COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossiers :

AQ-1005-2070, (AQ-2001-3535)

Cas :

CQ-2012-2988

 

Référence :

2014 QCCRT 0346

 

Québec, le

25 juin 2014

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Jacques Daigle, juge administratif

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Syndicat des juristes du secteur municipal (CSQ)

 

Requérant

c.

 

Alliance des professionnels et professionnelles de la Ville de Québec

Intimée

et

 

Ville de Québec

Mise en cause

 

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DÉCISION

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[1]            Le Syndicat des juristes du secteur municipal (CSQ), ci-après le syndicat , dépose une requête en accréditation visant à représenter :

«  Tous les avocats, avocates et notaires salariés de la Ville de Québec salariés au sens du Code du travail à l’exclusion des emplois suivants : avocats et avocates en droit du travail.  »

De : Ville de Québec

Établissements visés :

Tous les établissements situés sur le territoire de la Ville de Québec

[2]            La requête entre en conflit avec l’accréditation que détient, depuis le 2 septembre 2001, l’alliance des professionnels de la Ville de Québec (l’ alliance ).

[3]            Lors de la première journée d’audience, le 28 mars 2013, tous constatent que, les parties n’ayant pu être entendues plus tôt, le délai prévu à l’article 133 du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ), est largement expiré. De plus, les parties s’entendent pour affirmer que ce dossier nécessitera plusieurs journées d’audience.

[4]            Elles conviennent, dans les circonstances, de déclarer qu’elles libèrent la Commission de l’obligation de rendre sa décision dans les 60 jours du dépôt de la requête; délai qui, de toute évidence, ne pourrait être respecté.

[5]            Elles ajoutent qu’en ce qui les concerne, la Commission aura jusqu’au soixantième jour suivant celui de la prise de l’affaire en délibéré pour rendre sa décision.

La preuve

[6]            L’accréditation de l’alliance est accordée le 12 septembre 2001, par le commissaire du travail Paul Bélanger.

[7]            Cependant, ce n’est pas à cette date que remonte réellement la syndicalisation du personnel professionnel de la Ville de Québec (la ville ).

[8]            En application de la Loi sur l’organisation territoriale municipale , RLRQ, c. O-9, les accréditations détenues par diverses associations de salariés représentant des groupes de professionnels travaillant pour des municipalités qui ont été fusionnées, en 2001, sont alors également fusionnées.

[9]            La décision du 12 septembre 2001 résume ce contexte comme suit :

[1]  Conformément à la Loi sur l’organisation territoriale municipale (L.R.Q., c. O-9), est constituée la Ville de Québec.

[2]  Au moment du regroupement municipal, des associations mises en cause représentaient des unités de professionnels dans certaines municipalités maintenant regroupées. D’autres associations mises en cause représentaient au sein d’unités plus grandes, quelques professionnels et n’ont pas déposé de requêtes.

[3]  Les associations s’entendent pour que l’ALLIANCE DES PROFESSIONNELS DE LA VILLE DE QUÉBEC représente les salariés visés par l’unité de négociation.

[4]  En vertu des articles 176.2 et 176.4 de cette loi et de l’article 183 de l’annexe I de la Loi portant sur la réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, Québec et de l’Outaouais, une entente globale est conclue sur la description de l’unité de négociation entre l’ALLIANCE DES PROFESSIOINNELS DE LA VILLE DE QUÉBEC et le COMITÉ DE TRANSITION DE LA VILLE DE QUÉBEC.

