9282-4614 Québec inc. et CPQMC international

2014 QCCLP 4022

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

11 juillet 2014

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

531230-71-1312

 

Dossier CSST :

4193611

 

Commissaire :

Michel Larouche, juge administratif

 

Membres :

Lise Tourangeau-Anderson, associations d’employeurs

 

Yves Leclerc, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

9282-4614 Québec inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

C.P.Q.M.C. international

C.S.D. - Construction

C.S.N. - Construction

F.T.Q. Construction

Syndicat québécois de la construction

9147-3579 Québec inc.

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 30 décembre 2013, 9282-4614 Québec inc. (la requérante) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 17 décembre 2013, à la suite d’une révision administrative.

 

[2]            Dans le cadre de cette décision, la CSST confirme une ordonnance d’arrêt des travaux contenue au rapport d’intervention portant le numéro RAP0883173 daté du 26 novembre 2013, laquelle est émise en vertu de l’article 186 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [1] (LSST) et basée sur les dispositions de l’article 3.15.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction [2] (le code).

[3]            Une audience s’est tenue à Montréal le 3 juillet 2014 en présence de la requérante, ayant délégué son président et étant représentée par procureur.

LES FAITS

[4]            Monsieur Richard Sirois, président de la requérante, témoigne à l’audience. Le litige soumis à la Commission des lésions professionnelles découle de travaux effectués sur la rue St-Zotique en vue de la construction de six unités de condominium.

[5]            La requérante, qui y est maître d’œuvre, a octroyé un contrat de sous-traitance à une autre entreprise pour effectuer les coffrages et le moulage de la semelle des fondations de l’édifice à être construit. Pour ce faire, une excavation a été faite sur une superficie d’environ 2000 pieds carrés. Monsieur Sirois évalue les dimensions de l’immeuble à environ 30 pieds sur 40 pieds. L’excavation est plus importante que cette superficie.

[6]            L’excavation jouxte un mur mitoyen avec l’immeuble adjacent.

[7]            Le 26 novembre 2013, un inspecteur de la CSST fait une visite initiale du chantier. L’inspecteur constate qu’il y a des formes et de l’acier d’armature installés dans le fond de l’excavation à proximité immédiate des parois d’excavation. Le chargé de projet de la requérante qui est sur les lieux déclare à l’inspecteur que les parois ont une hauteur moyenne se situant entre 1,52 et 1,83 mètre. Les parois ont également un angle d’à peu près 90 degrés. Aucune étude géotechnique, pour préciser la nature du sol, n’a été effectuée et le chargé de projet ne connaît pas la nature du sol du chantier. L’inspecteur émet immédiatement une ordonnance verbale d’arrêt des travaux. Il la motive de la façon suivante :

En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la loi sur la santé et la sécurité du travail, article 186, j’ordonne l’arrêt verbal des travaux dans une excavation située au coin de la rue St-Zotique E et 23 e avenue à Montréal pour les motifs suivants:

 

     L’angle d’inclinaison des parois sont à approximativement 90°;

     Les parois sont à une hauteur maximale de 5 à 6 pieds;

     Il n’y a aucun, étançonnement des parois de l’excavation;

     Il n’y a pas d’étude géotechnique expliquant la nature du sol;

     Il n’y a aucune affectation signée et scellée par un ingénieur concernant cette excavation permettant de dire que la configuration de la géométrie des parois de l’excavation ne présente pas de danger d’ensevelissement dans l’excavation pour les travailleurs qui y œuvrent;

     Il y a un danger immédiat d’ensevelissement pour la sécurité du travailleur.

 

Afin d’éliminer ce danger, l’employeur doit s’assurer que les parois d’une excavation sont étançonnées solidement, avec des matériaux de qualité ou conformément à une attestation d’un ingénieur (spécialisé en génie des sols) et selon les spécifications des articles 3.15.1 à 3.15.10 du Code de sécurité pour les travaux de construction (S-2.1, r.6) en fonction d’un facteur de sécurité minimum de 1.5 de la sécurité des parois de l’excavation.

 

Les travaux dans l’excavation située au coin de la rue St-Zotique E et 23 e avenue à Montréal ne peuvent être permis avant qu’un inspecteur ne l’ait autorisé en vertu de l’article 189 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. [ sic ]

 

 

[8]            Monsieur Sirois confirme qu’il a discuté avec l’inspecteur. Il n’était pas sur place lors de la visite de ce dernier, mais il y avait quand même un chargé de projet sur place.

