[1]
Promutuel Bagot, une société mutuelle d’assurance, se pourvoit contre un
jugement de la Cour supérieure, district de St-Hyacinthe (l’honorable Gary
D.D. Morrison),
[2] Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Vauclair, LA COUR :
[3] ACCUEILLE le pourvoi avec dépens;
[4] INFIRME le jugement de la Cour supérieure et, statuant à nouveau :
[5] CONDAMNE Boutique du Foyer St-Hyacinthe inc., à payer à Promutuel la somme de 285 360,43 $ et à Villeneuve et Beauregard, la somme de 58 265,47 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle depuis l’assignation, plus les dépens tant en appel qu’en première instance, incluant des frais d’expertise de 2 040 $.
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MOTIFS DU JUGE DALPHOND |
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Promutuel Bagot, une société mutuelle d’assurance, se pourvoit contre un
jugement de la Cour supérieure,
[7] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’intervention de la Cour s’impose à la lumière de la preuve faite, des conclusions de fait tirées par le juge et de la présomption applicable.
LE CONTEXTE
[8] À la suite de l’achat de la résidence en avril 2004, Villeneuve et Beauregard entreprennent d‘importants travaux de rénovation. Souhaitant faire du foyer au bois le principal moyen de chauffage de la maison, les acheteurs font inspecter la cheminée préfabriquée et le foyer, puis sont informés que la cheminée Nordica est non conforme et qu’elle doit être démontée à partir du foyer et réinstallée avec des dégagements suffisants et des supports et coupe-feu dans le grenier.
[9] Un entrepreneur général se voit confier divers travaux, et un électricien et un plombier, d’autres. Les propriétaires agissent comme maîtres d’œuvre.
[10] Quant à Boutique, ses services sont retenus pour la fourniture et l’installation d’un nouveau foyer plus performant et la mise aux normes de la cheminée, le tout en vertu d’un contrat de plus de 5 500 $ TTC. Selon la soumission, elle doit installer, notamment, une plaque d’ancrage et différents modèles de coupe-feu. De fait, elle verra au raccordement du foyer à la base de la cheminée existante en passant en oblique à travers le mur derrière le foyer. Il faut préciser que la cheminée est située dans un caisson qui part de sa base, à mi-hauteur du mur derrière le foyer, et se termine sous les combles, après avoir traversé l’étage supérieur au niveau de la chambre des maîtres. La preuve établit que Boutique n’installera pas, au niveau du passage dans le mur, le coupe-feu recommandé et décrit dans la soumission et la facture, qu’elle omettra d’assurer, à deux endroits, un dégagement de deux pouces par rapport aux matériaux combustibles du caisson, et qu’un isolant (laine minérale) installé à la hauteur du coude menant à la cheminée obturera le passage de l’air.
[11] Dans la nuit du 20 février 2006, vers 2 h 00, un incendie détruit la résidence. Le propriétaire a témoigné qu’il faisait très froid le soir en question et qu’avant d’aller au lit, au retour d’une soirée, il a mis une bonne bûche au feu. Il ajoute avoir été réveillé vers 1 h 40 par des bruits de crépitements, qui s’avéreront reliés à l’incendie qui fait alors rage sous les combles.
[12] L’appel aux sapeurs-pompiers est placé vers 1 h 58 et ceux-ci arrivent dans les dix minutes pour constater que le toit est en feu. Après leur intervention, ils écrivent dans leur rapport « incendie de cheminée ».
[13] Après avoir indemnisé ses assurés, Promutuel intente, en 2009, une action contre l’entrepreneur et Boutique. Invoquant un rapport de mars 2006 préparé par ses experts, les ingénieurs Messier et Germain, elle fait valoir que l’installation de la cheminée était non conforme aux normes applicables et constitue la source de l’incendie. Ces ingénieurs écrivent en conclusion de leur rapport :
5. CONCLUSION
Notre examen du 1555, 7 e Rang à Saint-Dominique, province de Québec, nous amenait à considérer le secteur où la cheminée du foyer préfabriqué passait au travers du mur sud de la salle à manger comme étant la région d’origine de l’incendie.
En ce qui concerne la cause de l’incendie, la seule source de chaleur que nous retrouvions à proximité de la région d’origine s’avérait être la cheminée du foyer préfabriqué.
