Lever c. Agence du revenu du Québec

2014 QCCQ 5069

 

COUR DU QUÉBEC

 

« Division administrative et d’appel »

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

 

« Chambre civile »

 

 

 

 

N° :

500-80-014529-094

 

 

 

DATE :

17 JUIN 2014

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GATIEN FOURNIER, J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

GUY LEVER

 

Demandeur

 

c.

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

 

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

 

 

INTRODUCTION

[1]           Le demandeur (Lever) en appelle d'une cotisation fiscale établie par la défenderesse (ARQ) pour l'année d'imposition 2005.

 

[2]           L'ARQ a, aux termes de cette cotisation, refusé l'exemption de gain en capital pour résidence principale à l'égard de terrains qui ont fait l'objet d'une disposition au cours de l'année d'imposition 2005. L'ARQ est d'avis que la résidence principale de Lever ne peut comprendre ces terrains puisqu'ils ne sont pas contigus au terrain sur lequel repose celle-ci. Elle est de plus d'opinion qu'on ne peut raisonnablement les considérer comme facilitant l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence. L'ARQ a ainsi ajouté aux revenus de Lever pour l'année d'imposition 2005 un gain en capital imposable de 131 955 $.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[3]           L'ARQ était-elle en droit d'ajouter, pour l'année d'imposition 2005, un montant de 131 955 $ aux revenus de Lever à titre de gain en capital imposable?

 

[4]           Pour répondre à cette question, le Tribunal devra d'abord déterminer si les terrains qui ont fait l'objet d'une disposition au cours de l'année d'imposition 2005 sont contigus à celui sur lequel repose la résidence principale et, le cas échéant, si l'on peut raisonnablement les considérer comme facilitant l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence.

 

[5]           Dans l'affirmative, le Tribunal devra également se prononcer sur l'effet de l'absence de désignation par Lever des terrains comme résidence principale au sens de l'article 274 de la Loi sur les impôts du Québec ( LI ).

LES FAITS PERTINENTS

[6]           Les faits en cause ne font pas l'objet de grandes contestations bien qu'ils soient pour le moins particuliers.

 

[7]           Les pièces soumises par les parties ont été toutes admises et déposées de consentement, et ce, à l'exception de la pièce P-14 qui ne serait, par ailleurs, plus nécessaire aux fins du litige.

 

[8]           La vérification et l'opposition qui a suivi, ont porté sur la disposition de quatre terrains au cours de l'année d'imposition 2005. Lever a confirmé, avant qu'il ne débute sa preuve, que deux des quatre terrains ne sont plus l'objet d'une contestation de sa part.

 

[9]           Le litige ne porte donc que sur 2 terrains dont les descriptions sont les suivantes, à savoir:

 

1) Un immeuble connu aux plan et livre de renvoi officiels pour le Canton de Brome, Municipalité de Ville de Lac Brome, circonscription foncière de Brome, comme étant:

 

Le lot numéro DIX-NEUF de la subdivision officielle du lot originaire numéro NEUF CENT VINGT-HUIT (928-19)

 

Ce lot a une dimension de 198 mètres carrés

 

Ci-après nommé le "Terrain 928-19";

 

2) Un immeuble connu aux plan et livre de renvoi officiels pour le Canton de Brome, Municipalité de Ville de Lac Brome, circonscription foncière de Brome, comme étant:

 

Le lot numéro TRENTE-TROIS de la subdivision officielle du lot originaire numéro NEUF CENT VINGT-HUIT (928-33)

 

Ce lot a une dimension de 453 mètres carrés

 

Ci-après nommé le "Terrain 928-33";

 

[10]        Le Terrain 928-19 et le Terrain 928-33 sont, par ailleurs, ci-après nommés collectivement les "Terrains".

 

[11]        La résidence principale de Lever repose quant à elle sur le terrain décrit comme suit:

 

Un immeuble connu aux plan et livre de renvoi officiels pour le Canton de Brome, Municipalité de Ville de Lac Brome, circonscription foncière de Brome, comme étant:

 

Le lot numéro TRENTE-SEPT de la subdivision officielle du lot originaire numéro NEUF CENT VINGT-HUIT (928-37)

 

Ce lot a une dimension de 1 444 mètres carrés

 

Ci-après nommé le "Terrain 928-37";

 

[12]        Les Terrains et le Terrain 928-37 sont ci-après nommés collectivement les "3 Terrains".

