’unité des employés affectés au transport scolaire pour l’école Peter-Hall. Les motifs de cette décision sont exposés dans Autobus Idéal inc ., 2012 CCRI 642 .

[5] À la suite de cette décision du Conseil, la CSN a présenté une demande en vertu du paragraphe 44 (3) du Code visant à constater le changement de compétence applicable à l’unité de négociation qu’elle représente et à transférer ainsi au niveau fédéral son accréditation provinciale rendue le 11 mai 2011.

[6] Le 10 octobre 2012, le Conseil a constaté le transfert de compétence au niveau fédéral et a rendu l’ordonnance d’accréditation n o 10316-U accréditant la CSN à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation suivante :

tous les employés d’Autobus Idéal inc., à l’exclusion des employés de bureau et de garage et de ceux déjà représentés par une autre association accréditée pour son établissement situé au 7801, Marco-Polo, Montréal (Québec).

[7] Dans cette ordonnance, le Conseil a ordonné que toutes les procédures engagées dans le cadre des lois de la province de Québec et qui étaient en instance devant la CRT ou devant un arbitre deviennent des procédures engagées sous le régime de la partie I du Code avec les adaptations nécessaires.

[8] Par conséquent, le 23 octobre 2012, les procureurs de la plaignante ont demandé au Conseil d’ouvrir un dossier de plainte en vertu du paragraphe 94 (3) du Code , afin que la plainte déposée auprès de la CRT le 20 juin 2011 devienne une procédure engagée sous le régime de la partie I du Code devant le Conseil.

B. Le congédiement de la plaignante

[9] La plaignante a travaillé chez Idéal du 15 août 2010 au 15 juin 2011 à titre de chauffeur d’autobus. Au moment de son congédiement, la plaignante était affectée à un circuit de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) (le circuit n o 55) pour conduire des autobus scolaires. Les parties ont admis qu’entre le 7 décembre 2010 et le 7 juin 2011, la plaignante a remis 133 avis disciplinaires aux passagers du circuit n o 55, dont 31 avis visant l’absence de cartes d’embarquement.

[10] Le 7 juin 2011, la plaignante a refusé l’embarquement d’un élève dans l’autobus scolaire. L’élève et son frère se sont rendus à leur domicile, mais n’ont pas pu être accueillis par leurs parents, ceux-ci n’étant pas présents à ce moment-là. Une voisine du domicile a communiqué avec les parents pour leur mentionner que les enfants étaient seuls sur le balcon de leur domicile. Ces faits proviennent d’un document signé par les procureurs respectifs des parties le 9 mai 2013 afin d’éviter le témoignage des jeunes enfants impliqués dans l’événement.

[11] La plaignante a immédiatement été suspendue.

[12] Le 8 juin 2011, M. Sylvain Senécal, régisseur du transport scolaire à la CSDM, a transmis une lettre à M. Pierre Deschênes, président d’Idéal, dans laquelle il faisait état de l’incident du 7 juin 2011 et demandait le retrait définitif de la plaignante de l’ensemble des circuits de la CSDM.

[13] M. Paul Breton, directeur des opérations chez Idéal, M. Deschênes, et M me  Julie Roy-Meilleur, directrice des ressources humaines chez Idéal, ont rencontré la plaignante la même journée. Ils ont décidé de maintenir la suspension de la plaignante.

[14] Le 15 juin 2011, M. Breton et M me Nancy Trudeau, directrice générale et coactionnaire d’Idéal, ont rencontré la plaignante pour procéder à son congédiement. La lettre de congédiement, signée par M. Deschênes et M me Trudeau, dit ceci :

Objet: Terminaison de votre lien d’emploi au sein d’Autobus Idéal inc.

Madame Louise Gladu,

Nous faisons suite à la rencontre que nous avons eue avec vous le 8 juin 2011 de même qu’à l’analyse du dossier que nous avons effectuée.

Le 7 juin 2011, vous avez refusé d’embarquer un élève …, au motif que celui-ci n’avait pas sa carte d’embarquement.

Vous connaissiez très bien cet élève, l’ayant voyagé à de nombreuses reprises depuis le début de l’année scolaire. Cet élève était d’ailleurs accompagné de son frère plus vieux que vous avez embarqué dans l’autobus.

… est un élève de deuxième année primaire. Le refus d’embarquement a fait en sorte que celui-ci a dû retourner à son domicile, auquel ses parents n’étaient pas présents lors de l’événement. Heureusement que son frère plus vieux l’a accompagné et qu’un voisin a accueilli [l’élève], car celui-ci se serait trouvé seul à son domicile à son âge.

Par ailleurs, vous n’avez aucunement essayé d’appeler la répartition pour aviser de la situation, et ce, tel que vous l’avez avoué lors de notre rencontre, et contrairement à ce que vous deviez faire. Vous avez même confirmé que vous aviez effectué une telle chose à au moins quatre reprises. Or, vous saviez ou deviez savoir que l’avis à la répartition est important dans un tel cas.

Également, vous avez avoué avoir reçu le code d’éthique et que celui-ci était présent dans votre véhicule au moment des évènements. Or, vous n’êtes pas sans savoir que ce code d’éthique prévoit notamment ceci :

[…]

XXVI. S’assurer que le transport des élèves soit fait de manière sécuritaire et s’assurer de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’un passager;

[...]

XXIX. Être responsable de la sécurité de passagers en exerçant sur eux une surveillance constante et efficace.

AUTOBUS IDÉAL S’ASSURE QUE LE CHAUFFEUR NE FAIT PAS LES ACTIONS SUIVANTES :

[…]

VI. Refuser ou expulser une personne de sa propre initiative.

La faute que vous avez commise le 7 juin 2011 constitue une faute grave qui violait le code d’éthique et vos responsabilités en tant que chauffeur d’autobus pour notre entreprise. Cette faute entraîne le bris irrémédiable du lien de confiance que nous devons avoir envers vous et justifie votre congédiement immédiat.

Votre dossier est donc fermé et votre nom est rayé de notre liste d’employés. Nous sommes tout simplement chanceux que rien ne soit arrivé à [l’élève], qui aurait pu entraîner notre responsabilité civile et la vôtre. Cependant, nous ne pouvons plus continuer avec vous parmi nos employés et nous n’avons plus aucune confiance en vous.

 

[15] La plainte alléguant violation de l’alinéa 94 (3) a ) du Code et sa présentation constituant une preuve de cette violation en vertu du paragraphe 98 (4) du Code , il incombait alors à l’employeur de prouver que cette plainte était mal fondée.

III. La preuve

A. La preuve de l’employeur

[16] L’employeur a appelé quatre personnes à témoigner : M. Senécal, M me Trudeau, ainsi que MM. Breton et Deschênes.

1. M. Sylvain Senécal - Régisseur du transport scolaire à la CSDM

[17]  M. Senécal explique que la CSDM a signé avec Idéal 23 contrats de transport scolaire le 21 octobre 2008, chacun des contrats se rapportant à un circuit et à l’usage d’un autobus scolaire. Il fait référence à certaines dispositions du contrat de transport scolaire pour les années 2008-2009 à 2011-2012 liant la CSDM et Idéal (le contrat de transport).

[18] L’article 19 de la Section VII de ce contrat relative à la conduite précise que :

19. L’ENTREPRISE DE TRANSPORT et tout conducteur ou toute conductrice à son emploi ne peuvent refuser, de leur propre chef, le transport d’une personne désignée par LA COMMISSION à qui il appartient seule de statuer sur un tel cas. Pour des raisons de sécurité, L’ENTREPRISE DE TRANSPORT ou le conducteur ou la conductrice peut toutefois refuser le transport à une personne après s’être assuré que celle-ci puisse retourner à son point d’origine ou être prise en charge par une personne responsable. L’ENTREPRISE DE TRANSPORT doit aussitôt faire rapport à LA COMMISSION.

