Sauvageau c. Dauphinais

2014 QCCQ 5412

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-32-013131-138

 

DATE :

9 juin 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

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DENIS SAUVAGEAU,

Partie demanderesse

c.

JOCELYN DAUPHINAIS,

Partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

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[1]            Monsieur Sauvageau réclame 2 260,72 $ pour les vices cachés affectant l'embarcation nautique acquise de monsieur Dauphinais.

QUESTIONS EN LITIGE:

[2]            Les questions en litige sont les suivantes:

-         Le ponton vendu est-il affecté de vices cachés au moment de sa vente?

-         Y a-t-il eu respect des avis écrits préalables exigés par l'article 1739 du Code civil du Québec ?

 

LE CONTEXTE:

[3]            Voici les faits les plus pertinents retenus par le Tribunal.

[4]            Le 8 septembre 2012, monsieur Sauvageau achète de monsieur Dauphinais un ponton de marque et modèle Bentley Cruise 240 de l'année 2007 avec un moteur Mercury de 115 hp.

[5]            Lors de la visite préachat, monsieur Sauvageau est accompagné de Mario Lalonde, un ami mécanicien.

[6]            Ils inspectent le ponton et essaient de démarrer le moteur.  Ce dernier ne fonctionne pas.

[7]            Malgré un survoltage, il ne démarre pas.  Ce n'est qu'après la recharge qu'on réussit à le faire fonctionner.

[8]            Monsieur Sauvageau décrit que le moteur tourne mal et a des ratés.  Il constate une grande flaque d'essence dans l'eau à l'arrière du moteur.  Il suspecte une problématique importante.

[9]            Malgré tout, il réussit à circuler sur le lac avec l'embarcation, mais cela ne fonctionne pas bien.

[10]         Son copain, Mario Lalonde, conduit l'embarcation et rapporte le fait que pour un 115 hp, ce moteur n'a pas beaucoup de puissance.

[11]         Messieurs Sauvageau et Lalonde ouvrent le capot protecteur du moteur.  Ils se questionnent à savoir s'il fonctionne bien sur quatre cylindres et non pas que sur trois.

[12]         Monsieur Sauvageau est conscient que ce n'est pas une embarcation neuve, mais ça l'inquiète.

[13]         Le défendeur, monsieur Dauphinais, lui suggère de le faire inspecter.  Il lui mentionne qu'il fait faire l'entretien chez un concessionnaire à proximité.

[14]         Monsieur Sauvageau soupçonne un problème avec le filtre à air.

[15]         Monsieur Lalonde conclut qu'il s'agit probablement d'un problème de bobine ( coil ).

[16]         Le prix initial demandé est de 22 000 $, mais après négociations, et compte tenu de la particularité du moteur, on s'entend à 20 750 $.

[17]         Monsieur Sauvageau a des connaissances dans le domaine de la mécanique, en fait, il est réparateur de moteurs d'avion.

[18]         Monsieur Dauphinais, par contre, n'a aucune connaissance particulière dans ce domaine et c'est pourquoi il mandate son concessionnaire pour l'entretien et toutes les réparations usuelles de l'embarcation.

[19]         Selon monsieur Sauvageau, lors de l'achat, il a fait diminuer de 22 000 $ à 20 750 $ le prix de vente étant donné le problème du moteur.  Il explique que s'il ne s'agissait pas d'un problème de bobine ( coil ), il en reparlerait à monsieur Dauphinais.

[20]         Par la suite, monsieur Sauvageau effectue, en compagnie de monsieur Lalonde, plusieurs tests sur le moteur et constate justement qu'une des bobines est défectueuse.  On la remplace et le moteur fonctionne parfaitement.

[21]         On effectue le nettoyage et certaines réparations mineures sur l'embarcation cet automne-là.

[22]         Il est dûment hivernisé.

[23]         Au printemps suivant, le 18 mai, monsieur Sauvageau tente de faire démarrer le moteur, mais en vain.  Celui-ci ne démarre pas.

[24]         On remplace la batterie, on effectue plusieurs manœuvres, on ouvre l'un des couvercles du démarreur et découvre que c'est ce dernier qui est défectueux.

[25]         Le 25 mai 2013, il remplace au coût de 567,57 $ le démarreur.

[26]         Jusque-là, il n'a pas informé monsieur Dauphinais de la situation ou du bris mécanique.  Ce n'est que dans la première semaine de juin qu'il téléphone à monsieur Dauphinais, lequel lui demande de contacter son mécanicien.