En procédant à l’examen de l’installation de la cheminée, nous avons constaté que l’espace de 2 po entre la cheminée et les matériaux combustibles requis n’était pas respecté, et ce, à proximité de la région d’origine de l’incendie.
Nous sommes d’opinion que la cause la plus probable de cet incendie est reliée à une installation non conforme de la cheminée du foyer préfabriqué. Cette situation a entraîné l’allumage des matériaux combustibles situés trop près.
[14] Boutique conteste cette prétention, s’appuyant sur un rapport d’avril 2006 de son expert, l’ingénieur Eddie Vos, qui retient comme cause probable de l’incendie deux sources potentielles, un arc électrique sous les combles ou de la chaleur provenant de la cheminée :
4. CONCLUSION
4.1 The fire probably started either in the attic and roof space or within the enclosure for the chimney between the 8 and 26 foot level.
4.2 There are only two “natural” potential heat sources that could have caused the fire:
4.2.1. A short circuit (potentially caused by a mechanical injury to the insulation of the cable) in one of the small caliber cables at the directional transition where the two building sections meet and thus an area in-line with the chimney.
4.2.2. The ignition of (probably) wood that was in excess proximity to the chimney, or that was separated from the chimney not by air but by some insulation material.
It is not possible to tell where such wood (or insulation material) was located or who would have left or placed such material since the relevant portions of the enclosure have burnt in the fire.
4.2.3. It is not probable that a defective chimney section joint or a defective chimney section itself is the cause of the fire since all sections remain firmly and properly interconnected.
Dans un rapport subséquent, l’expert Vos opte pour l’arc électrique, position qu’il défendra devant le juge de première instance. Il reconnaît cependant qu’il n’aurait pas fait l’installation constatée de la cheminée, mais nie qu’elle soit la cause de l’incendie.
[15] Les dommages admis sont :
d) frais d’évaluation des dommages au bâtiment par Service d’évaluation M.P. inc. pour un montant de 1 428 $, payés par Promutuel;
e) frais du calcul des dommages effectué par Groupe St-Amour inc. pour un montant de 1 224 $, dont une moitié a été payée par Boutique et l’autre par Promutuel.
Le juge déclare aussi qu’il aurait accordé 2 500$ à chacun des co-appelants pour trouble et inconvénients causés par l’incendie, dont la perte de photos de famille, s’il avait accueilli leur action.
[16] Par jugement rendu après délibéré au terme d’un procès de quatre jours, l’action de Promutuel est rejetée, de même que les réclamations de Villeneuve et Beauregard, d’où le pourvoi.
LE JUGEMENT
[17] Dans un jugement soigné, le juge résume la position des experts de Promutuel et de Boutique et l’ensemble de ses constats factuels. Tout en reconnaissant que Boutique a commis une faute en ne respectant pas la norme de dégagement de deux pouces entre la cheminée et les matériaux combustibles à deux endroits et après avoir exclu la thèse d’un arc électrique proposée par l’expert de Boutique, il conclut que la partie demanderesse n’a pas établi par une preuve prépondérante un lien de causalité entre cette faute et l’incendie :
[111] Les parties demanderesses ont-elles établi par une preuve prépondérante, y compris la preuve par présomption [...] la cause probable [de l’incendie] ? Le Tribunal ne croit pas.
[…]
[114] Dans le présent cas, le fait que la norme d’un dégagement de deux (2) pouces n’a pas été respectée ne constitue aucunement une faute « immédiatement suivie » par l’incendie, (1) soit dans le sens temporel (2) soit dans le sens de connexité entre la contravention de la norme et l’origine de l’incendie. La phrase « immédiatement suivi » exige, au moins, que la contravention soit liée, selon la preuve, à l’incident . [...] ce n’est pas le cas dans la présente affaire.
[115] Et même si l’on présume qu’une telle connexité existe, la présomption de causalité peut être mise de côté par « une forte indication du contraire ». Dans la présente affaire, une forte indication du contraire existe : le nombre limité des dégagements insuffisants, l’absence de carbonisation de la structure de bois aux deux endroits précis identifiés par l’expert Messier comme étant l’origine de l’incendie et la présence à ces deux endroits de coupe-feux. Ce serait, selon le Tribunal, déraisonnable dans les faits de cette cause de présumer un lien de causalité entre une telle contravention et l’incendie.
[je souligne]
[18] Il conclut que l’origine de l’incendie demeure inexpliquée, rejette l’action de Promutuel et la condamne aux dépens, dont 9 410 $ à l’expert de Boutique.