 

[19] L’article 21.1 de la Section VIII du contrat relative aux plaintes précise que :

21.1 La COMMISSION SCOLAIRE peut également exiger de L’ENTREPRISE DE TRANSPORT d’exclure un conducteur de tout contact avec les élèves transportés si une enquête interne démontre qu’il a commis une faute grave portant atteinte à l’intégrité ou la sécurité d’un élève.

[20] Ce contrat contient en annexe « C » le code d’éthique du conducteur dont l’un des paragraphes mentionne :

• Le conducteur ne peut en aucun moment suspendre un enfant de son propre chef. Le droit de suspendre un élève relève conjointement de la direction de l’école, du bureau du transport et de la compagnie de transport.

 

[21] En décembre 2010, la CSDM a produit un « Cahier de bord de l’entreprise de transport - Consignes et directives » (le cahier de bord) qu’elle a remis à chaque entreprise pour chacun de leurs chauffeurs. Il a été imprimé en format de poche avec une présentation conviviale pour en faciliter la consultation. Ce cahier de bord permet à la CSDM de s’assurer que l’ensemble des transporteurs offre un service uniforme. Ce document est mis à jour annuellement et il était en vigueur au moment de l’événement impliquant la plaignante.

[22] En ce qui concerne les cartes d’embarquement, le cahier de bord précise ce qui suit  :

1) Les cartes d’embarquement

Tous les élèves inscrits au service du transport scolaire ont une carte d’embarquement et doivent la présenter à chacun de leur embarquement. Le conducteur doit faire la vérification pour s’assurer que chaque enfant soit dans le bon véhicule.

Si un enfant oubli sa carte d’embarquement, le conducteur peut laisser embarquer l’élève, mais doit lui transmettre un avis disciplinaire. Après quelques avis, la Commission suspendra le service.

 

[23] En ce qui a trait au traitement des avis disciplinaires, le cahier de bord indique ceci :

6) Avis disciplinaire - traitement

Nous vous demandons de nous transmettre les avis disciplinaires que vos conducteurs ont émis dans les 2 jours suivant leur émission. De cette façon, nous pouvons agir avec célérité et gérer rapidement des problématiques à l’intérieur des autobus.

Tous les avis disciplinaires doivent être remplis correctement par les conducteurs et doivent être signés tant par le conducteur que par la direction de l’école. Par la suite, le conducteur doit en remettre une copie à la direction de l’école.

 

[24] Le matin du 7 juin 2011, la directrice de l’école en question a téléphoné à M. Senécal pour lui mentionner qu’un enfant avait été laissé sur le bord de la rue par la plaignante. M. Senécal a communiqué avec M. Breton. Lorsqu’une faute est commise, une enquête est ouverte et, comme il n’avait qu’une version des faits, il a demandé à M. Breton d’obtenir la version de la plaignante. M. Breton  l’a rappelé et a confirmé qu’il avait obtenu la version de la plaignante, qui a admis ne pas avoir embarqué l’enfant. Elle se serait rendue à l’école pour s’informer si l’enfant était en sécurité. Il s’agissait d’un enfant de sept ou huit ans en deuxième année du primaire.

[25] M. Senécal précise qu’un chauffeur ne doit jamais laisser un enfant sur le bord de la rue, qu’il doit émettre un avis disciplinaire et suivre la procédure prévue pour les cartes d’embarquement. Il précise qu’un enfant est légitimement en droit de prendre son transport scolaire et que seules la CSDM et l’école ont le pouvoir de suspendre le transport scolaire à un enfant. Il indique, en contre-interrogatoire, qu’après trois avis disciplinaires, un enfant peut se voir imposer une journée de suspension de transport.

[26] De plus, M. Senécal indique que laisser un enfant seul dans le secteur en question aurait pu avoir des conséquences catastrophiques. La CSDM a jugé que la sécurité de l’enfant a été menacée. L’enfant était à plus de trois kilomètres de l’école. En contre-interrogatoire, il précise que le circuit n o 55 est un circuit en milieu défavorisé, mais qu’il n’est pas plus difficile qu’un autre.

[27] Pour ces raisons, le 8 juin 2011, M. Senécal a transmis une lettre au président d’Idéal exigeant le retrait définitif de la plaignante de l’ensemble des circuits de la CSDM.

[28] M. Senécal mentionne que la CSDM aurait pu émettre un avis de pénalité à Idéal en vertu du contrat de transport, mais comme l’employeur a agi promptement en retirant la plaignante le 8 juin 2011 de l’ensemble de ses circuits, elle a décidé de ne pas émettre un tel avis.

[29] En contre-interrogatoire, M. Senécal indique qu’en décembre 2011, la CSDM a eu affaire à un autre cas avec une chauffeuse de l’employeur. Elle aurait laissé un enfant de quatre ou cinq ans à un mauvais arrêt. La mère de l’enfant était à un arrêt plus loin, et s’est empressée d’aller rejoindre son enfant.

2. M me Nancy Trudeau - Directrice générale et coactionnaire d’Idéal

[30] L’employeur a fait entendre M me Trudeau, d’Idéal.

[31] Celle-ci explique qu’à son embauche le 15 août 2010, la plaignante a été affectée à une autre cliente de l’employeur, soit l’école Peter-Hall, pour du transport adapté effectué par  minibus pour une clientèle handicapée. La plaignante faisait alors partie de l’unité de négociation détenue par l’Association. Au début du mois de décembre 2010, elle a été affectée au circuit n 55 de la CSDM.

[32] M me Trudeau mentionne que la CSN a déposé le 17 avril 2011 une requête en accréditation auprès de la CRT. L’employeur s’étant entendu avec le syndicat sur l’unité de négociation, une ordonnance d’accréditation a été rendue le 11 mai 2011, tel qu’il a été mentionné précédemment. Des négociations ont eu lieu avec le syndicat à partir de septembre 2011 et une convention collective a été signée en décembre 2012 - laquelle est en vigueur jusqu’au 20 juin 2016 - et ce, sans moyens de pression.

[33] M me Trudeau explique également le système des cartes d’embarquement que doivent détenir les enfants et aussi le système des avis disciplinaires. Ces cartes d’embarquement remises par la CSDM permettent au chauffeur de vérifier si l’enfant a le droit de voyager et s’il prend le bon véhicule. Les avis disciplinaires sont remplis par le chauffeur en trois copies et doivent être signés par la direction de l’école où va l’enfant, laquelle en conserve une copie. Une autre copie est remise au répartiteur de l’employeur, qui achemine cet avis par télécopieur ou par courriel à la CSDM. La dernière copie est conservée par le chauffeur.

[34] Elle confirme les propos de M. Senécal indiquant qu’un chauffeur ne peut pas refuser d’embarquer un enfant parce qu’il n’a pas sa carte d’embarquement, tel qu’il est indiqué dans le cahier de bord préparé par la CSDM. Elle précise que l’employeur a remis le cahier de bord à chacun de ses chauffeurs en décembre 2010, bien qu’elle n’ait pas été personnellement témoin de la remise de ce document à la plaignante.

[35] M me Trudeau indique que la plaignante a signé un accusé de réception du code d’éthique des chauffeurs d’Idéal le 24 août 2010, lorsqu’elle a commencé le transport sur le circuit de l’école Peter-Hall et qu’elle a signé un autre accusé de réception de ce même document, le 3 décembre 2010, lorsqu’elle a été affectée au circuit n o 55 de la CSDM.