[27]         Le demandeur ne s'exécute pas en ce sens, mais il effectue plutôt un nettoyage des injecteurs du moteur.  Le tout semble fonctionner.  Cependant, après une balade d'à peine 20 minutes, le moteur cesse encore de fonctionner.

[28]         Il amène le ponton chez un mécanicien spécialisé à Rivière des Mille-Îles où on diagnostique un problème de boite d'alimentation en essence.

[29]         On effectue la réparation le 28 juin 2013 pour 1 144,22 $.  Au total, ce sont deux factures que réclame monsieur Sauvageau qui totalisent 2 011,79 $ plus autres frais et déboursés.

[30]         Pour sa part, monsieur Dauphinais, le défendeur, écrit dans sa contestation qu'il a offert à monsieur Sauvageau de faire inspecter le ponton chez le concessionnaire autorisé Mercury, mais qu'étant donné l'empressement de monsieur Sauvageau, il n'a pas accepté de le faire.  Il a diminué le prix de vente en conséquence, selon lui.

[31]         Il estime que toute cette affaire réside dans une mauvaise inspection préachat de la part de monsieur Sauvageau et à une mauvaise hivernisation de l'embarcation.

[32]         Le Tribunal n'a pas requis de preuve supplémentaire en défense au procès.

LE DROIT APPLICABLE:

[33]         Le Tribunal considère important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.

[34]         Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux articles 2803 et 2804 C.c.Q. qui prévoient:

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.  La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[35]         Les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit.  Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion.  Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.

[36]         En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.

[37]         La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.

[38]         La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.

[39]         La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.

[40]         Le niveau d'une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.

[41]         Le législateur a adopté un cadre juridique spécifique prévoyant des responsabilités pour le vendeur, afin qu'il assure à l'acheteur la pleine jouissance du bien vendu.  Une des garanties du droit de propriété est la garantie légale de qualité, souvent appelée la garantie contre les vices cachés.

[42]         L'article 1726 C.c.Q. prévoit:

1726.   Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

[43]         L'auteur Jacques Deslauriers, dans son ouvrage intitulé Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service [1] définit en ces termes les vices cachés:

« L'article 1726 C.c.Q. indique implicitement les caractéristiques d'un vice caché.  Il s'agit d'un vice rendant le bien impropre à l'usage auquel l'acheteur le destinait.  Si le vice caché diminue tellement l'usage du bien que l'acheteur ne l'aurait pas acheté s'il l'avait connu, ce dernier peut demander la résolution de la vente en raison de ce vice caché (…).

S'il s'avère que, malgré sa connaissance du vice, l'acheteur aurait quand même acheté le bien mais à un prix moindre, il peut demander une diminution de prix (art. 1604 C.c.Q.). »

[44]         L'auteur décrit ainsi les caractéristiques du vice donnant ouverture au recours.  Il ajoute:

« Pour réussir un recours fondé sur des défauts cachés, l'acheteur doit prouver toutes les caractéristiques permettant de conclure au caractère caché du défaut, telles qu'énoncées ci après:  son caractère caché, sa gravité, l'ignorance qu'avait l'acheteur de son existence et l'existence de ce défaut au moment de la vente.  Les recours pour vices cachés peuvent être intentés malgré la bonne foi du vendeur;  des dommages-intérêts pourront s'ajouter au remboursement du prix, total ou partiel selon le cas, si le vendeur connaissait ou ne pouvait ignorer les défauts dont le bien vendu était affecté (art. 1728 C.c.Q.). »

[45]         Le Tribunal estime donc que pour répondre aux exigences de la garantie légale prévue à l'article 1726 C.c.Q. , le vice doit réunir les conditions suivantes:

1)         Le vice doit être caché.

2)         Le vice doit être inconnu de l'acheteur.

3)         Le vice doit être important.

4)         Le vice doit être antérieur à la vente.

5)         Le vice doit avoir fait l'objet d'une dénonciation suffisante.

[46]         Le caractère caché d'un vice s'apprécie objectivement en examinant, entre autres, le degré d'inspection du bien faite par l'acheteur, suivant les critères d'un acheteur prudent et diligent [2] .

[47]         Il nous faut analyser le caractère caché d'un vice, en tenant compte du niveau de connaissance de l'acheteur [3] .

