Commission des normes du travail c. Services de forage Orbit Garant inc. |
2014 QCCQ 6187 |
||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||
|
|||||
CANADA |
|||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||
DISTRICT D'ABITIBI |
|||||
LOCALITÉ DE VAL-D’OR |
|||||
« Chambre civile » |
|||||
N° : |
615-22-001885-127 |
||||
|
|||||
DATE : |
18 juillet 2014 |
||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-PIERRE GERVAIS, J.C.Q. |
|||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
|
|||||
COMMISSION DES NORMES DU TRAVAIL |
|||||
Personne morale de droit public, légalement constituée en vertu du chapitre N-1.1 des Lois refondues du Québec, ayant un bureau au 400, boulevard Jean-Lesage, 7 e étage, Québec, province de Québec, G1K 8W1 |
|||||
|
|||||
Partie demanderesse |
|||||
c. |
|||||
SERVICES DE FORAGE ORBIT GARANT INC. |
|||||
Personne morale de droit privé, ayant un bureau au 3200, boulevard Jean-Jacques-Cossette, Val-d’Or, province de Québec, J9P 6Y6 |
|||||
|
|||||
Partie défenderesse |
|||||
|
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
JUGEMENT |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
[1] La Commission des normes du travail, agissant pour et au nom du salarié Jonathan Gagnon, poursuit la défenderesse lui réclamant 4109,47 $ à titre de salaire impayé et d’indemnité.
[2] Pour l’essentiel, Services de forage Orbit Garant inc. (ci-après nommée Orbit) admet devoir cette somme, mais refuse de la verser alléguant pouvoir opérer compensation, le salarié étant lui-même endetté envers elle.
[3] La question au centre de l’actuel débat est de déterminer si l’employeur peut effectivement agir ainsi du fait que, conformément à une entente intervenue avec le travailleur, ce dernier doit lui rembourser certains frais de déplacement, de formation et d’équipement advenant son congédiement.
[4]
Si Orbit est de cet avis, estimant que les accords visés constituaient
en fait des clauses de nature pénale, la demanderesse est d’opinion contraire
soutenant plutôt que les articles 85.1 et
[5] Quant au contexte factuel du présent dossier, il ne fait pas l’objet de réelles divergences, les parties s’entendant généralement sur les faits.
[6] De la preuve entendue ainsi que des pièces produites à l’audience, le Tribunal retient ce qui suit.
[7] À l’époque pertinente, soit durant l’année 2011, le salarié Jonathan Gagnon travaille dans le domaine du forage pour une entreprise de Rouyn-Noranda dont Orbit se porte acquéreur. Par voie de conséquence, il devient employé de celle-ci et occupe dans un premier temps le poste d’aide-foreur sur un projet situé en Ontario.
[8] Lors de son embauche, on lui demande de prendre connaissance et de signer un document intitulé « Politiques de la compagnie » qui comporte notamment les clauses suivantes :
· Entente sur les frais de déplacement
Si je décide de quitter le projet ou que je suis congédié, Forage Orbit Garant, s.e.n.c. sera en droit de prélever une retenue sur mon salaire pour les frais de déplacement encourus. (sic)
· Frais de formation
Si le travailleur reçoit une formation et qu’il quitte son emploi moins de 6 mois suivant cette formation, il devra en rembourser les frais. (sic)
[9] Il est clair pour les deux parties au contrat que si monsieur Gagnon n’adhère pas à ces conditions il ne sera pas embauché.
[10] Il signe donc le document sans émettre quelque commentaire que ce soit, le 24 février 2011, et commence à travailler deux jours plus tard. Les premiers mois se déroulent sans incident particulier et l’employé est promu foreur.
[11] À un moment que la preuve n’établit pas, d’un côté comme de l’autre, monsieur Gagnon participe à une formation en réanimation cardio-respiratoire (RCR) à l’initiative et aux frais de son employeur. Soulignons qu’outre le fait d’ignorer quand celle-ci a eu lieu, aucune pièce en démontrant le coût n’a été soumise, le témoin produit par la défenderesse se bornant à dire qu’il s’agit d’un montant approximatif établi au prorata du nombre de participants.
[12] Ce dernier ajoute que cette formation était à l’époque une exigence formulée par Agnico Eagle étant donné que le travail s’exécutait en milieu éloigné. Ce n’est par conséquent pas la règle de la demander pour tous les projets. D’ailleurs, ce cours n’était pas orienté particulièrement sur le travail de foreur, il pouvait donc très bien lui être utile dans cet emploi comme dans un autre.