L’ANALYSE
[19] Puisque la plupart des conclusions factuelles tirées par le juge sont « raisonnablement étayées par la preuve [1] », je les retiens, soit : traces de carbonisation importantes et nombreuses dans la partie du caisson entourant la cheminée partant du foyer et se rendant à l’étage supérieur (jugement par. 45-46); non-respect de la norme de dégagement de deux pouces à deux endroits dans ce caisson (par. 65-71); constat, à proximité de ces deux endroits, de traces de calcination, même s’il ne s’agit pas des plus sévères (par. 49 et 74); principal incendie sous les combles où se terminait le caisson après avoir passé dans un coin de la chambre des maîtres (par. 41-45); et absence d’un arc électrique y situé causant l’incendie (par. 106).
[20] La source de la norme de dégagement de deux pouces est le Installation Code for Solid-Fuel-Burning Appliances and Equipment, CAN/CSA-B365-01 , une norme nationale recommandée par l’Association canadienne des normes (CSA) :
Shielding consists of protection such as external jacketing or a metal heat shield attached to the sides and rear of the appliance and spaced out at least 50 mm (2 in) by noncombustible spacers, with provision for air circulation at bottom and top.
[21] Cette norme est reprise dans le Manuel d’instruction pour les cheminées de marque Nordica, à l’art. 2.4.1 :
5) La cheminée doit avoir un dégagement minimum de 2’’ (51 mm) des matériaux combustibles. Afin d’éviter le surchauffement, ne jamais obstruer le dégagement .
De plus, l’alinéa 3.6(2) précise que « la cheminée doit traverser et prévoir un espace de 2’’ (51 mm) entre la cheminée et tout matériau combustible. Ne pas remplir l’espace de 2’’ avec de l’isolant ou tout autre matériau combustible ».
[22] Quant à la finalité de cette norme, on peut lire dans le Manuel d’installation et d’utilisation d’une cheminée ASHT+ : « [i]l est de la plus haute importance que votre cheminée soit installée en totale conformité selon les instructions » puisque « la cause de feu la plus fréquente reliée aux cheminées est due au non respect des dégagements nécessaires entre la cheminée et les matériaux combustibles ».
[23] Je n’hésite pas à conclure en l’existence ici d’une norme élémentaire de prudence au sens de la jurisprudence [2] , soit un dégagement de deux pouces, et ce, afin de prévenir les risques d’incendie causés par la chaleur irradiante de la cheminée sur les matériaux combustibles.
[24]
Le fait que cette norme de prudence n’est pas d’origine législative
n’affecte pas sa portée normative comme règle de l’art à laquelle Boutique est
assujettie par l’art.
[25] Or, la preuve indique qu’à au moins deux endroits, cette norme de dégagement n’a pas été respectée et qu’à proximité, on constate des traces de carbonisation, que le coupe-feu prescrit et décrit à la soumission pour le passage dans le mur derrière le foyer n’a pas été utilisé et qu’une fois enlevé, on a constaté des traces de carbonisation sous celui-ci et dans du bois adjacent, et qu’au niveau du coude de raccordement à la cheminée, de la laine minérale entourait le tuyau et obstruait la circulation de l’air.
[26]
En d’autres mots, des manquements, commis par Boutique, aux règles de
l’art au sens de l’art.
[27]
Cela ne suffisait cependant pas pour engager la responsabilité de cette
dernière. Promutuel devait aussi établir un lien de causalité entre l’incendie
et ces fautes. Pour ce faire, elle pouvait invoquer des présomptions, dont
celle reconnue dans l’arrêt
Morin c. Blais
,
La simple contravention à une disposition réglementaire n’engage par la responsabilité civile du délinquant si elle ne cause de préjudice à personne.
Mais un bon nombre de ces dispositions concernant la circulation expriment , tout en les réglementant, des normes élémentaires de prudence . Y contrevenir est une faute civile. Lorsque, cette faute est immédiatement suivie d’un accident dommageable que la norme avait justement pour but de prévenir, il est raisonnable de présumer, sous réserve d’une démonstration ou d’une forte indication du contraire, qu’il y a un rapport de causalité entre la faute et l’accident .
