Tétreault c. Syndicat de la copropriété Le Rustique |
2014 QCCQ 4927 |
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JL 4270
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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LOCALITÉ DE |
ST-JÉRÔME |
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« Chambre civile » |
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N° : |
700-32-025868-116 |
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DATE : |
30 mai 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DENIS LAPIERRE, J.C.Q. |
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GÉRARD TÉTREAULT |
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Demandeur |
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c. |
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SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ LE RUSTIQUE |
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Défenderesse / demanderesse en garantie |
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-et- |
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GUSTAVE GODARD CONSTRUCTION INC. -et- SYNDICAT COPROPRIÉTÉ JARDIN DES HIRONDELLES |
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Appelées en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur était âgé de 82 ans le 17 octobre 2009. Ce jour-là, il a fait une vilaine chute dans le stationnement adjacent à son condominium.
[2] Projeté vers l'avant, il a durement heurté l'asphalte, tête première. Il s'en est tiré avec quelques dents cassées, des lunettes et des vêtements abîmés, des lacérations au visage et à la main droite et diverses autres douleurs ou contusions.
[3] Estimant que sa chute émane d'un défaut de sécurité dans les aménagements des parties communes de la copropriété, il poursuit la défenderesse (ci-après « Rustique ») en tant que gestionnaire de l'immeuble.
[4] Cette dernière appelle en garantie un autre syndicat de copropriété (ci-après « Hirondelles »), qu'elle allègue être le réel administrateur des lieux en litige, la défenderesse n'étant responsable que du bâtiment. Rustique appelle également en garantie l'entrepreneur qui a construit les aménagements en question (ci-après « Godard »).
[5] Le demandeur réclame principalement les déboursés qu'il a dû encourir pour ses biens perdus et les soins dentaires requis à la suite de l'accident, les frais de certains traitements, de même que des douleurs, dommages et inconvénients.
Les questions en litige :
[6] 1- Comment départager la responsabilité éventuelle de la défenderesse et des appelées en garantie?
2- Le demandeur a-t-il fait la preuve d'une faute de l'un des intervenants, d'un dommage pour lui et d'un lien de causalité entre les deux?
3- Si oui, à quel montant a-t-il droit?
Les faits :
[7] La propriété où les événements se sont produits est située à Saint-Eustache, en bordure de la rivière des Mille-Îles.
[8] Il s'agit d'un ensemble de quatre bâtiments, gérés par autant de syndicats de copropriété, incluant Rustique.
[9] Les aires communes desservant tous ces bâtiments sont gérées par un cinquième syndicat, Hirondelles.
[10] Les immeubles et les aménagements sont l'œuvre de Godard.
[11] Le stationnement de l'immeuble qu'habite le demandeur est situé à l'arrière. On y accède par deux escaliers de quelques marches, séparés par un long trottoir de béton. La chute a eu lieu au niveau du plus bas des deux escaliers, près du stationnement.
[12] De chaque côté des marches, on a installé des garde-corps en aluminium. Mais comme ils étaient un peu hauts, on leur a ajouté des mains courantes lors de travaux postérieurs à la construction.
[13] Face à l'escalier, de l'autre côté du stationnement asphalté, les voitures des copropriétaires sont alignées.
[14] L'immeuble et le stationnement sont perpendiculaires à la rivière des Mille-Îles, de sorte que quelqu'un qui descend l'escalier vers le stationnement a sa voiture devant lui et la rivière des Mille-Îles à sa droite, bien visible à l'extrémité du bâtiment et du stationnement.
[15] L'endroit où s'est terminée la chute du demandeur est facile à identifier. Sur plusieurs photographies qui ont été déposées par les parties à l'audience, on voit une impressionnante flaque de sang. C'est celui du demandeur.
[16] La flaque n'est pas située face à l'escalier. Elle est à une douzaine de pieds à sa droite, vers la rivière, à peu près au milieu de l'espace entre la pelouse et l'arrière des véhicules stationnés.
