Fédération des paramédics et des employées et employés des services préhospitaliers du Québec et Corporation ambulancière de Beauce inc. (CAMBI) (Marquis Bergeron)

2014 QCTA 569

TRIBUNAL D'ARBITRAGE

 

 

 

CANADA 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

N o de dépôt : 2014-6035

 

 

Grief : 2013-02-15- Marquis Bergeron

 

 

 

Date de la décision : 12 mai 2014

 

 

 

 

 

DEVANT L'ARBITRE : Me JEAN-FRANÇOIS LA FORGE

 

 

 

 

 

Fédération des paramédics et des employés-es des services préhospitaliers du Québec

 

Ci-après appelée le Syndicat

 

 

 

-et-

 

 

 

Corporation ambulancière de Beauce Inc. (CAMBI)

 

Ci-après appelée l'Employeur

 

 

Nature du grief : Suspension, délai d'imposition d'une sanction.

Convention collective : 15 août 2006 au 31 mars 2010

 

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

I. OBJET DU LITIGE

[1] Le soussigné a été nommé arbitre par le ministre pour entendre et décider d'un grief contestant un mesure disciplinaire imposée à M. Marquis Bergeron, grief déposé sous la cote S-2 :

Nature du grief :          Contestation de la suspension de M. Marquis Bergeron

Description du grief :  Le Syndicat conteste la suspension d'une journée imposée à monsieur Marquis Bergeron dans une lettre datée du 25 janvier 2013 à l'égard de faits ayant eu lieu le 23 décembre 2012.

                                   Cette suspension est abusive, déraisonnable et contraire à la convention collective liant les parties, notamment car communiquée à l'extérieur des délais prévus à l'article 5.08 de la convention.

Règlement demandé : Que l'Employeur retire la mesure disciplinaire contestée, ainsi que toute lettre ou mention à cet effet du dossier du travailleur ;

                                   Que l'Employeur indemnise le travailleur pour toute perte de salaire et d'ancienneté occasionnée par la suspension, avec l'intérêt prévu au Code du travail ;

[2] Dès le début de l'audition, les parties m'informaient qu'elles voulaient être d'abord entendues sur un moyen préliminaire présenté par le syndicat et reprochant à l'employeur de ne pas avoir imposé la mesure disciplinaire dans le délai prescrit à la clause 5.08 de la convention collective S-1  :

5.08 La décision d'imposer un congédiement ou une suspension est communiquée dans les trente (30) jours de l'incident y donnant lieu ou au plus tard, dans les trente (30) jours de la connaissance par l'employeur des faits pertinents liés à cet incident. Les parties peuvent convenir, par écrit, de prolonger les délais mentionnés pour fin d'enquête.

Le délai de trente (30) jours prévu à l'alinéa précédent ne s'applique pas si la décision d'imposer un congédiement ou une suspension résulte de la répétition de certains faits ou d'un comportement chronique de la personne salariée.

[3] En fait, le moyen préliminaire est selon toute vraisemblance l'argument principal soulevé par le grief déposé sous la cote S-2. La preuve offerte a donc été limitée aux circonstances entourant la « communication » de la mesure disciplinaire et en faisant abstraction de son bien-fondé ou non.

Il. LES FAITS

            M. Marquis Bergeron

[4] Il est paramédic depuis 1989 et il est affecté à la région de Thetford Mines. Il reconnait la lettre déposée sous la cote S-3  :

Monsieur,

Le 23 décembre 2012 à 19h05, vous avez appelé le superviseur de garde, M. Yannick Thériault, pour lui demander de vous remplacer pour raison médicale à compter de 21h30. M. Thériault vous a rappelé à 19h20 pour votre remplacement et vous a demandé de fournir un billet médical, ce à quoi vous avez répondu : « J'ai droit d'être malade et je n'ai pas à te fournir de billet médical, tu peux en faire ce que tu veux de ton billet ». Sur ce, M. Thériault vous a avisé que vous auriez à rencontrer M. Pierre Nadeau et vous lui avez répondu « Tu diras à Pierre qu'il fera ce qu'il veut, je m'en calisse ».