[9]            Au moment de la visite de l’inspecteur, deux bétonnières s’apprêtaient à effectuer le coulage de béton pour la semelle de la fondation de l’édifice. Monsieur Viens produit des photographies du chantier qui permettent de constater que les formes des semelles de fondation sont directement attenantes à une tranchée.

[10]         Monsieur Sirois précise qu’un travailleur devait manipuler l’extrémité de la pompe à béton pour effectuer le déversement, alors que deux autres devaient procéder à égaliser le béton sur les formes. Il indique que les travailleurs devaient se situer à l’intérieur de l’excavation, près des formes, mais du côté le plus éloigné de la paroi des tranchées. Par contre, il reconnaît que pour égaliser, les travailleurs devraient utiliser une truelle sur toute la surface des formes.

[11]         À certains endroits, la largeur des formes est de six pieds et leur hauteur est d’un pied. L’ordonnance de fermeture du chantier a eu des impacts financiers considérables puisque tout le béton qui avait été livré cette journée-là a été perdu et il y a eu un retard dans les délais pour procéder à la construction de l’immeuble.

[12]         À la suite de l’ordonnance d’arrêt des travaux, monsieur Sirois a communiqué avec un ingénieur spécialisé en sols qui est venu visiter le chantier deux heures plus tard et lui a mentionné que tout était sécuritaire. Un rapport a d’ailleurs été confectionné par monsieur Olivier Provencher, ingénieur, en date du 28 novembre 2013. Ce rapport se lit comme suit :

 

Monsieur Sylvain Sirois

Construction Précellence

4337, rue de Bellechasse

Montréal (Québec) H1T 1Y4

 

Objet:               Avis géotechnique - Stabilité des parois d’excavation temporaire

 

Projet:              Construction d’un édifice à logements

                       4121, rue Saint-Zotique, près du boulevard Pie-IX à Montréal

 

 

Monsieur,

 

Dans le cadre du projet mentionné en rubrique, vous nous avez mandatés afin de procéder à une inspection visuelle des parois de l’excavation réalisée pour les travaux de construction d’un édifice à logements à l’adresse citée en rubrique. L’objectif du mandat était d’évaluer sommairement la nature et les propriétés des sols en place à l’emplacement des travaux, afin de statuer sur la stabilité à court terme des parois d’excavation non soutenues et ainsi assurer la sécurité des travailleurs qui doivent accéder à l’excavation.

Au moment de la visite effectuée ce mardi 26 novembre 2013, les travaux d’excavation étaient complétés sur toute l’emprise du bâtiment projeté et les parois d’excavation avaient une hauteur totale variant de 1,2 à 2,4 mètres selon la section du bâtiment. L’excavation est principalement réalisée au sein du socle rocheux, lequel est d’abord moyennement fracturé sur une épaisseur d’environ 1,2 mètre, puis devient peu fracturé au fond de l’excavation. Au-dessus du socle rocheux et sur une épaisseur maximale d’un (1,0) mètre, on retrouve un dépôt granulaire s’apparentant à un till et décrit comme un sable graveleux et silteux, contenant des blocs et des cailloux en proportions variables et de couleur brune. Aucune venue d’eau souterraine n’a été observée au droit des parois de l’excavation ni au fond de l’excavation. L’inclinaison des parois d’excavation au niveau du roc fracturé est sub-verticale alors qu’elle varie de 45 à 80 degrés au niveau du dépôt granulaire (till), mais toujours sur une hauteur inférieure à 1,2 mètre. II nous a été indiqué que cette excavation resterait ouverte durant une période d’environ deux semaines.

 

Compte tenu de ce qui précède, il en ressort que les analyses de stabilité ont démontré un facteur de sécurité supérieur à 1,5 et confirment donc que la stabilité à court terme des parois d’excavation est suffisante et sécuritaire.

 

Il sera important de respecter les recommandations suivantes pour assurer le maintien de la stabilité des parois:

 

        Selon les venues d’eau souterraine ou les intempéries, il faudra maintenir un système de pompage adéquat durant les travaux pour éliminer les accumulations d’eau au fond de l’excavation et permettre l’accès aux travailleurs au fond d’excavation;

 

        Les divers intervenants devront demeurer vigilants à l’égard des cailloux pouvant se détacher des parois et qui pourraient atteindre les travailleurs, surtout après une période de forte pluie. Une inspection occasionnelle des parois devrait être effectué pour ôter toute particule d’un diamètre supérieur à 100 mm et faisant saillie sur les parois;

 

        Les éléments occasionnant une surcharge ainsi que la circulation de la machinerie de chantier sur pneumatiques devront être évités à proximité de la crête de l’excavation et ce, sur une distance d’au moins 1,2 mètre.