[17] Heureusement, le demandeur n'était pas seul lorsqu'il est tombé. Son ami Conrad Caux était avec lui, quelques pas devant.
[18] L'accident a eu lieu sous les yeux de monsieur Lucien Nantais et à proximité du condominium de monsieur Caux, où se trouvait son épouse Lyne. Tous ont été entendus à l'audition.
[19] Les trois se sont précipités au secours de monsieur Tétreault après sa chute et madame Caux lui a prodigué les premiers soins. Elle et son mari l'ont ensuite accompagné à l'hôpital, où il a reçu les soins appropriés à son état, dont des points de suture à l'arcade sourcilière et à la main droite.
[20] Il a également dû recourir à des traitements dentaires et à divers soins et suivis médicaux. Il a brisé ses lunettes et ses vêtements. Il a enduré quelques séquelles, dont il ne reste que l'incapacité à jouer au golf comme auparavant.
[21] Monsieur Tétreault réduit ses dommages à la somme de 7 000 $, pour pouvoir bénéficier de la juridiction de cette division de la Cour.
1- Comment départager la responsabilité éventuelle de la défenderesse et des appelées en garantie?
[22] La preuve en défense, non contestée, révèle que la défenderesse Rustique n'a aucune implication dans cette affaire. Elle n'est ni propriétaire, ni chargée de l'entretien des aménagements situés à l'endroit de la chute. Il n'y a donc aucun lien de droit entre elle et le demandeur à l'égard des faits en litige.
[23] Toutefois, la défenderesse a pris soins d'appeler en garantie le véritable administrateur des lieux en litige, Hirondelles, ainsi que l'entrepreneur chargé de la construction des aménagements, Godard.
[24]
L'intervention forcée de tiers au litige est permise par l'article
[25] Cet article a reçu une interprétation large de la part de la jurisprudence pertinente [1] . En gros, on a décidé que l'intervention forcée de tiers par la défenderesse principale, même si celle-ci n'a aucune responsabilité, peut être considérée comme l'ajout de nouveaux défendeurs.
[26] Cette souplesse dans la procédure en matière de petites créances vient du fait que le législateur souhaite favoriser l'accès aux tribunaux à des citoyens non représentés par avocat, en évitant les formalités ou la multiplicité des procédures.
[27] L'action du demandeur peut donc être considérée de la même manière que si les appelées Hirondelles et Godard avaient été poursuivies dès le départ comme défenderesses principales, dans la mesure où elles sont bien informées des circonstances de l'affaire et ont pu produire une défense pleine et entière.
[28] Le Tribunal ayant d'emblée exclu la responsabilité de la défenderesse, il y a maintenant lieu d'examiner celle des deux appelées et de vérifier si, à leur égard, le demandeur s'est déchargé de son fardeau de preuve.
2- Le demandeur a-t-il fait la preuve d'une faute de l'un des intervenants, d'un dommage pour lui et d'un lien de causalité entre les deux?
[29] À l'audience, le demandeur mentionne que sa chute vient du moment où, à l'approche du stationnement, il a posé la main droite sur la main courante du garde-corps flanquant les marches menant au stationnement.
[30] Il dit avoir ressenti de la douleur à ce contact et, en regardant dans cette direction, avoir perdu l'équilibre pour ensuite débouler les marches et tomber tête première contre l'asphalte, après quelques pas.
[31] Sa version des faits à l'assureur, pièce P-9, raconte l'histoire à peu près de la même manière:
« Ma main a accroché dans le fer angle de métal de cette rampe. Sous le coup de la douleur, je me suis retourné vers la droite pour voir ce qui arrivait, je pense avoir manqué la ou les marches suivantes, j'ai fait 3 - 4 pas, j'ai fait un quasi-vol plané vers l'avant, et je suis tombé sur le ventre, en plein visage. »
[32] Les notes de l'urgentologue qui l'a accueilli au Centre hospitalier Saint-Eustache le 17 octobre 2009, tout comme celles de l'infirmière au triage, confirment la présence d'abrasions, d'ecchymoses et de lacérations au visage du demandeur, ainsi qu'une entaille de trois à sept centimètres à l'intérieur de sa main droite, qui a nécessité quatre points de suture.