Pour le manque de respect ainsi que l'insubordination dont vous avez fait preuve, nous vous imposons une suspension d'une journée sans solde. La date de votre suspension vous sera communiquée par votre superviseur M. François Faucher.

Veuillez noter que toute récidive de votre part entrainera des mesures disciplinaires supplémentaires envers vous pouvant aller jusqu'au congédiement.

[5] Il a pris connaissance de cette lettre le 29 janvier 2013 et elle lui a été remise la même journée par M. François Faucher, superviseur. Elle lui a été remise de main à main et l'enveloppe était cachetée. Il venait de terminer son horaire à 7h30 et il l'a rencontré seul dans son bureau. Il a pris connaissance de la lettre à l'extérieur des bureaux mais quand même sur les lieux de travail.

[6] Il a été en congé le 30 et le 31 janvier 2013 et c'est à son retour de congé qu'il apprenait la date de sa suspension, soit le 1 er février 2013. C'est également M. Faucher qui l'informait de la journée de suspension.

[7] Le 24 janvier 2013, M. Faucher l'avait informé qu'il attendait une lettre du bureau chef, que la lettre concernait les évènements du 23 décembre mais qu'il en ignorait le contenu. Sur réception de la lettre, il en a informé Mme Nancy Lacroix, présidente du syndicat et lui demandera de la contester par grief.

            M. Yannick Thériault

[8] Il est superviseur pour la région du Bas St-Laurent depuis la fin d'octobre 2012. Son point de service est à Rimouski. Auparavant, il fut paramédic pendant onze années également à Rimouski.

[9] Son travail consiste à la gestion des ressources, les demandes de congé de maladies, la formation, le suivi de compétence, la gestion des bâtiments, l'entretien des véhicules et la présence des paramédics sur les horaires respectifs. Il est un cadre intermédiaire.

[10] Il n'a pas de pouvoir disciplinaire et doit se rapporter aux cadres supérieurs pour ce faire, soit MM. Claude Lachance ou Pierre Nadeau.

[11] Le 23 décembre 2012, il était au travail et de garde, pour couvrir les régions de Beauce, des Laurentides et du Bas St-Laurent. Le plaignant était également à l'horaire et a téléphoné M. Thériault pour se rapporter malade et être remplacé. Le superviseur a alors communiqué avec M. Pierre Nadeau pour savoir comment gérer cette demande de congé. M. Bergeron devait débuter à 21h30 et ne s'est pas rapporté au travail selon l'horaire prévu.

[12] Sa garde finissait le 27 décembre 2012. Il a rédigé un rapport d'évènements, comme il le fait pour tout évènement. M. Nadeau lui a demandé de lui faire parvenir, ce qu'il fera le 4 janvier au matin, par courriel dont une impression sera déposée sous la cote E-1  :

Sujet : maladie de M. Marquis Bergeron le 23 décembre 2012

M. Bergeron m'a appelé à 19h05 pour m'indiquer qu'il était malade et incapable de faire son quart de travail le soir même de 21h30 à 7h30 à Thetford Mines. Je lui ai dit que je ferais quelque vérification et que je le contacterais plus tard.

À 19h20, je communique avec M. Bergeron au téléphone pour lui indiquer qu'il me faut un billet de médecin pour le mettre en maladie. Il me répond et le cite : « J'ai le droit d'être malade et je n'ai pas à te fournir de billet médical, tu peux faire ce que tu veux de ton billet ». Je lui réponds que s'il ne me donne pas de billet, Pierre Nadeau allait le rencontrer cette semaine. M. Bergeron me répond : « Tu diras à Pierre qu'il fera ce qu'Il veut, je m'en câlisse ». Et notre discussion se termine de cette façon.

Je l'ai mis en maladie malgré l'absence de billet à la demande de Pierre Nadeau.