[36] Ce code d’éthique du chauffeur précise entre autres ceci :

LE CHAUFFEUR DOIT :

XX. Vérifier les cartes d’accès de chacun des enfants quotidiennement. Veuillez aviser le bureau si l’enfant n’a pas sa carte d’accès;

AUTOBUS IDÉAL S’ASSURE QUE LE CHAUFFEUR NE FAIT PAS LES ACTIONS SUIVANTES :

VI. Refuser ou expulser une personne de sa propre initiative.

 

[37] M me Trudeau explique le processus suivi par l’employeur avant le congédiement de la plaignante. Elle a été interrogée sur le résumé du dossier de la plaignante concernant le processus ayant mené à son congédiement. Le document en question contient, entre autres, le résumé intégral de la rencontre du 8 juin 2011 avec la plaignante, M. Deschênes, M. Breton et M me Roy-Meilleur, lequel résumé a été préparé par la directrice des ressources humaines. Le procureur de la plaignante s’est opposé  à ce que M me Trudeau témoigne sur cette rencontre, car elle n’y avait pas participé. Le Conseil a décidé de faire droit à cette objection du procureur de la plaignante, car M me Trudeau n’était pas présente à cette rencontre et elle n’avait pas préparé le résumé en question. Elle ne pouvait donc pas être interrogée sur cette partie du document.

[38] Toutefois, M me Trudeau avait rédigé le résumé de la rencontre du 15 juin 2011, car elle y était présente avec la plaignante et M. Breton, et c’est elle qui avait procédé au congédiement de la plaignante. Par conséquent, elle pouvait témoigner sur cette partie du document.

[39] M me Trudeau explique que la décision de congédier la plaignante a été prise avec l’équipe de direction, mais que c’est elle-même et M. Deschênes qui ont pris la décision finale. M me  Trudeau reconnaît que c’était la première fois qu’un tel reproche était adressé à la plaignante.

[40] Selon M me Trudeau, le congédiement était la seule alternative possible, car la plaignante avait posé un geste grave; elle avait mis en danger la sécurité d’un jeune enfant, elle avait nui à l’image de l’employeur face à l’école et face à la CSDM, et l’employeur ne lui faisait plus confiance. Il s’agissait pour elle de la première fois qu’elle avait à sévir à l’égard d’une telle faute. En contre-interrogatoire, M me Trudeau admet que l’employeur n’a pas offert d’autres postes à la plaignante parce que toute l’intégrité de l’entreprise était en cause par son geste, tant auprès des parents, de l’école, que de la CSDM. M me Trudeau explique qu’elle ne faisait plus confiance à la plaignante et qu’elle ferait de même pour tout autre employé dans un cas semblable.

[41] M me Trudeau précise qu’elle ne savait pas du tout que la plaignante avait participé à l’organisation du syndicat.

[42] Le procureur de la plaignante a déposé en preuve une liste de sanctions pour manquements au travail (liste des sanctions) qui prévoit, selon lui, une suspension d’un jour pour le type de manquement dont il est question dans la présente plainte. À cet égard, M me Trudeau explique que la liste en question n’avait jamais été mise en vigueur et que, par ailleurs, elle ne traitait pas de la situation de la plaignante.

[43] Il s’agissait d’une liste que M me Trudeau avait préparée avec M me Roy-Meilleur pour présentation au comité des employés dont la plaignante faisait partie. Ce comité était en place avant l’accréditation de la CSN. Les résumés des différentes rencontres de ce comité démontrent qu’il restait du travail à faire sur cette liste. Lors de la réunion du comité du 8 décembre 2010, la liste des sanctions a été remise aux membres en leur demandant de la faire circuler aux autres chauffeurs, afin d’obtenir leurs commentaires au plus tard le 15 janvier 2011. Toutefois, lors de la dernière rencontre de ce comité, le 30 mai 2011, il a été décidé de cesser les activités du comité, compte tenu de la demande d’accréditation. M me Trudeau précise que la plaignante était  présente à toutes les rencontres de ce comité.

[44] En contre-interrogatoire, M me Trudeau explique n’avoir jamais utilisé la liste des sanctions, mais toujours le code d’éthique de l’entreprise.

[45] Contre-interrogé sur un autre cas survenu chez l’employeur, le témoin explique qu’il s’agissait d’une erreur involontaire de la part de la chauffeuse de l’autobus scolaire. Elle avait laissé un enfant au mauvais arrêt, mais la mère, qui était à l’arrêt suivant, a vu débarquer son enfant et l’a rejoint immédiatement. De plus, il se pouvait que l’enfant se soit glissé entre  d’autres enfants. Cette chauffeuse avait un parcours sans faute en 14 ans de service.

[46] En ce qui concerne une autre demande de retrait d’un chauffeur, faite par Hydro-Québec, il s’agissait d’une plainte de harcèlement de la part d’un passager. Le chauffeur a été en arrêt de travail pour cause de maladie et a reçu des prestations de la Commission de la Santé et la Sécurité du travail. L’employeur l’a réaffecté à un circuit de l’école Peter-Hall le 29 août 2011 pour un incident qui s’était produit le 9 août 2011. M me Trudeau précise que le chauffeur en question occupait une fonction syndicale.

3. M. Paul Breton - Directeur des opérations chez Idéal

[47] L’employeur a également fait témoigner M. Breton, qui a participé à la fois à la rencontre du 8 juin 2011 et à la rencontre de congédiement du 15 juin 2011.

[48] M. Breton explique comment la plaignante a obtenu son poste sur le circuit n o 55 de la CSDM et précise les exigences en matière de sécurité de cette cliente. Il explique qu’un enfant qui n’a pas sa carte d’embarquement doit être accepté par le chauffeur, qui doit alors rédiger un avis disciplinaire. Seule la CSDM peut prendre la décision de refuser l’embarquement d’un enfant. M. Breton indique qu’il a personnellement remis à la plaignante une copie du cahier de bord de la CSDM en format de poche. En contre-interrogatoire, il précise que personne n’a signé d’accusé de réception du cahier de bord.

[49] M. Breton a reçu un appel téléphonique de M. Senécal, qui lui a rapporté l’incident du 7 juin 2011, et lui a demandé d’obtenir la version de la plaignante. M. Breton a parlé avec la plaignante en fin de journée et l’a convoquée à une rencontre avec la direction le 8 juin 2011. M. Deschênes et M me Roy-Meilleur ont participé avec lui à cette rencontre avec la plaignante, sans représentant syndical.

[50] Lors de la rencontre du 8 juin 2011, la plaignante a expliqué les raisons pour lesquelles elle  avait refusé l’embarquement de l’enfant et a mentionné qu’elle s’était fiée à la liste des sanctions qui avait été présentée au comité des employés. Elle a également expliqué que, dès son arrivée à l’école, elle a demandé à l’adjointe administrative d’appeler les parents pour s’assurer de la sécurité de l’enfant. Elle n’a pas appelé M. Breton pour voir si elle pouvait refuser l’embarquement de l’élève.

[51] M. Breton reconnaît le résumé des faits de cette rencontre, préparé par la directrice des ressources humaines. La décision a été prise de suspendre la plaignante jusqu’à ce que la direction prenne une décision.

[52] M. Breton explique également les circonstances de la rencontre avec la plaignante le 15 juin 2011, au cours de laquelle elle a été avisée de son congédiement. Il reconnaît que le résumé des faits de cette rencontre, préparé par M me Trudeau, est conforme à ce qui s’est réellement passé. La décision de congédier la plaignante a été prise en fonction de la demande de la cliente, la CSDM, du geste très grave qui a été posé et de la courte durée d’embauche de celle-ci. M. Breton indique que l’employeur n’avait plus confiance en la plaignante.

[53] En contre-interrogatoire, M. Breton reconnaît que la plaignante a émis, pendant son emploi, 133 avis disciplinaires et qu’il en a discuté avec elle au moins une bonne vingtaine de fois. Toutefois, il ne se souvient pas que la plaignante lui ait fait part qu’elle avait des problèmes avec les absences de carte d’embarquement ni qu’elle lui ait mentionné qu’elle ne ferait plus embarquer les enfants qui n’avaient pas leurs cartes. Il a été informé pour la première fois au mois de juin 2011 d’un incident impliquant la plaignante concernant un refus d’embarquement. Selon lui, la directive a toujours été la même chez Idéal : ils embarquent toujours les enfants. M. Breton a confirmé qu’il s’agissait de la première sanction imposée à la plaignante.

