COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AQ-2000-2508

Cas :

CQ-2014-2391, CQ-2014-2496

 

Référence :

2014 QCCRT 0390

 

Québec, le

16 juillet 2014

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Bernard Marceau, juge administratif

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Syndicat des travailleuses et travailleurs en développement régional de la Mauricie-CSN

 

Requérant de première part

et

 

Céline Lambert

Marjolaine Cloutier

Jean-Frédéric Bourassa

Benoît Curé

 

Requérants de deuxième part

c.

 

Centre local de développement (CLD) de la MRC de Maskinongé

Intimé de première part

et

 

Syndicat des travailleuses et travailleurs en développement régional de la Mauricie-CSN

 

Intimé de deuxième part

et

 

 

Centre local de développement (CLD) de la MRC de Maskinongé

 

Mis en cause

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DÉCISION

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[1]            Le 18 mars 2014, le Syndicat des travailleuses et travailleurs en développement régional de la Mauricie - CSN (le Syndicat ) dépose contre le Centre local de développement (CLD) de la MRC de Maskinongé (l’ Employeur ) une plainte d’ingérence et d’entrave dans les activités syndicales fondée sur les articles 12 , 13 et 14 du Code du travail, RLRQ, c. C-27 (le Code ) .

[2]           Le Syndicat demande notamment de déclarer nulle de nullité absolue une lettre d’entente négociée illégalement le 18 décembre 2013 par l’employeur avec les salariés de l’unité de négociation sans l’accord des représentants autorisés du Syndicat.   

[3]           Le 20 mars 2014, les salariés Céline Lambert, Marjolaine Cloutier, Jean-Frédéric Bourassa et Benoît Curé déposent une requête en vérification du caractère représentatif et en révocation d’accréditation fondée sur l’article 41 du Code.

Les parties

[4]           L’Employeur est un organisme ayant pour mission de promouvoir le développement local et de favoriser la création et l’expansion des entreprises par le soutien à l’entrepreneuriat individuel et collectif.

[5]           Le CLD intervient notamment par la gestion des programmes de soutien à l’entrepreneuriat et la provision de services-conseils en matière de développement d’entreprise, en plus d’assurer la promotion du territoire, l’animation du milieu, la représentation de projets spéciaux, etc.

[6]            Le personnel-cadre du CLD est composé de :

·              Simon Allaire, directeur général;

·              Pascale Plante, directrice du bureau d’information touristique.

 

[7]            Le Syndicat est accrédité auprès du CLD afin de représenter :

« Tous les salariés au sens du Code du travail ».

[8]            Le Syndicat est constitué sur une base régionale et représente sept unités de négociation, dont celle de l’employeur pour son établissement situé au 653, boulevard Saint-Laurent Est, Louiseville (Québec)  J5V 1J1.

[9]            Outre le personnel-cadre susmentionné, la petite équipe du CLD est composée de sept salariés syndiqués :

·              Jean-Frédéric Bourassa, conseiller en communications;

·              Marjolaine Cloutier, accueil et soutien administratif;

·              Benoît Curé, conseiller en développement agricole et rural;

·              Nancy Godin, conseillère en développement agricole et rural;

·              Céline Lambert, adjointe administrative;

·              Maxime Hamelin, conseiller en développement d’entreprises;

·              Sandrine Renou, conseillère en développement d’entreprises.

Les faits

[10]         Les parties sont liées par une convention collective en vigueur depuis le 25 novembre 2010 et venant à échéance le 31 août 2014.

[11]         Au cours de l’été et de l’automne 2013, le CLD a manifesté son intention de procéder à une restructuration importante de l’organisation. Ce projet de restructuration a été présenté aux salariés individuellement au cours de l’été 2013, mais à aucun membre de l’exécutif du Syndicat.

[12]         Cette restructuration n’est pas la conséquence d’un changement de mission de l’entreprise. Elle est le fait du nouveau directeur général, monsieur Simon Allaire, en fonction depuis le mois d’octobre 2012. Elle ne vise qu’à implanter un nouveau cadre de gestion (attentes signifiées, rencontres mensuelles et évaluations semestrielles et annuelles).

[13]         L’objectif du directeur général est consigné dans un projet de lettre d’entente présenté au Syndicat en septembre 2013 :

Depuis octobre 2012, l’Employeur a un nouveau directeur général. Ayant implanté un cadre de gestion (attentes signifiées, rencontres mensuelles et évaluations semi-annuelle et annuelle), les constats étaient relativement évident sur les changements à apporter. Il y avait également certaines zones grises à corriger dans les opérations, notamment le processus de cheminement des dossiers clients.