 

Les présentes recommandations sont valides pour une période maximale de quatre (4) semaines . À ce délai, une nouvelle visite devra être réalisée afin de constater l’intégralité des parois d’excavation à moins que de nouvelles conditions soient observées. Dans ce cas, la présence d’un ingénieur géotechnicien sera requise afin que de nouvelles dispositions soient prises si nécessaires.

 

En espérant que le tout soit à votre entière satisfaction, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.

 

SOLMATECH INC.

 

Olivier Provencher, ing.

Chargé de projet

#Membre O.I.Q. 138103

 

[ sic ]

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[13]         Le membre issu des associations syndicales de même que la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête de la requérante. Lors de la visite de l’inspecteur, ce dernier a été à même de constater que la requérante ne respectait pas les dispositions de l’article 3.15.3 du code. Cette situation constituait un danger. En effet, des travailleurs devaient s’approcher suffisamment de la paroi de la tranchée et pouvaient être victimes de l’affaissement de cette dernière. Au moment de la visite de l’inspecteur, les parois de la tranchée n’étaient pas étançonnées, aucune attestation d’un ingénieur ne garantissait contre l’affaissement de la paroi. Le travail devait se faire au fond de l’excavation et des travailleurs devaient, selon la preuve recueillie, se pencher pour égaliser le béton à une distance infime de la paroi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[14]         La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’inspecteur de la CSST était justifié d’émettre une ordonnance d’arrêt des travaux lors de l’inspection du 26 novembre 2013. Un tel pouvoir d’ordonner l’arrêt des travaux est spécifiquement prévu à l’article 186 de la LSST, lequel édicte :

186.  Un inspecteur peut ordonner la suspension des travaux ou la fermeture, en tout ou en partie, d'un lieu de travail et, s'il y a lieu, apposer les scellés lorsqu'il juge qu'il y a danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs.

 

Il doit alors motiver sa décision par écrit dans les plus brefs délais et indiquer les mesures à prendre pour éliminer le danger.

 

L'article 183 s'applique, compte tenu des adaptations nécessaires, à cet ordre de l'inspecteur.

__________

1979, c. 63, a. 186.

 

 

[15]         Il est de jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles [3] que la première condition permettant à un inspecteur de la CSST d’ordonner la suspension des travaux est l’existence d’un danger. Ce danger doit être réel et non une simple appréhension. Dans l’affaire Centre Hospitalier de St.-Mary’s et Iracani [4] , une formation de trois juges administratifs précisait ce qui constitue un danger :

[92]      La Commission des lésions professionnelles conclut que pour constituer un « danger », les risques doivent être réels. Un risque virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure à un « danger ». La preuve doit démontrer que le risque est réel, que malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un « danger physique » au sens de l’article 40 de la LSST, ce risque doit présenter une probabilité de concrétisation qui est non négligeable.

 

[93]      Chaque cas est un cas d’espèce et doit faire l’objet d’une évaluation. La nature des risques, la probabilité de concrétisation des risques identifiés dans le milieu de travail et la gravité des conséquences sont les éléments déterminants pour décider si les conditions de travail comportent des « dangers physiques » pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître.

 

 

[16]         L’ordonnance de suspension des travaux rendue en vertu des dispositions de l’article 186 de la LSST constitue la mesure ultime mise à la disposition de l’inspecteur pour remédier à la présence d’un danger. À cet effet, la Commission des lésions professionnelles écrivait dans l’affaire Structure Lavalong inc. et CSST-Laval [5]   :

55.       Examinons maintenant comment la jurisprudence interprète cette disposition législative permettant à un inspecteur d’émettre une ordonnance de suspension des travaux.

 

56.       Dans l’affaire Arno Électrique et CSST (5) , la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) énonce qu’à cause des conséquences que son application entraîne sur l’exécution des travaux, le législateur a imposé des conditions beaucoup plus exigeantes pour l’application de l’article 186. L’inspecteur doit s’assurer qu’il est en présence d’un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des travailleurs et ce jugement doit apparaître dans le rapport d’intervention.