M. Claude Lachance

[13] Il cumule les postes de directeur-général adjoint et directeur aux ressources humaines alors qu'en 2012, il n'occupait que le poste de directeur aux ressources humaines. Il a été également paramédic pendant 21 ans, toujours pour CAMBI.

[14] Son travail consiste à participer aux négociations nationales et il siège à plusieurs tables de négociation. Il s'occupe également de la discipline et de la gestion des dossiers disciplinaires chez l'employeur.

[15] Un superviseur n'a pas de pouvoir disciplinaire et ne peut suspendre un salarié que pour faute lourde et encore là, la suspension sera avec solde jusqu'à l'intervention de l'employeur.

[16] Il apprendra les évènements du 23 décembre 2012 que le 27 décembre lors d'une conversation téléphonique avec M. Pierre Nadeau. Il demande alors d'avoir plus de détails par écrit. Il recevra ces détails le 4 janvier 2013 au matin. Le rapport avait d'abord été transmis à M. Nadeau qui lui a transféré par la suite. Il s'agit de la pièce déposée sous la cote E-1 .

[17] Il en prend donc connaissance le 4 janvier 2013 et ce n'est qu'à ce moment qu'il a tous les faits pertinents. Il remettra la lettre déposée sous la cote S-3 le 25 janvier 2013 à M. François Faucher lors d'une rencontre avec les superviseurs. Il lui dit alors qu'il s'agit d'une mesure disciplinaire à remettre à M. Bergeron.

            M. François Faucher

[18] Il est paramédic depuis 1979 et pour CAMBI depuis 1989. Il est superviseur depuis 2010.

[19] Il n'est pas en fonction le 23 décembre 2012. Il rencontre M. Bergeron pour lui remettre un document que lui-même a reçu le 25 janvier 2013 des mains de M. Lachance. L'employeur lui a dit qu'il s'agissait d'une mesure disciplinaire qui devait être remise à M. Bergeron. Il devait de plus déterminer le jour de suspension à purger.

[20] Il lui remettra la lettre S-3 le 29 janvier 2013. Il ne l'a pas donné auparavant soit le lundi 28 janvier parce qu'il voulait s'assurer de la présence de Mme Lacroix, alors présidente du syndicat. M. Bergeron a ouvert l'enveloppe devant lui et l'a lu dans son bureau. Il lui a dit qu'il ferait un grief par principe en disant : « Tu peux rajouter deux ou trois jours, si tu veux  ». Mme Lacroix a toujours été présente.

III. ARGUMENTATION

            ARGUMENTATION SYNDICALE

[21] La clause 5.08 prévoit un délai pour imposer une mesure disciplinaire et ce délai est de trente jours de l'incident ou au plus tard trente jours de la connaissance par l'employeur des faits pertinents à l'incident. L'employeur doit donc « communiquer » sa décision d'imposer une mesure disciplinaire.

[22] L'employeur n'a pas à avoir le portrait complet avant d'agir et il lui est même possible de convenir d'une prolongation du délai si nécessaire.

[23] Ce délai est de rigueur implicite compte tenu de la rédaction de la clause retenue par les parties.

[24] Que les évènements se produisent dans le temps des fêtes ne change en rien la computation des délais prévus à la convention collective.

[25] Compte tenu de la nature des opérations, l'entreprise opère 24 heures sur 24 et 7 jours par semaine. Une ligne 1-800 est également disponible pour rejoindre un cadre en tout temps et la structure est somme toute minimaliste. Il y a un directeur général et deux directeurs adjoints. Il n'y a donc pas de structures lourdes pouvant expliquer le délai d'agir.

[26] Les propos reprochés sont tenus contre un cadre qui communique régulièrement avec la direction. M. Thériault rédige un rapport et le transmet par courriel. Pas d'enquê-te, pas d'appel, ni de vérification des versions auprès du salarié concerné. La connais-sance de l'employeur n'est donc pas le 4 janvier 2013 comme il voudrait le faire croire et le grief doit être accueilli sur cette seule base car l'employeur n'a pas agi dans les délais.

