Section des affaires sociales
En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales
Référence neutre : 2014 QCTAQ 06572
Dossiers : SAS-M-167304-1001 / SAS-M-167310-1001 / SAS-M-167696-1001
CAROLINE GONTHIER
CAROLE OUELLET
G... O...
c.
MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE
et
Parties mises en cause
[1] Le Tribunal est saisi de la contestation de la décision rendue en révision par l’intimée, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS), le 30 novembre 2009, laquelle réclame aux requérants la somme de 16 381,23 $ pour des périodes comprises entre le 1 er janvier 2004 et le 28 février 2007 en raison d’une situation de vie maritale non déclarée. Des frais de recouvrement de 100 $ liés à une fausse déclaration sont également contestés [1] .
[2] Par ce recours, les requérants demandent au Tribunal d’annuler l’entièreté de la somme qui leur est réclamée, puisqu’ils nient catégoriquement l’existence d’une vie maritale malgré la cohabitation admise durant toute la période concernée par cette réclamation.
[3] Dans ces circonstances, le représentant de l’intimée entend donc démontrer au Tribunal qu’il existait un secours mutuel entre les deux requérants, lequel serait de même nature que celui que s’apportent des époux. Il ajoute qu’une preuve de commune renommée sera aussi présentée.
[4] Quant à la contestation du requérant à l’encontre de la décision rendue en révision par l’intimée, le 30 novembre 2009, laquelle maintient la réclamation d’un montant de 19 553,40 $ à son endroit en raison de la réalisation de son droit à une rente d’invalidité de la Régie des rentes du Québec, celui-ci se désiste de son recours et demande au Tribunal d’en prendre acte [2] .
LES FAITS
[5] Les faits se rapportant à la réclamation liée à la vie maritale se résument de la façon qui suit.
[6] Le 23 mai 2009, à la suite de l’enquête menée auprès de la requérante dont la nature visait initialement des revenus de travail non déclarés, l’enquêteur, monsieur Pierre Tousignant, produit son rapport à l’intimée [3] .
[7] Selon la preuve recueillie, l’enquêteur conclut que les requérants ont vécu maritalement de décembre 2002 à février 2007. Par conséquent, il recommande de réclamer le montant payé en trop en raison de cette situation non déclarée à l’intimée durant toute cette période [4] .
[8] Suivant cette recommandation, par ses avis du 9 juillet 2009, l’intimée réclame solidairement aux requérants une somme de 16 381,23 $ pour les périodes du 1 er janvier 2004 au 30 juin 2005, du 1 er au 31 août 2005 ainsi que du 1 er décembre 2005 au 28 février 2007. Des frais de recouvrement de 100 $ s’ajoutent à ce montant [5] .
[9] Le 27 juillet 2009, au motif que la requérante n’était pas sa conjointe, mais plutôt sa locataire, le requérant demande la révision de cette décision.
[10] Le 30 novembre 2009, sur la base des éléments recueillis dans le cadre de l’enquête, la réviseure maintient la réclamation solidaire [6] .
[11] Les 15 et 28 janvier 2010, par l’intermédiaire de leurs procureurs respectifs, les requérants contestent cette décision auprès du Tribunal administratif du Québec (TAQ), d’où le présent litige [7] .
LA PREUVE
[12] À l’audience, l’enquêteur, la propriétaire d’un immeuble habité par les requérants ainsi que les requérants ont témoigné. De ces témoignages, le Tribunal retient les éléments suivants.
Monsieur Pierre Tousignant - enquêteur
[13] Le témoin précise qu’il s’est vu confier le mandat par l’intimée d’enquêter sur la possibilité de revenus de travail non déclarés par la requérante.
[14] Dans le but d’obtenir sa déclaration, l’enquêteur a rencontré cette dernière à son centre local d’emploi (CLE), le 20 mars 2009, à 11 h.
[15] La journée précédente, il s’était présenté au domicile de la requérante afin de lui remettre la lettre de convocation à cette entrevue, laquelle spécifiait que la rencontre avait pour but de clarifier les faits visant son admissibilité à l’aide financière au regard de ses revenus de travail et précisait les documents qu’elle devait apporter. En l’absence de cette dernière, il a laissé la lettre au domicile de la requérante [8] .
[16] Par la suite, c’est la requérante qui a tenté de le joindre par téléphone.
[17] Il affirme n’avoir jamais téléphoné au centre de formation où étudie la requérante afin de la rejoindre.
[18] Il mentionne qu’au début de l’entrevue avec la requérante, comme elle croyait que cette rencontre faisait suite à une plainte logée par le requérant, qu’elle a identifié comme étant son ancien conjoint, l’enquêteur précise que celle-ci a adopté une attitude très défensive quant aux informations visant ses revenus de travail.
[19] Après avoir éclairci davantage sa situation quant à ses revenus de travail, ils ont discuté de sa relation avec le requérant.
[20] L’enquêteur spécifie que c’est la requérante elle-même qui a rédigé sa déclaration que nous retrouvons à la page 54 du dossier. Ses initiales sont apposées sur ce document.
[21] À ce sujet, il souligne que la requérante déclare avoir habité avec son conjoint de l’époque, le requérant, de mars 2003 à juillet 2007, date de sa séparation avec ce dernier. Elle précise, également, que durant cette période elle recevait l’aide de dernier recours alors que le requérant travaillait comme plombier auprès de deux entreprises et que ses revenus servaient à subvenir aux besoins des enfants du requérant.
[22] L’enquêteur mentionne que la requérante a pris le temps de relire sa déclaration et elle l’a signée.
[23] À la suite de ces informations, il a donc « réaligné » son enquête, précise-t-il, concernant cette situation de vie maritale et a produit son rapport à l’intimée dont la date devrait se lire le 23 mai 2009 plutôt que le 23 mars 2009.
[24] Enfin, il réfère également au rapport de police du 17 mai 2005 dans lequel il est indiqué que les requérants sont en instance de séparation [9] .