CONSIDÉRANT les dispositions de l’article 176.5 de la Loi sur l’organisation territoriale municipale (L.R.Q., c.- O-9);

CONSIDÉRANT les dispositions du décret 678-2001 du 6 juin 2001;

PAR CES MOTIFS, le commissaire du travail

ACCRÉDITE

ALLIANCE DES PROFESSIONNELS DE LA
VILLE DE QUÉBEC
[…]

pour représenter :

«  Tous les professionnels et toutes les professionnelles dont l’emploi exige un diplôme universitaire ou l’équivalent, à l’exclusion des emplois suivants : conseiller ou conseillère en ressources humaines qui agit dans sa fonction en tant que représentant de l’employeur; avocat ou avocate en droit du travail; chef d’équipe en vérification; professionnel ou professionnelle rattaché(e) au cabinet de la mairie ou au cabinet du président d’un conseil d’arrondissement; ainsi que professeur travaillant dans le domaine des loisirs et de la culture.  »

[…]

[10]         L’alliance est l’une de ces «  associations mises en cause  ». Elle représente jusqu’à cette époque des professionnels oeuvrant dans diverses municipalités de la région de Québec qui ont été fusionnées.

[11]         Postérieurement à l’accréditation, deux conventions collectives successives sont signées entre l’alliance et la ville : la première couvre la période se terminant le 31 décembre 2006 et la suivante, la période se terminant le 31 décembre 2010.

[12]         Cette dernière convention est échue et est en voie de renégociation. Dans l’intervalle, son article 37.01 prévoit qu’elle continue de s’appliquer jusqu'à la signature d’une nouvelle convention collective.

[13]         Une dizaine d’années après l’accréditation, selon le syndicat, l’unité de négociation pour laquelle l’alliance est accréditée n’est plus appropriée.

[14]         L’existence de conflits d’intérêts potentiels entre la trentaine de juristes que représente l’alliance et leurs confrères professionnels qui sont au nombre d’environ 470 est, au dire du syndicat, l’élément principal fondant la demande de scission de l’unité de négociation qu’implique sa requête.

[15]         Toujours selon le syndicat, comme les juristes sont liés par des règles déontologiques qu’édictent diverses lois et divers règlements, ils sont liés par la règle du respect du secret professionnel, et l’appartenance à une organisation syndicale comprenant des professionnels non-juristes risque d’en compromettre le respect.

[16]         Le syndicat conclut à la nécessité de scinder l’unité de négociation, pour que les juristes, avocats et notaires, employés de la ville, soient regroupés dans une unité de négociation distincte, ne regroupant que des juristes.

[17]         S’ajoutent à ce motif principal, selon le syndicat, des problèmes de représentation, conséquence d’une incompatibilité de cohabitation entre les autres professionnels et les juristes, incompatibilité qui aurait été identifiée depuis l’accréditation de 2001.

[18]         Selon la thèse que défend le syndicat, pour qu’eux-mêmes puissent défendre leur client, essentiellement la ville, les juristes qu’elle emploie doivent, à peu près quotidiennement, recueillir de leurs collègues professionnels des informations relatives aux faits qui sont au cœur des affaires qui leur sont confiées. Or, bon nombre de ces informations, sinon toutes, soutient le syndicat, relèveraient du secret professionnel auquel ils sont tenus, au bénéfice de leur client.

[19]         La ville, notons-le maintenant, bien qu’elle tienne au respect du secret professionnel de la part de son personnel, conteste la scission de l’unité de négociation des professionnels qu’implique la requête en accréditation.

[20]         Pour faire la preuve des faits justifiant sa demande, le syndicat présente quelques juristes qui produisent une preuve documentaire composée d’environ 50 pièces.

[21]         Probablement par déformation professionnelle, ces témoins quittent régulièrement leur rôle de témoin appelé à venir établir des faits, pour reprendre celui de plaideur qu’ils occupent habituellement. La Commission doit le leur rappeler quelques fois.

[22]         Chacun d’eux a déjà eu l’occasion d’oeuvrer au sein de l’alliance dans des postes divers, de président ou de membre du conseil d’administration. Tous font état des particularités de leurs champs de pratique spécifiques, tout en soulignant que le service des affaires juridiques duquel ils relèvent opère d’une façon quelque peu collégiale.