 

[13]        Pour accéder aux 3 Terrains, il faut emprunter un chemin privé (ci-après nommé le "Chemin privé"). Le Chemin privé porte le nom de la rue Robinson Bay. Celui-ci permet également d'accéder à une trentaine d'autres terrains faisant partie d'un développement immobilier sis aux abords du Lac Brome.

 

[14]        Le Chemin privé est constitué de trois lots.

 

[15]        On accède au Chemin privé par la voie publique. La partie du Chemin privé attenante à la voie publique porte le numéro de lot 928-26 (ci-après nommé le "Chemin 928-26"). Le Chemin 928-26 a une dimension de 3 630 mètres carrés.

 

[16]        Le Chemin 928-26 mène à son extrémité au Terrain 928-33. De cet endroit, le Chemin privé se sépare en deux pour permettre de se diriger à droite ou à gauche.

 

[17]        À droite, le Chemin privé porte le numéro de lot 928-12 (ci-après nommé le "Chemin 928-12"). Il permet notamment d'accéder au Terrain 928-19. Le Chemin 928 - 12 a une dimension totale de 2 053 mètres carrés. La superficie de la portion du Chemin 928-12 qui mène au Terrain 928-19 n'a cependant pas été précisée.

 

[18]        À gauche, le chemin privé porte le numéro de lot 928-32 (ci-après nommé le "Chemin 928-32"). Le Chemin 928-32 a une dimension de 1 940 mètres carrés et il permet notamment d'accéder au Terrain 928-37 qui se situe à son extrémité.

 

[19]        Un plan est produit en annexe [1] afin, notamment, de situer les 3 Terrains les uns par rapport aux autres. Ceux-ci se situent tous en bordure du Lac Brome. On peut également y apercevoir le Chemin privé constitué des 3 lots dont il est question ci-devant.

 

[20]        Lever était, au moment de la disposition des Terrains au cours de l'année d'imposition 2005, propriétaire de tous les terrains décrits ci-devant, incluant les terrains constituant le Chemin privé.

 

[21]        Il a fait l'acquisition de l'ensemble de ces terrains au fil des années.

 

[22]        Lever a d'abord acheté le Terrain 928-37 sur lequel repose sa résidence principale en 1987 [2] .

 

[23]        Il aurait ensuite acheté en bloc les Terrains et les terrains constituant le Chemin privé en 1994. Il dit que son objectif était d'élargir son patrimoine et de maximiser la jouissance de sa résidence principale.

 

[24]        En contre-interrogatoire, Lever reconnaît l'acte de vente notarié du 16 avril 2004 aux termes duquel il aurait acquis le Terrain 928-19 et les terrains constituant le Chemin privé [3] . Lever indique cependant que, dans les faits, il était propriétaire de ceux-ci depuis 1994. Il aurait en effet payé les taxes foncières relativement à ceux-ci depuis 1994. Cet acte de 2004 n'avait pour but que de corriger des irrégularités de titres.

 

[25]        Lever n'a cependant pas été en mesure de produire, et ce, malgré une forme d'engagement en ce sens, les documents démontrant le paiement par lui des taxes foncières concernant le Terrain 928-19 et les terrains constituant le Chemin privé depuis 1994.

 

[26]        Quant au Terrain 928-19, le vérificateur de l'ARQ souligne que Lever l'a acquis par prescription décennale, le tout tel que l'a reconnu la Cour supérieure dans un jugement rendu le 24 août 2005 [4] .

 

[27]        Lever souligne que le Terrain 928-19 était aménagé pour permettre la descente d'embarcations à l'eau. Ceci n'était pas possible sur le Terrain 928-37 puisque la morphologie ne le permettait pas. La pente permettant l'accès à l'eau était trop abrupte. Le Terrain 928-37 n'était pas propice, non plus, à l'installation d'un quai suffisamment grand pour y recevoir un porte-bateau.

 

[28]        Lever a, de fait, utilisé le Terrain 928-19 afin de mettre son bateau à l'eau. Il y a aussi installé un quai. Il y entreposait également la remorque du bateau.

 

[29]        Le Terrain 928-19 permettait également de sortir facilement le quai de l'eau à l'automne.