[25] Contre-interrogé, l’enquêteur ne peut confirmer s’il a exposé à la requérante les motifs pour lesquels il l’a questionnée par rapport à une situation de vie maritale.
[26] De même, l’enquêteur n’a ni mis en garde la requérante des conséquences de sa déclaration ni avisé cette dernière du droit à l’avocat, puisqu’il ne s’agissait pas d’une « grosse » réclamation.
[27] Il souligne que la requérante a fait sa déclaration de façon libre et volontaire.
[28] Bien qu’il fût informé que cette dernière était sous traitement de méthadone, il se souvient qu’elle était apte à répondre aux questions.
[29] Enfin, puisqu’il ne lui était pas nécessaire d’obtenir un mandat pour investiguer sur l’existence ou non d’une vie maritale, il a usé de sa discrétion pour poursuivre son enquête sur ce sujet.
[30] Il base la conclusion de son rapport sur les déclarations faites par les requérants, également sur celle obtenue par la propriétaire d’un immeuble où les requérants ont résidé pendant la période concernée et sur les informations notées au rapport de police à la suite de l’évènement survenu le 17 mai 2005.
Madame M. F., propriétaire de l’immeuble
[31] Le Tribunal a entendu le témoignage de la propriétaire de l’immeuble situé au A, rue B, appartement 101, ville C.
[32] Elle souligne que c’est son conjoint qui s’occupe habituellement de la gestion de l’immeuble.
[33] Elle confirme que les requérants y résidaient déjà lorsqu’elle a fait l’acquisition, en 2005, de cet immeuble de six logements et ils y sont demeurés jusqu’en septembre 2006.
[34] Elle a déclaré à l’enquêteur que les requérants formaient un couple en se basant uniquement sur le fait qu’ils habitaient dans le même appartement. Ces derniers vivaient dans un appartement de 5 pièces et ½ avec l’un des enfants du requérant.
[35] Comme c’est l’enquêteur qui a rempli par écrit la déclaration qu’elle a signée, elle précise que c’est plutôt lui qui a employé le terme de « conjointe » afin de désigner la requérante.
[36] À l’occasion, les deux se présentaient à son domicile pour payer leur loyer. Sinon c’était l’un ou l’autre.
Monsieur G. O., le requérant
[37] Le requérant est plombier et père de deux enfants, l’un né en 1995 et l’autre, née en 1996. La mère de ses enfants est décédée à la suite de la naissance de la seconde.
[38] En 2002, il a rencontré la requérante par l’intermédiaire d’une de ses voisines.
[39] À cette époque, la requérante éprouvait des difficultés. Comme il habitait un logement de 7 pièces et ½, dans le but d’aider son prochain, il a accepté de l’héberger à partir de décembre 2002.
[40] À ce moment, la requérante était âgée de 25 ans.
[41] Il mentionne que sa relation avec cette dernière en était une d’amitié, précisant qu’elle n’était que sa colocataire.
[42] En juin 2003, ils ont emménagé au A, rue B, appartement 101, ville C. Comme précisé sur le bail, le logement était de 5 pièces et ½ [10] .
[43] Son ancien logement lui coûtait trop cher.
[44] Il indique que lui et ses deux enfants avaient chacun leur chambre alors que la requérante dormait au salon sur un divan-lit. Elle y dormait tous les soirs dans le salon. Comme la requérante est matinale, elle libérait cette pièce tôt le matin.
[45] Il avoue, à l’occasion, avoir eu des relations intimes avec la requérante.
[46] Il précise qu’ils n’ont aucun bien en commun, ni compte conjoint ni carte de crédit. Il ne détient non plus aucune assurance-vie au bénéfice de la requérante.
[47] Il indique que cette dernière veillait à garder la maison propre alors que lui s’occupait du reste.
[48] Parfois, ils allaient marcher ensemble, visiter les membres de la famille de la requérante ou rencontrer des connaissances communes. Ils sont allés aussi ensemble au Parc A.
[49] La requérante lui versait un montant de 300 $ par mois alors que le logement lui en coûtait 750 $.
[50] En 2002 et 2003, les revenus du requérant variaient entre 40 000 $ et 50 000 $.
[51] Il a été hospitalisé du 8 mars 2005 au 3 mai 2005 et du 26 au 30 mai 2006.
[52] À ce moment, la requérante était sous médication et elle avait trop de pression pour s’occuper de ses enfants.
[53] Il a donc confié la garde de ces derniers au directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) qui les a pris en charge.
[54] Il affirme que l’évènement relaté au rapport de police du 17 mai 2005 fait suite à une dispute qu’il a eue avec la requérante. Il souhaitait alors qu’elle quitte sa résidence, parce qu’elle consommait des médicaments et il craignait le pire pour ses enfants. Cette dernière refusait de s’en aller.
[55] Il soutient que la mention faite par les policiers voulant qu’ils soient en instance de séparation est une fausse croyance.
[56] La requérante a effectivement quitté sa résidence pour aller vivre avec son copain, monsieur P. G.
[57] En décembre 2005, la requérante est retournée vivre chez lui. Il l’a reprise en raison de l’état de détresse qu’elle présentait.
[58] De plus, il connaissait les membres de la famille de la requérante et la mère de cette dernière lui a demandé à deux reprises de prendre sa fille.
[59] En 2006, il a quitté l’appartement 101, rue B, ville C, pour habiter au X, rue Y., appartement 5, ville C.
[60] Il a informé le MESS de ce changement et a précisé qu’il vivait à cet endroit avec une colocataire, la requérante [11] .
[61] Auparavant, il ne voyait pas la nécessité de remplir cette déclaration auprès du MESS.
[62] Le requérant ajoute que vivre en colocation avec la requérante l’aidait financièrement.
[63] En février 2007, il a emménagé dans la maison de son père. Comme la requérante était devenue un fardeau pour lui et ses enfants, cette dernière n’était pas la bienvenue.
