9142-6502 Québec inc. c. 9079-4850 Québec inc. |
2014 QCCS 3444 |
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JL4197
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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N o |
705-17-002153-078 |
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N o |
705-17-003191-093 |
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DATE : |
15 juillet 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S. |
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N o : 705-17-002153-078 |
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9142-6502 Québec inc. |
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Demanderesse |
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c. |
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9079-4850 Québec inc. Syndicat des Copropriétaires du Domaine de l’Éden, Phase I Syndicat des Copropriétaires du Domaine de l’Éden, Phase II Syndicat des Copropriétaires du Domaine de l’Éden, Phase III Syndicat des Copropriétaires du Domaine de l’Éden, Phase IV Défendeurs -et- 1854-5624 Québec inc. Gaston Levasseur Défendeurs et mis en cause -et- Yvon Guay Mis en cause |
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N o : 705-17-003191-093 |
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9142-6502 Québec inc. |
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Demanderesse |
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c. Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec Me François Thifault Me Guy Berthiaume Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal est saisi de deux requêtes maintenant réunies : la première dans le but d’annuler un contrat intervenu entre deux compagnies à numéro en lien avec certains services fournis à des copropriétaires et la seconde, soulevant la responsabilité professionnelle du notaire consulté par les parties préalablement à la signature de ce même contrat.
I. Le contexte
[2] La toile de fond à la base de ces différends se tisse autour d’un terrain de camping à vocation naturiste (ci-après La Playa) lequel voit le jour au début des années 80. C’est Monsieur Gaston Levasseur (ci-après Levasseur [1] ), par l’intermédiaire de sa corporation 1854-5624 Québec (ci-après 1854) qui en est le maître d’œuvre.
[3] Levasseur contrôle une autre corporation, Domaine de l’Éden, qui exploite le terrain de camping. Ce camping comporte un certain nombre de résidents permanents tout en permettant son accès à des visiteurs occasionnels.
[4] En 1993, une déclaration de copropriété est enregistrée à l’égard d’une partie du terrain de camping (ci-après la Phase I) [2] , créant des parties privatives [3] et des parties communes.
[5] Après la conception de la Phase I, trois autres déclarations de copropriété sont constituées et comportent toutes des dispositions semblables.
· la Phase II, enregistrée le 27 février 1995, comprend 7 parties divises;
· la Phase III, enregistrée le 6 octobre 1995, comprend 8 parties divises;
· la Phase IV, enregistrée le 2 mars 1998, comprend 47 parties divises.
Parties communes
[6] L’acte de copropriété précise que les parties communes sont celles affectées à l’usage de tous les copropriétaires. Ainsi, il est précisé que les rues du domaine se retrouvent dans la catégorie des parties communes, tout comme le parc, le jardin et les espaces récréatifs.
[7] Certaines dépenses communes sont supportées par tous les copropriétaires (ex.: asphaltage des rues) tandis que d’autres sont supportées exclusivement par les propriétaires des parties privatives commerciales au bénéfice de l’ensemble de copropriétaires (ex.: les dépenses encourues pour la conservation des parties communes) [4] .
[8] Les administrateurs de la copropriété voient notamment à la conservation, à l’entretien de l’immeuble et à l’administration des parties communes. Les devoirs et obligations des administrateurs consistent entre autres à préparer un budget, percevoir les contributions des copropriétaires et payer les dépenses.
Parties privatives
[9] Il existe des parties privatives résidentielles et des parties privatives commerciales. La Phase I est constituée de 59 fractions dont 56 parties privatives résidentielles et 3 parties privatives commerciales. Chaque fraction comprend une partie privative et une quote-part des parties communes.
[10] Levasseur est propriétaire des parties privatives commerciales sur lesquelles se trouvent, notamment, une piscine, une salle de réception, des aires de jeux et un lac artificiel.
[11] En 1996, un acte de servitude intervient entre le syndicat des copropriétaires du Domaine de l’Éden (Phase I) et 1854 pour créer une servitude perpétuelle permettant aux propriétaires des parties privatives résidentielles d’avoir accès aux installations récréatives se trouvant sur les parties privatives commerciales [5] . Peu de temps après, l’acte de copropriété est amendé pour intégrer les changements requis par l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec , et préciser que le propriétaire desdites parties privatives commerciales doit maintenir propre et en bon état de fonctionnement, les installations récréatives [6] .
[12] Il doit également alimenter en eau potable toutes les parties privatives de la copropriété et entretenir, à ses frais, les canalisations d’eau et d’égouts entre la conduite principale et le bâtiment principal. Au surplus, il doit entretenir et déneiger les voies de circulations de la copropriété (les Services d’utilité publique).
[13] En contrepartie des Services d’utilité publique que 1854 s’engage à rendre, chaque propriétaire des parties privatives résidentielles doit payer un montant de 30,00 $ par mois. Ce montant pourra être majoré de 5% par année [7] .
[14] En 1998, un acte de servitude semblable à celui créé pour la Phase I, est enregistré à l’égard de la Phase IV. Par ailleurs, bien qu’aucune telle servitude ne soit consentie pour les Phases II et III, la preuve permet de constater que les copropriétaires de ces phases respectaient les termes des servitudes en payant, eux aussi, la contrepartie de 30,00 $ par mois à 1854 tout comme les copropriétaires des Phases I et IV.
Chaîne de titres à l’égard des parties privatives à usage commercial
[15] Le 1 er avril 2001, 1854 toujours représentée par Levasseur vend à 9079-4850 Québec inc. (ci-après 9079) également représentée par Levasseur, son entreprise de restauration et d’activités récréatives qui comprend, notamment, les trois parties privatives commerciales avec les bâtisses y érigées, les équipements et les outillages [8] .
[16] Par cet acte, l’acheteur s’oblige à respecter les droits des copropriétaires du Domaine de l’Éden d’utiliser la piscine et les autres accessoires de loisirs conditionnellement à ce que ceux-ci respectent les règlements en vigueur.
[17] Peu de temps après cette vente à 9079, Levasseur vend les actions qu’il détient dans cette compagnie à Yvon Guay (ci-après Guay).
[18] Le 12 mars 2002, par acte sous seing privé [9] , Guay et Levasseur conviennent que tous les membres possédant des terrains de même que les résidents auront accès sans frais aux parties privatives commerciales administrées par Guay.
[19] Le 24 juillet 2002, un acte de correction intervient entre 1854 et 9079 [10] afin de préciser :
qu’en aucun temps, les réseaux des systèmes d’aqueduc et d’égout ainsi que les services d’entretien annuel n’ont jamais été inclus ni n’ont fait partie de la vente et n’auraient jamais pu en faire partie puisqu’il s’agit de services communs des copropriétés et que ces services ont toujours été et sont encore administrés, entretenus et dispensés par 1854.
L’implication de Chicoine et les procédures entreprises
[20] Ainsi, au fil des ans, c’est Levasseur qui voit à l’entretien des parties communes, dont l’enlèvement de la neige. Il perçoit des copropriétaires les contreparties, lesquelles fluctuent dans le temps, pour valoir jusqu’à 41,50 $ par mois.
[21] Cependant, en conséquence de la prise en charge par la municipalité de St-Lin (ci-après la Municipalité) de différents Services d’utilité publique, dont la fourniture d’eau, la preuve révèle que la redevance fut rétablie à 30,00 $ par mois.
[22] Vers 2004, après avoir été locataire d’un espace dans le camping durant un certain temps, Yvon Chicoine (ci-après Chicoine) acquiert pour la somme de 12 500 $ une action de 1854, qui lui donne un droit d’usage à un espace à La Playa [11] pour une période de vingt-cinq ans ainsi que l’usage des installations récréatives des parties privatives commerciales.
[23] Au courant de l’année 2005, Chicoine et Levasseur entament des discussions sur la possibilité de transférer les Services d’utilité publique.
[24] Ainsi, le 16 novembre 2005, 1854 convient de céder à 9142 les droits suivants [12] :
Le droit exclusif (…) de déneiger les voies de circulation (…). Il lui cède, en contrepartie des services qu’il est appelé à rendre le droit de percevoir des propriétaires de parties résidentielles les redevances.