 

[30]        Lever y entreposait le quai et son bateau pour les périodes autres qu'estivales. Ceci avait également l'avantage de ne pas encombrer le Terrain 928-37 où se situait sa résidence principale.

 

[31]        Le Terrain 928-33 conférait quant à lui un meilleur accès au lac, et ce, à proximité de la résidence principale. Lever a aménagé ce terrain en conséquence et il y a planté des arbres. Les membres de la famille accédaient au lac de cet endroit pour y nager durant la période estivale et pour y faire du patin ou d'autres activités durant la période hivernale. Il dit qu'il utilisait ce terrain à toutes les semaines durant les mois d'été et l'hiver lorsque les conditions étaient favorables pour le patin notamment.

 

[32]        Lever ajoute que l'achat des terrains constituant le Chemin privé lui a conféré un sentiment de sécurité. Le lac Brome est un endroit touristique prisé. Le fait d'être propriétaire du Chemin privé lui permettait d'exercer un meilleur contrôle. Il a ainsi installé des enseignes indiquant qu'il s'agissait d'un chemin privé pour ainsi prévenir la venue de pêcheurs, de touristes ou d'intrus.

 

[33]        Le Chemin privé ne desservait pas seulement ces terrains mais également plusieurs autres. Plus d'une trentaine d'autres terrains en fait. Le Chemin privé était ainsi assujetti à des droits de passage en faveur des propriétaires des autres terrains qu'il desservait.

 

[34]        Lever aurait organisé sur le Chemin privé des fêtes et des parties de hockey l'hiver avec les autres propriétaires. Il y faisait de la marche avec sa fille, de la course à pied et du vélo. Il dit que c'était sa rue et qu'il avait le droit d'y faire ce qu'il y voulait, sujet cependant aux droits de passage à laquelle elle était assujettie en faveur des autres propriétaires.

 

[35]        Lever reconnaît qu'il pouvait notamment pratiquer le vélo sur le Chemin privé avant qu'il ne lui appartienne. Il ajoute cependant que suivant l'achat de celui-ci, il se sentait plus en sécurité.

 

[36]        Lever confirme que 30% des propriétaires occupaient, comme lui, leur terrain de façon permanente. C'est là où se situait leur résidence principale. Quant aux autres propriétaires, il s'agissait plutôt pour eux de résidences secondaires qui reposaient sur ces terrains desservis par le Chemin privé.

 

[37]        Lever est demeuré 20 ans à cet endroit.

 

[38]        En 2005, Lever décide de vendre. Il rencontre un agent d'immeuble pour la vente du Terrain 928-37 sur lequel reposait sa résidence principale. Une offre d'achat lui est présentée et il l'accepte.

 

[39]        Lever dit qu'en ce qui concerne les Terrains, il avait un engagement moral à l'égard de quelques-uns des autres propriétaires des terrains desservis par le Chemin privé. Il s'était engagé à leur offrir en cas de vente.

 

[40]        Il vend alors le Terrain 928-33 à un dénommé Gendreau le 4 avril 2005 ainsi qu'un autre terrain qui ne fait plus partie du présent litige pour un montant total de 148 300 $ [5] .

 

[41]        Lever vend le Terrain 928-19 à un regroupement de quelques propriétaires de terrains desservis par le Chemins privé, le 14 octobre 2005, pour la somme de 43 500 $ [6] .

 

[42]        Lever explique que le promettant acheteur du Terrain 928-37, sur lequel reposait sa résidence principale, s'est quant à lui désisté. La vente de ce terrain n'a donc pas eu lieu au cours de l'année d'imposition 2005. Lever a dû remettre le Terrain 928-37 en vente et il ne l'aurait vendu qu'en juin 2008 [7] .

 

[43]        Lever confirme qu'il est toujours, en date des présentes, propriétaire des terrains constituant le Chemin privé.

 

[44]        Lever est notamment d'avis que les Terrains sont contigus au Terrain 928-37 sur lequel reposait sa résidence principale. Cette contiguïté s'effectue via le Chemin 928-32, une des extrémités du Chemin 928-26 et une portion du Chemin 928-12 qui mène au Terrain 928-19. [8]

 

[45]        Le vérificateur de l'ARQ est d'avis contraire. Il dit que des terrains ne peuvent être contigus si un chemin les sépare.