 

4. M. Pierre Deschênes - Président d’Idéal

[54] L’employeur a fait entendre comme dernier témoin son président, M. Deschênes. Il décrit  l’organisation d’Idéal et la négociation de la convention collective qui a été conclue en décembre 2012, en vigueur jusqu’au 20 juin 2016, et, ce sans moyens de pression. Il fait état des exigences très élevées de la CSDM en matière de sécurité et indique que cette dernière est la seule à imposer un système de cartes d’embarquement. Il explique aussi la procédure des avis disciplinaires et le processus suivi par les responsables des décisions à prendre lorsqu’un enfant n’a pas sa carte. Il confirme que M. Breton a remis aux chauffeurs le cahier de bord de la CSDM, mais qu’il n’a toutefois pas été témoin de la remise de ce document.

[55] M. Deschênes explique tout le processus suivi auquel il a participé, y compris la rencontre du 8 juin 2011 avec la plaignante dont les faits ont déjà été relatés par M. Breton. Il précise en plus que chaque chauffeur a une radiomobile pour communiquer au besoin avec le répartiteur. Or, la plaignante ne s’en est pas servie avant de prendre sa décision de refuser l’accès à l’enfant le 7 juin 2011.

[56] M. Deschênes ne se souvient pas si la plaignante a participé à l’organisation du syndicat, mais indique que la question de la syndicalisation n’a aucunement été considérée dans la prise de la décision. Il n’a pas participé à la rencontre tenue le 15 juin 2011 pour annoncer le congédiement de la plaignante, mais il a signé la lettre de congédiement après avoir pris la décision de la congédier avec l’équipe patronale. Il n’a pas parlé avec M. Senécal de la CSDM lorsqu’il a pris connaissance de la lettre du 8 juin 2011.

[57] M. Deschênes a décidé de congédier la plaignante parce qu’elle avait posé un geste volontaire soit celui de laisser un enfant sur le trottoir sans la présence d’un parent, geste qui aurait pu avoir des conséquences graves. Il estime qu’elle a commis une faute grave qui entache la réputation du transport scolaire. Selon le témoin, cela fait 24 ans qu’il oeuvre dans le transport scolaire et c’était la première fois qu’il voyait un chauffeur poser le geste volontaire de laisser un enfant sur le bord de la rue. Il trouve le geste aberrant et il n’a plus aucune confiance en la plaignante.

[58] M. Deschênes a approuvé le code d’éthique d’Idéal, préparé par M me  Trudeau et M me  Roy-Meilleur, avant la remise de ce code aux employés. Il confirme que la liste des sanctions à laquelle la plaignante fait référence n’a pas été mise en vigueur.

[59] En contre-interrogatoire, M. Deschênes confirme avoir été présent à la dernière réunion du comité des employés le 30 mai 2011 et confirme le résumé qui en a été fait où il est question de la continuité du comité des employés étant donné « le syndicat qui s’installe » .

[60] MM. Deschênes et Breton reconnaissent avoir convoqué les employés visés par la nouvelle demande d’accréditation déposée auprès de la CRT en avril 2011, à une réunion dans un autobus au début du mois de mai 2011. M. Deschênes reconnaît leur avoir indiqué sa déception face à la demande d’accréditation. Il reconnaît que ce n’était pas un geste approprié et il dit : « je n’ai pas compris, c’est tout ». Selon lui, il se voyait dos au mur, c’était l’inconnu à l’époque. Maintenant, il sait ce qu’il en est. L’employeur a deux syndicats accrédités et cela fonctionne bien. M. Deschênes trouve même cela agréable alors qu’auparavant, le comité des employés fonctionnait plus ou moins bien vu le peu d’intérêt des employés et la division entre eux.

[61] Il confirme en terminant que la plaignante faisait déjà partie du comité des employés affectés à l’école Peter-Hall avant qu’un circuit de la CSDM ne lui soit assigné. À sa connaissance, au moment de son congédiement, la plaignante n’occupait aucune fonction syndicale.

B. La preuve de la plaignante

1. M me Louise Gladu - La plaignante

[62] Dans son témoignage, la plaignante explique avoir assisté, avec sept ou huit personnes le 28 mars 2011, à une réunion où un permanent de la CSN était présent. Une autre réunion a eu lieu le 4 avril 2011 où d’autres chauffeurs assistaient et où il y a eu signature de cartes d’adhésion. Elle mentionne avoir participé au recrutement des membres et à leur signature de cartes.

[63] Après l’ordonnance d’accréditation rendue le 11 mai 2011, elle a agi comme scrutateur à l’élection du bureau de direction du syndicat.

[64] Toutefois, en contre-interrogatoire, la plaignante confirme ne pas avoir fait signer de carte d’adhésion syndicale, ne pas avoir soumis sa candidature, ni avoir été élue à un poste du bureau de direction syndicale. Elle confirme de plus que M me Trudeau lui a offert le circuit d’autobus n o  55, mais qu’il ne lui a pas été imposé.

[65] La plaignante explique également comment elle est devenue membre du comité des employés. Une invitation a été affichée sur le babillard pour les gens intéressés à faire partie de ce comité. Comme elle était chauffeuse en septembre 2010 sur le circuit de l’école Peter-Hall, M me Trudeau lui a dit qu’elle représenterait cette section. Une première rencontre a été fixée au 7 septembre 2010, mais reportée au 16 septembre 2010. La plaignante confirme la remise par l’employeur d’une liste de sanctions lors de cette réunion. Elle confirme également que le résumé de la rencontre du 8 décembre 2010 fait référence à cette liste et indique que les chauffeurs devaient la valider pour le 15 janvier 2011.

[66] La plaignante mentionne que M. Breton a téléphoné sur le circuit interne aux chauffeurs pour qu’ils reviennent aux locaux de l’entreprise pour une rencontre avec M. Deschênes au mois de mai 2011. Ils se sont rendus dans le stationnement, et lorsqu’ils ont voulu entrer dans l’immeuble, on leur a indiqué que la rencontre avait lieu dans un autobus. Il y avait entre 12 et 15 chauffeurs présents. M. Deschênes a été le seul à prendre la parole. Il a indiqué que, pour lui, l’accréditation était comme un coup de couteau qu’il aurait reçu. Maintenant, il n’y aurait plus de passe-droit, aurait-il dit. Il a montré un contrat aux chauffeurs présents en disant qu’il ne pouvait donner plus. Cette rencontre a duré de 20 à 25 minutes et tous ont quitté à la fin sans rien ajouter.

[67] La plaignante mentionne que M. Deschênes a rencontré les chauffeurs de nouveau le 30 mai 2011. Il y avait beaucoup plus de chauffeurs qu’à la réunion précédente dans l’autobus. Elle a trouvé cela suspect. M. Deschênes n’était pas content et il avait un ton agressif. Un « lavage de linge sale » a eu lieu selon ses dires, car il y avait des pour et des contre le syndicat. Elle a quitté avant la fin de la réunion et a appelé son conjoint pour qu’il vienne la chercher. En partant, elle aurait indiqué au président du syndicat qu’elle ne reviendrait pas participer à une prochaine réunion du comité des employés. Elle n’a jamais été informée par l’entreprise qu’il n’y aurait plus de comité des employés, car elle a été suspendue le 7 juin 2011.

[68] La plaignante explique, par la suite, ses débuts comme chauffeur sur le circuit d’autobus n o  55 et ses difficultés. M. Breton lui a remis la première journée sa feuille de route où l’on retrouve les arrêts à effectuer et la liste des élèves. Elle a constaté la première journée qu’aucun enfant n’avait de carte d’embarquement. Certains d’entre eux ne savaient même pas de quoi elle parlait. Elle a demandé à l’école si les cartes étaient obligatoires. Elle mentionne de plus que la seule instruction reçue de M. Breton à ce sujet était de vérifier les cartes d’embarquement.