[64] Cependant, comme il lui apportait un certain secours tel qu’un frère ou un parent le ferait, la requérante désirait résider avec lui.
[65] Il identifie leur relation comme étant deux amis.
[66] Confronté à sa déclaration écrite où il indique que la requérante a pris soin de ses enfants lors de son hospitalisation et qu’il lui a laissé sa carte de guichet ainsi que son numéro d’identification personnel, le requérant précise que durant un mois, la requérante s’est occupée de ses enfants avec l’aide de la mère de cette dernière. Quant à la seconde période d’hospitalisation qui a duré une semaine, il a fait appel à la DPJ [12] .
[67] À la suite du décès de la mère de ses enfants, il n’a jamais refait sa vie ni vécu de relation de couple.
[68] Il confirme tous les faits rapportés dans sa déclaration faite à l’enquêteur, le 11 mai 2009 [13] .
[69] Enfin, il termine en ajoutant que lui et la requérante ne formaient pas un couple, puisqu’il n’y avait aucune complicité entre eux.
Madame J. S., la requérante
[70] La requérante confirme avoir cohabité avec le requérant à partir de 2002.
[71] Alors qu’elle était aux prises avec de sérieux problèmes de drogues et de prostitution, sa mère l’a mise à la porte. Sur les bons conseils d’une voisine qui savait que le requérant avait une chambre à louer, elle lui a fait la demande et il a accepté.
[72] Maintenant, elle est très reconnaissante envers le requérant et ses enfants qui ont su la remettre sur le droit chemin. Elle ajoute que le requérant lui a permis d’obtenir de la stabilité dans sa vie.
[73] Elle a cessé la méthadone depuis dix ans. Elle est maintenant retournée sur le marché du travail et occupe un emploi depuis trois ans.
[74] En 2002, alors qu’elle n’était âgée que de 25 ans et lui de 45 ans, elle considère le requérant comme un père qui lui a ouvert les portes pour s’en sortir.
[75] Même si elle a eu des relations intimes avec ce dernier, il reste qu’ils sont des humains, mais elle le considère comme son père et jamais elle n’a dormi côte à côte avec lui.
[76] Elle affirme avoir toujours déclaré au MESS qu’elle était chambreuse.
[77] Elle explique que lorsqu’elle résidait avec le requérant, elle lui versait son loyer de 300 $ ou 325 $ par mois et le montant qui lui restait servait à payer ses dépenses personnelles.
[78] Comme à cette époque elle était sous forte médication de méthadone, elle passait ses journées à dormir.
[79] Pour elle, dormir sur un divan-lit était tout naturel, puisqu’elle a toujours vu son père dormir au salon, sur le divan.
[80] Les enfants du requérant avaient aussi leur divan au salon sur lequel ils s’assoyaient pour écouter la télé.
[81] Elle se levait tôt le matin afin de préparer les enfants pour se rendre à l’école et elle allait se recoucher pour dormir toute la journée.
[82] Elle s’habillait et se déshabillait toujours dans la salle de bain et laissait ses vêtements au sol.
[83] Les enfants ne savaient pas qu’elle dormait toute la journée, et lorsqu’ils revenaient de l’école, ces derniers écoutaient la télé au salon. Plus tard, le requérant s’occupait de leur faire faire leurs devoirs.
[84] Quant aux activités en soirée, étant sous l’effet de la méthadone, elle ne pouvait y participer.
[85] Les effets de la méthadone ont entraîné chez elle des pertes de mémoire, une difficulté de concentration et de la somnolence.
[86] En raison de sa dépendance aux drogues et de ses moyens financiers restreints, elle ne pouvait envisager de demeurer seule. C’est ce qui explique qu’entre 2002 et 2007, elle a suivi le requérant lors de ces déménagements.
[87] Au fil du temps, elle a commencé à être plus autonome et indépendante financièrement.
[88] En 2007, elle a donc décidé de poursuivre seule son chemin et habite depuis 10 ans une petite maison de 3 pièces et ½.
[89] L’évènement auquel réfère le rapport de police en mai 2005 coïncide avec sa rencontre avec monsieur P. G. avec qui elle entretenait un rapport amoureux. Elle aurait aimé qu’il soit son conjoint.
[90] En mars 2009, alors qu’elle est aux études afin d’obtenir ses équivalences pour un cinquième secondaire, la requérante se dit harcelée par l’enquêteur du MESS qui tente de la contacter par tous les moyens.
[91] Il a même téléphoné, à maintes reprises, à son centre de formation pour chercher à lui parler.
[92] Elle n’a aucun souvenir d’avoir rencontré l’enquêteur Tousignant, le 20 mars 2009.
[93] Elle ne croit pas qu’il s’agit de sa déclaration et précise que la signature apposée ne ressemble pas à la sienne.
[94] Elle confirme sa signature sur d’autres documents, comme sur sa demande d’aide de dernier recours et sur le formulaire de preuve de résidence [14] .
[95] Elle ne peut expliquer les raisons pour lesquelles elle soupçonnait le requérant de l’avoir dénoncée. Elle ne se souvient pas d’avoir rapporté de tels propos.
[96] Depuis 2007, elle n’a jamais eu d’autre contact avec le requérant.
[97] Elle ne peut expliquer non plus les raisons pour lesquelles elle a déclaré à la réviseure, lors de l’entrevue, de n’avoir jamais habité avec le requérant alors qu’elle a fourni à l’intimée plusieurs preuves de résidence à l’effet contraire.
[98] La requérante affirme ne pas avoir été informée par l’enquêteur de son droit de faire appel à un avocat.
LES REPRÉSENTATIONS
[99] En résumé, le procureur de l’intimée précise que la preuve du MESS repose avant tout sur la déclaration faite par la requérante à l’enquêteur, de façon libre et volontaire, le 20 mars 2009.
[100] Quant au témoignage de la requérante, le procureur soutient que ces propos sont peu crédibles en raison de contradictions dont, entre autres, celle où lors de son entrevue avec la réviseure, elle nie carrément la cohabitation avec le requérant alors qu’à présent, elle l’admet pour les années 2002 à 2007.
