Carbonneau c. Dubé

2014 QCCQ 6156

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre civile »

N° :

4 50-80-001700-144

 

 

 

DATE :

2 juillet 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PATRICK THÉROUX, J.C.Q.

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RONALD CARBONNEAU , domicilié et résidant au […], Stanstead (Québec), […],

Requérant

c.

VICTOIRE DUBÉ , domiciliée et résidant au […], Stanstead (Québec), […],

-et-
 ROCK LAMONTAGNE , domicilié et résidant au […], Stanstead (Québec), […],

Intimés.

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Le requérant, Ronald Carbonneau, demande la permission de porter en appel une décision rendue par la Régie du logement, le 7 avril 2014 [1] .

[2]            Il plaide, au soutien de sa requête, que cette décision comporte de nombreuses erreurs de faits et de droit susceptibles de l'invalider.

[3]            Les intimés n'ont pas comparu au dossier.  Le requérant, représenté par son avocate, a procédé en leur absence.

§   La décision de la Régie

[4]            M. Carbonneau loue, depuis dix ans, un logement dans un immeuble à habitations multiples appartenant à Rock Lamontagne et Victoire Dubé.

[5]            Devant la Régie, il veut forcer ses locateurs à effectuer diverses réparations et du nettoyage.  Il réclame aussi un remboursement du prix de l'électricité qu'il aurait payée en trop.

[6]            La décision relate comme suit le litige dont la Régie est saisie :

« [4]    Le locataire demande aux locateurs de réparer la toilette, de réparer certains robinets, de changer le plancher du salon, d'installer des alarmes à feu, de réparer les trous dans le mur de l'escalier et de réparer la porte du deuxième étage. Le locataire se plaint également de la mauvaise isolation du grenier et des courants d'air causés par les rebords du toit qui ont été arrachés Il est à noter qu'il s'agit d'un immeuble de 75 ans.

[5]    Le locataire a témoigné à l'effet que les locateurs reconnaissent que certaines réparations sont a faire, mais qu'ils sont en défaut de lui donner les avis de 24 heures prévus par la loi.

[6]    Le locataire se plaint également de déchets de construction laissés a l'extérieur, du va-et-vient dans son stationnement, de feuilles qui ne sont pas ramassées à temps dans la cour, de branches non ramassées après une tempête de verglas et excréments de chien dans la cour

[7]    En défense, les locateurs admettent que des réparations sont à faire, mais reprochent au locataire son manque de collaboration. Ils contestent la date des photos produites par le locataire. Il appert d'ailleurs des photos produites par eux que la cour est en bon état de propreté, les branches et les feuilles ont été ramassées dans un délai raisonnable et que les déchets de construction ont été récupérés presque aussitôt les rénovations d'un autre logement terminées. Le locataire qui ne ramassait pas les excréments de son chien a été expulsé.

[8)    Pour ce qui est du manque de chauffage, le locataire n'a pas offert de preuve convaincante au tribunal, mais plutôt un rapport d'Hydro-Québec pour démontrer le coût moyen d'énergie pour un logement de même dimension Il réclame la somme de 235 $ par année à titre de remboursement des frais d'énergie payés en trop. »

[7]            L'affaire est instruite le 7 avril 2014.  Chaque partie présente sa preuve.  M. Carbonneau est alors représenté par la même avocate qui agit pour lui en l'instance.

[8]            Le régisseur cerne le débat en statuant que les questions soulevées devant lui relèvent de l'application des articles 1854 , 1898 et 1931 du Code civil du Québec (C.c.Q.).  Il ajoute la considération des articles 6 et 7 du C.c.Q.

[9]            Pour l'essentiel, les motifs de sa décision sont énoncés comme suit :

« [9]    L'article 1854 du Code Civil du Québec édicte que:

« 1854.    Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail

    Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

[10]    Cette obligation en est une de garantie.