[69] La première journée, elle aurait demandé à M. Breton s’il lui en voulait de lui avoir donné ce circuit. Il lui aurait répondu : « qu’on savait que tu étais capable. Donne des avis et soit constante dans tes avis. Lâche pas ». Deux semaines avant Noël, on lui aurait assigné un brigadier scolaire pour l’aider.

[70] La plaignante mentionne qu’après les fêtes de 2010, tout fonctionnait bien sur son circuit. Toutefois, après les congés de Pâques en 2011, il y a eu un surplus d’enfants se présentant sans carte d’embarquement. Elle aurait avisé M. Breton qu’elle ne ferait pas monter les prochains qui n’auraient pas de carte. C’est parfait, lui aurait-il répondu. M. Breton ne lui a jamais dit de ne pas laisser un enfant sur le trottoir. Elle dit qu’elle n’aurait jamais laissé un enfant sans cela. Il lui répondait d’être constante, que c’était correct. D’ailleurs, elle mentionne que M. Breton ne l’a jamais renvoyée au code d’éthique. La plaignante mentionne également qu’elle n’a jamais reçu le cahier de bord préparé par la CSDM, qu’elle n’a jamais vu le format de poche et qu’elle l’a vu pour la première fois à l’audience du 9 mai 2013.

[71] En contre-interrogatoire, la plaignante reconnaît sa signature sur un accusé de réception du code d’éthique du chauffeur de l’entreprise. Elle reconnaît l’avoir lu et bien compris. Le procureur de l’employeur lui montre également la règle n o XX du code d’éthique du chauffeur qui mentionne : « Vérifier les cartes d’accès de chacun des enfants quotidiennement. Veuillez aviser le bureau si l’enfant n’a pas sa carte d’accès », et lui demande pourquoi avoir senti le besoin de demander à l’école s’il était obligatoire d’avoir une carte d’embarquement, ce à quoi elle n’a pas répondu.

[72] La plaignante renvoie aux avis disciplinaires qu’elle a émis entre le 13 décembre 2010 et le 22 mars 2011 concernant l’absence de cartes d’embarquement. Elle dit qu’elle aurait fait un refus d’embarquement le 14 avril 2011 et que l’enfant serait allé chercher sa carte chez lui. À la fin de la journée, elle l’aurait mentionné à M. Breton en lui remettant l’avis de discipline qu’elle avait préparé à cet effet. La plaignante indique que M. Breton ne lui a donné aucune consigne si ce n’est de lui dire « c’est parfait, soit constante ».

[73] En contre-preuve, le procureur de l’employeur voulait connaître la réaction de M. Breton à cet égard. Le procureur de la plaignante s’est opposé à cette question. Toutefois, le Conseil est d’avis que cette objection devait être rejetée parce qu’il s’agit d’un fait soulevé dans la preuve de la plaignante et sur lequel le témoin ne pouvait être interrogé en preuve principale. M. Breton a déclaré n’avoir jamais entendu les propos de la plaignante.

[74] La plaignante mentionne que le 27 mai 2011, elle n’aurait pas fait monter le frère aîné de l’enfant visé par le refus du 7 juin 2011 et qu’il serait allé à pied à l’école. À la fin de la journée, tous les enfants avaient leurs cartes.

[75] Concernant l’événement du 7 juin 2011, elle précise que le frère aîné de l’enfant qu’elle a laissé sur le trottoir est aussitôt sorti de l’autobus voyant que son petit frère n’embarquait pas. Entre cet arrêt et l’école, il s’est écoulé environ 25 minutes. Rendue à l’école, elle a demandé à l’adjointe administrative d’appeler les parents. Elle était contente de savoir que les enfants étaient avec leur mère. Elle a complété son circuit d’autobus pendant l’après-midi.

[76] La plaignante a rencontré M. Breton vers 17 h 15. Il lui a demandé de ne pas se présenter pour conduire son autobus le lendemain matin parce qu’il avait reçu une plainte de la CSDM. Elle lui a remis copie de l’avis disciplinaire qu’elle a émis pendant la journée du 7 juin 2011. Le 8 juin 2011, elle a rencontré M. Deschênes, M me Roy-Meilleur et M. Breton. Elle a donné sa version des faits. Elle confirme qu’elle a déjà refusé l’embarquement à des enfants et qu’elle a fait cela pour suivre la liste des sanctions. Selon elle, il fallait qu’elle soit correcte, qu’elle soit constante.

[77] C’était la première fois qu’elle ne faisait pas monter l’enfant en question le 7 juin 2011, bien qu’elle ait émis des avis disciplinaires auparavant à cet élève pour ne pas avoir sa carte d’embarquement. Elle confirme ne pas avoir fait embarquer des enfants à quatre occasions sur environ trente avis disciplinaires, pour défaut d’avoir leur carte d’embarquement. Elle reconnaît n’avoir jamais été sanctionnée par l’employeur pour avoir laissé monter dans l’autobus un enfant qui n’avait pas sa carte. À la question de savoir pourquoi ne pas avoir écrit « Refus d’embarquement » sur les avis disciplinaires lorsque ces événements se sont produits, elle a répondu que M. Breton ne lui avait jamais dit de l’écrire sur les avis disciplinaires. Selon la plaignante, elle avait la permission de le faire.

[78] Le 15 juin 2011, elle a reçu sa lettre de congédiement et elle a déposé sa plainte de congédiement pour activités syndicales le 20 juin 2011 auprès de la CRT.

2. M me Chantale Mercier - Ancienne employée d’Idéal

[79] Comme deuxième témoin, la plaignante a fait entendre M me Chantale Mercier, qui a travaillé comme chauffeur d’autobus chez l’employeur pour les circuits de l’école Peter-Hall de février 2009 jusqu’à sa démission le 4 décembre 2012.

[80] Au début du mois d’avril 2011, dans le bureau de la répartition, M me Mercier était à côté de la plaignante alors que celle-ci remettait des avis disciplinaires à M. Breton. La plaignante aurait dit à M. Breton qu’elle avait avisé les enfants qu’elle ne les embarquerait plus s’ils n’avaient pas leur carte d’embarquement. Il lui aurait dit d’être constante.

[81] Elle a témoigné au sujet de la rencontre tenue au début du mois de mai 2011 dans un autobus au cours de laquelle M. Deschênes a tenu des propos concernant la mobilisation syndicale. En contre-interrogatoire, elle mentionne qu’elle était présidente du bureau de direction du syndicat de l’unité de négociation de l’école Peter-Hall et c’est pourquoi elle était présente dans l’autobus lorsque M. Deschênes a rencontré les chauffeurs au mois de mai 2011.

[82] Toutefois, en contre-preuve, MM. Deschênes et Breton et M me Trudeau ont soutenu que M me  Mercier n’était pas convoquée, ni n’était présente, à cette réunion. Quoi qu’il en soit, le Conseil est d’avis que les témoignages de M. Deschênes et de la plaignante sont suffisants pour constater les propos tenus lors de cette rencontre.

IV. Position des parties

A. Position de l’employeur

[83] Ayant le fardeau de la preuve, le procureur de l’employeur a présenté en premier la position de l’employeur à l’audience. Il a rappelé les principes dégagés par le Conseil dans l’interprétation de l’alinéa 94(3) a ) et des paragraphes 97 (1) et 98 (4) du Code, tel que le Conseil exposera brièvement ci-après.

[84] Il soutient en premier lieu avoir démontré qu’aucun sentiment antisyndical n’était sous-jacent à la décision de l’employeur de congédier la plaignante. Elle a commis une faute grave et a contrevenu aux procédures claires, tant de celles de la CSDM que de l’entreprise, et qu’elle a posé un geste irresponsable. Les motifs de congédiement sont clairement exposés dans la lettre de congédiement du 15 juin 2011. Le procureur soutient que l’employeur n’avait pas le choix, à la suite de la demande de M. Senécal du 8 juin 2011, de retirer la plaignante de tous les circuits  de la CSDM. Pour l’employeur, il s’agit de la première fois qu’une telle situation se produit.