[13] Toujours est-il qu’en mai et juin 2011 monsieur Gagnon est affecté au projet Meadowbank au Nunavut, propriété de la société minière Agnico Eagle.
[14] À son retour et juste avant de repartir cette fois pour le projet Meliadine, toujours au Nunavut, il renouvelle auprès de son employeur certains équipements de sécurité et vêtements de travail.
[15] À ce sujet, sans que les tâches qu’il exécute lui imposent de porter des vêtements spécialisés, il doit tout de même revêtir un couvre-tout, un manteau et des pantalons de travailleur ainsi que des bottes de protection.
[16] Normalement tout foreur possède cet équipement, mais l’employeur le renouvèle au gré des besoins.
[17] À la question de savoir si celui-ci demeure la propriété de l’employeur ou du travailleur, la preuve est contradictoire à ce sujet. En effet, le directeur du personnel d’Orbit, monsieur Sylvain Boulanger, prétend que ces articles appartiennent à l’employé tandis que monsieur Gagnon dit que la compagnie en est propriétaire.
[18] Il n’en demeure pas moins que la défenderesse applique une procédure par laquelle elle remet l’équipement dont a besoin le travailleur, à la demande de celui-ci, exigeant qu’il signe un document sur lequel sont énumérés les vêtements fournis avec le prix de chacun ainsi que la mention suivante :
Lorsqu’un travailleur quitte l’entreprise alors que la remise de son équipement de sécurité est à moins de trois mois, un montant équivalent à la valeur des équipements fournis sera prélevé sur la paye du travailleur. (sic)
[19] Peu après, monsieur Gagnon part pour sa nouvelle affectation suivant un horaire selon lequel il travaille 28 jours suivis d’une période de 14 jours de congé.
[20] Le transport se fait évidemment par la voie des airs moyennant un prix d’approximativement 3000 $, pour l’aller simple, que l’employeur assume entièrement. Ce coût est remboursé à Orbit par le donneur d’ouvrage, dans ce cas-ci Agnico Eagle, à moins que le travailleur ait été expulsé du chantier pour un motif ou un autre.
[21] Monsieur Jonathan Gagnon effectue donc un premier séjour, qui se déroule sans problème particulier, duquel il revient aux environs du 29 juillet 2011. Le 13 août suivant, il repart pour une nouvelle période de 28 jours, mais qui ne sera pas menée à terme.
[22] Le 7 septembre, soit quelques jours avant la date prévue de son retour, à l’occasion d’une fouille de sa chambre, les représentants d’Agnico Eagle découvrent une carotte de forage ce qui entraîne son expulsion immédiate des lieux.
[23] Précisons que les opérations de la défenderesse consistent exclusivement à prélever des échantillons de roc au moyen d’une foreuse à diamant, et ce, au bénéfice des sociétés minières qui l’embauchent.
[24] Le produit ainsi obtenu est une carotte de forage qui sera analysée pour déterminer s’il y a présence d’une teneur minérale pouvant représenter un intérêt commercial quelconque.
[25] Cette information est évidemment au cœur de la démarche de l’exploration minière, et le fait de subtiliser une carotte de forage équivaut à s’approprier des données essentielles pour lesquelles les sociétés minières paient la plupart du temps un prix considérable aux entreprises de forage.
[26] Il s’agit donc d’une faute sérieuse ce que ni l’une ni l’autre des parties ne remet en question.
[27] À la suite de cette éviction, il est transporté par hélicoptère jusqu’à la communauté la plus près, Rankin Inlet, où il passe la nuit.
[28] Le lendemain, après que son employeur eut fait apporter des modifications à son billet d’avion de retour, il s’est rendu à Winnipeg au Manitoba d’où il a pris un autre vol qui l’a ultimement amené à Rouyn-Noranda, son lieu de résidence.
[29] La défenderesse, tant pour l’avion que pour les divers frais de coucher, a dû débourser 2930,43 $.
[30] Rencontré dès son retour afin d’éclaircir cet incident, on confirme au salarié son congédiement, par lettre datée du 20 septembre 2011, et par la même occasion on l’informe qu’on entend retenir des sommes qui lui sont dues, à titre de salaire, le coût du voyage.
[31] Il en est ainsi du fait que, compte tenu des évènements qui lui sont reprochés, Agnigo Eagle n’entend pas rembourser les frais reliés à son retour.