[25] Le préambule de cet acte permet de constater l’évolution de la situation à l’égard des Services d’utilité publique. Notamment, il y est indiqué que :
les copropriétaires ont jugé qu’il était à leur avantage que le réseau d’alimentation en eau et le réseau d’égouts se trouvant sur les parties communes de leurs copropriétés soient pris en charge par la municipalité de St-Lin-Laurentides . Ceci a eu pour effet de décharger les propriétaires des parties commerciales de son obligation d’alimenter en eau potable les parties privatives résidentielles et d’entretenir les réseaux d’alimentation en eau et d’égouts [13] .
(soulignements ajoutés)
[26] Plus particulièrement, on explique le traitement particulier réservé aux voies de circulation [14] :
Il y a également été jugé, par les copropriétaires des différentes phases qu’il était dans leur intérêt de céder la propriété des voies de circulations se trouvant sur les parties communes des copropriétés à la municipalité de St-Lin-Laurentides . Par résolution du conseil adoptée le vingt-cinq octobre deux mille quatre (25/10/2004), la municipalité a accepté cette demande et le transfert du droit de propriété des rues en faveur de la municipalité doit se faire sous peu. À cause de problèmes techniques, le déneigement de ces voies de circulation ne peut cependant être pris en charge par la municipalité de sorte qu’il appartient toujours au propriétaire des parties commerciales et a ses successeurs de voir, de façon exclusive, au déneigement de ces voies de circulation . L’entretien et le déglaçage des voies de circulation incombent toutefois à la charge de la municipalité.
(soulignements ajoutés)
[27] Au même moment où 1854 cède à 9142 le service de déneigement ainsi que le droit de percevoir les redevances, du même coup 9142 attribue un contrat de déneigement à Levasseur pour une durée de cinq ans [15] .
[28] Quelques jours plus tard, le 23 novembre 2005, 9142 acquiert de 1854 une partie privative résidentielle dans le Domaine de l’Éden pour la somme de 15 000 $ [16] .
[29] Puisque les copropriétaires avaient fourni une série de chèques postdatés à Levasseur, Chicoine et lui décident de ne les informer de la cession que lorsque les chèques auront tous été déposés.
[30] Ainsi, ce n’est qu’au mois d’avril 2006 que Chicoine commence à soupçonner que les droits cédés par Levasseur sont pour le moins litigieux ou douteux. En effet, les différents syndicats de copropriétaires contestent le fait qu’il puisse percevoir quoi que ce soit puisque les chemins ont été cédés à la Municipalité qui verra dorénavant à leur entretien [17] .
[31] Cette réaction amène Chicoine à faire sa propre enquête pour obtenir des explications. Face au mur qui se dresse devant lui, le 30 mai 2007, 9142 signifie une requête pour jugement déclaratoire aux syndicats de copropriétaires du Domaine de l’Éden, à 1854 ainsi qu’à Levasseur. Au moment de l’audition et à la suite de différents amendements, la requête principale consiste en une demande d’annulation de l’acte de cession incluant l’acte d’acquisition de la partie privative résidentielle.
[32] Le 28 novembre 2008, Levasseur fait cession de ses biens. Le 4 mai 2010, une autorisation de continuer les procédures est accordée contre Levasseur, malgré sa faillite « sous réserve pour le juge qui entendra ledit recours d’établir si les actes reprochés au défendeur Levasseur sont de nature frauduleuse et de décider si le défendeur peut ou non être libéré de sa dette envers la demanderesse ».
[33] Le 1 er mai 2009, 9142 entame d’autres procédures, cette fois-ci, contre le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec (ci-après Le Fonds) et les notaires Thifault et Berthiaume. Elle soutient que le notaire Berthiaume lui aurait « garanti » qu’elle faisait un excellent investissement, avec comme résultat, qu’elle a acquis une coquille vide avec le concours du notaire Thifault. Elle tient donc les notaires responsables des dommages subis.
[34] Le 25 février 2013, Levasseur et 1854 déclarent qu’ils n’ont plus l’intention de faire valoir une défense dans le cadre du présent litige et révoquent le mandat de leurs procureurs. Au moment de l’audition, 9142 se désiste contre les différents syndicats des copropriétaires et 9079. Ainsi, dans le dossier 705-17-002153-078 les seules parties contre qui 9142 recherche des conclusions sont 1854 et Levasseur.
[35] En ce qui a trait au dossier 705-17-003191-093, 9142 s’est désistée contre le notaire Thifault de telle sorte que le Fonds et le notaire Berthiaume sont les seuls défendeurs visés.
II. Position de 9142
[36] Dans sa requête à l’encontre de Levasseur et 1854, 9142 cherche à faire annuler le contrat par lequel elle est devenue, selon elle, détentrice des droits reliés aux Services de déneigement y compris les contreparties exigées des copropriétaires en lien avec ces Services de même que les redevances découlant de l’accès aux parties privatives commerciales que doivent assumer les copropriétaires.
[37] 9142 affirme que 1854 et Levasseur lui ont fait de fausses représentations équivalant à un dol. Elle soutient que si elle avait eu connaissance de la véritable conjoncture, elle n’aurait jamais contracté.
[38] Bien que l’acte de cession de droits prévoit que la valeur de l’objet du contrat s’établit à 100 000 $, 9142 plaide qu’il y a eu acte simulé et que le montant convenu était plutôt 300 000 $.
[39] D’après 9142, les fausses représentations lui causent un préjudice qu’elle évalue à 291 600 $. Cette somme se ventile ainsi :
a) 76 600 $ payé à 1854 (100 000 $ moins les contreparties encaissées par 1854 de novembre 2005 à avril 2006);
b) 200 000 $ versé à Levasseur par traite bancaire;
c) 15 000 $ représentant le coût d’achat d’une partie privative à usage résidentiel.
[40] Dans sa requête contre le notaire Berthiaume, 9142 avance qu’elle a donné mandat au notaire d’analyser les documents de copropriété et de la conseiller sur la faisabilité de son projet. Ce dernier, après avoir révisé les documents relatifs au plan commercial, l’aurait informé que rien ne s’opposait à la mise en œuvre dudit projet et en outre, il lui aurait même mentionné qu’il s’agissait d’une bonne affaire au point de vue économique.
[41] On lui aurait aussi représenté que le notaire Berthiaume préparerait l’acte de cession et qu’il agirait comme notaire instrumentant. Or, bien que le notaire Thifault ait reçu les signatures et fait signer un mandat restreint, 9142 maintient que c’est le notaire Berthiaume qui a rédigé l’essentiel de l’acte en litige.
[42] Compte tenu de ce qui précède, il est d’avis que le notaire devrait être condamné à lui verser la somme de 291 600 $ in solidum avec Levasseur et 1854.
III. Position de Levasseur et 1854
[43] Essentiellement, Levasseur plaide qu’il n’a pas fait de fausses représentations ni tenté d’induire 9142 en erreur.
[44] Il aurait donné toutes les explications pertinentes à 9142 à l’égard des difficultés techniques pour la Municipalité de prendre en charge l’entretien des rues; les dimensions de celles-ci étant trop petites pour que la machinerie municipale puisse y avoir accès et procéder au déneigement
[45] Bien qu’il reconnaisse que la Municipalité s’est bel et bien vu céder les rues et leur entretien, il demeure convaincu qu’à l’époque, la Municipalité ne pouvait pas s’acquitter du déneigement compte tenu des contraintes techniques. Au surplus, il insiste pour dire qu’il n’a jamais été informé par les copropriétaires des différentes phases que ces derniers avaient entrepris des démarches auprès de la Municipalité afin que cette dernière s’acquitte du déneigement des rues.
[46] De plus, il soutient que les actes de copropriété et de servitude, intervenus depuis le la création du camping, ont toujours prévus que les copropriétaires et les usagers devaient verser une contrepartie pour avoir accès aux parties privatives commerciales.
[47] En somme, Levasseur affirme que les contreparties qu’il a perçues au fil du temps couvraient non seulement les Services d’utilité publique, mais également l’accès aux installations récréatives.
[48] En ce qui concerne la réclamation basée sur la responsabilité du notaire, selon lui, le mandat donné au notaire Bethiaume consistait à déterminer si la cession envisagée était légale et, le cas échéant, ils s’attendaient d’être conseillés sur la marche à suivre pour y donner suite.