[27] La date de la connaissance de l'employeur au sens de la clause 5.08 est le 27 décembre 2012, lorsque M. Thériault communique avec M. Nadeau. Le délai pour agir et communiquer une mesure disciplinaire se terminait donc le 27 janvier 2013, deux jours avant la remise de l'avis.

            ARGUMENTATION PATRONALE

[28] Chaque cas est un cas d'espèce et particulièrement ce dossier compte tenu des contraintes rencontrées.

[29] Le 23 décembre 2012, il n'y pas de représentant de l'employeur présent au travail avec des pouvoirs disciplinaires. Il faut de plus tenir compte de la période de l'année et de la diligence raisonnable démontrée par l'employeur. M. Thériault est le seul superviseur en poste et le 27 décembre, son dernier jour de travail, il rédige le rapport E-1 et le transmet ultérieurement. Dans les circonstances, il n'est pas déraisonnable de demander un rapport des évènements. C'est ainsi que l'on se retrouve au 4 janvier, date à laquelle l'employeur prend pour la première fois connaissance des évènements.

[30] Il est vrai qu'il n'y a pas eu de rencontre avec le salarié mais une telle rencontre n'est pas obligatoire sauf dans le cas prévu à la clause 5.06 alinéa 3, soit lorsqu'il s'agit d'une suspension de plus d'une journée ou lors d'un congédiement :

5.06 ...

Dans les cas de suspension de plus d'une (1) journée ou dans les cas de congédiement, l'imposition de la mesure est précédée d'une rencontre entre l'employeur et le représentant syndical. Au cours de cette rencontre, l'employeur informe le représentant syndical et, s'il y a lieu, la personne salariée, des motifs qui ont provoqué la mesure disciplinaire.

[31] Au surplus, une telle rencontre aurait été inutile.

[32] M. Lachance n'avait pas connaissance des faits pertinents au 23 décembre et il lui fallait vérifier un minimum d'informations avant d'agir. C'est ainsi que l'évaluation de la gravité de l'acte est importante et doit être faite au préalable. Il faut prendre le temps nécessaire.

[33] Le délai n'en est pas un de rigueur. Si les parties avaient voulu qu'il le soit, elles auraient utilisé le « doit » et non le « est ». De toute façon, l'employeur était toujours dans les délais qui se terminaient selon lui au 3 février 2013.

[34] Le procureur patronal souligne le passage suivant de la décision de Me Diane Veilleux dans Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal et Parc Six Flags Montréal , 4 juin 2010, 2010 CanLII 30212 (QC SAT) :

[37] Avec respect pour l'opinion contraire, je ne crois pas que les formalités prévues dans une procédure disciplinaire sont toutes de rigueur du seul fait que cette procédure est prévue à la convention collective. Pour accorder une telle sanction au non respect d'une formalité, il m'apparait important de pouvoir la déceler en tenant compte principalement de la lettre et de l'esprit de la convention collective.

[35] Pour ces motifs, l'employeur demande à ce que le moyen préliminaire soit rejeté et que les parties soient convoquées de nouveau pour débattre du grief au fond.

IV. DÉCISION

[36] L'employeur a-t-il respecté les dispositions de la convention collective qui lui imposent de communiquer une mesure disciplinaire dans un délai spécifié ? S'il n'a pas respecté cette obligation, quel sort doit-on réserver à la mesure ainsi imposée.

            Le délai d'imposition

[37] La clause 5.08 prévoit un délai de trente jours pour communiquer la décision d'imposer un congédiement ou une suspension. Ce délai de trente jours peut être calculé soit depuis l'évènement soit à partir de la connaissance par l'employeur des faits pertinents liés à cet incident.

[38] Le délai est une fenêtre de temps durant laquelle l'employeur peut décider ou non de sévir à l'encontre d'un comportement qu'il juge déviant. Il peut décider de sévir ou de passer outre, c'est là l'exercice de sa discrétion, de son droit de gérance. Les parties ont restreint l'exercice de cette discrétion en lui imposant un délai de trente jours. Passé ce délai, le salarié est justifié de penser que l'employeur ne sévira pas.