[32] Pour ce qui est des équipements confiés au salarié, mais qu’on réclame maintenant, la preuve révèle deux points de vue différents.
[33] En effet, le représentant de l’entreprise dit que généralement celui-ci est conservé par le travailleur, même lorsqu’il quitte son emploi. Il ne peut cependant dire, dans le cas précis de monsieur Gagnon, si tel fut le cas.
[34] Ce dernier, à l’inverse, affirme que lors de son congédiement le contremaître sur place a exigé qu’il laisse dans le vestiaire tous les articles fournis par l’employeur. Il témoigne donc être parti avec aucun des vêtements ou équipements dont on lui réclame maintenant le coût.
[35] Voici donc ce qu’il en est de la preuve administrée par chacune des parties à l’audience.
[36] On retient en substance que la défenderesse admet devoir 3424,56 $ à son employé à titre de salaire impayé, mais soutient que ce dernier est endetté envers elle pour une somme qui se détaille comme suit :
· Frais de retour : 2930,43 $
· Équipement : 314,53 $
· Formation RCR : 120,00 $
[37] De l’avis de la demanderesse, la question se résume essentiellement à décider si les différentes ententes conclues entre l’employeur et son salarié sont opposables à ce dernier compte tenu du libellé des articles 85.1 et 85.2 de la Loi.
[38] Elle allègue que préséance doit être donnée à ces dispositions étant donné qu’elles sont d’ordre public et que l’on ne peut, par une convention, y déroger.
[39] En défense, Orbit prétend que les documents signés par les parties constituent en fait des clauses pénales, au sens du Code civil, qui ne transgressent pas les dispositions de la Loi sur les normes du travail.
[40] Avant d’examiner et de décider quelle interprétation de la Loi sur les normes du travail soumises doit être préférée, il est possible de disposer de deux des trois postes de la réclamation soulevés en défense par le seul examen de la preuve.
[41] En effet, peu importe l’opinion que l’on retient quant à la question centrale du présent débat, tant les coûts reliés à l’équipement qu’à la formation ne seraient pas soustraits de la somme due par Orbit à monsieur Gagnon, et voici pourquoi.
[42] En ce qui concerne les différents objets qui furent remis à l’employé, la preuve prépondérante démontre que ceux-ci furent laissés sur place à la demande du contremaître d’Orbit. Au surplus, rien ne fut dit sur l’état de ceux-ci et le fait qu’ils aient pu être récupérés ou aient dû être remplacés. Dans ces circonstances, même advenant une conclusion favorable à Orbit quant à la question centrale du présent litige, celle-ci serait malvenue de demander que son ex-employé assume le coût des articles qu’elle a exigé qu’il remette.
[43] Quant aux frais du cours RCR, la preuve administrée par la défenderesse est, à plusieurs égards, défaillante de telle sorte qu’il ne saurait encore ici être question d’en ordonner le remboursement.
[44] Rappelons que cette formation a été dispensée à un groupe à un moment qui ne peut être déterminé, et à un coût pour lequel aucun détail n’a été fourni au Tribunal. Celle-ci a donc pu avoir lieu plus de six mois avant le congédiement et par conséquent ne pas être visée par la période mentionnée à l’entente. Dans l’état de la preuve à ce sujet, il est clair qu’il n’a pas été établi, encore ici, même si l’on retenait la position de l’employeur, que cette somme peut faire l’objet d’une compensation quelconque.
[45]
La disposition au centre de l’actuel débat est l’article
[46] Essentiellement, on visait alors à actualiser la Loi sous certains de ses aspects et, plus particulièrement concernant cet article, à s’assurer que les conditions d’emploi d’un salarié n’avaient pas comme résultat de faire en sorte qu’il reçoive moins que le salaire minimum.
[47] Cette disposition législative, et plus spécifiquement le 3 e paragraphe, soit celui qui nous intéresse, n’a pas fait l’objet de fréquents débats devant les tribunaux avec comme résultat que la jurisprudence qui en traite est plutôt mince.
[48] Une décision revient cependant constamment, soit celle rendue par l’honorable Gilson Lachance, J.C.Q., dans Commission des normes du travail c. Créances garanties du Canada Ltée [2] . Dans cette affaire, la Commission des normes du travail réclamait de l’employeur les frais reliés à l’obtention des permis permettant à un employé d’agir à titre d’agent de recouvrement dans plusieurs provinces canadiennes.
[49] La défenderesse, durant la première année d’embauche, exigeait de ses salariés qu’ils paient les coûts reliés à ceux-ci.