 

[46]        Les parties ont enfin convenu que le gain en capital et le gain en capital imposable, suivant la disposition des Terrains au cours de l'année d'imposition 2005, s'établissent comme suit:

 

Terrain 928-19

Gain en capital:                                                          35 026.04 $

Gain en capital imposable:                                        17 513.02 $

 

Terrain 928-33 

Gain en capital:                                                          91 877.32 $

Gain en capital imposable:                                        45 938.66 $

 

[47]        Or, le gain en capital imposable en litige n'est plus que de 63 452 $ compte tenu de la concession faite par Lever en début d'audition où il reconnaissait devoir être imposé sur un gain en capital imposable de 68 503 $ (131 955 $ - 63 452 $).

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[48]        C'est principalement l'article 277 de la LI [9] qui trouve application dans la présente affaire. Il se lit comme suit:

 

277. La résidence principale d'un particulier est réputée comprendre le terrain sur lequel elle repose et la partie du terrain contigu que l'on peut raisonnablement considérer comme facilitant l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence.

 

Toutefois, si l'étendue globale du terrain sur lequel repose la résidence principale et de la partie du terrain contigu excède un demi-hectare, l'excédent est réputé ne pas faciliter l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence à moins que le particulier n'établisse que cet excédent est nécessaire à un tel usage et à une telle jouissance.

ANALYSE ET DÉCISION

[49]        Lever soutient que l'étendue globale du terrain sur lequel repose sa résidence principale et la partie du terrain contigu que l'on peut raisonnablement considérer comme facilitant l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence dont il est question ici n'excède pas un demi-hectare.

 

[50]        Un demi-hectare représente une superficie de 5 000 mètres carrés.

 

[51]        Le détail de la superficie retenue par Lever pour les fins de l'application du 1 er  alinéa de l'article 277 LI va comme suit.

 

[52]        D'abord, il y a le Terrain 928-37 sur lequel repose la résidence principale de Lever qui a une superficie de 1 444 mètres carrés.

 

[53]        Ensuite, il y a la partie du terrain que Lever considère contigu au Terrain 928-37 pour les fins de l'exemption du gain en capital qui se compose des éléments suivants, à savoir:

 

·          Le Chemin 928-32 ayant une superficie de 1 940 mètres carrés;

·          Une petite portion du Chemin 928-26 à l'extrémité de celui-ci qui fait le lien entre le Chemin 928-32, le Chemin 928-12 et le Terrain 928-33. La superficie de cette petite portion est inconnue;

·          Une portion du Chemin 928-12 qui mène au Terrain 928-19. Le Chemin 928-12 a une superficie totale de 2053 mètres carrés. La preuve n'est cependant pas claire quant à la superficie de la portion du Chemin 928-12 qui mène au Terrain 928-19;

·          Le Terrain 928-19 ayant une superficie de 198 mètres carrés; et

·          Le Terrain 928-33 ayant une superficie de 453 mètres carrés

 

[54]        Tous ces éléments qui forment le terrain contigu selon la position soutenue par Lever sont rattachés les uns aux autres, d'une façon ou d'une autre, et ils forment un ensemble (ci-après nommé "l'Ensemble").

 

[55]        Bien que la superficie totale de la petite portion du Chemin 928-26 et de la portion du Chemin 928-12 qui mène au Terrain 928-19 soit supérieure à 965 mètres carrés, Lever suggère de ne considérer qu'une superficie de 965 mètres carrés pour les fins de l'établissement de l'étendue totale de l'Ensemble. Cette superficie de 965 mètres carrés représente ainsi une bande de terre qui, dans les faits, est suffisante pour relier le Terrain 928-19 au reste de l'Ensemble.

 

[56]        En ne considérant que cette bande de terre de 965 mètres carrés, l'Ensemble se voit attribuer une superficie totale de 3 556 mètres carrés.

 

[57]        Ainsi la superficie totale de l'Ensemble retenu par Lever (3 556 mètres carrés) et du Terrain 928-37 (1 444 mètres carrés) sur lequel repose la résidence principale n'excède pas un demi-hectare.