(reproduit tel quel)

[14]         Cette « restructuration implique des changements significatifs dans l’organisation du travail, tel que l’abolition de postes actuels, la modification de postes actuels ainsi que la création de postes couverts par l’unité d’accréditation pour laquelle le Syndicat est accrédité ».

[15]         Elle « implique également la création de postes cadres non couverts par l’unité d’accréditation pour laquelle le Syndicat est accrédité ».

[16]         Le plan de restructuration prévoit :

a)     La création de quatre (4) postes de cadres, expressément exclus de l’unité de négociation :

i.               Un (1) poste d’adjoint à la direction générale, poste à être comblé par une nomination;

ii.              Un (1) poste de direction au développement industriel et au service aux entreprises, poste à être comblé suite à une ouverture de poste à l’externe;

iii.             Un (1) poste de direction aux communications et relations avec le milieu, poste à être comblé par une nomination;

iv.             Un (1) poste de direction au développement rural, agricole et agroalimentaire, poste à être comblé par une nomination.

b)     La création de trois (3) postes syndiqués :

i.               Un (1) poste d’analyste financier;

ii.              Un (1) poste de conseiller au démarrage d’entreprises/STA;

iii.             Un (1) poste d’adjoint aux communications.

c)     L’abolition de quatre (4) postes syndiqués :

i.               Deux (2) postes de conseillers en développement d’entreprises, pourvus par Sandrine Renou et Maxime Hamelin;

ii.              Le poste d’adjointe administrative, pourvu par Céline Lambert;

iii.             L’un (1) des deux (2) postes de conseiller en développement agricole et rural, soit celui pourvu par Benoît Curé.

d)     La modification d’un (1) poste :

i.          L’autre poste de conseiller en développement agricole et rural deviendra celui de conseiller en développement rural et à l’économie sociale.

[17]         La création des postes que l’Employeur souhaite exclure du statut de salarié au sens du Code doit s’accompagner d’une augmentation salariale significative.

[18]         La lettre d’entente dont le Syndicat demande la nullité serait faite sur mesure, selon lui, afin de susciter l’intérêt d’une majorité des salariés visés par l’unité de négociation.

[19]         En effet, monsieur Jean-Frédéric Bourassa, conseiller en communications, est pressenti pour être nommé à la direction des communications et relations avec le milieu. Il bénéficierait évidemment d’une augmentation de salaire significative, en plus d’une proposition de développement de carrière.

[20]         Pareillement, madame Céline Lambert, dont le poste d’adjointe administrative se trouve aboli, se verrait promue au poste d’adjointe à la direction générale. Cette promotion s’accompagnerait non seulement d’une augmentation de salaire significative, mais également d’une proposition de développement de carrière.

[21]         À la suite de l’abolition de son poste de conseiller en développement agricole et rural, monsieur Benoît Curé serait pressenti pour être promu au poste de directeur au développement rural, agricole et agroalimentaire. Il bénéficierait, de ce fait, d’une augmentation de salaire significative, mais également d’une proposition de développement de carrière.

[22]         Quant à madame Marjolaine Cloutier, bien que son poste ne soit pas aboli, elle deviendrait adjointe aux communications. Ce faisant, elle demeurerait dans l’unité de négociation, mais bénéficierait tout de même d’une augmentation de salaire significative et d’un enrichissement de ses tâches équivalant à une promotion.

[23]         Selon le projet de l’Employeur, les trois autres salariés syndiqués, soit Sandrine Renou, Maxime Hamelin et Nancy Godin, occuperaient dorénavant respectivement les postes d’analyste financier, de conseiller au démarrage d’entreprises/STA et de conseiller en développement rural et à l’économie sociale.

[24]         Comme spécifié aux étapes de la réorganisation apparaissant au projet de lettre d’entente, les salariés du CLD ont été rencontrés individuellement par le directeur général. Ces rencontres visaient à susciter l’adhésion des individus au projet de restructuration de l’Employeur, notamment à l’aide d’alléchantes propositions individuelles de développement de carrière applicables aux quatre salariés.