[33] L'urgentologue rapporte dans ses notes la version que le demandeur lui a donnée de l'accident:
« S'est coupé main D sur rampes escalier métallique en réparat → a ensuite chuté de sa hauteur »
[34] À son médecin personnel, le 22 octobre, le demandeur précisera: « escalier mal faite » et « défaut escalier ».
[35] Dans une déclaration à Intact Assurance, le témoin Lucien Nantais rapportera une conversation avec le demandeur au sujet de sa blessure à la main après l'incident: « il m'a dit qu'il s'était blessé à la main en faisant sa chute » (pièce DH-3, 9 novembre 2009).
[36] Quelques jours plus tard, à un autre assureur impliqué, Missisquoi, monsieur Nantais précisera: « il m'a dit qu'il s'était blessé en faisant la chute, et c'était coupant sous la rampe » (pièce DR-6, 16 décembre 2009).
[37] D'autres propos du demandeur sont rapportés par le technologue professionnel qu'il a engagé pour rédiger l'expertise P-4 sur l'état des lieux en litige.
[38] Le 8 décembre 2010, celui-ci écrit: « Il nous indique avoir fait une chute due à la rampe non continue requis au Code. Construction 2005 . »
[39] Plus loin, il précise que « Des modifications ont été apportées sur une rampe et non sur la rampe où monsieur Tétreault a chuté . »
[40] L'expert termine en affirmant que la rampe présente une arête tranchante, mais les photographies auxquelles il réfère pour illustrer son propos montrent la section de l'escalier adjacente au bâtiment, et non celle située près du stationnement où a eu lieu la chute.
[41] Dans une expertise complémentaire du 6 juin 2011, les propos qu'il rapporte dénotent une variante dans la version du demandeur:
« Il nous explique qu'au moment de descendre la deuxième section de l'escalier extérieur menant au stationnement est […] sa main droite a accroché l'extrémité supérieure de la main courante droite de l'escalier, ce qui a provoqué une blessure (lacération). Sous le coup de la douleur, il aurait perdu l'équilibre et son corps aurait basculé vers l'avant, sa tête ayant heurté le sol.
Il rajoute que l'extrémité en cause présentait à l'époque une arrête tranchante qui a été depuis réparée […] »
[42] La suite de l'expertise se borne à dire que si, tel qu'il le prétend, la rampe sur laquelle monsieur Tétreault a posé la main comportait une arête tranchante, cela constitue un vice de construction.
[43] Au cours de son témoignage, le technologue en question, monsieur Richard Gervais, admet n'avoir vu à l'endroit désigné par monsieur Tétreault aucun point d'accrochage. Le vice de construction qu'il a identifié est plutôt relié à la longueur de la main courante, un défaut qui n'est pas en cause dans la mésaventure de monsieur Tétreault.
[44] Les photographies récentes prises par le témoin Claude Trudel et déposées comme pièce P-8 n'en apprennent pas beaucoup plus. On y voit bien une arête tranchante photographiée en gros plan, mais elle est située sur le dessus du garde-corps et non sur la main courante qu'aurait saisie le demandeur avant sa chute. Celle-ci ne semble pas comporter d'obstacle, ni d'arête tranchante, pas plus que sur les photographies prises par monsieur Gervais ou par Lucien Beaulne, le représentant des deux syndicats de copropriété défendeurs.
[45] Ainsi, s'il est indéniable que monsieur Tétreault a fait une vilaine chute et qu'il s'est blessé à la main droite, il est difficile, en étudiant le dossier avec soin, de faire un lien entre cette blessure et la chute.
[46] Il est tentant de penser que la blessure du demandeur à la main droite puisse résulter du fait qu'il l'a utilisée pour tenter d'amortir sa chute.