[85] L’employeur allègue qu’il n’est pas intervenu dans le processus d’accréditation entre le dépôt de la demande le 17 avril 2011 et l’accréditation le 11 mai 2011. Les négociations de la première convention collective se sont bien déroulées, et ce, sans moyens de pression. Aucune preuve ne démontre un sentiment antisyndical chez l’employeur, ni ne démontre qu’il était informé d’activités syndicales de la part de la plaignante. D’ailleurs, jamais un tel facteur n’a été considéré, car il n’était pas au courant que la plaignante ait joué quelque rôle que ce soit au niveau syndical. La plaignante n’a d’ailleurs pas démontré l’exercice de quelque droit syndical que ce soit.

B. Position de la plaignante

[86] Le procureur de la plaignante renvoie également à des décisions du Conseil traitant du renversement du fardeau de la preuve et de l’analyse que doit faire le Conseil de la preuve. Il soutient que l’employeur doit se présenter devant le Conseil, non seulement avec « les mains propres », mais également qu’il doit être « à l’abri de tout soupçon ». Il soutient que l’employeur doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que sa décision n’était pas entachée d’un sentiment antisyndical. Il soutient que le Conseil peut prendre en considération toutes les circonstances du congédiement sans rechercher une preuve directe de l’existence d’un sentiment antisyndical. En ce qui concerne la plaignante, le Conseil peut conclure à un tel sentiment en s’appuyant sur les événements qui sont survenus dans la période entourant le congédiement.

[87] Le procureur de la plaignante soutient qu’il a mis en preuve l’activité syndicale de la plaignante et que le Conseil doit analyser les témoignages et leur crédibilité afin d’en établir leur force probante. Il mentionne que M. Senécal de la CSDM ignorait les difficultés du circuit n o 55 et ne savait même pas le nombre d’avis disciplinaires que la plaignante avait émis de décembre 2010 jusqu’à sa suspension le 8 juin 2011. Il allègue que tous les témoignages de l’employeur semblent banaliser le nombre d’infractions, alors que la plaignante en a informé M. Breton à chaque fois qu’elle émettait de tels avis.

[88] Il soutient que le Conseil ne peut tenir compte du document qui résume le dossier de la plaignante. Il indique qu’il s’agit d’un document préparé après le dépôt de la plainte et est non concomitant aux événements, car il fait mention du paiement en date du 1 er août 2011 des trois derniers jours travaillés.

[89] Le procureur de la plaignante soutient que le Conseil doit retenir le témoignage de la plaignante par rapport à celui de M. Breton en ce qui concerne le fait qu’elle l’a avisé à au moins quatre reprises qu’elle avait refusé l’embarquement d’enfants et qu’il ne lui aurait donné aucune instruction spécifique. La plaignante soutient qu’elle suivait les instructions de M. Breton. Le procureur de la plaignante allègue que le Conseil doit évaluer la crédibilité et la force probante du témoignage de M. Breton, qui a été contredit par la plaignante et par M me Mercier. En ce qui concerne la remise du cahier de bord de la CSDM, le témoignage de M. Breton est contredit par la plaignante qui soutient n’en avoir jamais reçu d’exemplaire en format de poche.

[90] Le procureur de la plaignante soutient que l’employeur a traité différemment les deux cas survenus après celui de la plaignante, où des postes ont été offerts aux contrevenants. Il ne reste donc, selon lui, que l’activité syndicale concomitante à l’accréditation pour justifier le congédiement de la plaignante, et la convocation des chauffeurs dans l’autobus au début du mois de mai 2011 démontre ce sentiment antisyndical.

V. Analyse et décision

[91] Le Conseil a décidé de rejeter la plainte pour les motifs exposés ci-après.

[92] Le sous-alinéa 94(3) a) i) du Code se lit comme suit :

94.(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

 

(i)                    elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant - ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir - , ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat.

[93] Le paragraphe 98 (4) du Code prévoit que la présentation même d’une plainte en vertu du paragraphe 94(3) constitue une preuve de la violation :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[94]  Le fardeau de la preuve est donc renversé et il incombe à l’employeur de démontrer qu’il n’a pas contrevenu au paragraphe 94 (3) du Code.

[95] Il n’est pas nécessaire d’analyser et de rappeler les nombreuses affaires dans lesquelles le Conseil a examiné des plaintes en vertu du paragraphe 94(3) et décrit le renversement du fardeau de la preuve. Par conséquent, il suffit de faire référence à quelques décisions du Conseil pour comprendre les grandes lignes relativement à l’application et à l’interprétation des paragraphes 94 (3) et 98 (4) du Code .

[96] Relativement au renversement du fardeau de la preuve, le Conseil a réitéré, dans A.G. Transport ltée, 2008 CCRI 406 , qu’il incombe à l’employeur d’établir que la plainte en vertu du paragraphe 94(3) n’est pas fondée. Dans cette affaire, le Conseil a accueilli la plainte alléguant que l’employeur avait congédié le plaignant, qui jouait un rôle clé comme syndicaliste militant, en violation du paragraphe 94(3). L’employeur n’a pas réussi à démontrer que les activités syndicales du plaignant n’avaient aucune incidence sur la décision de le congédier. Le Conseil s’est exprimé ainsi au sujet du fardeau de la preuve de l’employeur qui doit démontrer l’absence de sentiment antisyndical :

[11] Cette disposition du Code a été modifiée en 1978 afin d’indiquer expressément que le plaignant n’est pas tenu d’établir une preuve suffisante à première vue, car la plainte est réputée constituer la preuve que l’employeur a contrevenu au paragraphe 94 (3) du Code . Autrement dit, le paragraphe 98 (4) du Code établit une présomption en faveur du plaignant que les faits et gestes de l’employeur étaient entachés d’un sentiment antisyndical. Depuis cette modification, le simple fait de présenter une plainte écrite alléguant que l’employeur a contrevenu à une partie des dispositions du paragraphe 94 (3) du Code suffit à inverser la charge de la preuve et à imposer à l’employeur le fardeau de démontrer que l’allégation à son égard n’est pas fondée. L’effet de la modification de 1978 est analysé brièvement dans Rapide Transport Inc. (1986), 64 di 135 (CCRT n o 561) :

Une telle présomption, surtout depuis l’amendement du Code en 1978, a clairement un effet double : le dépôt de la plainte « constitue une preuve de l’inobservation » du Code et le « fardeau de la preuve » (de son observation) « incombe à [la partie adverse] ». Autrement dit, si l’employeur ne devait ultimement offrir aucune preuve, la simple plainte écrite déposée conformément au Code et au Règlement emportera conviction, et la plainte sera maintenue.

(page 139)

[12] Ainsi, si l’employeur ne s’acquitte pas du fardeau de la preuve, la plainte faisant état d’une violation du paragraphe 94 (3) du Code sera accueillie. Afin de déterminer si l’employeur s’est acquitté du fardeau de la preuve, le Conseil appréciera toute la preuve dont il dispose (voir Rigaud Transport Inc. (1986), 68 di 89 (CCRT n o 605)). L’employeur doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que son geste n’était entaché d’aucun sentiment antisyndical (voir Cablevision du Nord de Québec Inc. (1988), 73 di 173 (CCRT n o 681)).

 

 

[37] Le Conseil n’accepte pas le critère proposé par l’employeur pour statuer sur une plainte de violation du sous-alinéa 94(3) a) (i) du Code . Le critère n’est pas de savoir si « les activités syndicales constituent la seule explication raisonnable pour justifier le congédiement » (traduction). En réalité, pour réfuter la présomption en faveur du plaignant qui est imposée par le paragraphe 98(4), l’employeur doit prouver que, selon la prépondérance des probabilités, sa décision n’était pas entachée d’un sentiment antisyndical. Un congédiement qui pourrait par ailleurs être justifié peut constituer une violation du sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code s’il existe le moindre indice que la décision de l’employeur est entachée d’un sentiment antisyndical.