[48]         Les protections juridiques pour la garantie légale de qualité ne constituent pas un système de protection pour un acheteur qui serait imprudent ou incompétent [4] .

[49]         Le comportement d'un acheteur doit être examiné selon les circonstances de chaque cas et nous devrons prendre en considération la nature, l'âge et le prix du bien ainsi que le type de vice dont il est affecté [5] .

[50]         Il faut qu'une personne prudente et diligente n'ait pas été en mesure de déceler le vice avant la vente.  L'auteur Denys-Claude Lamontagne résume ainsi le type d'examen auquel l'acheteur doit se livrer [6] :

« L'acheteur doit faire préalablement un examen normal, courant, pas exagérément poussé, mais plus que sommaire, sinon il est privé de son recours.  Ainsi, en matière d'immeuble, il n'est pas obligé de creuser le sol ou d'ouvrir les murs, sauf indices révélateurs (saillie dans un mur, etc.).  Par contre, il pourrait devoir enlever la neige recouvrant une galerie, mais non pas une piscine creusée (ce qui requiert beaucoup plus d'efforts!) »

[51]         L'honorable André Rochon, j.C.s., dans l'affaire Lavoie c. Comtois [7] écrit :

« L'acheteur prudent et diligent d'un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l'affût d'indice pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit il doit pousser plus loin sa recherche. D'une part, on ne peut exiger d'un acheteur prudent et diligent une connaissance particulière dans le domaine immobilier. D'autre part, on ne peut conclure au vice caché si le résultat d'un examen attentif aurait amené une personne prudente et diligente à s'interroger ou à soupçonner un problème. À partir de ce point l'acheteur prudent et diligent doit prendre des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour connaître l'état réel du bâtiment. Il ne saurait se replier sur son manque de connaissance si son examen lui permet de soupçonner une anomalie quelconque.

Il faut donc examiner, suivant chaque cas d'espèce, la conduite d'un acheteur prudent et diligent. Antérieurement à 1994 on exigeait également de l'acheteur qu'il soit prudent et diligent. Sans revenir à l'ancienne règle jurisprudentielle au sujet des experts, il est possible dans certains cas que le fait de ne pas recourir à un expert pourra être perçu en soi, comme un manque de prudence et de diligence. Le tribunal ne veut pas réintroduire dans notre droit une exigence spécifiquement exclue par le législateur en 1994. Par ailleurs, cette exclusion ne saurait être interprétée comme autorisant l'acheteur à agir de façon insouciante ou négligente. Cet acheteur ne fera pas preuve de prudence et de diligence alors qu'il existe des indices perceptibles pour un profane, s'il ne prend pas les moyens (y compris le recours à des experts le cas échéant) de s'assurer que l'immeuble est exempt de vice(…). »

[52]         Dans l'affaire Tilquin c. Rubinstein [8] , l'honorable juge Handman s'exprime ainsi:

« [48]     De plus, un vice est aussi considéré apparent lorsque, échappant aux yeux d'un acheteur inexpérimenté, son existence peut être constatée immédiatement par quelqu'un de plus compétent.

[49]       Comme la Cour d'appel l’a souligné dans l'affaire Naud c. Normand , l'exclusion de l'exigence de recourir à un expert ne saurait être interprétée comme autorisant l'acheteur à agir de façon insouciante ou négligente: « Cet acheteur ne fera pas preuve de prudence et de diligence alors qu'il existe des indices perceptibles pour un profane, s'il ne prend pas les moyens (y compris le recours à des experts le cas échéant) de s'assurer que l'immeuble est exempt de vice. »

[50]       En plus, les critères sont plus exigeants lorsqu'il s'agit d'un vieil immeuble, comme dans le cas présent; une particulière prudence s'impose lors de l'achat d'un immeuble d'un certain âge. 

[51]       La Cour d'appel, dans l'affaire Naud c. Normand précitée, s'est référée à la cause de Gélinas c. Beaumier , où la Cour a souligné l'importance d'un examen soigneux lorsqu'il s'agit d'une veille maison:

« L'acheteur le moindrement prudent et avisé se sentira obligé, avant d'acquiescer à l'achat d'une veille maison, de l'examiner soigneusement…Les intimés devaient ainsi faire le nécessaire pour vérifier l'état des lieux et voir ce qui était visible. »

[52]       L'importance qu'il faut accorder aux indices est une règle bien établie par nos tribunaux. Un acheteur ne peut négliger les indices par une absence de vérification pour ensuite se plaindre de vices cachés. Cela est encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'un immeuble âgé. »

(Références omises)

[53]         Il n'est pas nécessaire pour l'acheteur d'avoir recours obligatoirement à un expert [9] .