[47] Il est vrai que, dès le 17 octobre, le demandeur affirmait s'être coupé la main sur une rampe. Mais l'urgentologue rapporte aussi qu'il a « chuté de sa hauteur, » et non qu'il est tombé en bas de l'escalier.
[48] À l'assureur, il rapporte avoir fait trois ou quatre pas, suivis d'un quasi-vol plané. Tant dans cette déclaration qu'à l'audience, il ajoute s'être retourné brusquement vers sa droite pour regarder sa main endolorie, ce qui l'aurait déséquilibré et projeté vers le bas de l'escalier.
[49] À son expert, il indique plutôt qu'il a perdu l'équilibre, que son corps a basculé vers l'avant et que sa tête a heurté le sol.
[50] Aucun de ces scénarios n'explique de façon convaincante la raison pour laquelle la tache de sang apparaissant sur les photographies est située à une douzaine de pieds de l'escalier, bien à droite de celui-ci, et non dans son prolongement.
[51] Mais il y a plus. On le sait, le témoin Lucien Nantais a assisté à toute la scène. Il a d'ailleurs été assigné par toutes les parties, incluant le demandeur, dont il était le premier témoin.
[52] Or, à l'audience, monsieur Nantais confirme avec force les versions qu'il a données aux assureurs impliqués, les déclarations DH-3 et DR-6.
[53] Le témoin était dans le stationnement au moment de l'accident. Debout à l'arrière de sa voiture, il attendait son épouse. Il était posté à la gauche de l'escalier. Le lieu de l'accident se situait à peu près à mi-chemin entre lui et la rivière des Mille-Îles.
[54] En attendant son épouse, monsieur Nantais contemplait justement la rivière. Il avait toute la scène dans son champ de vision.
[55] Avant l'accident, il a clairement vu de dos deux hommes marchant dans le stationnement. Ils se dirigeaient en diagonale vers les véhicules stationnés du côté opposé à l'escalier, s'éloignant de celui-ci en direction de la rivière des Mille-Îles.
[56] C’est à ce moment et à cet endroit qu'il a vu l'un des homme perdre l'équilibre et tomber en pleine figure sur l'asphalte.
[57] En courant à son secours, il a immédiatement reconnu monsieur Tétreault, qu'il connaît bien. Il a tout aussi facilement reconnu monsieur Caux ainsi que son épouse, accourue sur les lieux un peu plus tard.
[58] Monsieur Nantais est catégorique. L'accident a eu lieu dans le stationnement, à quelques pas de l'escalier. Il n'a pas débuté dans celui-ci.
[59] L'autre témoin présent sur les lieux, monsieur Caux, a un souvenir différent. Il se rappelle avoir vu monsieur Tétreault faire deux ou trois pas rapides avant de tomber. Il est certain que le demandeur a perdu pied dans l'escalier.
[60] Toutefois, cela demeure une déduction. Monsieur Caux ne peut pas avoir vu le demandeur tomber dans l'escalier, puisqu'il marchait devant, obliquant par le talus gazonné pour éviter l'escalier emprunté par le demandeur derrière lui. D'ailleurs, il admet n'avoir aperçu le demandeur, en déséquilibre, qu'alors qu'il était sur l'asphalte du stationnement.
[61] Le demandeur, à qui ce fardeau incombe, n'a donc pas réussi à établir de façon prépondérante que la rampe à laquelle il s'est appuyé était affectée d'un défaut tel qu'il constitue une faute de l'un ou l'autre des défendeurs, et encore moins que cette faute est à l'origine de sa chute.
[62] Dans les circonstances, il est inutile la réponse à la troisième question.
[63] L'action du demandeur sera donc rejetée mais, vu le préjudice qu'il a tout de même subi et les ressources respectives des parties en présence, ce rejet sera sans frais.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[64] REJETTE la réclamation du demandeur;
[65] LE TOUT, chaque partie payant ses frais.
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__________________________________ Denis Lapierre, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
22 mai 2014 |
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Lemelin
c.
Fabrique de la paroisse St-Charles-Borromée
(C.Q.,
2008-10-03), 2008 QCCQ 9408,