[39] Ce délai n'est pas simplement indicatif, il est impératif. Il serait tout à fait inutile de prévoir un délai qui serait tout simplement indicatif ou encore plus, dans les cas où le délai commence à la connaissance, laissé au bon vouloir de l'employeur. Le délai est fixe, bien connu et facile à computer.

            Les trente jours de l'incident

[40] Selon la première éventualité, soit dans les trente jours de l'incident, l'évènement se produit le 23 décembre 2012 et l'employeur avait donc jusqu'au 23 janvier 2013 pour communiquer sa décision d'imposer une mesure disciplinaire. M. Thériault est un représentant de l'employeur qui reçoit l'information pertinente et qui peut assurer un suivi rapidement. Il est l'unique source d'information. Cette information ne peut donc pas être bonifiée ou confirmée par d'autres. Il est de plus un des deux acteurs.

[41] Si ce délai était tout simplement indicatif, il aurait été inutile de prévoir la dernière phrase de la clause 5.08 :

... Les parties peuvent convenir, par écrit, de prolonger les délais mentionnés pour fin d'enquête.

[42] Cette phrase signifie que le délai ne peut pas être prolongé sauf un accord écrit. Il faut donc conclure que le délai est de rigueur et de déchéance à défaut d'être prolongé de consentement écrit. C'est « la lettre et l'esprit de la convention collective ». Comment l'employeur pourrait poursuivre avec succès une mesure disciplinaire sans avoir obtenu une telle prolongation. Le non respect du délai emporte donc déchéance et à défaut d'entente permettant une prolongation, le grief doit être accueilli.

            Les trente jours de la connaissance

[43] L'employeur soulève toutefois que le délai a été calculé en fonction de sa connaissance des faits pertinents liés à cet incident. Ainsi, il aurait agi «  dans les trente jours de la connaissance par l'employeur des faits pertinents liés à cet incident  ».

[44] Cette méthode de calcul s'applique quand la connaissance est acquise postérieurement à l'acte, l'omission ou le fait reproché. L'exemple classique est l'absence pour maladie autorisée au départ mais contestée par la suite après découverte d'éléments inconnus jusqu'alors. Encore là, l'employeur devra démontrer qu'il ne connaissait pas ces éléments et ne pouvait pas les obtenir aisément. L'employeur ne peut pas choisir à sa guise le délai qui lui convient le mieux.

[45] Même en faisant droit à une telle interprétation, le délai commençait à courir le 23 décembre 2012 lorsque M. Thériault communique avec M. Pierre Nadeau les éléments essentiels pour que l'employeur détermine s'il devra intervenir ou non. Faut-il rappeler de plus qu'il ne s'agit même pas de communiquer et d'imposer une sanction dans le même délai, uniquement la communiquer, sans plus. De plus, la clause 5.08 parle des « faits pertinents » et non « de tous les faits pertinents ». Au mieux, l'employeur avait par écrit les faits pertinents le 27 décembre 2012, ce qui le fait agir hors délai de toute façon.

[46] M. Nadeau est, au même titre que M. Thériault, un représentant de l'employeur et les informations échangées le 23 décembre 2012 étaient donc à la connaissance de l'employeur. Ils étaient par écrit le 27 décembre 2012. Que les incidents surviennent durant le temps des fêtes ne change rien. La clause 5.08 ne fait pas de telles distinctions. Les trente jours constituent le délai continu, période des fêtes ou non.

[47] L'employeur ne peut pas « étirer » les délais à sa guise en centrant son pouvoir disciplinaire sur la seule personne de M. Lachance. Il est confronté à un délai qu'il doit respecter.

[48] Son interprétation de la clause 5.08 ne tient pas la route. Il pourrait prolonger le délai ad nauseam en prétendant ne pas avoir eu connaissance des faits pertinents avant une date qui lui assure de justifier un quelconque trente jours. Les trente jours de la connaissance ne sont pas là pour pallier à la lenteur de la prise de décision, l'hésitation ou le transfert d'informations entre représentants de l'employeur.