[54]         Bien que la loi écarte l'obligation pour un acheteur de recourir à un expert, cela ne signifie pas qu'il ne doive jamais faire appel à ce dernier lorsque les circonstances s'y prêtent en guise de précaution [10] .

[55]         Il arrive parfois qu'un acheteur n'a pas toutes les connaissances nécessaires pour juger de l'état d'un bien qu'il se propose d'acheter et c'est pourquoi, dans certaines circonstances, il devra s'assurer d'avoir l'aide d'une personne adéquate pour le renseigner [11] .

[56]         Le vice qui aurait pu être constaté par un acheteur consciencieux sera considéré comme apparent [12] .

[57]         L'honorable André Rochon, j.C.s., dans l'affaire Lavoie c. Comtois [13] écrit :

« (…) Cette disposition écarte la controverse quant à la nécessité d'avoir recours à un expert. Cette obligation n'apparaissant pas aux dispositions du Code civil du Bas-Canada (art. 1522 et ss). Ce sont les tribunaux qui avaient en matière immobilière défini le vice caché à partir d'un concept objectif:  le vice sera caché s'il échappe à l'examen visuel de l'expert sans investigation poussée ou destruction partielle des éléments du bâtiment. L'absence de recours à l'expert n'était pas fatale si la partie établissait que pareille assistance n'aurait été d'aucune utilité. L'obligation de recourir à un expert était également modulée suivant différents critères, dont l'âge du bâtiment. »

[58]         Lorsqu'un bien présente des indices permettant de soupçonner un vice, un acheteur prudent et diligent devrait recourir à l'expert afin que ce dernier puisse procéder à une inspection plus approfondie [14] .

[59]         Sera considéré un vice apparent celui qui sera facilement décelable par un inspecteur ou un expert à la simple vue de la configuration des lieux [15] .

[60]         L'acheteur a un devoir de se renseigner sur la cause des problèmes révélés par des indices, sous peine de voir son recours rejeté [16] .

[61]         Les indices peuvent créer le besoin d'inspections plus poussées même de la part de l'expert, sous peine que le vice soit considéré comme apparent [17] .

[62]         Lorsque l'apparence d'indices laisse soupçonner l'existence d'un vice, l'acheteur devrait consulter un expert [18] .

[63]         Dans l'affaire Préseault c. Pépin [19] , l'honorable juge Courville a souligné que la possibilité de découvrir un vice suffit pour qu'il ne soit pas caché:

«  L'acheteur doit procéder à un examen sérieux car même si la découverte du vice présente quelque difficulté, il n'en reste pas moins que la possibilité de le découvrir suffit pour qu'il ne soit pas caché. La présence de signes révélateurs ou d'indices susceptibles de soulever des soupçons constitue un élément à considérer aux fins de déterminer si l'acheteur a agi avec la prudence et la diligence requises par la loi.  »

[64]         Dans Nadeau c. Charland [20] la Cour a rappelé l'importance pour l'acheteur de déclarer promptement la situation au vendeur.

« [32]     À propos de l'obligation de l'acheteur d'aviser son vendeur dans un délai raisonnable en cas de découverte d'un vice caché, il convient de reproduire les articles pertinents du Code civil du Québec (C.c.Q.) :

« 1595.   La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.

Elle doit accorder au débiteur un délai d'exécution suffisant, eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l'exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande.

1602.   Le créancier peut, en cas de défaut, exécuter ou faire exécuter l'obligation aux frais du débiteur.

Le créancier qui veut se prévaloir de ce droit doit en aviser le débiteur dans sa demande, extrajudiciaire ou judiciaire, le constituant en demeure, sauf dans les cas où ce dernier est en demeure de plein droit ou par les termes mêmes du contrat.

1739.   L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice. »

[33]       Le Tribunal en comprend que les objectifs législatifs poursuivis sont les suivants :

33.1      une dénonciation faite dans un délai raisonnable;

33.2      une dénonciation suffisamment précise qui permettra au vendeur d'identifier la nature du vice et les correctifs requis pour y remédier;

33.3      permettre au vendeur d'établir que le vice était antérieur à la vente comme le prétend l'acheteur;

33.4      permettre au vendeur de remédier lui-même au vice caché ou d'appeler en garantie ses auteurs qui ont aussi droit à un délai raisonnable.