 

 [38] Dans son examen des arguments avancés par l’employeur dans une plainte en vertu du sous-alinéa 94(3) a )(i), le Conseil n’agit pas comme un arbitre pour juger si l’employeur avait une cause juste pour congédier un employé (voir Pierre Fiset (1985), 55 di 233; et 85 CLLC 16,041 (CCRT n o 473)). Le Conseil prend en considération toutes les circonstances du congédiement sans rechercher une preuve directe de l’existence d’un sentiment antisyndical : le Conseil peut conclure à l’existence d’un tel sentiment en s’appuyant sur les événements qui sont survenus dans la période entourant le congédiement ( Emery Worldwide (1990), 79 di 150 (CCRT n o 775)).

 

(c’est nous qui soulignons)

 

[97] Selon la jurisprudence développée par le Conseil, l’employeur doit démontrer, par la prépondérance de la preuve, que sa décision d’imposer une mesure disciplinaire n’était pas motivée par un sentiment antisyndical. Le Conseil n’est pas tenu de trouver une preuve directe de l’existence d’un sentiment antisyndical et, dans plusieurs cas, il s’en est remis à des preuves circonstancielles, y compris la concomitance entre les activités syndicales et le geste qui fait l’objet de la plainte (voir A.G. Transport ltée , précitée; et Tousignant , 2001 CCRI 119). Le Conseil a récemment résumé les principes généraux de sa jurisprudence sur ce sujet dans Conseil des Innus de Pessamit, 2011 CCRI 565  :

[65] Il est important de se rappeler que chaque plainte est un cas d’espèce. Pour les plaintes alléguant l’existence d’un sentiment antisyndical, le Conseil examine généralement la conduite de l’employeur en tenant compte de la preuve circonstancielle, y compris la coïncidence entre le moment où les activités syndicales ont eu lieu et la décision ou les actes qui font l’objet de la plainte. Peu importe si les motifs pour lesquels un employeur congédie un employé sont justifiés; il commet une pratique déloyale de travail si la preuve d’un sentiment antisyndical est relevée.

 

[66] En vertu du paragraphe 98 (4) du Code, l’employeur a le fardeau de réfuter, selon la prépondérance de la preuve, les allégations donnant ouverture à la plainte, à savoir qu’il était au courant des activités syndicales du plaignant et qu’il en a notamment tenu compte dans sa décision de mettre fin à l’emploi du plaignant.

 

[98] Dans cette affaire, le Conseil était saisi d’une plainte déposée en vertu du paragraphe 94(3), par le syndicat au nom de quatre policiers au service de la Sécurité publique de Pessamit, dans laquelle il alléguait que l’employeur avait mis fin à l’emploi des quatre plaignants à la suite de la présentation d’une demande d’accréditation. Le Conseil a rejeté la plainte, car la preuve ne lui permettait pas de conclure que l’employeur était animé par un sentiment antisyndical lorsqu’il a pris sa décision finale de mettre fin à l’emploi des plaignants.

[99] Dans la décision Rousseau , 2007 CCRI 393, la majorité du Conseil a également rejeté une plainte alléguant violation du paragraphe 94 (3) du Code , car l’employeur s’était acquitté de son fardeau de la preuve. La majorité du Conseil était d’avis que le congédiement du plaignant n’était aucunement lié à ses activités syndicales et, par conséquent, la décision de l’employeur n’était pas motivée par un sentiment antisyndical. En effet, bien que le plaignant ait pu parler de syndicalisation avec ses collègues, il n’était pas sérieux. De plus, la preuve n’a pas démontré que l’employeur était au courant des intentions du plaignant au sujet de la syndicalisation ni des activités syndicales qu’aurait pu exercer le plaignant :

[112] Bien que le plaignant ait pu parler de syndicalisation avec ses collègues entre novembre 2005 et avril 2006, rien ne démontre le sérieux de la chose. Le plaignant a d’ailleurs précisé que les commentaires avaient été faits « à la blague ». Rien ne permet de conclure que les collègues de M. Rousseau aient pris la chose au sérieux au point où la direction du CN ait pu le remarquer ou en prendre connaissance. Ni M. Rousseau ni ses collègues n’ont précisé les dates auxquelles ces discussions avaient eu lieu, ni même que le plaignant avait l’intention de faire un suivi pour que le Conseil puisse conclure que l’employeur ait été au courant que le plaignant exerçait des activités syndicales.

[113] Bien que le plaignant ait pu avoir des intentions personnelles au regard de la syndicalisation de son groupe de travail et qu’il ait pu consulter des ressources externes à ce sujet, rien ne démontre que l’employeur ait été au courant de telles intentions au moment de décider de mettre fin à son emploi.

 

[100] Lorsque le Conseil est saisi d’une plainte alléguant violation du paragraphe 94 (3) du Code , il n’a pas à déterminer si l’employeur avait de bonnes raisons de congédier la plaignante. Le Conseil n’agit pas non plus comme un arbitre de grief. Dans l’affaire Transport Papineau Inc. (1990), 83 di 185 (CCRT n o 842), le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) a expliqué le rôle du Conseil de la manière suivante :

Lors de l’examen du bien-fondé d’une plainte de pratique déloyale, le Conseil doit être convaincu que l’employeur n’a pas agi en vue de limiter ou de brimer l’exercice légitime par les employés des droits conférés par le Code . Les gestes de l’employeur ne doivent pas être la conséquence d’un sentiment antisyndical, mais doivent être fondés sur un autre motif. Cela étant dit, il n’appartient toutefois pas au Conseil de déterminer si les motifs invoqués par l’employeur pour justifier la mesure imposée sont fondés, justes ou proportionnés à la gravité de l’infraction reprochée. La décision de juger de la proportionnalité de la sanction eu égard à l’infraction reprochée ne relève pas des pouvoirs du Conseil (voir Services Ménagers Roy Ltée (1981), 43 di 212 (CCRT n o 308); et Pierre Fiset (1985), 55 di 233; et 85 CLLC 16,041 (CCRT n o 473)).

Toutefois, le Conseil peut examiner la nature de la cause alléguée par l’employeur, non pas pour en vérifier la justesse ou décider de son bien-fondé compte tenu du contexte où elle est alléguée, mais pour déterminer si elle prend l’allure d’un prétexte. Une telle approche permet au Conseil de vérifier s’il s’agit du vrai motif de la sanction et non d’une excuse ni d’un faux-semblant qui cacherait un sentiment antisyndical.

(page 190; c’est nous qui soulignons)

[101] Dans la présente affaire, à la lumière de l’ensemble de la preuve, le Conseil doit vérifier si les motifs de congédiement de la plaignante, mentionnés dans la lettre du 15 juin 2011 de l’employeur, sont réels ou si ce sont des prétextes pour cacher un sentiment antisyndical. À cette fin, le Conseil doit déterminer si l’employeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que le congédiement de la plaignante n’était pas entaché d’un sentiment antisyndical.

[102] Le Conseil a examiné en détail l’ensemble de la preuve présentée au cours de l’audience. D’ailleurs, les parties se sont entendues sur certains éléments de preuve au début de l’audience au sujet de l’incident du 7 juin 2011 et du nombre d’avis disciplinaires que la plaignante a remis aux élèves du circuit n o 55.

[103] Le 7 juin 2011, la plaignante a refusé l’embarquement d’un élève dans l’autobus scolaire parce qu’il n’avait pas sa carte d’embarquement. L’élève et son frère se sont rendus à leur domicile, mais leurs parents n’y étaient pas présents. Une voisine a communiqué avec leurs parents pour leur mentionner que les enfants étaient seuls sur le balcon du domicile.

[104] La directrice de l’école en question a communiqué avec M. Senécal pour lui rapporter l’incident en question.