[50] La Commission des normes du travail, subrogée aux droits de certains travailleurs, a entrepris un recours visant le recouvrement des sommes versées, alléguant qu’il s’agissait de « frais reliés aux opérations […] de l’entreprise » [3] .
[51] Ne retrouvant pas dans la Loi même de définition de cette expression, le juge a donc eu recours au Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière . Voici ce qu’il en retient :
28. Le terme « opération » synonyme de « exploitation » peut être défini comme suit :
¨Ensemble des opérations relevant de l'activité normale de l'entité et concernant la réalisation de l'objet dominant qu'elle s'est donné¨ [4]
29. Les termes « frais d’opération » équivaut à celui de « dépense d’exploitation » en comptabilité générale. Ces derniers signifient :
¨Dépense qu’il convient de passer immédiatement en charges plutôt que de la capitaliser, étant donné que l’entité n’en retirera des avantages que pendant l’exercice en cours¨ [5] .
Et de conclure :
31. Le coût des permis prélevé par l'employeur constitue des frais nécessaires à l'opération de l'entreprise interdits par l'article 85.1 alinéa 3.
32. Considérant l'interprétation de ces deux articles, la Cour
considère que l'article
[52] L’employeur, insatisfait de ce jugement, a demandé à la Cour d’appel de se pencher sur la question, ce qu’elle a accepté de faire vu le caractère nouveau de celle-ci.
[53] Le Tribunal d’appel a suivi exactement la même voie que le juge de première instance, et référé aux définitions usuelles de l’expression.
[54] Le juge Robert, parlant pour la Cour, exprime son point de vue de la façon suivante :
23. Le juge renvoie à une définition du Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière . Cette définition est appropriée et il était justifié d'y référer. La preuve en est que le Grand dictionnaire terminologique — un dictionnaire d'usage réputé, produit par l'Office québécois de la langue française — donne, à quelques mots près, la même définition de l'expression « frais d'opération » : « Ensemble de dépenses et charges qu'entraîne le fonctionnement d'une entreprise » [6] . L'expression juste, selon ce même dictionnaire, soit « frais d'exploitation » , est également définie de manière similaire : « Sommes engagées pour assurer le fonctionnement normal de l'entreprise, à l'exclusion des dépenses en immobilisations et des charges financières » [7] .
24. Je suis d'avis qu'en l'espèce, le sens donné à l'expression « frais reliés aux opérations d'une entreprise » par le juge de première instance est non seulement cohérent avec la définition d'un dictionnaire général, mais également tout à fait acceptable pour indiquer le sens courant de cette expression. Il n'est pas erroné de conclure que les « frais d'opération » renvoient aux frais découlant des activités normales de l'entreprise dans la réalisation de l'objet dominant qu'elle s'est donnée, comme somme toute l'a conclu le premier juge. [8]
[55] D’ores et déjà, on peut se permettre de dire que les frais reliés au déplacement d’un foreur ou aide-foreur jusqu’au lieu où celui-ci doit exécuter ses tâches risquent fort de correspondre à cette définition.
[56] En effet, le contexte dans lequel s’effectue l’exploration minière au Canada exige régulièrement le déplacement des travailleurs dans des zones éloignées, parfois difficiles d’accès. Souvent, surtout lorsque ceux-ci doivent s’effectuer en territoire nordique, les coûts associés à ces voyages sont élevés, ce qui explique d’ailleurs que dans le cas présent ils étaient assumés par la défenderesse qui obtenait un remboursement du donneur d’ouvrage, en l’occurrence Agnico Eagle.
[57] Bien sûr il peut en être autrement si le lieu de travail se trouve au contraire dans un endroit facilement accessible et que l’entente stipule qu’il appartient à chacun d’assurer son transport.
[58] En l’espèce, il est donc justifié de considérer, tout comme les parties l’ont fait en apparence, que les coûts reliés au déplacement d’un foreur jusqu’à un endroit aussi éloigné puissent entrer dans la définition de « frais reliés aux opérations ».
[59]
Ceci étant dit, qu’en est-il alors de la suggestion
du procureur de la défenderesse comme quoi la clause prévoyant le remboursement
de certains frais en cas de départ volontaire ou de congédiement est plutôt de
nature pénale, et échappe conséquemment aux prescriptions de l’article
[60] Ce sont les articles 1622 à 1625 inclusivement du Code civil du Québec qui traitent de la clause pénale.