[je souligne]
[28]
Cette présomption d’un lien de causalité entre la violation d’une norme
qui a pour but d’éviter un dommage spécifique et la survenance de ce dommage,
reconnue il y a plus de 35 ans, est toujours appliquée par notre Cour :
Placements
D.P.C. inc. c. Gagnon-Bolduc
,
[29] En l’espèce, cette présomption trouve pleinement application, malgré ce qu’en dit le juge aux par. 113-115 de son jugement.
[30]
D’abord, la preuve, notamment photographique, établit sans ambigüité une
carbonisation importante de matériaux combustibles dans le caisson, notamment
du bois à proximité immédiate des installations non conformes. Ensuite, un
incendie a détruit la résidence dont l’épicentre est le caisson et les combles.
En d’autres mots, on a démontré des fautes (manquements à une norme publicisée
en matière de dégagement) suivies d’un fait dommageable (incendie), que la
norme avait justement pour but de prévenir. Promutuel ne s’est pas limitée à
dire que la violation d’une norme entraîne une présomption de responsabilité,
ce qui serait inacceptable (
Donais-Lussier c. Assurance-Vie Desjardins
,
[31] Par ailleurs, que l’incendie n’ait lieu que deux ans après l’installation du nouveau foyer ne change rien, en droit, au lien de causalité présumé. D’une part, le foyer n’est pas toujours utilisé et d’autre part, tout indique qu’il l’était pleinement la nuit de l’incendie, sans parler d’une graduelle pyrolyse ayant pu affecter la résistance des matériaux combustibles du caisson.
[32]
En réalité, il faut entendre par les mots «
cette faute
est immédiatement suivie », la nécessité d’un préjudice « qui est une
suite immédiate et directe » de la faute au sens de
l’art.
[33] Il revenait alors à Boutique de repousser la présomption d’un lien de causalité entre les manquements à la norme de dégagement et l’incendie. C’est ce qu’elle souhaitait faire en proposant comme cause de l’incendie un arc électrique sous les combles.
[34] Puisque le juge a rejeté cette thèse, il lui fallait alors conclure, en droit, que la présomption n’avait pas été repoussée à moins d’une démonstration ou d’une forte indication que la source de l’incendie ne pouvait être dans le caisson ou à tout le moins dans une installation défectueuse de la cheminée. Cela est d’autant plus vrai que le rapport initial et le rapport complémentaire de M. Vos n’excluent pas que la cause de l’incendie puisse être reliée à la cheminée, même s’il viendra à ne pas favoriser cette thèse.
[35] Au par. 115 de ses motifs, reproduit plus haut, le juge écarte la présomption. Ceci dit avec égards, il commet alors plusieurs erreurs manifestes et dominantes. D’abord, il est faux d’écrire dans ce paragraphe qu’il y a absence de carbonisation aux deux endroits identifiés comme ne respectant pas la norme de dégagement; le juge contredit alors des dizaines de photos. Ensuite, insister sur le fait que le nombre de dégagements insuffisants est limité ne peut servir d’excuse; en réalité, un seul manquement à la norme de dégagement peut suffire à causer un incendie. Finalement, le juge ne peut écarter l’opinion de l’expert Messier sur la dynamique d’un incendie et sa progression normale, soit du bas vers le haut, sous prétexte que les traces de carbonisation sont plus importantes sous les combles que dans le bas du caisson. De toute façon, souligner que la combustion est plus sévère à l’étage que dans le bas du caisson ne constitue pas une démonstration d’une absence de lien entre les combustions constatées dans le caisson et l’embrasement sous les combles où les gaz chauds s’accumulaient naturellement.
[36] En somme, il m’est impossible d’affirmer, à la lumière du dossier, que la présomption d’un lien de causalité entre les fautes commises par Boutique et l’incendie a été écartée. En d’autres mots, la preuve faite obligeait le juge à conclure qu’en toute probabilité ce qui s’est produit ne serait pas arrivé en l’absence des fautes commises par Boutique; cela suffisait et exiger plus constituait une erreur de droit.
LA CONCLUSION
[37] Pour ces motifs, je propose donc d’accueillir le pourvoi avec dépens, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et, statuant à nouveau, de condamner Boutique à payer à Promutuel la somme de 285 360,43 $ et à Villeneuve et Beauregard, la somme de 58 265,47 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle depuis l’assignation, plus les dépens tant en appel qu’en première instance, incluant des frais d’expertise de 2 040 $.
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PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. |
[1]
H.L. c. Canada (Procureur général)
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[2]
Harvey c. Trois-Rivières (Ville de)
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