 

[58]        En l'absence du Chemin privé, il n'y a pas ici de contiguïté entre le terrain sur lequel repose la résidence principale et les Terrains. Il s'agit, en effet, du Chemin privé et, plus précisément, de la portion retenue par Lever qui assure cette contiguïté.

 

[59]        La question qui se pose consiste donc à savoir si un chemin, une rue ou une voie de circulation, par ailleurs grevés de servitudes de passage, peut constituer un terrain contigu au sens de l'article 277 LI. Dans l'affirmative, l'Ensemble pourra ainsi être considéré comme un terrain contigu au sens de l'article 277 LI.

 

[60]        L'expression terrain contigu que l'on retrouve à cet article n'est pas définie dans la LI, pas plus que les termes terrain et contigu.

 

[61]        Le dictionnaire Larousse définit ces termes comme suit:

 

Terrain [10]

 

§   Espace de terre, considéré du point de vue de sa nature, de sa forme, de son état: Un terrain fertile .

 

§   Étendue de terre, considérée du point de vue de sa surface, de sa propriété et de son affectation: Le terrain coûte cher à Paris .

 

Contigu, contigu ë [11]

 

§   Qui touche à quelque chose, à un lieu ; qui en est voisin: La maison est contigu ë à la mairie. Nos chambres sont contiguës .

 

§   Qui est rapproché de quelque chose d'autre par le sens ou le temps: Des périodes historiques contigu ës .

 

[62]        Le dictionnaire Robert [12] y va quant à lui des définitions suivantes, à savoir:

 

Terrain

 

§   Étendue de terre (considérée dans son relief ou sa situation)

 

§   Portion de l'écorce terrestre, considérée quant à sa nature, son origine ou son âge.

 

Contigu, u ë

 

§   Qui touche à autre chose: Deux jardins contigus .

 

[63]        À la lumière de ces définitions et du texte de l'article 277 de la LI, quel est donc le sens que l'on doit donner à cette expression "terrain contigu" que l'on retrouve à cet article?

 

[64]        Pierre-André Côté souligne dans son ouvrage Interprétation des lois [13] que:

 

157.         L'interprétation de la loi exige la prise en considération d'une série de facteurs qui font l'objet d'une pondération en vue d'arriver au vrai sens ou au meilleur sens d'un texte. Dans l'histoire, la gamme de ces facteurs s'est tantôt étendue et tantôt restreinte. La période récente est marquée par une extension de la gamme des facteurs qu'il est non seulement possible, mais aussi recommandé de prendre en compte dans l'interprétation.

 

158.         Cette extension est associée à la montée de l'interprétation contextuelle, qui est de plus en plus favorisée par la doctrine et par la jurisprudence. On reconnaît aujourd'hui que le sens des mots ne peut pas être déterminé en dissociation du contexte. La règle du sens clair des textes, la Plain Meaning Rule , qui voulait restreindre l'interprète à la considération du seul sens littéral du texte lorsqu'il est clair est maintenant, on peut le dire, tombée en discrédit.

 

159.         Aucun texte n'est plus représentatif de ce mouvement d'élargissement des sources d'interprétation et n'a plus contribué à le promouvoir que le passage suivant, extrait de la deuxième édition du traité d'Elmer A. Driedger, et connu sous l'appellation de «principe moderne d'interprétation»:

 

«Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.» [14]

 

160.         Cet extrait a été cité pas moins de 59 fois à la Cour suprême du Canada entre 1984 et le début de 2006 [15] . Il a été présenté par celle-ci comme l'expression de LA méthode à suivre dans l'interprétation des lois au Canada. La formule de Driedger peut difficilement prétendre exprimer, à elle seule, tous les principaux éléments de la méthode d'interprétation que devraient suivre les juristes canadiens [16] . Néanmoins, il faut reconnaître qu'elle a fortement contribué à faire sauter le verrou que constituait la Plain Meaning Rule et à promouvoir une méthode d'interprétation contextuelle, faisant appel à une gamme étendue de facteurs et ouverte notamment à la prise en compte des objectifs des dispositions et des lois interprétées.