[49] De plus, il communique une mesure disciplinaire qui condamne « un manque de respect ainsi que de l'insubordination  » envers un cadre de l'entreprise. Il apprend le 23 décembre les éléments pertinents et n'agit pas dans les trente jours. Il faut noter de plus que le rapport soumis le 27 décembre par M. Thériault et la lettre de réprimande remise à M. Bergeron sont, au niveau des faits rapportés, du copié-collé. Aucun fait nouveau autre que l'information apparaissant au rapport ne se trouve dans la lettre de réprimande. L'employeur avait donc toute l'information pertinente au 23 décembre 2012. Même s'il ne l'avait pas, il devait agir avec diligence pour s'assurer du respect des délais. L'exigence d'avoir les informations par écrit en est une qui ne relève pas des dispositions négociées et constitue une démarche personnelle sans effet par rapport aux dispositions de la convention collective.

[50] Comment interpréter la dernière phrase du rapport déposé sous la cote E-1 lorsque M. Thériault mentionne ce qui suit :

Je l'ai mis en maladie malgré l'absence de billet à la demande de Pierre Nadeau . (mon souligné)

[51] L'employeur avait donc tous les faits pertinents au 23 décembre 2012 et était en mesure d'agir. Il prenait déjà des décisions dont celle de considérer l'absence comme une absence pour maladie et la communique au surintendant. De plus, pourquoi insister sur l'allégation que la discipline relève strictement de M. Lachance, la seule personne pouvant agir, alors même que le superviseur Thériault réfère à M. Nadeau et non à M. Lachance pour les suites à donner. Même le courriel pour transmettre le rapport est adressé à M. Nadeau qui, lui, le fera suivre à M. Lachance. Enfin, faut-il le rappeler, la clause 5.08 de la convention collective parle de « communication » de la mesure et non de « l'imposition » de la mesure et cette communication pouvait certes être assurée par M. Thériault. D'ailleurs, la lettre de réprimande qui constitue la « communication » sera remise par un cadre intermédiaire du même niveau hiérarchique que M. Thériault, soit M. Faucher.

            La conséquence du non respect des délais

[52] Le tribunal croit plutôt que l'employeur n'a pas vu le délai courir, la période des fêtes étant ce qu'elle est, ponctuée de congés et d'absences, et a tenté par la suite de reprendre l'initiative en prétendant ne pas avoir eu la connaissance des faits pertinents en temps utile. Quoi qu'il en soit, rien ne peut prolonger les délais sauf une entente écrite, laquelle n'existe pas. Les dispositions de la convention collective sont claires.

[53] Il a donc agi hors délai et le grief doit être accueilli sur cette base. Bien qu'il faille favoriser l'exercice d'un droit plutôt que l'interdire pour une question de procédure, ici la sanction du non respect de la convention collective s'impose. Le défaut de l'employeur de respecter les délais se traduit par l'annulation de la mesure disciplinaire.

[54] Il s'agit d'une question de fonds qui frappe la mesure de nullité absolue.

V. DISPOSITIF

Pour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et les autorités soumises par les parties, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, l'arbitre soussigné :

ACCUEILLE le grief 2013-02-15 selon les conclusions recherchées ;

ANNULE la mesure disciplinaire et ORDONNE à l'employeur de la retirer du dossier disciplinaire ;

ORDONNE à l'employeur de rembourser à M. Bergeron tout le salaire perdu avec intérêts et l'indemnité additionnelle tel que prévu au Code du travail ;

CONSERVE juridiction pour toute difficulté pouvant être soulevée en application de la présente.

Québec 12 mai 2014

 

Me Jean-François La Forge, arbitre

 

 

Pour le Syndicat : Me Dominic Jobin

Pour l'Employeur : Me Daniel Cliche

 

Audition tenue le 7 mai 2014.