[25]         Le projet d’entente a littéralement divisé les sept salariés visés par l’unité de négociation, messieurs Bourassa et Curé ainsi que mesdames Cloutier et Lambert ayant rapidement appuyé le projet de lettre d’entente, trois d’entre eux allant devenir « cadres » et tous bénéficiant d’une augmentation salariale significative, d’une promotion et d’une proposition de développement de carrière.

[26]         Non seulement cela, mais le projet d’entente a également réussi à opposer quatre des membres aux intérêts du Syndicat.

[27]         Bien que le Syndicat se soit montré favorable à la majorité des aménagements prévus à la restructuration, il a toujours exprimé une réticence à donner suite au projet de lettre d’entente tel que proposé. En outre, le Syndicat a toujours maintenu, malgré les changements proposés par l’Employeur, que les fonctions visées par la réorganisation du travail demeurent incluses dans l’unité de négociation (fonctions de professionnel).

[28]         Le conseiller syndical a d’ailleurs informé le directeur général et les employés du CLD que de telles négociations contrevenaient à l’accréditation et aux dispositions d’ordre public du Code du travail.

[29]         Le 10 octobre 2013, le Syndicat a tenu une assemblée générale afin de développer une position unanime auprès des membres de l’unité de négociation.

[30]         La position unanime du 10 octobre 2013 des membres de l’unité de négociation était en faveur d’une restructuration en tout point semblable à celle proposée par l’Employeur quant aux fonctions exercées, mais différente quant à l’exclusion d’autant de postes de l’unité de négociation.

[31]         Cette position fut présentée à la direction générale du CLD le soir même par la présidence du Syndicat en y spécifiant entre autres que les changements de fonctions pouvaient tout aussi bien être associés à la création de postes de coordination, lesquels pourraient être inclus dans l’unité de négociation.

[32]         Plutôt que de fournir une réponse à la proposition de l’exécutif du Syndicat ou du conseiller syndical présent à la rencontre de négociation du 10 octobre 2013, la direction générale a manifesté son refus catégorique de la proposition syndicale à l’ensemble des salariés de l’unité de négociation sur les lieux du travail.

[33]         Insatisfait de la position du Syndicat, le directeur général négocie directement avec les salariés de l’unité de négociation.

[34]         Le Syndicat, qui représente plusieurs salariés dans plusieurs CLD, refuse de donner suite au projet d’entente, considérant comme inacceptable et illégal de négocier le « statut de salarié » dans une lettre d’entente faisant partie intégrante de la convention collective.

[35]         Vers le 2 décembre 2013, le CLD communique la description de tâches des nouveaux postes, tant ceux devant être « exclus du statut de salarié » que ceux devant faire partie de l’unité de négociation.  

[36]         Les quatre membres du Syndicat favorables au projet d’entente ont demandé le vote lors d’une assemblée générale des membres de l’unité de négociation et ont mandaté un représentant local pour signer, le 18 décembre 2013, la lettre d’entente globale finale.

[37]         Le Syndicat a par la suite convoqué les délégués de l’ensemble de ses unités de négociation à un conseil syndical, lequel fut tenu à Shawinigan le 24 janvier 2014.

[38]         De façon très majoritaire, les délégués ont mandaté le Syndicat afin de contester à la Commission des relations du travail le statut de chacun des postes de cadre créés dans la foulée de la restructuration du CLD.

[39]         Devant cette position du Syndicat, le directeur général décide de « suspendre » la mise en œuvre de la réorganisation, mettant ainsi toute la faute sur les épaules du Syndicat.

[40]         Le directeur général prend soin d’inclure tous les salariés en copie conforme au courriel du 31 janvier 2014 et celui du 21 février 2014, indiquant dans cette dernière correspondance que :

notre position est claire et définitive, nous n’avons pas à négocier avec le syndicat régional , notamment parce que nous avons, après plusieurs mois de négociations, conclu et signé une lettre d’entente (contrat), annexé à la convention collective présentement en vigueur.

(reproduit tel quel)

[41]         La période d’ouverture pour présenter une demande de révocation d’accréditation débute le 4 mars 2014, pour se terminer le 3 avril 2014.

[42]         Le 14 mars 2014, les quatre salariés favorables à la lettre d’entente demandent au Syndicat de reconsidérer sa décision de ne pas donner suite au projet d’entente de l’Employeur, à défaut de quoi ils demanderont la révocation de l’accréditation.

[43]         Le 18 mars 2014, le Syndicat dépose la présente plainte d’ingérence et d’entrave dans ses activités syndicales en vertu de l’article 12 du Code.