[23]         Le témoin Michaud explique que la démarche des juristes qui a conduit au dépôt de la présente requête a d’abord été axée sur des problèmes de relations de travail, plus particulièrement de négociations de conditions de travail, vécus par les juristes auxquels est ensuite venue se greffer la question déontologique. Cette question a fini par devenir leur préoccupation principale.

[24]         Pour lui, la démarche fut initiée après la démission, le 31 janvier 2012, de son collègue Dugré, d’un poste d’administrateur au sein du conseil d’administration. Monsieur Dugré se déclarait insatisfait de la représentation des juristes par l’alliance, en regard de deux dossiers principalement : le plan de classification et la clause de rattachement salarial des juristes avec le marché.

[25]         Cette démission est suivie, le 2 février 2012, d’une pétition signée par 28 juristes se solidarisant avec monsieur Dugré et demandant, notamment, la convocation d’une rencontre des membres du conseil d’administration avec le groupe des juristes.

[26]         Mais le conseil d’administration de l’alliance refuse d’acquiescer à la demande. Dans une lettre de sa présidente, madame Dolbec, elle avise les pétitionnaires que l’alliance ne les rencontrera pas, comme groupe, mais qu’une assemblée générale spéciale des membres sera convoquée, sous peu, en lieu et place.

[27]         De là, les juristes entreprennent des démarches auprès de diverses organisations syndicales à la recherche de l’une d’elles qui voudrait bien les accueillir. Puis suit la requête dont est saisie la Commission, requête qui est déposée le 13 juin 2012.

[28]         En plus du potentiel problème de conflits d’intérêts dont il est fait mention plus haut, le syndicat évoque des problèmes de représentation inadéquate des juristes par l’alliance à diverses occasions.

[29]         Il est notamment question, dans ce cadre, d’un problème d’horaire de garde pour les avocats affectés aux affaires pénales et criminelles, d’un problème d’admissibilité au régime de retraite de juristes à temps partiel et de celui d’un sous-comité de l’alliance dont les membres auraient excédé leur mandat.

[30]         La preuve révèle cependant que ces problèmes ont connu des solutions satisfaisant les juristes visés, bien que, pour y parvenir, l’alliance n’ait pas toujours pu compter sur la collaboration des intéressés, notamment dans le cas de l’horaire de travail des juristes affectés aux affaires pénales et criminelles.

[31]         L’alliance s’est en effet retrouvée, après le fait, devant l’annonce par la ville du fait qu’elle avait confié en sous-traitance, la gestion de la garde de fin de semaine.

[32]         Dans d’autres cas, les règles en vigueur à l’alliance ont permis de dénouer les situations, notamment celle du mandat excédé.

L’analyse et les motifs

[33]         La jurisprudence en matière de scission d’unité de négociation était bien établie avant même la mise en place de la Commission, en 2002, et celle-ci a fait siens, depuis, les principes antérieurement dégagés.

[34]         D’abord, la scission d’une unité de négociation est une affaire d’exception.

[35]         Ensuite, il n’y a lieu d’y procéder, au nom du maintien de la paix industrielle, que dans la mesure où il est démontré que l’unité de négociation existante n’est plus appropriée.

[36]         Ce pourra être le cas si des modifications importantes sont survenues dans l’entreprise, mettant cette conclusion en évidence, ou si des problèmes chroniques de représentation syndicale déficiente illustrent l’inaptitude de l’unité de négociation à permettre la conclusion et l’application d’une convention collective (voir, notamment : Conseil conjoint du Québec-Syndicat du vêtement, textile et autres industries (SVTI) c. Camoplast inc. , 2004 QCCRT 0157 ; Syndicat des employés de magasins et de bureau de la Société des alcools du Québec c. Syndicat du personnel technique et professionnel de la Société des alcools du Québec et La Société des alcools du Québec , [1982] AZ-83147016 (T.T.))