[101] Il ajoute que le MESS retient aussi la déclaration faite par le requérant, le 11 mai 2009, dans laquelle il admet la cohabitation avec la requérante durant toute la période concernée et apporte des éléments qui confirment le secours mutuel entre les deux parties.
[102] De son côté, le procureur de la requérante demande en premier lieu au Tribunal d’exclure de la preuve la déclaration faite par cette dernière au motif que l’enquêteur n’a pas respecté les règles d’équité procédurale. Il appuie sa demande sur les articles 4, 5 et 12 de la Loi sur la justice administrative [15] (LJA).
[103] Sur ce point, précisons que les procureurs des parties ont produit leurs commentaires par écrit. Le Tribunal disposera de cette demande un peu plus loin dans sa décision.
[104] Dans un second temps, le procureur soutient que l’entraide économique entre les requérants ne peut être qualifiée de secours mutuel, puisque celle-ci était effectuée unilatéralement par le requérant. Il précise, d’ailleurs, que c’est ce dernier qui a mis fin à la cohabitation.
[105] En dernier lieu, il constate que l’intimée ne possède aucune preuve démontrant que les requérants ont des biens en commun, une carte de crédit ou une assurance vie. De même, il souligne qu’aucun voisin ou autre personne n’est venu témoigner sur leur relation de couple ou attester de la présence de marque d’affection entre les deux requérants.
[106] En l’absence de tous ces éléments de preuve, il demande au Tribunal d’accueillir le recours et d’annuler la réclamation à l’endroit de la requérante.
[107] En bref, la procureure du requérant réfère, entre autres, à la preuve documentaire au dossier qui démontre qu’en 2003 et 2004, la requérante a déclaré à l’intimée être chambreuse à l’adresse A., rue B., appartement 101, ville C.
[108] Tenant compte de cette preuve, elle considère qu’il est faux de prétendre que la requérante a manqué à son devoir de déclarer la cohabitation avec le requérant de sorte qu’il y a lieu de s’interroger sur les raisons pour lesquelles soudainement le MESS demande une enquête.
[109] Elle mentionne qu’il ressort clairement du témoignage de la requérante que celle-ci s’est retrouvée chez le requérant pour sa survie et pour son secours à elle. De son côté, le requérant était sincère en l’accueillant chez lui, il voulait l’aider à s’en sortir et éviter qu’elle ne porte atteinte à son intégrité.
[110] En pareils cas, la procureure insiste sur le fait qu’il ne s’agit nullement ici de secours mutuel.
[111] Enfin, elle ajoute, quant à la commune renommée, que le témoignage de la propriétaire de l’immeuble n’est aucunement concluant sur ce point.
[112] Dans ces circonstances, comme le MESS ne s’est pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait, elle demande au Tribunal d’annuler la réclamation à l’endroit du requérant.
ANALYSE ET DÉCISION
· Demande visant l’admissibilité en preuve de la déclaration de la requérante et sa force probante
[113] Comme mentionné précédemment, les procureurs des parties ont complété par écrit leurs plaidoiries à l’égard de la demande visant l’admissibilité en preuve de la déclaration de la requérante faite à l’enquêteur, le 20 mars 2009.
[114] C’est par l’intermédiaire de la procureure du requérant qu’un court argumentaire sur ce sujet a été produit pour les deux requérants, lequel a fait aussi l’objet de commentaires de la part du procureur de l’intimée [16] .
[115] Le Tribunal disposera, à ce stade-ci, de la demande des requérants qui, à la suite de la production de ces notes écrites est formulée comme suit :
« Le MESS et ses représentants, incluant les enquêteurs, ont le devoir d’agir équitablement et doivent respecter les garanties procédurales et les obligations contenues à la loi. Nous sommes d’avis que le tribunal ne devrait pas accorder de force probante à cette déclaration puisque celle-ci a été obtenue illégalement. Ainsi, son utilisation serait susceptible de déconsidérer la justice. »
[116] Exposant les faits mis en preuve lors de l’audience qui, essentiellement, ont trait au défaut de l’enquêteur d’avoir informé la requérante que le sujet de l’enquête visait également une situation de vie maritale, la procureure appuie sa demande sur l’article 123 de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles [17] ainsi que sur l’article 9 de la Loi sur les commissions d’enquête [18] .
[117] À cet égard, l’article 123 précise que le MESS et l’enquêteur sont investis des pouvoirs et de l’immunité des commissaires nommés selon la Loi sur les commissions d’enquête , dont son article 9 qui prévoit que : l’enquêteur a la possibilité d’assigner les témoins afin de poser des questions relativement « au sujet de l’enquête » .
[118]
De plus, la procureure réfère aux articles
[119] Enfin, elle plaide que le Tribunal peut aussi utiliser, à titre supplétif, les règles de preuve énoncées au Code civil du Québec et elle cite, à cet effet, de larges extraits de la décision rendue par ce Tribunal dans l’affaire S. J. [19] .
[120] S’inspirant de ces propos, elle soutient que la déclaration de la requérante a été faite illégalement et par conséquent, celle-ci déconsidère l’administration de la justice. Dans ces conditions, elle soumet que le Tribunal devrait privilégier le témoignage de la requérante à sa déclaration que l’on retrouve au dossier.
[121] De son côté, le procureur de l’intimée remarque que la décision du Tribunal citée par la procureure du requérant a fait l’objet d’un désaccord dont le juge administratif qui a été appelé à trancher ce différend s’est écarté de la position adoptée par le juge administratif dont elle a cité les extraits.
[122] À ce propos, le procureur rappelle que, dans cette affaire, le Tribunal a conclu :
« [ … ], que le Tribunal administratif du Québec est maître de sa preuve et qu’il n’est absolument pas lié par les règles applicables par les tribunaux de droit commun qui doivent, eux, appliquer le contenu du Code civil du Québec et du Code de procédure civile. » [20]
[123] Quant à la demande des requérants, d’une part, il soutient que le droit à l’avocat s’applique en matière de droit pénal ou criminel et il ne peut servir de motif, en l’espèce, à faire exclure de la preuve la déclaration de la requérante.