 

[65]         Dans l'arrêt Placer Dome Canada [17] rendu par la Cour suprême du Canada en 2006, le juge Lebel confirme l'application de la règle moderne d'interprétation en matière fiscale, et ce, dans les termes suivants:

 

21                               Dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine , [1984] 1 R.C.S. 536 , notre Cour a rejeté l’approche restrictive en matière d’interprétation des lois fiscales et a statué que la méthode d’interprétation moderne s’applique autant à ces lois qu’aux autres lois.  En d’autres termes, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (p. 578) : voir l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada , [1999] 3 R.C.S. 804 , par. 50.  Toutefois, le caractère détaillé et précis de nombreuses dispositions fiscales a souvent incité à mettre davantage l’accent sur l’interprétation textuelle : Hypothèques Trustco Canada c. Canada , [2005] 2 R.C.S. 601 , 2005 CSC 54 , par. 11.  Les contribuables ont le droit de s’en remettre au sens clair des dispositions fiscales pour organiser leurs affaires.  Lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.

 

22                               Par contre, lorsque le texte d’une loi peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, le sens ordinaire des mots joue un rôle moins important et il peut devenir nécessaire de se référer davantage au contexte et à l’objet de la Loi : Trustco Canada , par. 10.  De plus, comme la juge en chef McLachlin l’a fait remarquer au par. 47, « [m]ême lorsque le sens de certaines dispositions peut paraître non ambigu à première vue, le contexte et l’objet de la loi peuvent révéler ou dissiper des ambiguïtés latentes. »  La Juge en chef a ensuite expliqué que, pour dissiper les ambiguïtés explicites ou latentes d’une mesure législative fiscale, « les tribunaux doivent adopter une méthode d’interprétation législative textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ».

 

23                               Le degré de précision et de clarté du libellé d’une disposition fiscale influe donc sur la méthode d’interprétation.  Lorsque le sens d’une telle disposition ou son application aux faits ne présente aucune ambiguïté, il suffit de l’appliquer.  La mention de l’objet de la disposition [ traduction ] « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit » : voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (5 e  éd. 2005), p. 569; Shell Canada Ltée c. Canada , [1999] 3 R.C.S. 622 .  Lorsque, comme en l’espèce, la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question.  Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë.

 

[66]        Lever soutient qu'il faut interpréter l'expression "terrain contigu" selon le sens ordinaire des mots et que celle-ci inclut l'Ensemble tel que déterminé par lui avec tous les éléments qui le composent. Le Tribunal n'est pas de cet avis.

 

[67]        Cette expression peut recevoir plus d'une interprétation raisonnable. Du coup, il est nécessaire de référer au contexte, à l'économie et à l'objet de la Loi pour ainsi en connaître le sens véritable.

 

[68]        Il va de soi que le Chemin privé dont il est question ici repose sur un terrain. Il en est ainsi de tous chemins, rues ou voies de circulation. Est-ce que le Chemin privé constitue pour autant un terrain au sens de l'article 277 LI?

 

[69]        Le contexte de l'article 277 LI ne permet pas de conclure en ce sens.

 

[70]        L'article 277 permet au contribuable de considérer, afin d'établir les dimensions du fond de terre qui peut constituer sa résidence principale, le terrain sur lequel celle-ci repose ainsi que toute autre partie de terrain contigu qui peut raisonnablement être considérée comme facilitant l'usage et la jouissance du logement à titre de résidence.

 

[71]        Le terme terrain est employé à deux reprises dans cet article. Il doit donc avoir le même sens ou la même signification dans les deux cas. Or, puisqu'un terrain sur lequel repose la résidence principale ne saurait être un chemin, une rue ou une voie permettant la circulation, il doit en être de même en ce qui concerne le terrain contigu.

 

[72]        La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Schwartz c. Canada [18] a reconnu ce principe d'interprétation. On peut y lire au paragraphe 61 que:

 

61         Selon un principe d'interprétation bien établi, les termes employés par le législateur sont réputés avoir le même sens dans chacune des dispositions d'une même loi; pour des applications récentes de ce principe par notre Cour, voir R. c. Zeolkowski , [1989 ] 1 R.C.S. 1378, et Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture) , [1992 ] 1 R.C.S. 385. Comme pour tout principe d'interprétation, il ne s'agit pas d'une règle, mais d'une présomption qui doit céder le pas lorsqu'il ressort des circonstances que telle n'était pas l'intention du législateur. Or, en l'espèce, je ne vois aucune raison de m'écarter de ce principe, étant donné que, tout au contraire, il confirme le sens ordinaire des mots «emploi» et «allocation de retraite» choisis par le législateur et est compatible avec lui.