[34]       La dénonciation du vice et la mise en demeure ont des objectifs différents. La première vise à informer le vendeur de la présence du vice tandis que la seconde lui fournit l'occasion d'y remédier. Les deux avis se distinguent aussi par les délais auxquels ils sont assujettis : la dénonciation doit être faite dans un délai raisonnable, alors que la mise en demeure doit être subséquente à l'inexécution, mais antérieure à la réparation du vice par l'acheteur.

[35]       Le préavis écrit en vertu de l'article 1739 C.c.Q. est une condition de fond à la mise en œuvre de la garantie légale de qualité. Il joue un rôle significatif, voire préjudiciel. L'acheteur qui constate un vice doit le dénoncer dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Puis, il doit surtout mettre en demeure le vendeur avant de commencer à effectuer les correctifs sous peine de rejet de sa réclamation malgré l'existence d'un vice caché.

[36]       La dénonciation permettra au vendeur de tenter de remédier au vice, à un coût souvent inférieur à celui de la réparation par un tiers quelconque choisi par l'acheteur. Souvent, l'acheteur a l'impression qu'il peut commander des travaux correctifs sans égard au prix parce que ce sera le vendeur qui les supportera. Ce postulat n'est pas exact, le vendeur a aussi des droits.

[37]       Le but primordial de la mise en demeure est donc de protéger le débiteur  (vendeur) contre les abus possibles de son créancier (acheteur). Le législateur cherche ainsi à éviter aux vendeurs de subir le préjudice d'un procès sans jamais avoir été prévenus de la contravention potentielle à l'obligation légale qui découle des vices de la chose vendue et sans jamais avoir été appelés à les corriger.

[38]       Toutefois, la jurisprudence a atténué la rigueur de l'obligation de l'acheteur envers son vendeur. Outre la situation où le vendeur connaissait ou pouvait connaître le vice, il est reconnu qu'en cas d'urgence, ou lorsque le vendeur a répudié sa responsabilité à l'égard du vice ou a renoncé à se prévaloir du défaut d'avis, l'absence d'un préavis n'est pas fatale.

[39]       La situation d'urgence, s'il en est une, doit être telle qu'elle justifie l'absence de mise en demeure. Cela présuppose de l'existence d'un élément de dangerosité, de risque de détérioration ou de perte du bien nécessitant une réparation immédiate.

[40]       Par ailleurs, sur le plan de la renonciation à l'avis, il faut dire qu'une simple constatation d'un état de fait au cours d'un appel téléphonique entre l'acheteur et le vendeur par exemple, ne constitue pas une renonciation à une dénonciation écrite.

[41]       En outre, le fait pour un vendeur de nier responsabilité et même le fait de déclarer que, si le vice dénoncé s'avère être caché au sens du Code civil du Québec il devra payer, ne constituent pas en soi une renonciation même tacite de la part du vendeur à son droit d'être mis en demeure par écrit conformément à l'article 1595 C.c.Q. lorsque superposé à l'article 1739 C.c.Q.

[42]       En fait, ce n'est pas parce qu'un vendeur nie préliminairement toute responsabilité qu'en telles circonstances l'acheteur, qui se plaint de l'existence d'un vice caché et réclame des dommages de son vendeur peut effectuer les travaux correctifs sans autre avis préalable au vendeur, et ce, surtout lorsque la détermination de l'existence d'un vice caché nécessite des travaux exploratoires souvent combinés aux travaux correctifs. »

(Références omises)


ANALYSE ET DISCUSSION:

[65]         Le Tribunal conclut que l'inspection préachat effectuée par monsieur Sauvageau est déficiente.

[66]         Devant l'ampleur des difficultés rencontrées, monsieur Sauvageau aurait dû retenir les services d'un expert compétent pour identifier et quantifier le problème.

[67]         L'inspection qu'il a effectuée est insuffisante.  La preuve en est qu'au printemps suivant, lorsqu'il a décrit, même au téléphone, la situation à un mécanicien compétent, on lui a indiqué qu'il s'agissait d'un problème de boîte d'alimentation en essence.  Une fois réparée, le tout est rentré dans l'ordre.

[68]         Les indices constatés avant l'achat auraient dû forcer l'acheteur à agir d'une façon plus prudente et consulter un expert.