[49] Il reconnaît que le notaire Berthiaume lui a indiqué qu’il n’agirait pas comme notaire instrumentant toutefois, il plaide que celui-ci aurait accepté de fournir les clauses types d’un projet d’acte de cession qu’il verrait à remettre au notaire instrumentant afin que celui-ci les incorpore dans le document final.
IV. Position de Notaire Berthiaume
[50] Celui-ci reconnaît avoir rencontré Chicoine et Levasseur à son bureau, mais fait valoir qu’en tout temps pertinent, il les a informés qu’il n’agirait pas comme notaire instrumentant. Par contre, il reconnaît que sous l’insistance de Levasseur, il a fourni un document de travail contenant des clauses types qui devaient servir d’aide pour le notaire qui aurait la responsabilité de rédiger l’acte.
[51] Le notaire est formel en ce qui concerne les informations fournies par Levasseur et Chicoine, en aucun temps, il n’a été mentionné que l’entretien des rues était sur le point d’être pris en charge par la Municipalité.
[52] Par ailleurs, il insiste sur le fait qu’en aucun temps il n’a été question que 9142 acquiert quelque contrepartie que ce soit en lien avec l’accès aux parties privatives commerciales puisque ce service devait être fourni, sans frais, par le propriétaire.
[53] En somme, il plaide que sa responsabilité ne peut être retenue parce qu’il n’a jamais eu véritablement le mandat de préparer l’acte attaqué. Par ailleurs, même si le document de travail qu’il a transmis constitue l’exécution d’un mandat, il n’a commis aucune faute puisque l’information qui lui a été fournie par Levasseur était erronée.
V. Questions en litige
[54] Pour trancher les présents litiges, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
705-17-002153-078
1. Y a-t-il eu erreur de consentement provoquée par de fausses représentations ou le dol de Levasseur?
2. Le cas échéant, 9142 peut-elle demander l’annulation des actes de cession et de vente?
3. À combien s’évalue la valeur de l’acte de cession?
4. Y a-t-il lieu de soulever le voile corporatif?
5. Y a-t-il solidarité entre 1854 et Levasseur?
6. Levasseur doit-il être libéré de sa dette, malgré sa faillite?
705-17-003191-093
7. Dans le cadre de son mandat, le notaire Berthiaume a-t-il commis une faute à l’égard de 9142 engageant sa responsabilité envers elle?
8. Quels sont les dommages? (100 000 $ indiqué à l’acte de cession ou 300 000 $ montant réellement versé en vertu d’un acte simulé)
9. Le cas échéant, y a-t-il un lien de causalité entre la faute et les dommages?
10. Peut-on conclure à une condamnation in solidum des défendeurs de deux actions distinctes? (réunies aux fins de l’audition)
VI. Analyse
1. Y a-t-il eu erreur de consentement provoquée par de fausses représentations ou le dol de Levasseur?
Le droit applicable
[55]
Pour déterminer s’il y a vice de consentement provoqué par le dol, les
articles
[56] Le législateur n’offre pas de définition du mot dol, mais on peut citer les propos du professeur Karim pour saisir l’étendue de ce terme [18] :
Le dol (…) consiste dans le fait d’induire volontairement en erreur une personne dans le but de l’amener à contracter .
[57] Le dol peut prendre différentes formes : la réticence, le mensonge ou la manœuvre frauduleuse. Les auteurs Baudouin et Jobin offent les définitions suivantes de ces trois expressions [19] :
La réticence et le silence - La réticence est un dol négatif. Elle consiste à laisser le contractant croire une chose par erreur, sans le détromper, spécialement en ne lui dévoilant qu’une partie de la vérité. Le silence est le fait de s’abstenir de révéler au cocontractant un fait important qui changerait sa volonté de contracter.
Le mensonge - Le mensonge est une tromperie directe et positive qui consiste à affirmer au cocontractant une chose qui n'existe pas, dans le but de le pousser à contracter. Il est constitutif de dol à condition qu'eu égard aux circonstances de la cause, il ait été sérieux et ait eu une influence déterminante sur la volonté du contractant .
Les manœuvres frauduleuses - les manœuvres frauduleuses sont « des artifices, des ruses habiles ou grossières en vue de la tromperie... ». Les manœuvres dolosives comportent donc un plan de tromperie, une machination préparée d'avance. C'est la forme du dol qui se rapproche le plus de l'escroquerie en droit criminel, de la fraude criminelle et de l'abus de confiance. Il n'est toutefois pas nécessaire que les manœuvres dolosives soient pénalement répréhensibles pour être susceptibles de sanctions civiles. L'appréciation du caractère dolosif des manœuvres est une question de fait laissée à l'appréciation du tribunal civil, qui rend sa décision indépendamment des normes de droit pénal.
[58] Pour que l’on puisse conclure à l’existence du dol, il faut également pouvoir prouver que l’erreur provoquée est déterminante. Ainsi, la partie qui invoque le dol doit démontrer qu’elle n’aurait pas contracté si elle avait connu la vérité. De plus, on doit prouver que le dol émane du cocontractant ou était connu de lui [20] .
[59] Par ailleurs, l’obligation du cocontractant de renseigner se limite aux informations pertinentes et déterminantes. Ainsi, il n’est pas tenu de communiquer l’information ayant un caractère notoire ou public puisque celle-ci est présumée connue de son cocontractant. Cette présomption découle de l’obligation du cocontractant de lui-même se renseigner, dans la mesure du possible [21] .
[60] Au moment d’analyser les circonstances entourant le consentement, rappelons que la bonne foi doit gouverner la conduite des parties lors de rapport contractuel [22] .
Discussion
[61] Dans le cadre de l’analyse relative à l’échange de consentement, on doit revoir la relation entre Levasseur et Chicoine dans le contexte de leur implication respective au Domaine de l’Éden.
[62] Précisons que Chicoine connaît le Domaine de l’Éden depuis 2003. Il est alors locataire d’un terrain. Vers 2004, comme l’on l’a vu, il détient une action de 1854 qui lui donne droit, comme à certains autres propriétaires d’ailleurs, à l’usage d’un espace de camping pour une période de 25 ans ainsi qu’à l’usage gratuit des installations récréatives.
[63] Incidemment, malgré le fait que Levasseur avait déjà cédé ses droits dans les parties privatives commerciales à une tierce personne, on le verra un peu plus loin, il laissait sous-entendre aux détenteurs d’actions dans 1854 qu’ils acquéraient non seulement l’usage d’un espace de camping, mais également certains droits dans les installations récréatives.
[64] Au fil des ans, Levasseur et Chicoine développent ce que l’on pourrait décrire comme une relation d’affaires. Chicoine qui vient de vendre sa ferme, indique à Levasseur qu’il est disposé à prêter de l’argent à des gens qui en éprouvent le besoin. Comme Levasseur connaît de nombreuses personnes, il met les emprunteurs potentiels en contact avec son ami prêteur.
[65] C’est dans ces circonstances que Levasseur approche Chicoine pour évaluer son intérêt à acquérir les services de déneigement et les droits aux contreparties des copropriétaires.
la teneur des droits aux contreparties et leur évolution
[66] Chicoine soutient que Levasseur lui a représenté que la cession desdits droits incluait le service de déneigement et le droit aux contreparties tant en lien avec le déneigement que pour l’accès aux parties privatives commerciales.
[67] Regardons tout d’abord la nature des contreparties auxquelles Levasseur pouvait prétendre avoir droit en vertu des différents actes de copropriété et des servitudes enregistrés sur l’immeuble.
[68] À la base, l’acte de copropriété initial [23] prévoit la répartition des charges de la manière suivante :
Répartition des charges
(…)
« Chacun des copropriétaires est tenu de contribuer avec les propriétaires de chacune des autres parties exclusives, en proportion de la valeur relative de sa fraction, à toutes les charges découlant de la copropriété et de l’exploitation de l’immeuble et spécialement aux charges de la conservation, de l’entretien et de l’administration des parties communes ainsi qu’aux dépenses entraînées par le fonctionnement des services communs.
(…)
Les dépenses communes seront réparties ainsi qu’il suit :
a) Certaines seront supportées par tous les copropriétaires indistinctement ;
b) Certaines seront supportées seulement par les copropriétaires des parties exclusives à usage commercial seulement .