[124] D’autre part, le procureur croit qu’il n’est pas permis de compartimenter la déclaration de la requérante prise lors de l’enquête et de soustraire sa déclaration spontanée lorsqu’elle soupçonne que c’est son ex-conjoint qui l’a dénoncée. En fait, il souligne le degré de fiabilité de cette déclaration qui, à son avis, reflète fidèlement ce que la requérante a rapporté à l’enquêteur. Soulignant les contradictions apportées par cette dernière lors de son témoignage, il plaide la force probante de la déclaration faite à l’enquêteur, le 20 mars 2009.
- Droit à l’avocat et mise en garde
[125] Précisons que le Tribunal administratif du Québec (TAQ) s’est déjà prononcé sur la question du droit à la représentation ou à l’assistance d’un avocat et de la mise en garde dans un contexte où, comme dans le présent cas, une déclaration d’un prestataire d’aide de dernier recours est prise par un enquêteur du MESS.
[126] À cet égard, il y a lieu de reproduire ici de larges extraits de cette décision qui traduisent bien la position adoptée par le Tribunal sur cette question [21] .
[127] Les extraits pertinents se lisent comme suit :
« [15] La jurisprudence de la Commission des affaires sociales, devenue le Tribunal administratif du Québec, s'est déjà prononcée sur cette question:
«[…]
Il y a donc lieu d'ouvrir
ici une parenthèse pour statuer sur l'objection formulée par les procureurs des
requérants voulant essentiellement que les déclarations de ces requérants,
telles qu'elles ont été prises par l'enquêteur Bonin, soient contraires au
droit à la représentation ou à l'assistance d'un avocat garanti par l'article
Notons que cet article 10b de la Charte s'inscrit dans un contexte de droit criminel et pénal. Qu'en est-il en droit administratif? Le professeur Yves Ouellette traite de la question de la manière suivante:
«Il faut qu'une audition ou une enquête soit tenue sous l'autorité de la loi, par opposition à une démarche de nature privée, pour invoquer un droit à la représentation ou à l'assistance d'un avocat .
Il nous semble qu'en cas de silence des textes sur l'obligation pour un organisme administratif d'informer les parties de leur droit à la représentation ou à l'assistance d'un conseil, il n'appartient pas au contrôleur judiciaire de réécrire les textes ou d'y suppléer, mais la jurisprudence en la matière n'est pas fixée . Même en cas de silence des textes sur ce point, rien ne s'oppose à ce que l'organisme administratif prenne l'initiative d'informer les participants de leur droit et leur offre d'ajourner pour l eur donner le temps de retenir les services d'un avocat.»
Il appert, tant en vertu de la Loi sur la sécurité du revenu que de la Loi sur les commissions d'enquêtes desquelles l'enquêteur de l'intimée tire sa compétence, que rien n'oblige ce dernier à informer le prestataire, qu'il veut interroger, du droit de ce dernier à la représentation ou à l'assistance d'un avocat, si tant est qu'un tel droit existe en la matière. Il va sans dire qu'une déclaration obtenue en l'absence de mise en garde quant au droit à l'avocat n'est pas en soi inadmissible en preuve devant un tribunal administratif. Le professeur Ouellette s'exprime à cet égard de la façon suivante:
«Le droit de la procédure et de la preuve administrative n'a que faire du dogmatisme et des règles écrites d'application générale. Il préfère le cas par cas et c'est par une démarche interprétative de sa loi constitutive et des règlements, ainsi que des règles jurisprudentielles, que le tribunal administratif devrait disposer de l'admissibilité d'un élément de preuve matérielle obtenue de façon illégale ou même par fausses représentations ou mesures agressives.»
La présente affaire, faut-il le rappeler, s'inscrit dans un contexte de droit administratif et à cet égard l'article 26 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des affaires sociales , applicable en l'instance, énonce:
« La Commission a le pouvoir d'accepter tout mode de preuve qu'elle croit mieux servir les fins de la justice.
Elle peut requérir la production de tout document, livre, papier ou écrit qu'elle juge nécessaire.»
[ … ]
[16] Le Tribunal administratif du Québec est maître de sa preuve . L'obligation d'aviser les parties de leur droit à l'avocat est prévue dans le cadre du droit criminel et pénal . Rien n'oblige, dans la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale ou dans la Loi sur la justice administrative , l'enquêteur de l'intimé d'informer le prestataire de son droit à la représentation par avocat ou à l 'assistance d'un avocat.
[17] La jurisprudence, précédemment citée de la Commission des affaires sociales, a également été suivie par le Tribunal administratif du Québec:
«[…]
[21] Il n'y a donc, dans le présent cas, aucun comportement qui soit susceptible de déconsidérer la justice. Soulignons en terminant que tant la Loi sur la sécurité du revenu que la Loi sur les commissions d'enquêtes ne font obligation à des vérificateurs de procéder à une «mise en garde» et d'informer du droit à l'avocat lorsqu'ils rencontrent un prestataire dans l'exercice de leurs fonctions.
[…]»
«[…]
[20] À cet égard, le Tribunal ne peut retenir la demande du procureur des requérants de rejeter les déclarations signées par ceux-ci, au motif qu'il n'y aurait pas eu, alors, de mise en garde et d'avertissement quant au droit à l'avocat. Il ne s'agit pas ici de l'admissibilité d'une preuve en droit criminel et la mise en garde n'était pas obligatoire. Le Tribunal n'a aucun motif, en l'espèce, pour douter du caractère libre et volontaire de la déclaration faite par la requérante et le requérant.