[11]    Ainsi, cette obligation de garantie s'applique pour tout problème naissant en cours de bail, sauf cependant si le locateur établi  (sic) par prépondérance de preuve que le comportement du locataire en est la cause

[12]    De plus, des inconvénients bénins ou une simple trivialité ne permet pas d'invoquer la garantie En effet, prétendre le contraire serait d'imposer un fardeau déraisonnable aux locateurs et rendrait le commerce de location résidentiel presque impossible. Seuls les problèmes réduisant réellement la jouissance des lieux peuvent être considérés. De plus, cette obligation de garantie est aussI en fonction de l'âge de l'immeuble.

[13]    L'article 1864 du Code civil du Québec mentionne que le locateur doit, en cours de bail, faire toutes les réparations nécessaires à l'exception des menues réparations d'entretien.

[14]    Selon les articles 1898 et 1931 C.c.Q., le locateur doit donner au locataire un avis préalable de 24 heures pour des travaux non urgents, mais l'avis peut être verbal. Si les travaux sont urgents et nécessaires, le locateur doit obtenir l'autorisation du locataire avant d'entrer dans le logement, mais n'y a pas d'avis formel à donner. Toutefois, s'il est dans l'impossibilité de rejoindre le locataire, le locateur peut, si l'urgence le justifie, par tout moyen raisonnable, pénétrer dans le logement afin de conserver son bien ou celui du locataire.

[15]    Le tribunal, après avoir entendu les parties, retient les témoignages fort crédibles des locateurs à l'effet que le locataire fait preuve de manque de collaboration totale pour ce qui est de l'accès au lieu et cela non seulement pour ce qui est d'effectuer des réparations, mais aussi pour constater certaines défectuosités alléguées. Il refuse parfois d'ouvrir la porte et ne répond pas aux nombreux messages laissés par les locateurs La version du locataire n'est pas fiable ni crédible à cet égard et il est malvenu maintenant de se plaindre du manque de réparation

[16]    Il est certain que la locataire a droit à l'inviolabilité de sa demeure, mais toute personne est tenue d'exercer son droit civil selon l'exigence de la bonne foi et aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable (article 6 et 7 C.c.Q.)

[17]    En espèce, le locataire ne peut faire plier l'autre partie continuellement à sa disponibilité. Les parties auraient avantage à s'entendre sur les heures raisonnables en vue de minimiser les inconvénients pour tous et d'effectuer certaines réparations nécessaires.

[18]    Le tribunal conclut donc que des réparations sont à faire dans le logement concerné et cela à la charge des locateurs, mais que le comportement du locataire les empêche de remplir leurs obligations à cet égard. Pour cette raison, la demande du locataire doit être rejetée. »

§   Les questions en appel

[10]         Le requérant soutient que cette décision comporte les multiples erreurs suivantes.  Il demande la permission de les soumettre à l'appréciation de la Cour, par voie d'appel [2] .

«  5. The administrative judge has erred in his judgement as described in further detail hereafter;

I        Substantial errors in the appreciation of the documentary proof as well as testimonies:

A)      The administrative judge has evidently erred when he indicates that the applicant exercised his rights in an unreasonable and excessive manner;

         The applicant intends to show that he has not acted unreasonably nor excessive, given the behaviour (sic) of the defendants;

         This error in fact is deciding to the point as to invalidate the judgement rendered by the Régie du Logement, as the applicant has a right to the inviolability of his residence;

B)     The administrative judge has evidently erred when he indicates that the applicant exercised his rights in bad faith;

         The applicant intends to show that he has not acted in bad faith, however, that the defendants acted in bad faith and accessed the applicant's residence without proper notice;

         This error in fact is deciding to the point as to invalidate the judgement rendered by the Régie du Logement, as the applicant can and should insist on the respect of his rights;

C)     The administrative judge has evidently erred when he indicates that the defendant submitted several pictures showing that the property has been well maintained;

         The applicant intends to show that the defendants only submitted one picture (exhibit P-1), which was taken on or around January 7 th , 2014 and which depicts a tractor in the snow;

         This error in fact is deciding to the point as to invalidate the judgement rendered by the Régie du Logement, as the administrative judge is referring to non existing documents upon which he based part of his decision;