[44]         Le 20 mars 2014, les quatre salariés déposent une requête en révocation d’accréditation en vertu de l’article 41 du Code avec leur démission respective.

les motifs

[45]         L’article 12 du Code est une disposition d’ordre public. En vertu de l’article 116, toute plainte à la Commission reliée à l’application de l’article 12 doit être déposée dans les 30 jours de la connaissance de la contravention alléguée.

[46]         Les faits décrits ci-dessus établissent que l’Employeur a négocié directement et illégalement une entente collective avec des salariés visés par l’unité de négociation sans l’accord des représentants autorisés du Syndicat, violant ainsi l’article 12 du Code.

[47]         Par la signature de cette lettre d’entente, l’Employeur, compte tenu de la portée de l’unité de négociation, s’ingère illégalement dans les activités syndicales en lui imposant l’exclusion de trois membres.

[48]         En promettant illégalement que les postes faits sur mesure et destinés à messieurs Bourassa et Curé, de même qu’à madame Lambert, seraient « exclus du statut de salarié » et assortis d’une augmentation salariale significative, l’Employeur entrave gravement les activités du Syndicat, contrairement à l’article 12 du Code.

[49]         Enfin, par les avantages illégaux promis aux quatre salariés favorables à la lettre d’entente, l’Employeur a littéralement miné le caractère libre et volontaire de leur adhésion à ce projet.

[50]         En freinant un projet maintenant perçu comme bénéfique pour une majorité de salariés qui en tirent un avantage individuel et en faisant porter le poids du statu quo sur les épaules du Syndicat, l’Employeur crée un climat propice à la présentation d’une requête en révocation d’accréditation.

[51]         La requête en révocation d’accréditation déposée par les quatre salariés favorables au projet demande à remettre en cause le statut de l’association accréditée pour le motif qu’elle ne regroupe plus la majorité absolue des salariés qui font partie de l’unité de négociation pour laquelle elle a été accréditée.

[52]         En tenant compte des démissions, le calcul des effectifs révèle que le Syndicat ne détient plus la majorité requise. Le rapport de l’agent de relations du travail constate que le Syndicat ne regroupe plus la majorité absolue des salariés de l’unité de négociation et son rapport n’est pas contesté.

[53]         L’ingérence patronale et son refus catégorique de négocier avec le Syndicat ont contribué à l’impasse. La suspension de l’application du projet de réorganisation a vraisemblablement joué un rôle clé et déterminant dans la démarche pour la révocation d’accréditation. Lorsque la démarche est viciée à la base par l’ingérence, la requête en révocation doit être rejetée.

[54]         Les quatre salariés requérants de deuxième part sont venus témoigner qu’ils ne se sentent pas représentés adéquatement par leur Syndicat et que leur insatisfaction remonte à l’époque du lock-out qu’ils ont vécu en 2010. Ils nient l’implication de l’Employeur dans leur démarche et maintiennent ne plus avoir confiance en leur Syndicat.

[55]         Malgré leur témoignage sur le caractère libre et volontaire de leur démission respective, l’ingérence de l’Employeur a indéniablement eu un impact sur ces démissions. L’ordonnance d’un scrutin secret n’est pas de nature à remédier à la contravention à l’article 12 puisque le résultat du vote est prévisible et qu’il ne fera que confirmer le succès de l’ingérence patronale.

[56]         Rien n’empêche l’Employeur d’aller de l’avant avec son plan de réorganisation. La suspension de son projet, au moment de l’ouverture de la période de maraudage, a eu pour effet d’inciter ses salariés à demander la révocation du Syndicat. La Commission conclut que la démarche est affectée dès le départ d’un vice fondamental de sorte que doivent être considérées nulles tant les démissions que la demande de révocation qui les invoquent.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                  la plainte d’ingérence (CQ-2014-2391);

DÉCLARE                     que l’Employeur a violé l’article 12 du Code du travail ;

REJETTE                       la requête en révocation de l’accréditation (CQ-2014-2496).

           

 

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Bernard Marceau

 

M. Serge Lavergne

Représentant du requérant de première part et intimé de deuxième part

 

M e Kathleen Rouillard

BÉLANGER SAUVÉ, S.E.N.C.R.L.

Représentante de l’intimé de première part et mis en cause

 

Date de la dernière audience :

11 juin 2014

/cl