(soulignements ajoutés)
[69] Puis un peu plus loin dans le même acte [24] , sont indiqués les montants à être assumés par les copropriétaires :
Les charges générales dites communes seront réparties entre les copropriétaires en proportion de la valeur relative de leurs fractions établie aux termes des articles 15 et 16 ci-dessus. Pour les fins de la présente Déclaration, le déclarant établit lesdits frais communs à TRENTE DOLLARS (30.00$) par mois par copropriétaire d’une partie exclusive et sujet à une augmentation annuelle d’au plus DIX POURCENT par année, selon les évaluations qu’en feront les administrateurs de l’augmentation desdits frais communs sur une base annuelle.
Nonobstant ce que ci-dessus stipulé, les copropriétaires pourront, à la majorité des voies lors d’une assemblée générale des copropriétaires, augmenter lesdits frais communs.
Toutefois, les copropriétaires qui aggraveraient les charges communes par leur fait, celui de leurs locataires ou des gens à leur service supporteraient seuls les frais et dépenses ainsi occasionnés.
[70] En 1996, Levasseur mandate le notaire Berthiaume pour qu’il prépare un document permettant l’accès aux parties privatives commerciales. Celui-ci rédige et instrumente un acte de servitude qui réfère à l’acte de copropriété initial et qui le modifie ou le précise à certains égards. Tout d’abord, on apprend que le propriétaire des parties privatives commerciales doit remplir les obligations suivantes :
Chapitre 1 - Fourniture de services
Section 1. Installations récréatives
(…)
Article 3
Le propriétaire des parties privatives commerciales et ses successeurs a l’obligation de maintenir les installations ci-dessus énumérées aux alinéas 2.1 à 2.9. Il pourra également, s’il le désire, réaménager ou relocaliser au minimum des dimensions existantes, selon l’installation ou la relocalisation des installations visées et ce, dans un délai raisonnable.
Toutes les installations actuelles ou futures devront être maintenues propres et en bon état de fonctionnement.
Article 4
Tous les copropriétaires ainsi que leurs ascendants et descendants de même que les conjoints de ceux-ci peuvent avoir accès aux installations récréatives se trouvant sur les parties privatives commerciales à condition de respecter les obligations ci-après mentionnées au Chapitre 2 .
(…)
Article 5.1 Le propriétaire des parties privatives commerciales et ses successeurs a l’obligation :
5.1.1 d’alimenter en eau potable toutes les parties privatives de la copropriété, à ses frais ;
et
5.1.2 d’entretenir, de réparer et de maintenir en bon état de fonctionnement, à ses frais, les canalisations d’eau et d’égouts entre la conduite principale et le bâtiment principal [25] .
(…)
Section 3. Entretien des voies de circulation
Article 6
Le propriétaire des parties privatives commerciales et ses successeurs a l’obligation d’entretenir et de maintenir en bon état et carrossable et de déneiger toutes les voies de circulation de la propriété à ses frais .
Il ne sera toutefois pas tenu de déglacer ces voies de circulation [26] .
(soulignements ajoutés)
[71] Ensuite, comme dans l’acte de copropriété initiale, il est prévu que le propriétaire des parties privatives commerciales pourra percevoir une contrepartie des copropriétaires des parties privatives résidentielles en échange des services qu’il doit rendre [27] .
[72] De manière expresse, on indique que l’accès aux installations récréatives ne comporte aucun frais pour les copropriétaires des parties privatives résidentielles :
Article 7
Les propriétaires des parties privatives résidentielles ainsi que leurs ascendants et descendants de même que les conjoints de ceux-ci ont le droit d’utiliser, sans frais , les installations récréatives se trouvant sur les parties privatives commerciales, à condition:
7.1 De respecter les règlements établis par DOMAINE DE L’ÉDEN INC.
et
7.2 De respecter les règlements établis, de temps à autre, par le syndicat de copropriétaires et/ou L’ASSOCIATION DES SYNDICATS DU DOMAINE DE L’ÉDEN [28] .
(soulignements ajoutés)
[73] Ainsi, l’acte de servitude se termine en indiquant que 1854 crée :
(…) une servitude perpétuelle permettant aux propriétaires des parties privatives résidentielles de la copropriété d’accéder aux installations récréatives se trouvant sur les parties privatives commerciales de la copropriété, sujet toutefois aux conditions d’utilisation de ces installations mentionnées au Chapitre 2 des présentes [29] .
[74] Comme indiqué ci-devant, un acte de servitude semblable est enregistré à l’égard de la Phase IV, mais rien de tel n’existe quant aux deux autres phases. On sait cependant que tous les copropriétaires ont suivi le même modèle.
[75] En l’espèce, un des copropriétaires de parties privatives résidentielles, Gilles Tremblay (ci-après Tremblay), a expliqué comment fonctionnait le paiement des contreparties et à quoi elles servaient. Lors de son témoignage, Tremblay réfère au paiement de ces charges comme s’il s’agissait du paiement de taxes pour les services «municipaux». Initialement, le montant versé incluait l’approvisionnement en eau, la collecte des ordures et l’enlèvement de la neige.
[76] Entre 2002 et 2004, il relate que les copropriétaires contestent les frais qui leur sont facturés en raison, entre autres, du fait qu’ils n’ont aucune preuve que lesdits Services d’utilité publique sont rendus ni leur valeur. En outre, à un certain moment, les copropriétaires refusent l’augmentation exigée par 1854 parce que plusieurs desdits Services ont été rétrocédés à la Municipalité, qui perçoit les taxes en lien avec ces Services.
[77] Le 10 avril 2006, les présidents des syndicats des copropriétaires des Phases I et IV écrivent à Levasseur pour lui faire part de plusieurs préoccupations [30] . Entre autres, ils l’avisent de ce qui suit :
(…) les copropriétaires du Domaine de l’Éden en collaboration avec vous et avec le propriétaire des parties commerciales ont donné à la ville de Saint-Lin-Laurentides, les rues de la copropriété et des rues du camping pour permettre l’asphaltage des rues. Comme ces rues appartiennent maintenant à la municipalité nous sommes d’avis qu’elle devrait les entretenir et en assumer le déneigement . En conséquence, vous n’avez plus l’obligation de les entretenir…ni possiblement de les déneiger puisqu’il se peut que l’an prochain, les rues de la copropriété soient déneigées par la municipalité vous libérant ainsi de votre obligation dans ce secteur.
(soulignements ajoutés)
[78] Malgré la teneur de cette lettre, le 14 avril 2006, 1854 avise les copropriétaires qu’elle a fait cession de ses droits à l’égard des redevances annuelles à 9142 et leur demande, dorénavant, de transmettre les chèques postdatés à 9142 [31] .
[79] À la suite de cette lettre, les copropriétaires avisent 1854 qu’elle n’a aucun droit de leur réclamer une cotisation pour les installations récréatives et que même si cela était possible, ces montants seraient dus à 9079, étant donné la vente intervenue en 2001.
[80] Par ailleurs, les copropriétaires avisent également 9142 que sa demande à l’égard des Services d’utilité publique est contestée. L’ensemble de ces services a au fil des ans été transféré à la Municipalité qui les a pris en charge. Quant au service de déneigement, ils indiquent que la Municipalité s’est engagée à prendre à sa charge ce service pour le futur, comme il lui avait été mentionné dans la lettre du 10 avril 2006 et qu’il en avait été décidé par les copropriétaires et la Municipalité.
[81] Cette correspondance provoque chez Chicoine une série de questionnements qui l’amènent éventuellement à instituer les présentes procédures.
évolution du droit de propriété à l’égard des parties privatives commerciales
[82] En 2001, Levasseur se vend à lui-même, soit par l’entremise de deux corporations 1854 et 9079 dont il est l’alter ego, l’entreprise de restauration et des activités récréatives du Domaine de l’Éden, de même que les trois lots représentant les parties privatives commerciales [32] . Par cette transaction, l’acquéreur s’engage à respecter le droit des copropriétaires d’utiliser la piscine et autres accessoires vendus.
[83] Comme précisé ci-devant, à la suite de cet acte, Levasseur vend les actions qu’il détient dans 9079 à Guay. Les parties précisent que « tous les membres avec terrains et les résidents auront accès en tout temps et sans aucun frais la partie commerciale administrée par YVON» [33] .