 

 

57.       Le tribunal ajoute qu’il y a une différence entre «risque» et «danger» et le législateur à l’article 2 et à l’article 186 de la loi a choisi d’utiliser le mot «danger». La preuve n’ayant pas démontré qu’il y avait un danger pour la santé et la sécurité des travailleurs, la Commission d’appel décide que l’inspecteur ne pouvait émettre une ordonnance selon l’article 186 en l’absence d’une preuve de «danger» mais elle a émis une ordonnance enjoignant à l’employeur d’utiliser un équipement conforme aux règlements en vigueur.

 

58.       Dans l’affaire Tuyaux Logard inc. et CSST et Montpas et Goulet (6) , la Commission d’appel décide de maintenir l’ordonnance émise par l’inspecteur de suspendre les travaux en raison de la présence d’un danger potentiel qui résulte de l’utilisation d’un produit qui contient une matière interdite par le Règlement sur la qualité du milieu de travail .

 

59.       Dans l’affaire Rôtisseries St-Hubert ltée et T.U.A.C., local 500 (7) , la Commission d’appel déclare qu’à moins de constater un danger qu’il juge imminent, grave et complètement intolérable, l’inspecteur doit suivre une démarche progressive allant de l’incitation à la coercition pour obtenir la correction des situations jugées problématiques . La Commission d’appel a alors substitué l’ordonnance de non-utilisation et apposition de scellés par un avis de correction approprié.

 

60.       Dans l’affaire Revêtement Métal Bussières ltée et CSST (8) , la Commission d’appel énonce que l’ordonnance de suspension de travaux est une mesure d’exception qui ne doit être utilisée que lorsque le danger est réel et immédiat. Le tribunal souligne l’importance de faire la distinction entre l’existence d’un danger et les risques pouvant entraîner la survenance de ce danger . Dans ce cas, lors de l’intervention de l’inspecteur, le danger n’était pas présent puisque les travaux étaient arrêtés. L’inspecteur ne pouvait, dans ces circonstances, ordonner l’arrêt des travaux. Par ailleurs, l’inspecteur était justifié d’émettre un avis de correction approprié.

 

61.       Il y a donc lieu de conclure de l’analyse de la doctrine de la jurisprudence que l’inspecteur doit être en présence d’une situation de faits assez grave, d’un danger sérieux pour émettre une ordonnance de suspension des travaux ou fermeture de chantier . C’est l’évaluation de la gravité du danger et des risques associés à ce danger qui va déterminer si l’ordonnance de l’inspecteur est justifiée. »

 

[Références omises]

 

 

[17]         Si, pour certains, le danger doit être réel, grave et complètement intolérable, pour d’autres [6] , il n’a pas besoin d’être ainsi qualifié pour donner ouverture au pouvoir de l’inspecteur d’émettre une ordonnance en vertu de l’article 186 de la LSST.

 

 

[18]         Par ailleurs, ce pouvoir d’émettre une ordonnance en vertu de l’article 186 de la LSST demeure une mesure d’exception [7] , le tribunal rappelait cette réalité dans l’affaire Décontamination IGR inc. [8]  :

[30]      Comme il a été mentionné à plusieurs reprises par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) et la Commission des lésions professionnelles, le pouvoir de suspendre les travaux ou d’ordonner la fermeture d’un lieu de travail est un pouvoir d’exception qui doit s’exercer en présence d’un danger réel pour l’intégrité des travailleurs 5 .

 

[Références omises]

 

 

[19]         Ce pouvoir devra être exercé avec discernement par l’inspecteur lorsqu’aucune autre mesure ne permet d’éliminer ce danger [9] . La Commission des lésions professionnelles écrivait d’ailleurs dans l’affaire Maplehurst Bakeries (Canada) inc . [10]  :

[58]      Troisièmement, le tribunal considère que l’application de cet article est une mesure exceptionnelle qui doit aussi s’appliquer à des situations exceptionnelles. Dans le présent dossier, le tribunal considère que les scellés apposés aux six machines en excluant celle responsable de l’accident du travail du 10 mai 2007, n’étaient pas justifiés en regard de la notion de danger établie par la jurisprudence. En effet, l’inspecteur devait apprécier le danger réel, notamment en prenant en considération le fait qu’il ne s’était pas produit d’accident à ces endroits et ce, durant une période de quatre ans et demi.

 

[59]      Il est évident qu’il y avait un risque de contact et d’enroulement d’un membre d’un travailleur à ces endroits. Par contre, ce risque ne constituait pas un danger réel au sens de la loi et, en conséquence, ne devait pas constituer un élément pouvant permettre l’application de l’article 186 de la LSST.