[37]         Voici comment s’exprime la Commission dans l’affaire Les professionnel(le)s en soins de santé unis (FIQ) c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Résidence Griffith-McConnell , 2009 QCCRT 0028  :

[21] En résumé, il y a une présomption de fait en faveur du maintien de l’unité de négociation appropriée existante. Le fractionnement d’une telle unité ne sera accordé que de façon exceptionnelle et dans la mesure où sa nécessité en est démontrée par des motifs sérieux et suffisants. Le fardeau de prouver la nécessité appartient au requérant et ce fardeau est difficile à satisfaire. La seule volonté des salariés n’est pas suffisante. Le fondement du caractère exceptionnel du fractionnement est d’éviter la balkanisation des unités de négociation au sein d’un même employeur afin d’assurer la stabilité de la négociation collective et de favoriser la paix industrielle.

[38]         Cette présomption est d’autant plus forte dans la présente affaire, que l’unité de négociation fut définie en application de la volonté du législateur exprimée dans le contexte législatif des fusions municipales de 2001 évoqué plus haut.

[39]         Cette réalité fait en sorte que le fardeau s’impose au syndicat, encore plus lourdement, si la chose se peut, en comparaison des situations usuelles étudiées par la jurisprudence qui en a établi le principe.

[40]         Le syndicat n’a pas relevé ce fardeau.

[41]         Sa thèse principale fondée sur de potentiels conflits d’intérêts repose sur une hypothèse, soit celle du non-respect par les juristes de la ville des obligations relatives au respect du secret professionnel qui leur est imposé.

[42]         Les juristes étant présumés exercer leurs professions dans le respect des lois, et ce, dans les limites de la bonne foi, il doit être présumé qu’ils protègent les informations qui leur sont confiées, au bénéfice de leur client.

[43]         Seule une preuve établissant que tel n’a pas été le cas écartera cette présomption.

[44]         Telle preuve n’a pas été faite devant la Commission.

[45]         De plus, s’il fallait adopter la thèse soutenue par le syndicat, c’est l’aptitude même des juristes à la syndicalisation qui serait en péril. En effet, quelle que soit l’organisation à laquelle ils prétendraient adhérer, le problème relatif au secret professionnel resterait.

[46]         En ce qui regarde les prétendus manquements au devoir de représentation de l’alliance, il faut noter que certains des problèmes évoqués ont été résolus.

[47]         Quant aux questions relatives au plan de classification et à la clause de rattachement de la rémunération au marché, elles n’en étaient, aux moments allégués, qu’au stade des discussions dans le cadre de la renégociation de la convention collective.

[48]         Celles-ci suivent leur cours et la démarche amorcée par l’alliance aura permis que ces questions retrouvent leur place parmi les préoccupations syndicales.

[49]         Il est tout à fait normal que dans le cours du traitement de dossiers au sein d’une association accréditée, la démocratie syndicale voulue par le Code jouant son rôle, des points de vue divergents soient exprimés, et ce, même par les dirigeants syndicaux.

[50]         Il serait même anormal que tel ne soit pas le cas parce que les dirigeants syndicaux ne détiennent pas nécessairement la vérité à tous égards. L’important c’est que les problèmes se règlent à la satisfaction des intéressés.

[51]         Telle semble être la situation, selon la preuve.

[52]         En cette matière, dans sa sagesse, quand le législateur a voulu limiter les droits des salariés, mêmes avocats, avocates ou notaires, il a su s’exprimer clairement, comme le montre la situation étudiée dans l’affaire Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 573 ( CTC-FTQ ) c. Commission de la construction du Québec et autres, 2014 QCCA 368 , ( 2013 QCCS 15 et 2012 QCCRT 0448 ).

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la requête (CQ-2012-2988).    

 

 

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Jacques Daigle

 

M e Matthew Gapmann

BARABÉ CASAVANT

Représentant du requérant

 

M e Gilles Grenier

PHILION LEBLANC BEAUDRY, avocats s.a .

Représentant de l’intimée

 

M e Sylvain Lepage

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

S.E.N.C.R.L./AVOCATS

Représentant de la mise en cause

 

Date de la dernière audience :

28 mars 2014

 

/nm