[84] En aucun temps, Guay ou 9079 ne transmet quelque facture que ce soit aux copropriétaires.
[85] Le 25 octobre 2006, Guay vend les actions qu’il détient dans 9079 à Denis Chesnel (ci-après Chesnel), pour la somme de 500 000 $. Ce dernier, contrairement aux propriétaires des parties exclusives commerciales antérieures considèrent qu’il est en droit de réclamer des redevances aux propriétaires pour l’accès aux installations.
[86] Ainsi le 18 avril 2007, Chesnel réclame aux syndicats des copropriétaires un montant de 56,65 $ par mois pour le paiement des charges communes plus 5 % de cette somme pour le fonds de prévoyance.
[87] Cette nouvelle demande ne fait qu’aggraver la situation générale entre les copropriétaires des parties privatives résidentielles et Chicoine qui cherche toujours a obtenir un retour sur son investissement.
conclusion
[88] Hormis ce qu’a pu en conclure Chesnel à l’égard de la possibilité de collecter quelque somme que ce soit des copropriétaires pour avoir accès aux installations récréatives se trouvant sur les parties privatives commerciales, en tout temps pertinent Levasseur savait que cela n’était pas permis. Il n’a d’ailleurs jamais perçu lui-même quelque montant que ce soit durant toute la période où il a été propriétaire des parties privatives commerciales.
[89] Le fait qu’il prétende, dans l’acte de cession, pouvoir céder le droit exclusif de l’accès aux parties commerciales récréatives et du déneigement, prouve qu’il fait des déclarations qu’il sait être mensongère et qu’en plus, il est clair qu’il sait que ce droit n’existe pas. Il n’est pas exclus de conclure que si Chesnel tente de percevoir des sommes des copropriétaires, c’est peut-être en lien avec les représentations de Levasseur. Le Tribunal n’étant pas saisi de cette question n’a pas à trancher, mais il lui est certainement permis de dire que Levasseur n’a rien fait pour dissiper l’ambigüité.
[90] Une fois cette conclusion tirée à l’égard de l’accès gratuit aux installations récréatives, qu’en était-il des droits et contreparties que pouvait céder Levasseur à Chicoine?
[91] Rappelons que l’acte de servitude prévoit expressément que les seuls frais qui peuvent être collectés des copropriétaires proviennent des services d’approvisionnement en eau, les aqueducs, l’accès aux rues et leur entretien incluant leur déneigement.
[92] Or, on l’a vu, ces services ont été graduellement cédés à la Municipalité. Le seul service qui n’a pas été totalement transféré à la Municipalité est celui du déneigement. Par contre, il est clair que Levasseur savait qu’il ne s’agissait que d’une question de temps pour que cela se concrétise.
[93] Malgré son témoignage à l’effet contraire, le Tribunal ne donne que très peu de crédibilité au témoignage de Levasseur.
[94] Entre autres, Levasseur affirme que les copropriétaires ont agi à son insu pour procéder au transfert du service de déneigement. Or, le procès-verbal de la réunion des copropriétaires, au mois d’août 2004 où il est question du transfert des rues et de leur entretien, Levasseur est présent et prend certains engagements en lien avec le transfert de ces services [34] .
[95] De plus de l’aveu même de Levasseur, le maire de la Municipalité et lui entretiennent de très bonnes relations. Ils se parlent et se voient régulièrement, tant à la mairie qu’au camping. En conséquence, il est peu probable que le maire ne lui ait touché mot. En fait, rien dans la preuve ne permet de conclure que le maire aurait tramé dans le dos de Levasseur pour reprendre les différents services que ce dernier offrait aux autres copropriétaires. Au surplus, Levasseur, à titre de propriétaire, a certainement pu constater, comme les autres copropriétaires, que la Municipalité taxait dorénavant pour ces nouveaux services.
[96] Nonobstant cette connaissance, Levasseur vend le service de déneigement et les contreparties alors qu’il sait pertinemment que ceux-ci sont sur le point de s’éteindre par l’effet du transfert imminent à la Municipalité.
[97] Par ailleurs, bien que cela ait été soulevé, le Tribunal ne croit pas que le fardeau pour 9172 comportait l’obligation de vérifier l’ensemble des procès-verbaux des réunions des copropriétaires pour déceler le mensonge de Levasseur.
[98] Dans le cas d’un dol positif, comme c’est le cas ici, le critère de l’obligation de renseignement ne peut être pris en considération. La crédulité de Chicoine et son défaut de s’assurer que Levasseur lui disait bien la vérité, n’excusent pas les fausses représentations et la mauvaise foi de ce dernier.
[99] Ceci n’est pas sans rappeler une décision du juge Gomery qui devait déterminer si le défaut de se renseigner pouvait faire obstacle à une demande d’annulation de contrat où de fausses représentations avaient été faites :
Dans le cas sous étude, le Tribunal n'a aucune hésitation à conclure, en application des principes qu'on vient de résumer, au dol des défendeurs Vaillancourt et Langlois. Les faits de la cause pris ensemble ne permettent aucune autre interprétation. En particulier, les représentations fausses de Vaillancourt relativement à la facilité de l'administration de l'immeuble, les informations inexactes fournies par l'inscription quant aux loyers et le taux de vacances, et les assurances données à la demanderesse que l'immeuble s'autofinançait, l'ont convaincue à tort qu'elle achetait une propriété sans risque financier, et qu'elle n'avait besoin ni d'un fonds de roulement, ni d'une gérance personnelle de l'immeuble. Il est évident que Mme Leroux n'aurait jamais accepté d'acquérir l'immeuble si elle avait su la vérité sur ces aspects de l'affaire . La naïveté de la demanderesse et son défaut de vérifier les renseignements trompeurs qu'on lui avait fournis n'excusent pas les représentations fausses des défendeurs [35] .
(soulignements ajoutés)
[100] En conclusion, il ne fait aucun doute que le comportement de Levasseur vis-à-vis Chicoine revêt un caractère frauduleux qui est le propre d’un dol positif.
[101] Il faut souligner, en outre, que bien qu’il ait été informé de manière contemporaine que les copropriétaires refusaient de continuer de payer les redevances, en aucun temps, Levasseur n’offre de rembourser quoi que ce soit à Chicoine.
2. Le cas échéant, 9142 peut-elle demander l’annulation des actes de cession et de vente ?
Droit applicable
[102] Une demande d’annulation de contrat et des dommages-intérêts sont ouverts à celui qui est victime d’un dol [36] .
Discussion
[103] Considérant la preuve du dol, l’annulation de l’acte de cession est le remède approprié. Cependant, il n’est pas du tout évident que l’acte de vente signé par 1854 et 9142 par lequel cette dernière devenait propriétaire d’une fraction de la copropriété puisse suivre le même raisonnement. Voici pourquoi.
[104] Pour pouvoir prononcer la nullité de ce contrat, il faudrait pouvoir remettre les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant de conclure cette vente. Or, le 12 février 2007, 9142 a vendu à Lyc Associés (ci-après Lyc), une société appartenant à Chicoine et sa conjointe, ledit terrain et la fraction de la copropriété qu’elle détenait.
[105] Rien dans les procédures ne permet de conclure quoi que ce soit par rapport à Lyc puisqu’elle n’est pas partie aux présents litiges.
[106] Chicoine et son épouse ont bien témoigné, à titre de représentants de Lyc, pour déclarer qu’ils souhaitaient offrir ledit terrain et la fraction, mais on a vite fait de leur indiquer que cette façon de faire ne pouvait pallier à l’absence de cette tierce partie audit litige. Chicoine réplique que le Tribunal devrait donner suite à cette offre en suivant l’adage que l’accessoire doit suivre le principal. Le Tribunal n’a d’autre choix que de conclure que cela ne respecte pas les exigences de la loi et ne peut donner suite à la demande d’annulation du contrat de vente du terrain.
[107] Le Tribunal conclut donc que le consentement de Chicoine a été vicié par le dol de Levasseur et que cet état de fait donne ouverture à l’annulation du contrat de cession.
3. À combien s’évalue la valeur de l’acte de cession?