[…]»
[18] Pour les mêmes motifs nous retenons que l'omission de la mise en garde par l’intimé quant au droit à l'avocat, lors de la prise des déclarations, ne permet pas de les rejeter pour ce seul motif. »
(nos soulignements)
[128] La présente formation fait siens les propos rapportés par le Tribunal dans cette affaire dont les faits sont similaires au cas qui nous occupe.
[129] Ainsi, tout comme dans cette cause, le Tribunal constate que ni la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles , ni la Loi sur la justice administrative et ni la Loi sur les commissions d’enquête n’oblige l’enquêteur du MESS à procéder à une mise en garde et à informer le prestataire du droit à l’avocat.
[130] Par conséquent, en l’absence d’une telle obligation, le Tribunal rejette la demande des requérants basée sur le droit à l’avocat et la mise en garde.
- Équité procédurale
[131] Maintenant, en ce qui concerne l’équité procédurale, le Tribunal est d’avis que l’ensemble de la preuve démontre que l’enquêteur a agi dans le respect des règles de justice naturelle. En effet, en aucun temps, la preuve ne révèle que celui-ci aurait contrevenu à son devoir d’agir équitablement.
[132] Tout d’abord, le Tribunal remarque que le sujet de l’enquête, en l’occurrence celui de « clarifier l’admissibilité de la requérante à l’aide de dernier recours en regard de ses revenus de travail » , est identifié par l’enquêteur sur la lettre de convocation à une entrevue adressée à la requérante.
[133] Ensuite, si l’entrevue a dévié sur son lien avec le requérant, c’est bien parce que c’est elle qui, par sa déclaration spontanée, a mené l’enquêteur à explorer cette avenue.
[134] Dans ces circonstances, nul doute que c’est la requérante qui s’est placée elle-même dans cette situation. Il ne s’agit pas ici d’un stratagème mis en place par l’enquêteur dans un but de piéger la requérante.
[135] À présent, dans la mesure où la requérante déclare d’entrée de jeu et spontanément à l’enquêteur qu’elle soupçonne que le requérant est le délateur et qu’elle l’identifie spécifiquement comme son ancien conjoint, il est difficile de reprocher à l’enquêteur de s’intéresser soudainement à la situation d’une vie maritale surtout dans un contexte où la requérante a déclaré régulièrement à l’intimée qu’elle résidait chez le requérant comme chambreuse.
[136]
Dans ces circonstances, ayant préalablement informé la requérante du
sujet de l’enquête, le Tribunal estime que l’enquêteur n’a aucunement
contrevenu à l’article
[137] Précisons que le premier alinéa de cette disposition énonce les pouvoirs des commissaires, en l’occurrence des enquêteurs, et non leurs obligations, de sorte que l’enquêteur n’est pas restreint nécessairement à traiter que du sujet de l’enquête.
[138] Contrairement au second alinéa de cet article, les personnes dont le témoignage est requis « doivent » répondre à toutes les questions posées par l’enquêteur sur les matières qui font le sujet de l’enquête, mais rien ne les oblige à répondre aux questions qui ne sont pas de cet ordre.
[139] Sur ce point, la preuve révèle que la requérante a fait cette déclaration à l’enquêteur de façon libre et volontaire. Celle-ci a pris soin de relire sa déclaration, de l’initialiser et, enfin, de la signer, et ce, sans contrainte ni menace.
[140] De l’avis du Tribunal, ces faits démontrent que la déclaration de cette dernière a été obtenue dans le respect des règles de justice naturelle et du devoir d’agir équitablement.
[141] Par conséquent, cette déclaration ne déconsidère aucunement l’administration de la justice et, dans une telle mesure, le Tribunal n’a aucune raison, comme elle le demande, de privilégier le témoignage de la requérante à sa déclaration écrite.
[142] Par ailleurs, le Tribunal s’étonne que lors de son témoignage, la requérante donne de multiples détails entourant l’insistance de l’enquêteur à vouloir la rencontrer et que, par la suite, elle allègue ne plus avoir aucun souvenir de sa rencontre avec ce dernier.
[143] Alors que cette affirmation aurait pu être portée auparavant à la connaissance de l’intimée, de l’enquêteur, de la réviseure ou bien des procureurs des parties, il est surprenant que la requérante soulève ce fait, pour la première fois, en cours d’audience.
[144] D’autre part, alors que la requérante admet avoir cessé son traitement de méthadone depuis 2004, elle ne peut prétendre qu’à la date de sa déclaration du 20 mars 2009, il s’agissait des effets secondaires liés à cette médication, laquelle affectait sa mémoire.
[145] De tout ce qui précède, le Tribunal rejette la demande des requérants visant l’admissibilité en preuve de la déclaration de la requérante faite à l’enquêteur le 20 mars 2009 et sa valeur probante.
· Sur le fond
[146] Considérant l’ensemble de la preuve qui lui a été présenté, le Tribunal doit maintenant statuer sur le bien-fondé de la décision rendue en révision par l’intimée, laquelle, rappelons-le, vise la réclamation d’une somme de 16 381,23 $ à l’endroit des requérants en raison d’une situation de vie maritale non déclarée ainsi que des frais de recouvrement de 100 $ liés à une fausse déclaration.
[147] Soulignons que la jurisprudence nous enseigne que la vie maritale se fonde sur trois critères, à savoir la cohabitation, le secours mutuel et la commune renommée. Les deux premiers critères constituent des éléments essentiels à la vie maritale alors que la commune renommée est considérée comme un élément accessoire.
[148] En l’espèce, les requérants ont admis la cohabitation durant toute la période concernée.
[149] Dans ces circonstances, outre la commune renommée qui consiste à la présentation de ces personnes comme formant un couple auprès de leur entourage ou de tiers, il y a lieu de déterminer ici si le secours mutuel que s’apportaient les requérants pendant cette période était de la même nature que celui que se procurent normalement des époux, notamment par l’entraide et le réconfort.
[150] En fait, précisons également que selon la jurisprudence, le secours mutuel se conçoit par la mise en commun des ressources, tant personnelles que matérielles, de projets communs, d’une vie sociale, de loisirs, de sorties et de vacances en commun, d’échange de cadeaux, du partage de l’usage de certains biens, ainsi que du partage des tâches et des responsabilités.
