Bédard c. 7037457 Canada inc. |
2014 QCCQ 5808 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division administrative et d'appel » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N°: |
500-80-027444-141 |
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DATE : |
24 avril 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARK SHAMIE, J.C.Q. |
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BENOÎT BÉDARD |
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Locataire / Requérant |
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c. |
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7037457 CANADA INC. |
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Locatrice / Intimée |
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et |
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RÉGIE DU LOGEMENT |
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Mise en cause |
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JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER D'UNE DÉCISION DE LA RÉGIE DU LOGEMENT
(Art.
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[1] Le Tribunal est saisi d’une requête de Benoît Bédard (le locataire) pour permission d’appeler d’une décision de la Régie du logement (la Régie) rendue le 17 décembre 2013.
[2] M. Bédard est locataire d’un logement situé boulevard Les Galeries-d’Anjou à Montréal depuis 1981.
[3] Les événements qui ont donné lieu au litige débutent en 2010.
[4] Le chien du voisin cause des ennuis au locataire et la locatrice se plaint du comportement du locataire qui a l’effet d’alourdir la gestion de l’immeuble.
[5] La Régie est saisie de deux demandes.
[6] La première du locataire est en réduction de loyer et dommage et afin que la Régie ordonne à la locatrice de faire respecter les règlements de l’immeuble.
[7] La seconde provient de la locatrice, laquelle demande la résiliation du bail et les dommages.
[8] Le locataire ne remet pas en cause la décision de la Régie portant sur sa propre demande.
[9] Il souhaite en appeler uniquement de la partie de la décision de la Régie qui se prononce sur la demande de la locatrice. Il est notamment condamné à payer 2 000 $.
[10] Dans sa requête, il formule quatre questions à soumettre à la Cour comme ceci :
Question 1 : Est-ce que le juge administratif a entaché d’une faiblesse apparente la décision en octroyant la réparation d’une atteinte discriminatoire présumée au locateur plutôt qu’aux victimes présumées de l’atteinte?
Question 2 : Est-ce que le juge administratif a violé la règle de justice naturelle Audi Alteram Partem en ne permettant pas, par la conduite de l’audience, que le requérant soit entendu au sujet de la vidéo admise en preuve?
Question 3 : Est-ce que le régisseur a erré en droit en déclarant fautif l’exercice de mon droit légitime d’accès à l’information?
Question 4 Est-ce que le fait que le juge écarte sans justification trois témoins et ne fait que décrire comme «non-crédible» la quatrième témoin constitue un manque de motivation déterminant au point de l’infirmer? (sic)
[11]
Le 1
er
alinéa de l'article
91. Les décisions de la Régie du logement peuvent faire l'objet d'un appel sur permission d'un juge de la Cour du Québec, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.
[12] Selon une longue tradition jurisprudentielle, les critères retenus pour permettre l'appel peuvent d'une manière générale se résumer ainsi :
- Question sérieuse, nouvelle, controversée ou d'intérêt général;
- La décision attaquée présente une faiblesse apparente; une erreur manifeste, déterminante ou grossière dans l'appréciation des faits; une erreur déterminante dans l'administration de la preuve;
- Déni de justice par le non-respect des règles de justice naturelles.
[13] M. Bédard allègue qu’il n’a pas obtenu, malgré sa demande, copie de deux vidéos, lesquels, selon sa compréhension, ne sont pas produits en preuve.
[14] Les vidéos n’ont pas de son.
[15] Toutefois, il ressort des représentations des deux parties, lors de l’audition de la requête, que les deux vidéos ont été visionnés lors de l’enquête devant la Régie.
[16] Ces affirmations concordent avec le paragraphe 52 de la décision où la Régie mentionne notamment :
[52] […] le Tribunal a pu visionner une vidéo de plusieurs minutes où il était évident qu’il y eu des discussions entre le locataire et le couple de concierges de l’immeuble.
[17] M. Bédard a donc eu l’opportunité de faire ses représentations à l’égard des vidéos et de contre interroger à ce sujet le cas échéant.
[18] Par ailleurs, au paragraphe 68, la Régie rapporte ceci :
[68] Sa coiffeuse est venue témoigner pour dire que c’est elle qui a engueulé le couple de concierges dans le hall d’entrée concernant le nouveau système d’interphone et pour leur donner un cours de français 101.
[19] Or, la Régie préfère retenir la version du couple de concierges comme ceci :
[100] Même si la coiffeuse du locataire dit que c’est elle qui a engueulé le couple de concierges et que jamais le locataire n’a dit quoi que ce soit, le Tribunal ne lui donne pas beaucoup de crédibilité.
[101] La vidéo et le témoignage du couple de concierges convainc le Tribunal que de l’intimidation a eu lieu à leur endroit, parce qu’ils proviennent d’une autre nationalité.
(Soulignements ajoutés)
[20] À la limite, les vidéos ont pu servir à réduire la force probante du témoignage de la coiffeuse.
[21] Toutefois, il reste que c’est le régisseur qui a vu et entendu les témoins et il n’est pas dit que le témoignage de la coiffeuse est écarté uniquement en raison du contenu des vidéos.
[22] Même en supposant que les vidéos ne constituent pas des éléments de preuve pertinents, il demeure que la Régie ne donne pas beaucoup de crédibilité à la coiffeuse et qu’elle se dit convaincue par les témoignages des concierges.
[23] Les vidéos n’ont donc pas d’impact déterminant.
[24] En définitive, l’appel reviendrait à permettre l’introduction au débat d’une question d’appréciation de preuve ou de crédibilité de témoins.