 

[60]      La LSST prévoit d’autres moyens aussi efficaces pour éliminer à la source un risque tel qu’identifié par l’inspecteur, notamment l’avis de correction prévu à l’article 182 qui prévoit d’ailleurs qu’un délai doit être imposé pour corriger à la source le danger identifié. Ce délai est fixé par l’inspecteur et peut être très coercitif lorsque très court.

 

 

[20]         Ces autres mesures, telle la possibilité d‘émettre un avis de correction, permettront de répondre à des situations moins urgentes ou de moindre gravité. À cet effet, l’article 182 de la LSST édicte :

 

182.  L'inspecteur peut, s'il l'estime opportun, émettre un avis de correction enjoignant une personne de se conformer à la présente loi ou aux règlements et fixer un délai pour y parvenir.

__________

1979, c. 63, a. 182.

 

 

[21]         Dans l’affaire Nova Pb inc . et Syndicat des employés de Nova Pb in c. [11] , le tribunal écrivait :

[156]    Le tribunal note que lorsqu’un inspecteur constate une dérogation à la loi ou aux règlements, il peut émettre un avis de correction et fixer un délai à l’intérieur duquel l'employeur devra apporter les corrections nécessaires. Plus la santé et la sécurité des travailleurs sont touchées, plus le délai imposé doit être court. Toutefois, si de l’avis de l’inspecteur, la dérogation constatée entraîne des dangers qui ne peuvent être tolérés plus longtemps, il peut ordonner l’arrêt des travaux. Dans ce cas, il doit motiver sa décision et indiquer à l’employeur les mesures à prendre pour que ce danger soit éliminé.

 

[157]    Il est vrai que le libellé de l'article 186 fait état d’un danger à la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des travailleurs, sans qualifier ce danger. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles estime que les pouvoirs conférés à l’inspecteur par cette disposition de la loi doivent être utilisés avec discernement et, pour ce faire, que le danger appréhendé doit atteindre un degré tel qu’on ne peut le tolérer plus longtemps à cause des conséquences sur la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.

 

 

[22]         Une fois ces critères établis, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il existait un danger lors de l’intervention de l’inspecteur de la CSST le 26 novembre 2013 à 13 h 15.

[23]         L’article 3.15.3 du code établit les mesures à prendre lors des travaux où il y a une paroi d’une excavation. Cet article se lit comme suit :

3.15.3.    1. L'employeur doit s'assurer que les parois d'une excavation ou d'une tranchée sont étançonnées solidement, avec des matériaux de qualité et conformément aux plans et devis d'un ingénieur. Aucun étançonnement n'est exigé dans les cas suivants:

 

 

  1°    lorsque la tranchée ou l'excavation est faite à même du roc sain ou lorsqu'aucun travailleur n'est tenu d'y descendre;

 

 

  2°    lorsque les parois de la tranchée ou de l'excavation ne présentent pas de danger de glissement de terrain et que leur pente est inférieure à 45º à partir de moins de 1,2 m du fond;

 

 

  3°    lorsque les parois de la tranchée ou de l'excavation ne présentent pas de danger de glissement de terrain et qu'un ingénieur atteste qu'il n'est pas nécessaire d'étançonner, compte tenu de la pente, de la nature du sol et de sa stabilité. Une copie de l'attestation de l'ingénieur doit être disponible en tout temps sur le chantier de construction.

 

[…]

___________________

R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 3.15.3; D. 807-92, a. 11.

 

 

[24]         Le code a été adopté conformément à l’article 223 de la LSST dont la raison d’être est spécifiée à son article 2.

2.  La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.

 

Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet.

__________

1979, c. 63, a. 2.

 

 

[25]         L’article 3.15.3 du code a donc pour objet l’élimination à la source des dangers pour la santé et la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.

[26]         Lors de l’arrivée de l’inspecteur, de toute évidence, la requérante ne répondait pas aux exigences dudit article. On ne peut parler d’une tranchée dans du roc sain au sens de l’article 3.15.3 du code.

[27]         Le fait que la requérante ne respecte pas les normes établies par le code n’implique pas nécessairement la présence d’un danger immédiat pour les travailleurs. Ainsi, si aucun travailleur n’était amené à travailler près des parois de l’excavation, le danger ne serait pas imminent. Ceci n’est malheureusement pas le cas en l’espèce.