Le droit applicable
[108] Pour répondre à cette question, il faut, d’une part, déterminer si les termes de l’acte de cession doivent primer sur l’acte simulé que fait valoir Chicoine et, d’autre part, il faut examiner ce qui peut être restitué.
[109] Rappelons que le législateur circonscrit l’opposabilité de l’acte simulé à l’égard des parties et des tiers dans les termes suivants :
1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.
Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent.
1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.
Discussion
[110] Reprenons ce que les parties conviennent dans l’acte de cession [37] :
Cette cession est consentie pour la somme de cent mille dollars canadiens (100,000.00$) que le cédant reconnaît avoir reçue du cessionnaire, avant ce jour, dont quittance. Le prix de vente se détail ( sic ) comme suit :
§ Trente mille dollars (30 000,00$) représentant l’achalandage;
§ Et soixante-dix mille dollars (70 000,00$) représentant les améliorations du terrain effectuées au cours des années antérieur ( sic ).
[111] La preuve permet d’apprendre que les chèques que les copropriétaires remettaient chaque année à Levasseur en paiement des services qu’il fournissait sont demeurés en sa possession à la suite de la signature de l’acte de cession. Levasseur et Chicoine ont convenu qu’il en serait ainsi jusqu’à ce que tous les chèques aient été encaissés et cela constitue, selon eux, une diminution du prix de vente. Il faut comprendre que cette façon de faire permettait à Levasseur de reporter, le plus tard possible, le moment où il aurait à aviser les copropriétaires de la cession des Services d’utilité publique.
[112] Ainsi, le temps venu, au mois d’avril 2006, Levasseur verrait à envoyer le même type de lettres qu’il transmettait chaque année pour rappeler aux copropriétaires de lui faire parvenir une nouvelle série de chèques.
[113] Il faut donc comprendre que la somme des chèques encaissés a servi à réduire le prix de vente. La valeur de l’acte de cession s’élève donc, soit à 76 600 $ (100 000 $ - 24 400 $) ou 276 600 $ (représentant la différence entre le montant de l’acte simulé allégué, se chiffrant à 300 000 $ moins les chèques encaissés).
[114] Au soutien de ses prétentions, Chicoine fait valoir que pour des raisons fiscales, les parties ont convenu d’indiquer à l’acte de cession que le montant de la considération s’élevait à 100 000 $, mais qu’en réalité le montant de la transaction était de 300 000 $.
[115] Levasseur ne conteste pas cette version et explique qu’il a bel et bien reçu une traite bancaire de 200 000 $ [38] en plus du versement de la somme de 76 600 $ prévu à l’acte de cession.
[116] Considérant que le témoignage de Chicoine est supporté par la preuve documentaire, le Tribunal conclut que la volonté des parties était bel et bien de convenir que le montant de la considération était de 300 000 $ et, en tenant compte de l’encaissement des chèques, la valeur de cette transaction se chiffre à 276 600 $.
4. Y a-t-il lieu de soulever le voile corporatif?
Le droit applicable
[117] Il est bien connu qu’un individu ne peut se tapir derrière une personne morale pour se soustraire aux impacts d’une fraude commise à l’encontre d’une personne de bonne foi. C’est ainsi que le législateur écrit cette règle :
317. La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public.
[118] La levée du voile corporatif ne peut être plaidée que dans des circonstances exceptionnelles telles qu’en présence de fraude ou de mauvaise foi de la part de l’actionnaire ou de l’alter ego de la personne morale.
Discussion
[119] Étant donné la conclusion à l’égard du comportement de Levasseur tout au long des négociations avec Chicoine et du peu de crédibilité que le Tribunal porte à son témoignage, il ne fait aucun doute que les manœuvres dolosives de Levasseur et la mauvaise foi qui caractérise ses représentations et son comportement permettent de soulever le voile corporatif.
[120] Ajoutons par ailleurs que le soulèvement du voile corporatif n’est même pas nécessaire pour retenir la responsabilité personnelle d’un administrateur s’il est prouvé, comme en l’instance, qu’il a commis une faute extracontractuelle, il est alors solidairement responsable [39] , comme le prévoit le législateur [40] .
[121] En conséquence, il n’y a pas lieu de discuter davantage de l’impact du soulèvement du voile corporatif sur la solidarité entre Levasseur et 1854.
5. Y a-t-il lieu de libérer Levasseur de cette dette, malgré sa faillite?
Le droit applicable
[122] Un débiteur ayant fait faillite ne pourra espérer être libéré d’une dette si celle-ci a été contractée de manière frauduleuse [41] :
178. (1) Une ordonnance de libération ne libère pas le failli :
(…)
e ) de toute dette ou obligation résultant de l’obtention de biens ou de services par des faux-semblants ou la présentation erronée et frauduleuse des faits, autre qu’une dette ou obligation qui découle d’une réclamation relative à des capitaux propres;
[123] L es critères de cet article vont au-delà de la preuve de fausses représentations au sens du Code civil du Québec . Les auteurs Houlden et Morawetz [42] précisent les critères qui doivent être prouvés :
To establish fraudulent misrepresentation, the following must be proved: (i) the making of a representation; (ii) the representation was false; (iii) the representation was made knowingly, without belief in its truth, or recklessly indifferent whether it was true or false; (iv) the creditor relied upon the representation and turned over property to the debtor: (...)
Discussion
[124] À la lumière de la preuve présentée, le Tribunal réitère que Levasseur a non seulement fait des représentations qu’il savait fausses, mais il était conscient de savoir qu’elles l’étaient. Au surplus, ces représentations étaient à la base même de la décision de Chicoine d’aller de l’avant dans cette affaire commerciale.
[125] En conséquence, Chicoine a prouvé les conditions d’application de l’article 178.1 e) qui incitent le Tribunal à ne pas libérer Levasseur de cette dette.
[126] Bien qu’il ne soit pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse à l’égard de la fraude, le Tribunal tient à ajouter un autre élément de preuve qui permet de constater le désir de Levasseur de se soustraire à ses obligations. Ainsi, en réponse à une question en lien avec l’utilisation du montant de 200 000 $ versé directement à Levasseur, et dans le but de comprendre pourquoi il n’avait pas offert de rembourser les sommes d’argent reçues de Chicoine, Levasseur a expliqué que peu de temps après avoir encaissé ledit montant, dans un élan de générosité, tout aussi incompréhensible qu’improbable, il a donné cette somme à son ex-épouse pour la compenser pour des services qu’elle lui aurait rendus. Il s’est empressé d’ajouter qu’elle avait, elle aussi, fait cession des ses biens peu de temps après, de telle sorte que l’argent était irrécupérable.
[127] En somme, il ne fait aucun doute que le comportement de Levasseur ne vise qu’à flouer ses débiteurs [43] .
6. Le notaire Berthiaume a-t-il commis une faute à l’égard de 9142 engageant sa responsabilité envers elle?
Le droit applicable
[128] Règle générale, le notaire est lié par une obligation de moyens.
[129] Comme le dit l’auteur Marquis [44] :
Ce principe fondamental nous semble donc solidement établi présentement en notre droit. Il s’ensuit qu’ au cours de ses activités professionnelles le notaire assumera très généralement envers ses clients une obligation de prudence et de diligence et exceptionnellement seulement une obligation déterminée . Il appartiendra ainsi ordinairement au créancier de prouver la faute du notaire débiteur et non à celui-ci de se disculper .
(soulignements ajoutés)
[130] Rappelons que les notaires n’émettent qu’une opinion; il ne s’agit donc pas d’une promesse et encore moins d’une garantie de résultat.
[131] Voici comment ce même auteur définit le devoir de conseil :
L’obligation à la fois morale et légale qui incombe au notaire d’éclairer les parties, suivant leur besoin respectif et les circonstances particulières de chaque cas, sur la nature et les conséquences juridiques, parfois même économiques, de leurs actes et de leurs conventions ainsi que sur les formalités requises pour assurer à ceux-ci leur validité et leur efficacité [45] .
[132] Le devoir de conseil du notaire vise à éviter des difficultés d’ordre juridique à leur client. Par contre, pour retenir la responsabilité de ce professionnel, le client devra alors prouver les conditions d’existence d’un tel régime : la faute, le dommage et le lien de causalité entre celles-ci.