[151] De même, le secours mutuel implique une aide économique en se portant secours et assistance allant jusqu’à une interdépendance financière. Il comporte un caractère de continuité, une réciprocité dans cette aide et cette assistance, lesquels sont du type qu’ont entre eux les conjoints mariés ou les conjoints de fait.
[152] Enfin, rappelons que c’est sur les épaules de l’intimée que repose le fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante [22] , que les requérants sont conjoints au sens de la Loi, justifiant ainsi cette réclamation.
[153] Partant de ces principes, le Tribunal a analysé l’ensemble de la preuve qui lui a été présenté, tant documentaire que testimonial, ainsi que les arguments exposés en plaidoirie par les procureurs de chaque partie.
[154] De cette analyse, le Tribunal conclut que l’intimée a rencontré son fardeau de preuve et, par conséquent, il rejette le recours des requérants pour les raisons suivantes.
[155] Tout d’abord, de par les témoignages des requérants, le Tribunal retient qu’il existait chez ces derniers un partage des tâches et des responsabilités.
[156] Non seulement la requérante veillait à garder la maison propre, mais elle s’occupait également des enfants du requérant le matin pour les envoyer à l’école et les attendait, en fin de journée, lors de leur retour à la maison. Le Tribunal note qu’en 2002-2003, les enfants étaient alors âgés respectivement de 8 et 9 ans, lesquels nécessitaient certainement une telle assistance.
[157] De son côté, le requérant faisait l’épicerie ainsi que les repas.
[158] Nul doute qu’il s’agit d’un partage où chacun y trouvait son compte.
[159] Le Tribunal remarque également que le requérant confirme lors de son témoignage que lui et la requérante effectuaient des sorties ensemble, rencontraient des amis communs, avaient des activités communes (Parc A) et fréquentaient même les membres de la famille de la requérante. Il s’agit là de faits que le Tribunal considère pour appuyer l’existence du secours mutuel.
[160] Précisons aussi que de déménager ensemble constitue un projet commun et le fait d’avoir cohabité de 2002 à 2007 répond aux critères de la continuité et de la constance du secours mutuel. En effet, ce mode de vie adopté par les requérants s’apparente à celui d’un couple marié.
[161] En somme, en 2003, les requérants ont choisi de quitter un logement de 7 pièces et ½ pour un 5 pièces et ½. À ce moment, le requérant a des revenus annuels qui varient entre 40 000 $ à 50 000 $ auxquels s’ajoute le loyer de 300 $ que lui verse la requérante chaque mois dont le prix du loyer est de 750 $.
[162] Dans ces conditions, les explications du requérant quant au choix de ce nouveau logement pour des raisons financières sont pour le moins douteuses de même que celles se rapportant à l’attribution des chambres alors que la requérante aurait dormi sur un divan au salon pendant plus de trois ans. Le Tribunal n’hésite pas ici à écarter cette prétention qui est celle de coucher sur un divan-lit au salon pendant des années.
[163] D’ailleurs, sur ce point, le Tribunal constate que les explications du requérant sont invraisemblables et contradictoires lorsqu’il dit qu’elle y dormait tous les soirs, qu’elle était matinale et libérait le salon tôt le matin.
[164] À cet effet, de son côté, la requérante allègue que la prise de méthadone à cette époque lui causait beaucoup de somnolence et qu’elle passait ses journées à dormir.
[165] De même, le Tribunal ne croit pas la requérante lorsqu’elle affirme se vêtir ou se dévêtir, soir et matin, dans la salle de bain et laisser, par surcroît, son linge au sol alors que le requérant vante les mérites de cette dernière qui s’assure de garder la maison propre.
[166] Le Tribunal remarque également l’entraide qui peut exister entre les requérants. En effet, de leurs témoignages, le Tribunal retient que, de toute évidence, aux prises avec un grave problème de dépendance, la requérante avait besoin d’aide et de soutien, ce que le requérant lui a apporté, jouant ainsi un rôle déterminant auprès de cette dernière.
[167] De son côté, la requérante lui retournait cette aide en s’occupant des enfants du requérant ainsi que de l’entretien de la maison, ce dernier y trouvait donc aussi son compte.
[168] En pareils cas, cette entraide, de part et d’autre, va bien au-delà de celle que peuvent s’apporter des colocataires, laquelle, rappelons-le, a perduré pendant plusieurs années. Ainsi, il s’agit là d’un autre élément qui établit la présence du secours mutuel.
[169] Par ailleurs, quant à l’existence de relations intimes entre les deux requérants, si l’absence de rapports sexuels n’est pas un critère déterminant selon la jurisprudence pour établir s’il existe ou non une vie maritale, la présence de tels rapports intimes chez les requérants a tout de même son importance dans un contexte où la requérante prétend que le requérant représente un père pour elle.
[170] Aux yeux du Tribunal, les relations intimes qu’elle entretient avec le requérant contredisent ses propos quant à sa relation père-fille. En somme, elles établissent plutôt un lien affectif entre les deux qui, de l’avis du Tribunal, dépasse celui d’une relation père-fille, tel que la requérante tente de le démontrer.
[171] En somme, si le requérant représentait un père pour elle, qu’elle était très reconnaissante envers ce dernier qui s’est occupé d’elle, ce qui lui a permis de se remettre sur le droit chemin, comment expliquer qu’elle se targue maintenant de n’avoir plus de contact avec celui-ci depuis 2007?
[172] Si elle a décidé de partir et de voler de ses propres ailes en raison de sa plus grande autonomie financière, pourquoi ne pas avoir maintenu ses liens avec le requérant?
[173] De l’avis du Tribunal, tout porte à croire que cette relation n’était pas de celle du type paternel ou fraternel comme elle le prétendait.