[105] M. Senécal a précisé à l’audience que la conduite de la plaignante était contraire au cahier de bord de la CSDM et au contrat de transport entre la CSDM et Idéal.

[106] La preuve visant à démontrer si la plaignante a reçu une copie du cahier de bord est contradictoire. Au début du mois de décembre 2010, la CSDM a remis à l’employeur des cahiers de bord en format de poche, qui auraient été remis à chaque chauffeur. La plaignante soutient n’avoir jamais vu ce cahier de bord. Elle n’a signé aucun accusé de réception de ce document. M. Breton a indiqué, quant à lui, qu’il a remis une copie du cahier de bord à la plaignante au début du mois de décembre 2010. Peut-être que la plaignante ne l’a pas eu ou peut-être que le cahier de bord a été déposé dans son autobus, car elle a été transférée sur les circuits de la CSDM le 3 décembre 2010.

[107] Toutefois, le fait que la plaignante ait reçu ou non le cahier de bord en question n’est pas pertinent à l’analyse pour déterminer si la décision de l’employeur de congédier la plaignante était motivée par un sentiment antisyndical. Comme il sera précisé plus loin, la lettre de congédiement ne fait pas référence au cahier de bord, mais fait plutôt référence au code d’éthique d’Idéal. La preuve est claire en ce que la plaignante avait signé l’accusé de réception de ce code d’éthique, et ce, à deux reprises - le 24 août 2010 lorsqu’elle a débuté le transport sur le circuit de l’école Peter-Hall et le 3 décembre 2010, lorsqu’elle a été affectée au circuit n o 55 de la CSDM.

[108] Dans le contrat de transport de la CSDM, il est précisé que seule la Commission scolaire (Article 19) peut statuer sur le cas du transport d’une personne et qu’elle peut « exiger de L’ENTREPRISE DE TRANSPORT d’exclure un chauffeur de tout contact avec les élèves transportés  si une enquête interne démontre qu’il a commis une faute grave portant atteinte à l’intégrité ou à la sécurité d’un élève » (article 21.1).

[109] Pour la CSDM, le geste posé par la plaignante portait atteinte à la sécurité de l’enfant et M. Senécal a appelé la journée même M. Breton pour lui rapporter le fait reproché et lui demander de la relever de ses fonctions. Le 8 juin 2011, il transmettait une lettre au président d’Idéal, M. Deschênes, dans laquelle il rappelait le geste reproché à la plaignante, le considérant comme une faute grave. Il a exigé le retrait définitif de la plaignante de l’ensemble des circuits  de la CSDM.

[110] La plaignante a été convoquée à une rencontre avec les représentants de l’employeur, MM. Breton et Deschênes et M me Roy-Meilleur, le 8 juin 2011. Lors de cette rencontre, la plaignante a expliqué qu’elle avait refusé l’embarquement de l’élève parce qu’elle s’était fiée à la liste des sanctions qui avait été présentée au comité des employés. La liste des sanctions prévoyait, entre autres, une suspension d’une journée si elle faisait embarquer un enfant sans carte d’embarquement. Toutefois, la preuve a établi que cette liste de sanction n’avait jamais été mise en vigueur.

[111] M me Trudeau et M. Breton ont rencontré la plaignante le 15 juin 2011 pour procéder à son congédiement. Dans la lettre de congédiement du 15 juin 2011, l’employeur fait notamment référence au code d’éthique d’Idéal et aux articles auxquels la plaignante aurait contrevenu en refusant l’embarquement de l’enfant dont elle avait toujours autorisé le transport. Tous les témoins de l’employeur étaient d’avis que la plaignante avait mis en danger la sécurité de l’enfant et qu’elle avait commis une faute grave.

[112] Le procureur de la plaignante a fait valoir deux autres situations dans lesquelles l’employeur aurait traité les contrevenants différemment et aurait offert d’autres postes à ces employés plutôt que de les congédier. L’un de ces employés occupait d’ailleurs une fonction au sein du syndicat. Les témoignages non contredits de M. Senécal, M me Trudeau et M. Breton à cet égard démontrent qu’il ne s’agissait pas de situations semblables à celle de la plaignante. Dans l’un de ces cas, l’employée avait fait débarquer l’enfant au mauvais arrêt. La mère de l’enfant était à un arrêt plus loin et s’est empressée d’aller rejoindre son enfant. M. Trudeau a indiqué qu’il était possible que l’enfant se soit glissé entre d’autres enfants lorsqu’il a débarqué. De plus, elle a souligné que l’employée en question avait un parcours sans faute en 14 ans de service. Dans l’autre cas, il s’agissait d’un employé affecté au transport pour Hydro-Québec impliqué dans une situation de harcèlement. M. Deschênes a précisé qu’à sa connaissance, il s’agissait de la première fois qu’un chauffeur refusait volontairement d’embarquer un enfant parce qu’il n’avait pas sa carte d’embarquement.

 

[113] Le procureur de la plaignante a mis l’accent sur les propos tenus par M. Deschênes lors des réunions du mois de mai 2011 pendant la période de syndicalisation. Dans son témoignage, M. Deschênes a reconnu qu’il n’aurait pas dû tenir ces propos. Bien que ces propos aient peut-être pu faire l’objet d’une plainte de pratique déloyale de la part du syndicat, ce dernier n’a pas présenté de plainte à cet égard.

[114] De plus, la preuve démontre qu’après l’accréditation de l’unité de négociation représentée par la CSN, l’employeur a négocié avec le nouveau syndicat et a conclu une convention collective sans qu’aucun moyen de pression ne soit exercé par les employés.

[115] Pour ce qui est de la plaignante, elle n’a joué, selon la preuve, aucun rôle dans l’organisation du syndicat, sauf lorsqu’elle a agi comme scrutateur lors de l’élection du bureau de direction du syndicat. Les représentants de l’employeur ont déclaré à l’audience qu’ils n’ont eu connaissance ni n’ont été informés d’aucune intervention de la plaignante comme représentante du syndicat. Aucun témoin de l’employeur n’était au courant de la participation de la plaignante à des activités syndicales. En contre-interrogatoire, la plaignante a admis qu’elle n’avait pas fait signer de cartes d’adhésion syndicale, qu’elle n’a pas soumis sa candidature, et qu’elle n’avait pas été élue à un poste de bureau de direction syndicale.

[116] Le Conseil est d’avis qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, les propos tenus par M. Deschênes au mois de mai ne sont liés en aucun cas au congédiement de la plaignante.

[117] Le Conseil note que si M. Breton, de par ses propos ou son silence, a donné l’impression à la plaignante que cette dernière pouvait refuser d’embarquer des enfants qui n’avaient pas leur carte d’embarquement, cet élément ne permet pas au Conseil de conclure que la décision de congédier la plaignante était empreinte d’un sentiment antisyndical.

[118] Tel qu’il est indiqué précédemment, il n’appartient pas au Conseil de déterminer si les motifs invoqués par l’employeur pour justifier le congédiement de la plaignante sont justes ou proportionnels à la gravité de la contravention reprochée (voir Transport Papineau , précitée). Le Conseil ne peut analyser la décision prise sous l’angle de la progression des sanctions.

[119] Le Conseil ne trouve dans la preuve aucun motif antisyndical qui pourrait constituer une cause de congédiement, même accessoire ou ancillaire, tel qu’il est mentionné dans la jurisprudence du Conseil.

[120] Le Conseil estime que l’employeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve et a réussi à démontrer que la décision de congédier la plaignante n’était empreinte d’aucun sentiment antisyndical.

[121] Une analyse vigilante de la preuve ne permet pas de conclure qu’un sentiment antisyndical était sous-jacent à la décision de l’employeur de congédier la plaignante le 15 juin 2011.

[122] Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente plainte est rejetée.

[123] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

 

 

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Claude Roy

Vice-président

 

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Daniel Charbonneau

Membre

 

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Robert Monette

Membre