[133] L’étendue du devoir du notaire d’éclairer les parties sur les conséquences juridiques des actes qu’ils s’apprêtent à passer comporte des limites :
Il n’est guère contesté, cependant, que ces effets juridiques à signaler se limitent nécessairement à ceux normalement et raisonnablement prévisibles lors de l’acte, aux conséquences directes de ce dernier. Cette opinion a reçu, à maintes reprises, l’approbation de nos tribunaux. On peut bien contraindre le notaire à être un conseiller juridique efficace, on ne saurait toutefois lui tenir rigueur de n’être ni prophète ni devin [46] .
(soulignements ajoutés)
[134] Bien qu’il s’agisse d’une décision traitant de la responsabilité des avocats [47] , le Tribunal fait siens les propos du juge Lalonde qui circonscrit le fardeau de preuve de celui qui invoque la faute d’un professionnel tenu à une obligation de moyens :
La règle générale impose au client insatisfait de son avocat de prouver que celui-ci a été négligent. Il en a le fardeau de la preuve. C’est avec raison que monsieur le juge Guthrie souligne l’importance de la preuve par expert pour établir le jalon selon lequel le juge d’instance doit mesurer le degré de négligence de l’avocat qui n’aurait pas raisonnablement agi en conformité des usages et des règles de l’art en semblable matière .
(soulignements ajoutés)
[135] Pour sa part, le juge Guthrie s’exprime ainsi sur le sujet [48] :
[42] However, as in any other area of professional negligence, the general rule requires the client to prove the alleged negligence of his lawyer. In a case where a dissatisfied client alleges, explicitly or tacitly, that her lawyer did not act in accordance with the usual practice, the expert opinion of an experienced member of the Bar practising in the same specialized area of law as the defendant lawyer is an important element of proof. It assists the Court in identifying the standard of care to be met by a reasonably competent and diligent lawyer practising in that area of law .
[44] To expect a judge (particularly a more senior member of the Bench who may have been absent from the practice of law for many years) presiding at a civil negligence trial against a lawyer, to take judicial notice of the current intricacies of the usual practice in a specialized field of law, is a big gamble for the suing client who has the burden of proof.
[45] (…) Mr. Bailey and PDC Trust have failed to supply the Court with a yardstick against which to measure the advice and guidance given by Martineau's partners. The appropriate level of a lawyer's skill, diligence and prudence in a specialized area of law is not a "fact that is so generally known that it cannot be reasonably questioned .
[49] Although the failure by PDC Trust to present any expert evidence to contradict the testimony of Mes Godin and Riendeau would alone permit dismissal of this action, the Court will now comment generally on the specific allegations of negligence against Martineau.
( soulignements ajoutés et renvois omis)
Discussion
[136] En l’instance, aucune preuve d’expert n’a été soumise pour évaluer la conduite du notaire Berthiaume, à l’époque pertinente. En soi, cela pourrait suffire pour conclure que la preuve d’une conduite fautive n’a pas été faite. Mais il y a plus.
[137] L’information trompeuse fournie par Levasseur à l’égard de la survie du service de déneigement malgré son transfert imminent à la Municipalité et le récit de Chicoine quant à la trame factuelle comporte des incohérences qui font en sorte que la version du notaire Berthiaume est plus vraisemblable. L’analyse qui suit en fait la démonstration.
[138] Chicoine soutient que le notaire Berthiaume a eu possession des déclarations de copropriété et des actes de servitude dès la première rencontre. Il enchaîne en précisant que Levasseur et lui donnent mandat au notaire d’étudier les documents pour les aviser sur la faisabilité juridique de leur projet et les conseiller quant aux risques financiers attachés à un tel projet.
[139] Selon Chicoine, le notaire Berthiaume les aurait convoqués quelques jours plus tard pour confirmer que la cession pouvait bel et bien se réaliser et qu’en plus, le notaire aurait rassuré Chicoine sur le fait qu’il ne courait aucun risque financier puisque les contreparties des copropriétaires constituaient ni plus ni moins une taxe municipale. Les copropriétaires devaient payer ces redevances tant et aussi longtemps qu’ils demeuraient propriétaires d’une fraction.
[140] À la fin de la rencontre, Chicoine insiste pour dire que le notaire Berthiaume aurait accepté de rédiger l’acte de cession.
[141] La version de Levasseur est différente. Il indique qu’à leur première rencontre, aucun document n’est remis au notaire et que la discussion n’a duré que quelques minutes. Ce n’est qu’à la suite de cette rencontre que les trois décident de se revoir, mais cette fois, avec les documents.
[142] Lors de la deuxième rencontre à laquelle assiste également l’épouse de Chicoine, des questions sont posées au notaire à l’égard de la faisabilité du projet et des risques y attachés.
[143] Levasseur confirme que le notaire l’a avisé qu’il ne pouvait pas préparer l’acte en question parce qu’il consacrait maintenant la majorité de son temps à l’enseignement. Le rôle du notaire Berthiaume, une fois les deux rencontres terminées, consistait, selon lui, à préparer quelques clauses types pour les transmettre au notaire instrumentant, désigné par les parties.
[144] On a également fait entendre le notaire Thifault qui, on l’a vu, n’a fait que recevoir les signatures des parties et a bel et bien fait signé une reconnaissance de limitation responsabilité par les parties à l’acte de cession [49] . On comprend de son témoignage que son implication n’est que le résultat du fait que la notaire Plouffe ne pouvait remplir le mandat donné par Levasseur, vu sa radiation provisoire.
[145] Le notaire Thifault confirme que le modèle de transaction [50] lui fut transmis par Levasseur, mais il n’en connaît pas l’auteur. Il a bien effectué quelques corrections à la demande des parties, mais sans plus.
[146] Il précise avoir déjà croisé Levasseur au bureau étant donné qu’il s’agit d’un client de la notaire Plouffe.
[147] Cette version des faits ainsi que certains éléments du témoignage de Levasseur se rapprochent sensiblement du récit fournit par le notaire Berthiaume.
[148] La première des deux rencontres avec Levasseur et Chicoine est survenue de façon impromptue, ceux-ci ayant décidé d’arrêter à son bureau sans rendez-vous. Ayant déjà exécuté un mandat pour Levasseur dans le passé, il a accepté de les recevoir. La rencontre n’a duré que quelques minutes au cours desquelles, on lui a exposé le projet. À la fin de la rencontre, il fut convenu que Levasseur lui transmettrait des documents qui lui permettraient d’avoir une meilleure idée de la problématique soulevée.
[149] Une deuxième réunion a eu lieu au cours de laquelle, il a été question du contexte général et des contraintes possibles afin d’évaluer la probabilité de réalisation du projet de cession.
[150] Après avoir pris connaissance des documents, le notaire Berthiaume émet l’opinion préliminaire que les droits semblaient pouvoir être cédés, mais que pour ce faire, il serait souhaitable que l’acquéreur achète une fraction de la copropriété, étant donné le libellé des actes et le fait que le service de déneigement semblait échoir à un copropriétaire en échange d’une contrepartie. De plus, ils se devaient de faire d’autres vérifications (ex. : consulter un fiscaliste).
[151] Le notaire Berthiaume insiste également pour dire que Levasseur s’est bien gardé de lui dire que le service de déneigement devait être sous peu pris en charge par la Municipalité. Au contraire, ce dernier lui a affirmé qu’en raison de contraintes techniques, la Municipalité était dans l’impossibilité d’offrir le service de déneigement. Il devait donc continuer de fournir le service.
[152] Comme indiqué précédemment, la Municipalité avait au contraire accepté la cession des rues, et les copropriétaires discutaient alors avec cette dernière pour qu’elle prenne en charge le déneigement. Comme elle ne disposait pas à cette époque l’équipement adéquat pour procéder au déneigement de ces rues, le transfert ne s’est pas réalisé au même moment, mais il ne s’agissait que d’une question de temps [51] .
[153] Par ailleurs, étant donné que Levasseur l’avait consulté dans le passé, et malgré le fait qu’il ne pratiquait à peu près plus comme notaire instrumentant, le notaire Berthiaume a accepté de rédiger quelques clauses qui devaient servir d’outil de travail pour le notaire devant éventuellement instrumenter la transaction.