II        Substantial errors in law:

         The administrative judge has evidently erred when he indicates that the applicant was not flexible in providing the defendants access to the apartment;

         The administrative judge confirmed the need of the repairs as well as the responsibility for those repairs by the defendants;

         The applicant intends to show that at least on two previous judgements, the landlords were required to provide a written 24 hour notice to visit the apartment or access the apartment for any reason;

         The applicant pretends that these judgments continue to apply to the defendants and were not respected;

         This error in law is deciding to the point as to invalidate the judgement rendered by the Régie du Logement, as the applicant had the right to refuse any access which was not announced according to previous decisions which were applicable to the defendants; »

[11]         Le requérant, on le voit bien, cherche à reprendre complètement le débat en appel.  Insatisfait du résultat et en désaccord avec les motifs énoncés par le régisseur, il veut plaider à nouveau sa cause.

§   La permission d'appeler

[12]         La Loi sur la régie du logement [3] instaure un régime d'appel des décisions de la Régie devant la Cour du Québec.

[13]         Il s'agit d'un appel sur permission qui ne peut être exercé que «  lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour.  »

[14]         Le juge à qui une demande de permission d'appeler est soumise doit donc exercer une discrétion judiciaire importante.  Les critères balisant cette discrétion sont bien établis par la jurisprudence [4] .

[15]         De façon générale, une question soumise à l'appel doit pouvoir être qualifiée de sérieuse, nouvelle, controversée ou d'intérêt général.

[16]         Avec égards, le Tribunal considère que l'on ne retrouve rien de tel ici.

[17]         L'expression de simples désaccords dans l'appréciation de la preuve, dans l'évaluation de la crédibilité des témoins ou encore dans l'évaluation du caractère excessif du comportement d'une partie, ne saurait donner lieu à une permission d'appeler.

[18]         La régime de l'appel sur permission ne doit pas reposer sur la simple initiative d'un plaideur débouté qui veut reprendre le débat en appel.  L'octroi d'une permission d'appeler n'est pas l'octroi d'une deuxième chance.

[19]         Les remarques formulées par le juge De Pokomandy dans l'affaire Gagné [5] sont fort pertinentes ici :

« 25]     Une permission d'appeler d'une décision de la Régie du logement à la Cour du Québec ne sera pas accordée si elle ne vise qu'à reprendre une preuve factuelle, simplement parce qu'une des parties est insatisfaite de l'appréciation des témoignages.

[26]       Une demande qui vise essentiellement une révision de l'appréciation générale de la qualité ou de la suffisance de la preuve ne suffira pas pour obtenir une autorisation d'appeler 6 . »

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6   Moffet c. Gestion Michel Trout inc. , [2006] QCCQ 5450 .

[20]         La Régie du logement est l'organisme administratif spécialisé en matière de bail d'habitation.  En l'espèce, le Régisseur s'est bien dirigé en droit.  La requête ne fait voir aucune erreur ni faiblesse apparente de sa décision.

[21]         Dans l'ensemble, le requérant ne convainc pas le Tribunal du sérieux des ques-tions qu'il entend soumettre à l'appel.  Sa demande doit conséquemment être rejetée.

[22]         POUR CES MOTIFS , le Tribunal:

[23]         REJETTE la requête pour permission d'appeler;  

[24]         Sans frais.

 

 

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PATRICK THÉROUX, J.C.Q.

 

Me Anke Beese, avocate

Proc. du requérant

 

 



[1]     Ronald Carbonneau c. Rock Lamontagne, Victoire Dubé , Régie du logement, N o dossier 111602 26 20130919 G.

[2]     Reproduction du paragraphe 5 de la requête.  Le mot " judgment " réfère à la décision de la Régie.  L'expression "administrative judge " réfère au régisseur.

[3]     RLRQ, chapitre R-8.1, article 91.

[4]     Voir entre autres jugements  : Paradis c. Léonard , 2013 QCCQ 994 (CanLII).

[5]     Gagné c. Coopérative L'Arc-en-ciel , 2010 QCCQ 8965 .