[61] Ceux-ci figurent au CHAPTIRE SIXIÈME DE L’EXÉCUTION DE L’OBLIGATION, SECTION II DE LA MISE EN ŒUVRE DU DROITÀ L’EXÉCUTION DE L’OBLIGATION, PARTIE 6. - De l’exécution par équivalent , et 2. De l’évaluation anticipée .
[62]
L’article
1622. La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n'exécuterait pas son obligation.
Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature de l'obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l'exécution et la peine, à moins que celle-ci n'ait été stipulée que pour le seul retard dans l'exécution de l'obligation.
1991, c. 64, a. 1622.
[63] On retient, dans un premier temps, qu’une clause de ce genre est strictement consensuelle puisqu’elle résulte d’une entente synallagmatique par laquelle les parties souscrivent des obligations l’une envers l’autre.
[64]
Une telle stipulation, qui doit respecter les
prescriptions de l’article
[65] Pour autant, elle peut revêtir des formes variées dépendant des circonstances. En effet, elle peut prévoir qu’en cas d’inexécution de l’obligation il y aura paiement d’un montant forfaitaire ou encore d’une pénalité établie en tenant compte de divers facteurs, par exemple le nombre de jours que dure le manquement.
[66] Cependant, une condition demeure. Pour être qualifiée de pénale, une clause contractuelle doit avoir un caractère forfaitaire et péremptoire, de telle sorte que l’on puisse déterminer le montant des dommages qui sera éventuellement dû advenant l’inexécution des obligations de la part de l’une des parties [10] .
[67] Par ailleurs, il est essentiel de garder à l’esprit que, vu son objectif, elle ne pourra avoir d’effet que si la partie qui y souscrit est fautive dans son inexécution de l’obligation qu’elle a contractée [11] . Si pour une raison ou une autre celle-ci peut soulever avec succès un moyen d’exonération, on ne pourra invoquer contre elle cette clause.
[68] Il est d’autre part utile de souligner que ces stipulations ne sont pas absolues puisqu’elles peuvent être réduites, voir même annulées, si elles contreviennent à certaines dispositions législatives.
[69]
Ainsi, l’article
[70] Par ailleurs, la loi, dans plusieurs cas, limite la portée de telles clauses pénales. Un des exemples en est la Loi sur la protection du consommateur [12] qui restreint, par le biais de plusieurs de ces articles, ce qui peut être réclamé advenant qu’un consommateur ne respecte pas ces obligations [13] . De même en matière de succession, elles pourraient dans certaines situations être réputées « non écrites » [14] .
[71] En matière de droit du travail, à moins de venir directement en contravention avec une disposition d’ordre public, rien n’empêche qu’une entente conclue entre un employeur et un salarié contienne une clause de nature pénale.
[72] En fait, il est même fréquent de voir l’une des parties, souvent l’employeur, vouloir se protéger dans l’éventualité où l’un de ses employés contreviendrait aux obligations qu’il a contractées.
[73] Voici ce qu’en dit l’auteur Robert Gagnon [15] :
Lorsque les parties ont liquidé à l’avance les dommages qui pourraient
résulter d’une inexécution de ses obligations par le salarié, l’employeur
pourra recourir à l’exécution directe de la clause pénale sous réserve de la
possibilité pour le tribunal de réduire la peine stipulée si l’exécution
partielle de l’obligation a profité à l’employeur ou si la clause est abusive
(art.
[74] Ceci étant exposé, la défenderesse a-t-elle alors raison de dire que la mention contenue au document d’embauche signé le 24 février 2011, concernant les frais de déplacement, constitue une clause pénale?
[75]
Après réflexion, le Tribunal croit que tel est
effectivement le cas et que cette stipulation répond aux exigences de l’article
[76] Il ne s’agit pas en l’occurrence d’amener un salarié à participer dans tous les cas aux frais reliés aux opérations de l’entreprise puisqu’elle ne recevra application que dans la situation où le départ du lieu de travail résulte d’un congédiement ou encore de la décision du travailleur de quitter les lieux sans motif. À ce dernier égard, précisons immédiatement qu’advenant que le départ du salarié soit la conséquence d’un événement ne relevant pas de sa volonté, mais résultant d’une cause de force majeure, il ne saurait être question de lui imposer cette pénalité.
[77] Rappelons que pour qu’une telle clause s’applique, encore faut-il qu’il y ait faute.