 

[73]        Il est vrai que le chemin dont il est question ici est un chemin privé. Lever en était d'ailleurs toujours propriétaire au moment de l'audition. Ce dernier a, par ailleurs, fait grand état des avantages que celui-ci lui procurait, à lui et à sa famille. Il est opportun cependant d'ajouter qu'il est le seul élément qui assure une contiguïté entre le terrain sur lequel repose la résidence principale et les Terrains. Il représente, par ailleurs, à lui seul près de 82% de la superficie totale de l'Ensemble.

 

[74]        Bien qu'il soit privé, le chemin présente cependant les attributs d'un chemin public. Sa raison d'être et l'usage auquel il est destiné sont foncièrement les mêmes. Celui-ci fait l'objet de servitudes ou droits de passage en faveur de l'ensemble des terrains qui composent le développement immobilier qu'il dessert. Ces servitudes confèrent un droit de passage et permettent ainsi l'accès à l'ensemble des propriétaires qui en sont bénéficiaires ainsi qu'à leur famille, amis et visiteurs. Ces servitudes ou droits de passage limitent, par ailleurs, d'autant les droits de Lever à l'égard de ce chemin.

 

[75]        Il n'est pas non plus question ici d'un chemin privé sur un fond de terre privé qui n'est assujettie à aucune servitude de passage comme c'est le cas en l'espèce.

 

[76]        Un chemin, tel que celui dont il est question dans la présente affaire, ne peut être considéré comme un terrain dans le contexte de l'article 277 LI.

 

[77]        Il y a donc absence de contiguïté entre le terrain sur lequel repose la résidence principale (Terrain 928-37) et les Terrains qui ont fait l'objet d'une disposition au cours de l'année d'imposition 2005. Ainsi, les Terrains ne peuvent pas être considérés comme faisant partie de la résidence principale et bénéficier de l'exemption de gain en capital suivant leur disposition.

 

[78]        Vu la conclusion à laquelle le Tribunal arrive, il n'y a donc pas lieu de se prononcer sur les autres questions pour disposer du présent litige.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE le présent appel.

 

CONFIRME la cotisation établie par la défenderesse le 1 er décembre 2008 à l'endroit du demandeur dont l'avis porte le numéro MP868126C01.

 

LE TOUT , sans frais.

 

 

__________________________________

Gatien Fournier, j.c.Q.

 

Me Caroline Desrosiers

CD Légal

Procureurs de la partie demanderesse

 

Me Nicolas Ammerlaan

Larivière Meunier

Procureurs de la partie défenderesse

 

Date d’audience :

Le 13 septembre 2013




[1]     Voir Annexe A en page 15 du présent jugement.

[2]     Voir la pièce P-10.

[3]     Voir notamment la pièce P-5.

[4]     Voir la pièce D-8.

[5]     Voir la Pièce P-11.

[6]     Voir la Pièce P-13.

[7]     Voir la Pièce P-15.

[8]     Voir Annexe A.

[9]     Loi sur les impôts , L.R.Q., c. I-3.

[10]    Onglet 5, cahier d'autorités du demandeur.

[11]    Onglet 4, cahier d'autorités du demandeur.

[12]    Le Nouveau Petit Robert , Paris, Dictionnaires Le Robert, 1994.

[13]    Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois , 4 e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, pp. 52-53.

[14]    Elmer A. DRIEDGER, The Construction of Statures , 2 e éd., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87, traduction tirée de Castillo c. Castillo , [2005] 3 R.C.S. 870 , par. 22.

[15]    S. BEAULAC et P.-A. CÔTÉ, «Driedger's "Modern Principle" at the Supreme Court of Canada: Interpretation, Justification, Legitimization», (2006) 40 R.J.T. 131 , 136.

[16]    Id. , p. 166 et suiv.

[17]    Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Minister of Finance) , 2006 CarswellOnt 3112, 2006 SCC 20 , 266 D.L.R. (4 th ) 513, 348 N.R. 148, 210 O.A.C. 342, 2006 D.T.C. 6532 (Eng.), (2006) 1 S.C.R. 715 (Supreme Court of Canada).

[18]    Schwartz c. Canada , [1996] 1 R.C.S. 254 .