[154] Ce dernier est catégorique à l’effet qu’il n’a donné aucun conseil juridique à Chicoine, non plus qu’il ne l’a assuré qu’il faisait une bonne affaire. En outre, il a mis en garde les parties de faire certaines vérifications supplémentaires avant de concrétiser le tout. Finalement, il n’a ouvert aucun dossier.
[155] Une fois les clauses types transmises, il n’a plus entendu parler de cette affaire. Ce n’est qu’un an plus tard, en octobre 2006 qu’il reçoit un appel de Chicoine qui lui demande son opinion sur l’acte de cession instrumenté par le notaire Thifault.
[156] C’est dans ces circonstances que le notaire Berthiaume rédige l’opinion dans laquelle il soulève plusieurs incohérences dans l’acte de cession signé par Levasseur et Chicoine par rapport aux actes de copropriété et aux servitudes [52] .
[157] Le témoignage de Levasseur sur la chronologie des événements et sur le niveau d’implication du notaire Berthiaume, ainsi que les imprécisions et les incohérences de son récit ne permettent pas d’y donner beaucoup de poids. Il affirme qu’il n’a pas donné de mandat au notaire, mais que c’est celui-ci qui a pris l’initiative de leur fournir un document de base. De plus, le segment de la preuve qui porte sur ce qu’il a pu faire des clauses types suggérées par le notaire Berthiaume demeure une énigme. Tantôt il a reçu le document par courriel chez lui et ne peut expliquer ce qu’il a fait par la suite, tantôt le tout a été acheminé au bureau de la notaire Plouffe qui n’aurait fait que quelques corrections mineures.
[158] À ce sujet, il faut noter que la notaire Plouffe, bien que n’étant pas en situation d’instrumenter l’acte de cession, continue d’exécuter des mandats pour Levasseur avant et après sa radiation. Chicoine en a d’ailleurs été témoin lui-même puisqu’il a signé, devant elle, un autre acte qui a fait l’objet d’une poursuite judiciaire. Ultimement, un jugement a condamné la notaire et 1854 à verser à Chicoine la somme de 800 $ en dommages-intérêts.
[159] En somme, confronté à choisir entre le témoignage du notaire Berthiaume par rapport aux explications fournies par Chicoine et Levasseur, le Tribunal préfère s’en remettre au témoignage du notaire Berthiaume parce que plus fiable.
[160] Il paraît beaucoup plus probable que Levasseur soit allé voir un autre professionnel, possiblement la notaire Plouffe avec qui il faisait régulièrement affaire, et ait transmis les clauses types proposées par le notaire Berthiaume, pour que cette autre personne (la notaire Plouffe ou une autre personne) les incorpore dans un acte de cession finalement signé par les parties.
[161] Les projets produits en l’instance ne peuvent émaner dans leur intégralité du notaire Berthiaume parce qu’il n’avait pas accès à plusieurs informations qui se trouvent pourtant dans le projet d’acte (l’endroit de la signature, les détails concernant les résolutions des personnes morales, etc.).
[162] Quant à la prétention de Chicoine portant sur l’opinion que le notaire Berthiaume lui aurait donnée à l’égard de l’opportunité de l’affaire qu’il s’apprêtait à conclure, le Tribunal ne le croit tout simplement pas. Il n’entrait pas dans le mandat du notaire Berthiaume de faire une vérification diligente et évaluer la valeur économique de la transaction.
[163] En conclusion, Chicoine n’a pas fait la preuve de la faute du notaire Berthiaume Le mandat donné était très circonscrit et prenait comme assise l’information fournie par les parties. Or, comme une partie de cette information lui a été sciemment cachée, il est clair qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir mis Chicoine en garde contre son cocontractant.
[164] Compte tenu de cette conclusion, cela coule de source qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la faute alléguée et les dommages réclamés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
Dans le dossier N o : 705-17-002153-078
[165] ACCUEILLE en partie la requête de 9142-6502 Québec inc.;
[166] ANNULE à toutes fins que de droit l’acte de cession ;
[167] CONDAMNE 1854-5624 Québec inc. et Gaston Levasseur à payer conjointement et solidairement à 9142-6502 Québec inc. la somme de 276 600 $ avec intérêts au taux légal majorés de l’indemnité additionnelle prévue par la loi à compter du 15 novembre 2005 ;
[168] DÉCLARE que ladite créance n’est pas éteinte par la faillite de Gaston Levasseur et fixe à un an la période pendant laquelle Gaston Levasseur ne pourra faire modifier ses conditions de libération ;
[169] LE TOUT , avec dépens contre 1854-5624 Québec inc. et Gaston Levasseur.
Dans le dossier N o : 705-17-003191-093
[170] REJETTE la requête introductive d’instance de 9142-6502 Québec inc.;
[171] LE TOUT avec dépens.
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MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S. |
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M e Claude St-Laurent |
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ST-LAURENT, BRIN D’AMOUR, BLANCHI, VARIN, LAUZON |
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Procureurs de la demanderesse 9142-6502 Québec inc. |
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M e Mireille Brosseau |
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Colas moreira kazandjian zikovsky |
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Procureurs de la défenderesse Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec |
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Monsieur Gaston Levasseur |
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Non représenté |
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Dates d’audience : |
11 au 15 novembre 2013 |
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[1] L’utilisation des prénoms ou des noms de famille vise à alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir là aucun manque de courtoisie à l’égard des personnes ainsi décrites.
[2] Pièce D-1, acte de copropriété intervenu le 16 juillet 1993, devant la notaire Ginette Plouffe.
[3] Pour alléger le texte, le Tribunal réfère aux « parties privatives » pour cet acte plutôt que « parties exclusives » puisque tous les actes subséquents utilisent cette terminologie.
[4] Précitée note 2, article 17.
[5] Pièce D-1A, acte de servitude intervenu le 11 juillet 1996, devant le notaire Guy Berthiaume.
[6] Pièce D-1B, acte de copropriété modifié intervenu le 16 décembre 1996, devant le notaire Guy Berthiaume.
[7] Précitée note 2, articles 8 et 9.
[8] Pièce P-26.
[9] Pièce P-28.
[10] Pièce P-27.
[11] Cet espace ne fait pas partie des copropriétés des Phases I à IV.
[12] Pièce P-2, acte de cession intervenu le 16 novembre 2005, devant le notaire François Thifault.
[13] Id. , page 2, clause 1.8.
[14] Id. , page 3, clause 1.9.
[15] Pièce D-20.
[16] Pièce P-8.
[17] Pièce P-7.
[18] Vincent KARIM, Les obligations , Volume 1, 3 e édition, 2009, Wilson & Lafleur Ltée, p. 353.
[19] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations , 5 ème édition, Les éditions Yvon Blais inc., p. 294 - 298.
[20] Id. , p. 218 et 219.
[21] Vincent KARIM, op. cit. note 18, p. 383.
[22]
Articles
[23] Précitée note 2, articles 15 et 16.
[24] Id ., article 36.
[25] Précitée note 5, p. 6 et 7.
[26] Id ., p. 8.
[27] Id ., articles 8 et 9, p. 10.
[28] Id ., p. 9.
[29] Id ., p. 16.
[30] Pièce P-17.
[31] Pièce P-6.
[32] Pièce P-26.
[33] Pièce P-28.
[34] Pièce D-28, procès-verbal du 29 août 2004.
[35]
Leroux c. Langlois
,
[36]
Articles
[37] Précitée note 12, p.4.
[38] Pièce P-8, P-19A et P-19B.
[39]
Fillion
c.
Chiasson
[40]
Articles
[41] Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, ch. B-3.
[42] Lloyd W. HOULDEN and Geoffrey B. MORAWETZ, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada , 3 rd edition, No H22, p. 6 - 119.
[43] Pièce D-29.
[44] Paul-Yvan MARQUIS, La responsabilité civile du notaire , Les éditions Yvon Blais inc., par. 145.
[45] Id ., par. 202.
[46] Id ., par. 207.
[47] Mondoux c. Lapierre , 2005 CanLII 39168 (QC CS).
[48]
Morris Bailey and Place Dupuis Commercial Trust c. Fasken Martineau Dumulin
s.r.l
.,
[49] Pièce P-3.
[50] Pièces D-19A et D-19B.
[51] Pièce D-28.
[52] Pièce D-3.