[78] Dans le cas présent, toutes les parties conviennent que le fait d’avoir subtilisé une carotte de forage constitue une faute importante qui a justifié tant l’expulsion immédiate que la rupture du lien d’emploi. Il est donc concevable que les frais de déplacement, qui dans ces circonstances ne seront pas remboursés à l’employeur par le donneur d’ouvrage, soient imputés au salarié fautif.
[79] D’ailleurs, sans nécessairement se prononcer sur cette question, il serait sans doute envisageable que, même en l’absence d’une telle clause, un employeur alléguant un manquement contractuel puisse obtenir une réparation du préjudice qu’il subit de la part de celui qui a commis une faute et qui a eu comme résultat direct qu’il ait des frais additionnels à assumer.
[80] Dans les circonstances, il y a donc lieu de retenir les arguments avancés par la défense et de conclure que le travailleur, ayant contrevenu à ses obligations, assume les frais de déplacement encourus pour son retour.
[81] La jurisprudence [16] ayant conclue à plus d’une occasion que la règle de la compensation pouvait recevoir application dans un recours entrepris par la Commission des normes du travail, il est par conséquent indiqué de soustraire du salaire dû, soit 3424,56 $, un montant de 2930,43 $ représentant les frais encourus pour ramener monsieur Gagnon du Nunavut, laissant un solde de 494,13 $.
[82]
En dernier lieu, la demanderesse réclame,
conformément à l’article
[83] Rappelons brièvement que ce montant additionnel sert à financer les activités de la Commission et que le Tribunal jouit d’une discrétion quant à son octroi.
[84] Une revue de la jurisprudence [17] révèle que généralement cette somme additionnelle, qui revêt un caractère pénal, est accordée lorsque l’employeur a fait preuve de mauvaise foi ou a délibérément lésé les droits d’un salarié.
[85] À l’inverse, les tribunaux se sont montrés cléments envers ceux qui ont fait preuve de bonne foi et de diligence raisonnable afin d’éviter de contrevenir à la loi.
[86] Entre autres, lorsque la contestation d’une réclamation résulte de l’exercice légitime du droit de faire valoir son point de vue, les tribunaux ont régulièrement considéré qu’il n’y avait pas lieu de l’octroyer.
[87] En l’espèce, la bonne foi de l’employeur ne fait aucun doute et les motifs de contestation étaient sérieux, même si la preuve a été jugée défaillante à l’égard de deux des montants pour lesquels Orbit voulait exercer compensation.
[88] Dans les circonstances, il n’est pas opportun d’accorder ce montant additionnel.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la demande;
CONDAMNE
la défenderesse
à verser à la demanderesse, au bénéfice du travailleur Jonathan Gagnon, la
somme de 494,13 $ en plus de l’intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
CONDAMNE la défenderesse aux dépens.
|
||
|
__________________________________ Jean-Pierre Gervais, J.C.Q. |
|
|
||
M e Caroline Moreau |
||
RIVEST, TELLIER, PARADIS |
||
Procureur de la partie demanderesse |
||
|
||
M e Alain Galarneau |
||
POULIOT, CARON ET AL |
||
Procureur de la partie défenderesse |
||
|
||
Date d’audience : |
12 mars 2014 |
|
[1] L.R.Q., c. N-1.1.
[2]
[3] Article 85.1, alinéa 3.
[4] Louis M énard , Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière, Montréal, Institut Canadien des Comptables agréés, 1994 p. 514.
[5] Id. p. 641.
[6] Le grand dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française, en ligne : www.granddictionnaire.com.
[7] Ibid.
[8] 2008 QCCA 1426.
[9]
Supermarché Jean-Guy Fontaine inc. (Syndic
de)*
(C.S., 2008-04-01), 2008 QCCS
1340,
[10]
Central Microcom Québec inc.
c.
9109-7881 Québec inc.
(C.S., 2008-12-18),
2008 QCCS 6072,
[11]
Abadie
c.
Mutuelle-vie des fonctionnaires du Québec
(C.Q., 2000-05-04),
[12] Chap. P-40.1.
[13]
À titre d’illustration, l’article
[14]
À titre d’illustration, l’article
[15] Robert P. GAGNON et LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS, s.e.n.c.r.l., Le droit du travail du Québec , 7 e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 169.
[16]
Comité paritaire de l'industrie des services
automobiles de la région de Montréal
c.
Hewitt Équipement ltée
(C.Q., 2012-03-02), 2012 QCCQ 1485,
[17]
Commission des normes du travail
c.
Collège Charlemagne inc
. (C.Q., 2009-07-29),
2009 QCCQ 7159,