[69]         Sur cette base, le recours doit être rejeté.

[70]         Mais il y a plus.

[71]         Monsieur Sauvageau se devait de respecter les paramètres stricts de l'article 1739 C.c.Q.

[72]         Certes, il a téléphoné à un moment à monsieur Dauphinais, mais sans plus.  Il ne lui a expédié sa mise en demeure écrite que le 7 juillet 2013, alors que les factures des réparations sont respectivement des 22 mai et 28 juin précédents.

[73]         Sur cette base également, le recours doit être rejeté.

[74]         PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[75]         REJETTE la réclamation.

[76]         CONDAMNE Denis Sauvageau à rembourser à Jocelyn Dauphinais les frais de sa contestation au montant de 93,75 $.

 

 

__________________________________

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

31 mars 2014

 



[1]     Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service , Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2005, pp 138 et ss.

[2]     ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50 ; Marcoux c. Picard, 2008 QCCA 259 ; Verville c. 9146-7308 Québec inc., 2008 QCCA 1593

[3]     ABB Inc. c. Domtar Inc., préc. note 2; Marcoux c. Picard, préc. note 2

[4]     Rivest c. Vachon, 2006 QCCS 1377 ; Gosselin c. Roy, 1996 AZ-50188171

[5]     Vennat c. Axler-Feifer, 2005 AZ-50330564 ; Larrivée c. Poulin, 2000 AZ-50187584

[6]     Denys-Claude LAMONTAGNE, Le droit de la vente , 3 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, par. 230

[7]     [2000] R.D.I. 36

[8]     2009 QCCQ 13829

[9]     Placement Jacpar c. Benzakour, 1989 AZ-89011869 ; Laroche c. Provencher, 2005 AZ-50319277 ; Richard c. Lauzon, 2004 AZ-50281423 (appel accueilli pour d'autres motifs (par C.A. 2006 QCCA 1526 )

[10]    Naud c. Normand, 2007 QCCA 1814 ; Ford c. Cholette 2006 QCCS 1223 ; Dumoulin c. Blais, 2003 AZ-50180107

[11]    Ford c. Cholette, préc. Note 10; Fortin c. Gauthier, 2004 AZ-50261103 ; Fortin c. Mendelson, 2001 AZ-50103205

[12]    Naud c. Normand, préc. Note 10.

[13]    [2000] R.D.I. 36

[14]    St-Louis c. Morin, 2006 QCCA 1643 ; Laperrière c. Lahaie, 2007 QCCS 405

[15]    Goyette c. Dagenais, 1999 AZ-99036330

[16]    Beaudet c. Bastien, 2007 QCCQ 13454 ; Gendron c. Cartier, 2006 QCCQ 5793 ; Rioux c. Doré, 2001 AZ-01036391 (C.Q.); Gélinas c. Beaumier, J.E. 90-128 (C.A.); Cloutier c. Létourneau, J.E. 93-143 (C.A.); Beaupré c. Gélinas, J.E. 2000-1823 (C.A.); Pominville c. Demers, J.E. 95-1144 (C.A.); Ponci c. Desroches, J.E. 88-574 (C.A.); Banque de Montréal c. Bail ltée, [1992] 2 R.C.S. 554

[17]    Beaudet c. Bastien, préc. note 16; Gendron c. Cartier, 2006 QCCQ 5793 ; Rioux c. Doré, préc. note 16; St-Louis c. Morin, Québec, 2006 QCCA 1643 ; Lavoie c. Comtois, 2000 R.D.I. 36 (C.A.); Asselin c. Audet, B.E. 2001BE-312 ; Guilbault c. Desjardins, B.E. 2002BE-353 ;  Leblanc c. Roy, J.E. 2002-2150 ; Hamel (Succession de) c. Beaulieu, 2007 QCCA 754 ; Blanchard c. Guertin, J.E. 2004-1003 (C.A.);Préseault c. Inspec-Tech inc., B.E. 2004BE-442 (C.A.); Doré c. Sergerie, [1978] C.S. 334 ; Rouillard c. St-Martin, 2009 QCCA 2321

[18]    Tremblay c. Néron, 2001 QCCQ 4276

[19]    2002 AZ-50125103 . Suivi: appel rejeté contre l'intimé Pépin avec dépens et appel accueilli contre l'intimée Inspec-Tech inc., 2004 AZ-04019097

[20]    2012 QCCS 106