[25] Par ailleurs, l’appel ne peut servir comme d’un moyen en soi pour obtenir une seconde chance afin de présenter une meilleure preuve.
[26] Cela dit, la Régie relate la preuve relative à la demande de la locatrice dans quarante-six paragraphes, soit les paragraphes 22 à 68.
[27] Un Tribunal administratif n’a pas à exprimer dans le moindre détail tout le cheminement intellectuel qui l’a conduit à rendre sa décision.
[28] La motivation de la décision se retrouve non seulement dans ce qui y est exprimé expressément, mais aussi dans ce qui en découle implicitement.
[29] Les parties ont fait entendre plusieurs autres locataires du même immeuble à propos du comportement de M. Bédard.
[30] Le témoignage des uns ne contredit pas nécessairement celui des autres puisque M. Bédard peut avoir un comportement différent vis-à-vis des uns et des autres.
[31] A priori, la décision de la Régie paraît suffisamment motivée, mais outre l’allégation qu’elle ne l’est pas, la question 4 formulée par M. Bédard renvoie en définitive sur l’appréciation de la preuve.
[32] Les questions 1 et 3 visent plus particulièrement les paragraphes 92 à 102 de la décision de la Régie.
[33] La locatrice ne réclame pas de dommages exemplaires ou punitifs pour atteinte à un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12), mais des dommages pour les inconvénients causés par le comportement du locataire.
[34] Le locataire est condamné à payer 1 000 $ en dommage plus particulièrement à cause de son insistance à obtenir la correction d’une information dans le registre de la locatrice qui, selon la Régie, est sans conséquence :
[93] Or, malgré ce fait, et que la gestionnaire a écrit une lettre pour lui dire qu’il n’avait aucun retard de paiement, il s’est quand même acharné à faire une guerre qui a couté du temps et de l’argent au locateur pour une simple erreur de système informatique, dont il avait en main une confirmation que le tout était correct.
[94] Et, de toute façon, personne n’a accès à ce système, donc cela n’affectait en rien la vie privée du locataire. Cela aurait été diffèrent si l’information était accessible à tous sur Internet, mais non il ne s’agissait que d’un système interne ou juste le locateur y avait accès.
[35] Le dossier s’est réglé en médiation et donc sans décision de la Commission d’accès à l’information.
[36] La responsabilité du locataire semble donc à première vue retenue pour son insistance à obtenir une réparation alors que l’enjeu est insignifiant, mais lequel implique une perte de temps et d’argent pour la locatrice.
[37] Quant au deuxième 1 000 $, il paraît être octroyé plus particulièrement à cause des propos tenus à l’égard du couple de concierges.
[38] Dans les deux cas, il faut croire qu’il s’agit d’un dommage causé à la locatrice par la faute du locataire vu l’impact qu’a eu son comportement sur la conduite de ses affaires.
[39] La décision ne prêche pas par sa clarté à cet égard.
[40] Toutefois, la toile de fond de la décision est résumée dans les paragraphes suivants :
[54] À chaque petite chose qui se produit, le locataire appelle sans cesse pour que la situation se règle dans l’immédiat.
[55] Elle dit que c’est impossible de discuter avec le locataire. Dès qu’une réponse n’est pas à sa pleine satisfaction, il fait une plainte.
[56] Certains locataires auraient appelé le locateur pour dire qu’ils ont peur du locataire.
[57] Normalement, tous les problèmes au quotidien devraient se régler directement avec les gens sur place comme le concierge. Mais avec le locataire toutes les demandes deviennent exagérées et interminables, ce qui occupe beaucoup de temps du locateur uniquement pour ce locataire.
[58] Le locateur a fait entendre un couple qui habite l’immeuble depuis 10 ans. Ceux-ci ont mentionné au Tribunal, avoir peur des agissements et des comportements du locataire.
[…]
[61] Le couple de concierges est aussi venu expliquer qu’il habite l’immeuble depuis 1 an et demi à titre de concierges.
[62] Ils n’ont aucun problème avec tous les locataires, à l’exception du locataire qui critique continuellement, crie et harcèle les autres et eux en particulier. Il leur a dit qu’il préfèrerait avoir un couple de québécois comme concierges de son immeuble.
[41] Les raisons pour lesquelles les dommages sont octroyés transcendent donc la seule question de l’exercice d’un droit ou des propos tenus, mais s’expriment plus particulièrement à travers ces deux événements.
[42] La requête ne soulève aucune question nouvelle, controversée ou d’intérêt général quoique la formulation des motifs pour accorder les dommages n’est pas la plus heureuse et est susceptible de prêter à discussion.
[43] La requête soulève par ailleurs en grande partie des questions d’appréciation de preuve ou de crédibilité de témoins pour lesquelles l’appel n’est généralement pas permis.
[44] Le dossier a requis trois jours d’enquête devant la Régie.
[45] Dans ce contexte, les coûts et le temps susceptibles d’être engendrés par l’appel ne paraissent pas proportionnés par rapport au montant en litige.
[46] La modicité de l’enjeu monétaire est en effet un élément qui milite contre l’autorisation vu particulièrement qu’il n’y a pas de question d’intérêt général.
[47] En somme, le Tribunal conclut que la requête ne suscite aucune question d’intérêt susceptible de justifier une permission d’appel conformément à l’article 91 LRL.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
[48] REJETTE la demande;
[49] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ MARK SHAMIE, J.C.Q. |
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M. Benoît Bédard |
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Locataire / Requérant |
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Me Josée Gagnon |
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Procureure de la Locatrice / Intimée |
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Date d’audience : |
5 mars 2014 |
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