[174] Enfin, alors que deux semaines auparavant il avait laissé la garde de ses enfants à la requérante pendant près de deux mois, d’où la preuve d’une assistance et d’un secours mutuel, la version du requérant d’avoir confié la garde de ces derniers pour une semaine à la DPJ lors de son hospitalisation est quand même étonnante.
[175] En fait, si à deux semaines d’intervalle la capacité de la requérante de s’occuper des enfants du requérant est remise en cause à un tel point qu’il doit faire appel à la DPJ pour faire garder ses enfants, il y a lieu de se questionner sur les motifs de cette volte-face.
[176] À ce sujet, le Tribunal constate que cette période coïncide avec la rencontre de la requérante et de monsieur P. G., en mai 2005. De même, le Tribunal retient que le rapport de police du 17 mai 2005, lequel fait suite à une dispute entre les deux requérants dont la mention des policiers est qu’ils sont en instance de séparation, coïncide aussi dans cette même période. Cette preuve établit qu’il existait bel et bien une relation de couple entre les deux requérants.
[177] En dernier lieu, le Tribunal accorde peu de crédibilité au témoignage de la requérante.
[178] D’une part, ses pertes de mémoire sont très sélectives. À cet effet, le Tribunal remarque que la requérante a des souvenirs très pointus lorsqu’il s’agit de décrire les faits qui peuvent établir qu’ils ne vivaient pas comme des époux, telle la description de son quotidien lors de ces cinq années de vie commune avec le requérant. Toutefois, elle n’a aucun souvenir lorsqu’il s’agit de savoir, par exemple les raisons pour lesquelles elle a soupçonné le requérant, en l’identifiant comme son ancien conjoint, de l’avoir dénoncée au MESS.
[179] D’autre part, le Tribunal constate que la requérante se retranche derrière l’utilisation de la méthadone pour justifier ses oublis et expliquer ses comportements. Par contre, si la prise de méthadone l’affecte à ce point, qu’en est-il lorsqu’il est temps de s’occuper des enfants du requérant et de participer aux activités familiales?
[180] Le discours de la requérante est fort contradictoire.
[181] Ainsi donc, même si le Tribunal écartait sa déclaration faite à l’enquêteur, il demeure que son témoignage est criblé de contradictions et d’invraisemblances, ce qui, de toute évidence, affecte grandement sa crédibilité.
[182] Cela étant, en raison de son caractère spontané qui représente un haut degré de fiabilité, le Tribunal accorde une valeur probante à la déclaration de la requérante faite à l’enquêteur, le 20 mars 2009, qui identifie clairement le requérant comme étant son ex-conjoint, ce qui constitue un aveu de sa part.
[183] De fait, le Tribunal croit davantage cette version à celle tenue lors de l’audience qui, au fil du passage du temps et de la connaissance acquise des effets de cette déclaration, les requérants ont tout intérêt à la discréditer.
[184] En somme, par son témoignage, la requérante tente de nuancer sa version des faits voire même de la changer carrément.
[185] Certes, comme précisé précédemment, le fardeau de preuve appartient à l’intimée. Toutefois, le Tribunal constate que du côté des requérants, aucun témoin, si ce n’est qu’un membre de la famille, amis ou bien l’un des enfants du requérant, maintenant âgés de 18 et 19 ans, n’a été appelé par ces derniers afin de corroborer leur version.
[186] Ainsi, de tout ce qui précède, le Tribunal estime que l’intimée s’est déchargée de son fardeau de preuve et qu’il a démontré, par une preuve prépondérante, que les requérants vivaient comme des conjoints au sens de la Loi [23] tout au long de la période concernée.
[187] La preuve des revenus de travail du requérant durant la période concernée ayant été présentée par l’intimée [24] et non contredite, le Tribunal conclut au bien-fondé de la somme réclamée par l’intimée à l’endroit des requérants.
[188] Enfin, les requérants n’ayant jamais déclaré à l’intimée leur véritable situation, le Tribunal conclut également au bien-fondé des frais de recouvrement de 100 $ liés à cette fausse déclaration.
POUR CES MOTIFS , le Tribunal :
- REJETTE les recours des requérants;
- CONFIRME la décision rendue en révision par l’intimée, le 30 novembre 2009;
- PREND ACTE du désistement du requérant dans le dossier SAS-M-167310-1001.
Vaillancourt, Richer & Associés
Me Geneviève Girard-Gagnon
Procureure du requérant et mis en cause
Grégoire, Gauthier avocats
Me Gilles W. Grégoire
Procureur de la requérante et mise en cause
Me François Doray
Procureur de la partie intimée
[1] SAS-M-167304-1001 et SAS-M-167696-1001.
[2] SAS-M-167310-1001.
[3] Pages 43 à 113.
[4] Page 50.
[5] Pages 116 à 123.
[6] Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale (RLRQ, chapitre S-32.001) et son Règlement (RLRQ, chapitre S-32.001, r. 1) et la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles (RLRQ, chapitre A-13.1.1) et son Règlement (RLRQ, chapitre A-13.1.1, r. 1).
[7] Pages 134 et 135.
[8] Pages 58 et 59.
[9] Page 70.
[10] Page 38.
[11] Page 32.
[12] Page 61.
[13] Pages 60 et suivantes.
[14] Pages 17, 19, 20, 21, 27, 33 et 34.
[15] RLRQ, chapitre J-3.
[16] Les commentaires de la procureure du requérant ont été produits au Tribunal le 11 mars 2014 et ceux de l’intimée, le 7 mai 2014, date à laquelle les dossiers ont été pris en délibéré.
[17] RLRQ, chapitre A-13.1.1.
[18] RLRQ, chapitre C-37.
[19] S. J. c. MESS , SAS-M-121800-0608, 12 août 2009.
[20] Paragraphe 144 de cette décision.
[21] G. C. et N. F. c. MESS , SAS-M-081222-0301 et SAS-M-081224-0301, 30 novembre 2004.
[22]
Selon l’article
[23]
[24] Pages 112 et 113.