[28]         Tel que le rapporte monsieur Sirois, les camions de béton étaient dans la rue et on s’apprêtait à procéder au coulage. Les travailleurs allaient donc, de façon imminente, travailler à proximité d’une paroi dont on ignorait totalement la résistance face à un glissement. Bien que ces travailleurs demeurent à l’intérieur du périmètre délimité par les formes, ils devraient s’approcher de la paroi pour égaliser le béton à l’aide de truelles. Ils seront en position encore plus vulnérable lorsqu’ils devront égaliser le béton là où les formes ont six pieds de largeur. Ils devront alors travailler à l’intérieur des formes contenant une armature métallique pour en atteindre l’extrémité ou se pencher pour étendre le béton sur toute la surface.

[29]         Il existait une probabilité non négligeable qu’un travailleur soit blessé par la chute de matériel de la paroi ou son affaissement. Il existait donc un danger immédiat.

[30]         La Commission des lésions professionnelles ne voit pas comment un avis de dérogation aurait pu être émis afin de soustraire les travailleurs aux dangers présentés par un glissement de la paroi.

[31]         D’ailleurs, selon le rapport de monsieur Provencher, ingénieur, les parois d’excavation avaient une hauteur totale de 1,2 à 2,4 mètres et la couche supérieure était constituée sur une épaisseur maximale d’un mètre de dépôt granulaire. Dans ses recommandations, l’ingénieur mentionne que les intervenants devront demeurer vigilants à l’égard des cailloux pouvant se détacher des parois et qui pourraient atteindre les travailleurs. On recommande des inspections occasionnelles des parois pour enlever toute particule supérieure à 100 millimètres faisant saillie sur les parois.

[32]         Au moment de l’intervention de l’inspecteur, aucune mesure de protection n’avait été mise en place pour protéger les travailleurs face à un effondrement, même partiel, de la paroi. Le surintendant de chantier de la requérante ne connaissait pas la nature du sol du chantier et en ignorait la résistance.

[33]         Pour la Commission des lésions professionnelles, il était justifié que l’inspecteur de la CSST ordonne l’arrêt des travaux dans l’excavation tant que la santé et la sécurité des travailleurs ayant à y œuvrer n’étaient pas garanties. Le rapport de monsieur Provencher, ingénieur, contient des réserves importantes, lesquelles confirment la possibilité non négligeable que des roches ou des matières de la paroi tombent sur des travailleurs en contrebas.

[34]         Quant aux inconvénients économiques résultant de l’ordonnance d’arrêt des travaux, ils ont peu de poids lorsque la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs sont compromises et qu’une telle ordonnance est la seule option valable pour les y soustraire.

[35]         La requête de la requérante doit donc être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée par 9282-4614 Québec inc., la requérante;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 décembre 2013 à la suite d’une révision administrative;

 

CONFIRME l’ordonnance d’arrêt des travaux contenue au rapport d’intervention RAP0883173 du 26 novembre 2013.

 

 

__________________________________

 

Michel Larouche

 

 

 

 

M e Jean-François Viens

A.P.C.H.Q. - BOIVIN ET ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           RLRQ, c. S-2.1.

[2]          RRQ, 1981, S-2.1, r.4.

[3]           T.G.C . et 9123-7511 , C.L.P. 449025-05-1109 , 31 janvier 2012, L. Couture; Indalex inc . et Représentants des travailleurs Indalex , C.L.P. 231406-71-0404, 5 juin 2006, M. Denis.

[4]           [2007] C.L.P. 39 5 .

[5]           C.L.P. 171513-61-0110 , 3 avril 2002, S. Di Pascale.

[6]           Bistro Lala inc . et CSST , C.L.P. 422679-07-1010, 10 février 2011, M. Gagnon-Grégoire; Maplehurst Bakeries (Canada) inc. et Pâtisserie Fortin inc ., C.L.P. 321407-03B-0706, 30 novembre 2007, R. Deraîche.

[7]           Revêtement métal Bussières ltée et CSST, C.L.P. 62638 - 03-9409 , 14 novembre 1994, J.-M. Dubois;

[8]           C.L.P. 382252-05-0906 , 12 janvier 2010, L. Boudreault.

[9]           T . G.C. inc . et 9123-7511 Québec inc. , 2012 QCCLP 762 ; Forage 3D inc. et Robin Potvin inc., [2008] C.L.P. 366 .

[10]         Précitée, note 6.

[11]         [2007] C.L.P. 894 .